11 novembre 2006

L'histoire du thermomètre

Il faisait vraiment très chaud entre Kashgar et Turfan. D' ailleurs, Turfan est connue pour être la ville la plus chaude de Chine ! Pourtant la température affichée au comptoir d'accueil des hôtels indiquait impertubablement 39° Celsius. Bizarre !
Alors, pour en avoir le coeur net, nous nous sommes mis en quête d'un thermomètre. De petites boutiques en supermarchés , de supermarchés en pharmacie, l'oeil aux aguets nous avons cherché : en vain ! Impossible de trouver un thermomètre, ni à Turfan ni ailleurs. On nous a bien proposé quelques thermomètres médicaux, mais ils ne dépassent de toute façon pas les 42° et pour mesurer l'air ambiant, ce n'est pas très satisfaisant.
L'explication est pourtant simple : il existe en Chine comme d'ailleurs en France une loi qui fixe à 40° la température à partir de laquelle employés et ouvriers ne peuvent plus être obligés de travailler. Température qui n'est, bien entendu, jamais atteinte... officiellement. Les thermomètres sont donc des objets parfaitement inutiles au Xinjiang! CQFD !

Vous ne me croyez pas ? Alors lisez plutôt :

"De mai à août les températures dépassaient fréquemment trent-sept degrés et nous n'étions pas censés travailler l'après-midi, nous les buffles des chantiers et des usines, et au-delà de quarante on pouvait même rester à la maison, ou plutôt dans les dortoirs; qui nous avait informés de cette règle instaurée par le gouvernement central au service du peuple, pour protéger les ouvriers et leur santé, personne ne s'en souvenait; mais ici à Shanghaï les montagnes sont hautes et l'empereur à Beijing est bien loin, alors nul ne se souciait de la mise en application de cette norme, ni la municipalité qui avait donné l'ordre au bureau de la météo de ne jamais déclarer officiellement dans les journaux ou à la radio les températures au-dessus de trente-six et demi, et encore moins les patrons qui nous avaient avertis sans détour que les jours de forte chaleur on travaillait quand même et les faibles et les tire-au-flanc qui décideraient de rester à rêvasser sur leur grabat seraient vidés à grandes enjambées.
C'est ainsi que j'ai compris pourquoi lorsque tous les thermomètres indiquaient sans erreur des températures de plus de quarante degrés en plein été, les journaux du matin, ceux du soir, et la radio eux indiquaient invariablement trent-six et demi au plus haut."

Voilà ce qui se passe à Shanghaï, mais le Xinjiang est encore plus loin de Beijing et la méthode beaucoup plus radicale et terriblement efficace : l'absence de thermomètre garantit que les températures ne dépassent jamais le seuil autorisé par la loi. Ah! mais !


L'extrait cité plus haut a été emprunté à un roman tout à fait passionnant, que m'a prêté un ami : La Promesse de Shanghai de Stéphane Fière. Ce roman raconte la vie au jour le jour d'un "mingong", paysan émigré venu à Shanghaï dans l'espoir de travailler sur un des innombrables chantiers de construction de cette ville en expansion permanente. Un roman si bien documenté qu'il vaut tous les reportages mais le recours à la première personne confère au récit un caractère poignant. Avantage du roman sur le documentaire!
Stéphane FIERE, La Promesse de Shanghaï, Bleu de Chine, 2006.

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