02 avril 2007

Lundi classique : Eschyle

Pourquoi Eschyle ?
Parceque s'il n'est pas le premier et le plus ancien des auteurs tragiques, il est le premier et le plus ancien des auteurs tragiques que nous connaissons et parce que j'aime bien le principe des textes fondateurs. Comment tout cela - la littérature, le théâtre, la culture ... - a-t-il commencé ?
Et pourquoi Prométhée enchaîné ?
Parce que le mythe de Prométhée est justement le mythe fondateur de la culture occidentale.
- C'est vrai, tu nous en a déjà parlé. C'était... c'était... à propos d'Hésiode non ?
- Gagné ! Et ce qui est intéressant, c'est de comparer les différentes versions du mythe.

Si tu as lu la pièce, tu as très vite repéré son fonctionnement qui n'a pas grand chose à voir avec celui des tragédies du XVIIe; ce n'est qu'une succession de scènes toutes construites sur le même modèle : Prométhée face à un autre personnage. Les uns, Héphaïstos et Hermès, sont plutôt du côté de Zeus; les autres Océan et Io, plutôt du côté de Prométhée. Quant au choeur, il sert essentiellemet de groom (celui qui tient la porte ouverte pour faire entrer un nouveau personnage), mais un groom qui n'hésite pas à donner son avis et à faire des commentaires.

L'histoire en quelques mots ? Prométhée est puni parce qu'il a commis une double faute : en essayant de protéger les hommes, il s'est révolté contre Zeus. Le châtiment est à la mesure de sa faute : effroyable !

Mais voyons de plus près comment Eschyle présente la "faute" de Prométhée.
Zeus avait entrepris de faire de l'ordre chez lui, en attribuant à chacun tel ou tel privilège. Mais rien pour les mortels. Pire il voulait en faire disparaître la race tout entière pour en faire naître une nouvelle - décidément une manie chez les dieux ! Prométhée, pris de pitié, s'y oppose.
"Mais peut - être as tu poussé la bonté plus loin encore ? " s'interroge alors le Coryphée, qui connaît son Prométhée.
" Oui, j'ai mis fin aux terreurs que la vue de la mort cause aux mortels. " avoue fièrement le protecteur des hommes qui précise : "j'ai logé en eux d'aveugles espérances." et reconnaît deux lignes plus loin "J'ai fait plus encore : je leur ai donné le feu." Prométhée, comme tu le vois, a fait des hommes, "des êtres doués de raison et de réflexion." et c'est pour cela qu'il est puni !
Le message est clair, il est le même que celui d'Epicure; il est le même que celui d'Homère ! C'est parce qu'il prenait le temps de réfléchir qu'Ulysse a survécu à l'Odyssée; c'est parce qu' il utilise les lumières de la raison pour expliquer la nature des choses qu'Epicure a permis aux hommes de ne plus avoir peur de la mort. C'est toujours le même fil que l'on tire pour essayer de sortir l'humanité de sa fange.
Plutôt fierot le Prométhée. Pas très content du supplice qui l'attend, mais il n'entend pas pour autant renoncer à son combat. Et lorsqu' Hermès se présente pour faire exécuter la sentence, Prométhée revendique non seulement son geste mais annonce la chute du tyran : "[...] qu'il lance la flamme dévorante, qu'en déchaînant la neige à l'aile blanche et les tonnerres souterrains il confonde et bouleverse le monde entier, rien de tout cela ne me fera fléchir et je ne lui révèlerai point par qui il doit être renversé du pouvoir. "

- Dis, ça rappelle pas un peu Molière ?
- La fin de Don Juan ? Oui, tout à fait ! Le même fil encore et toujours, qui va de l'un à l'autre. Tu pourrais penser aussi à l' Antigone d'Anouilh... Rien que des emmerdeurs ! Pas contents du monde tel qu'il est et qui le font savoir. Des empêcheurs de tyraniser en rond. Ou simplement des gens qui posent les bonnes questions, celles qui dérangent.
Mais pour en revenir au Prométhée d'Eschyle, écoute ça :
"Dès lors, que la tresse de feu à double pointe soit lancée sur moi, que l'éther soit ébranlé par la foudre et la rage des vents sauvages; que leur souffle, secouant la terre, l'arrache de ses fondements, avec ses racines; que la houle bruyante et rude des mers confonde dans le firmament les orbites des astres et qu'il précipite mon corps au fond du ténébreux Tartare dans les tourbilllons d'une impitoyable contrainte : en tout cas, il n'arrivera pas à faire mourir le dieu que je suis. "
Belle période oratoire, non ?
- Superbe exemple de réthorique en effet, mais surtout quel défi lancé à la face de Zeus.
- D'autant plus que jusqu'au dernier moment Prométhée ne cède pas : alors même qu'il est foudroyé, il prend le ciel à témoin pour dénoncer le caractère injuste du châtiment qu'on lui inflige : "Voilà donc la rafale que Zeus, pour m'épouvanter, déchaîne ouvertement sur moi. O ma vénérable mère et toi, Ether, qui fais rouler autour du monde la lumière commune à tous, voyez-vous quel traitement inique on m'inflige. "
Tu vois, c'est ce que j'aime dans cette pièce. Eschyle fait de Prométhée un super-héros et prend soin de lui laisser le dernier mot. Alors que, si tu t'en souviens, Hésiode fait de Prométhée une victime puisque "malgré tout son savoir, la contrainte d'un lien terrible le tient." La défaite de Prométhée illustre dans ce cas, l'idée que "le mal est sans remède" ou bien encore qu' "il n'est nul moyen d'échapper aux desseins de Zeus."
- Brrr... pas très optimiste ton Hésiode. Je crois que, tout bien réfléchi, je préfère la version d'Eschyle.
- Moi aussi, mais entre les deux versions, les temps ont changé. Avec Eschyle on s'approche du siècle de Périclès et de l'avènement de la démocratie. Le Zeus contre lequel Prométhée se révolte dans le texte d'Hésiode est le premier des dieux. Celui d'Eschyle est un tyran qui s'est récemment emparé du pouvoir et en use arbitrairement. Le mythe est clairement utilisé ici à des fins politiques. Intéressant non ? et cela confirme assez bien ce que je disais à propos du théâtre antique.
- Ouais, sans doute, mais on peut peut-être s'arrêter là parce que je sens que sinon on va partir du côté d'Arthaud ou de Brecht ou ...
- D'accord ! On attendra un autre lundi classique.














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