23 novembre 2008

La Femme qui lisait trop

Elle s'appelle Tahirih Qarratu'l-Ayn bien qu'elle ne soit jamais nommée dans le roman, pas plus d'ailleurs que les autres personnages.
Mais quelle femme étonnante ! Et quel roman passionnant !

C'est tout d'abord un roman qui permet de se familiariser avec la Perse du XIXe siècle, avec sa géographie, son histoire, sa hiérarchie politique et religieuse, ses coutumes ... bref, une excellente introduction à l'Iran ou, dans mon cas, une fascinante poursuite de voyage.

C'est surtout l'histoire d'une femme : une femme d'une intelligence remarquable, qui par la grâce de son père, un intellectuel intelligent, (non, non, l'expression n'est pas redondante ! ) a appris à lire, à penser, à réfléchir. Qui a fait des choix, celui de la vérité contre les préjugés du moment; qui a préféré sur toute chose, y compris sa propre liberté, la liberté de pensée et ne s'est jamais reniée, même devant la mort.

C'est une femme qui a réellement existé : elle est née vers 1814; elle est morte étranglée sur ordre du Shah en 1852. Son cadavre a été jeté dans un puits et recouvert de pierre. Elle était une des adeptes de la religion Baha'ie dont je ne savais pas grand chose si ce n'est que, considérée comme une secte dissidente de l'Islam, elle est interdite en Iran et ses adeptes sont persécutés.

Humaniste, féministe, la poétesse de Qazvin, puisqu'ainsi elle est nommée dans le roman, est un bel emblème pour la cause des femmes, puisqu'elle a été la première à oser rejeter le voile et se présenter le visage nu en public; c'est un bel emblème pour la cause des femmes mais aussi des hommes puisqu'elle refuse de diviser en deux l'humanité.

Bahiyyih Nakhjavani qui a écrit ce superbe roman ne cède pas à la facilité. Le parti pris qui consiste à adopter successivement le point de vue de quatre femmes : la mère du Shah, l'épouse du maire, la soeur du Shah et la fille de la poétesse, est particulièrement habile et efficace parce qu'il oblige le lecteur à redoubler d'attention pour suivre le fil de la narration qui procède par allers et retours temporels. Complexe et parfois retors, le récit est à l'image de la société iranienne que les Occidentaux - représentés ici par la femme de l'Ambassadeur britannique - ont tant de mal à comprendre.

Pour en savoir un peu plus sur les Baha'ie, j'ai trouvé un excellent article de William S. Hatcher dans le Monde diplomatique. Mais n'hésitez pas : La femme qui lisait trop se lit avec passion, même sans lectures préalables ! Pour ma part je vais dès demain à la bibliothèque me procurer les deux autres livres de Bahiyyih Nakhjavani, publiés eux aussi chez Actes Sud : La Sacoche et Les Cinq rêves du scribe.

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