18 mars 2007

Lundi classique : le théâtre grec

- Je m'ennuie souvent au théâtre. Trop de dialogues ? Pas assez d'images ? Je ne sais trop mais c'est un fait.
- Dans ce cas, pourquoi t'intéresser au théâtre grec ? Par obligation ? Parce que cela fait partie de notre grand patrimoine culturel ?
- Certainement pas !
- Alors pourquoi aller chercher des auteurs morts il y a plus de 2000 ans qui ressassent sans fin les mêmes histoires de famille. Les Atrides, les Labdacides.... Pas vraiment recommendables ces gens là....
- Non, pas vraiment, mais avant de parler d'eux, parlons un peu des représentations. Car ce sont les conditions dans lesquelles les tragédies étaient représentées qui rendent le théâtre grec tout à fait passionnant.

Allons directement à l'essentiel et parlons d'abord du cadre des représentations, ces fabuleux théâtres de pierre en plein air, les immenses gradins, souvent avec vue sur la mer comme à Taormina ou à Leptis Magna !
Mais je ne suis ni architecte, ni historienne alors je passe sur les détails pour ne retenir que deux éléments : les théâtres grecs étaient conçus pour recevoir plusieurs milliers de spectateurs, oui, plusieurs milliers, ce qui les apparente plus à des stades de foot qu'à des théâtres classiques. Tu peux te faire une idée de la capacité de ces théâtres en jetant un oeil à la photo : http://www.jmrw.com/Abroad/Sicile/Syracuse/pages/20051108-104556_jpg.htm
Bon d'accord, il ne reste pas grand chose, à part les gradins, mais si par l'imagination tu arrives à les remplir, tu comprendras mieux ce que foule veut dire. Et il y avait foule dans ces théâtres !

L'autre élément important est le "thumele", une colonne de pierre placée à peu près au centre du théâtre, un autel sacrificiel sans doute, consacré à Diyonysos. Or Dionysos est un de mes dieux préférés. Un bon vivant associé à la vigne et au vin : voilà de quoi rendre le personnage sympathique. Mais surtout, Dionysos est l'antithèse d'Apollon, son antithèse et même son antidote. Apollon est un dieu de lumière; il incarne le savoir, l'ordre et la raison. Jusqu'à l'excès. Dinoysos est un dieu de l'ombre; il incarne le désordre et le chaos, c'est vrai, mais aussi le doute et l'incertitude. Le doute est inconfortable sans doute, mais il est, à mes yeux, salutaire : il sauve des certitudes et des absolus; il préserve du fanatisme.
Placer le théâtre sous le signe de Dionysos est donc de bon augure.

D'ailleurs les représentations tragiques avaient toujours lieu pendant les "Grandes Dionysies", consacrées justement à ... Dionysos. Si vous voulez en savoir un peu plus sur ces fêtes, allez par exemple à http://www.educnet.education.fr/musagora/dionysos/dionysosfr/fetes.htm
Mais surtout essayez d'imaginer l'ambiance : les représentations ont commencé à l'aube et s'enchaînent les unes après les autres, trois par jour au moins. Aujourd'hui c'est le tour d'Eschyle, hier c'était ..., demain ce sera le tour d'un autre puisqu'il s'agit d'un concours. Les spectacles sont gratuits et tous sont conviés, les citoyens qui ont droit de vote mais aussi, exceptionnellement, les femmes, les esclaves et les métèques. On vient au spectacle en famille; on mange, on boit. On rit, on crie, on pleure, on hurle, on s'épouvante. Oh bien sûr, on connaît déjà l'histoire, on sait même comment ça finit puisque depuis tout petit, on vous a raconté comment Oedipe... comment Médée... Mais cela n'empêche pas de s'identifier aux personnages, de vivre de l'intérieur leurs passions, leurs rages, leurs terreurs.

- Pas grand chose à voir avec le théâtre d'aujourd'hui.

- Non pas grand chose ! Et si j'ajoute que les représentations étaient gratuites, pour que chacun puisse y assister, il y a de quoi se poser quelques questions non ? On peut en particulier se demander quelle était la fonction du théâtre dans la Grèce antique ?
Bon je résume : des théâtres suffisamment grands pour accueillir un maximum de gens, des spectacles gratuits, placés sous l'égide de Dionysos, dieu du doute et de la remise en question ... est-ce que cela aurait quelque chose à voir avec le développement de la démocratie, après tout le siècle dont je parle est celui de Périclès ?
- Peut-être, mais des histoires que l'on connaît déjà ...
- On connaît l'histoire, c'est vrai; mais on ne connaît pas le sens que l'auteur donne à cette histoire ! Et c'est justement sur cette interprétation que les spectateurs vont être appelés à se prononcer ! Tu vois, l'exercice me paraît au fond très pédagogique puisqu'on met le spectateur à contribuition, on lui demande de réfléchir et de choisir entre une version et une autre de la même histoire.
- Mmmhhh ! Possible mais pas certain. Cette histoire de citoyens que l'on convoque en masse dans un environnement festif pour leur transmettre un message... ça ressemble bien aussi à de la propagande... en 34, c'était où déjà, à Nuremberg ?
- Non ! Pas possible ! Le spectacle n'est pas financé par l'Etat mais par un mécène...
- ... à la solde du gouvernement ?
- Mais non ! Et puis souviens toi, ce ne sont pas les fêtes d'Apollon mais celles de Dionysos ! Celui qui pose les questions, pas celui qui donne les réponses !
- Mouais... peut-être, mais j'ai mes doutes...
- Et bien tant mieux ! Si tu veux, on en reparle une autre fois, quand tu auras lu quelques textes ? Le Prométhée enchaîné d'Eschyle par exemple. Comme cela tu pourras comparer avec la version d'Hésiode, que tu as déjà lue.
- D'accord ! Mais tu ne me fera pas attendre un mois !
- On verra....

En attendant, voici toujours une image. Je ne sais plus très bien où je l'ai trouvée, peut-être dans le livre de Béatrice Mazard sur la Libye, sous-titré Sur les traces des Garamantes, paru en 2000 aux éditions Xavier Lejeune. Un beau livre pour rêver du désert et des ruines.

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