24 juillet 2009

La Princesse de Clèves

- On s'y remet ?
- Si tu veux.
- Avec La Princesse de Clèves ?
- NOOOON ! Pas la Princesse !
- Mais si !
- Pourtant l'autre a dit ...
- Il ne l'a pas lue. Qu'est-ce qu'il pourrait bien en dire...
- Mais toi-même, je t'ai déjà entendue...
- C'est vrai; je déteste ce personnage de chochotte, persuadée qu'elle vaut mieux que tout le monde alors qu'elle a juste la trouille.
- La trouille de quoi ?
- Ben de se coltiner avec la vie !

- Attends, ça va trop vite. On recommence, lentement, doucement. Si tu veux vraiment me faire lire le roman de Mme de La Fayette, il va falloir t'y prendre autrement.
- Soit ! Alors on se place en 1678. En plein âge classique.
- Tu veux dire le XVIIe siècle !
- Oui.
- Au fait, les grands auteurs du XVIIe, tu n'en as pas encore parlé. Ils ne t'intéressent pas ?
- Bien sûr que si, mais tout le monde les connaît...
- Quand même, j'aimerais bien que tu m'en parles !
- D'accord, mais une autre fois.
- Dans pas longtemps alors, parceque là, t'emmêles ma chronologie.
- T'as fini de râler ? Sinon on en prend pour trois plombes et je n'ai pas que cela à faire...
- Encore des bagages ? Tu vas où ?
- Nulle part et de quoi je me mêle ?
- Je me mêle, je m'emmêle....
- ...
- Bon, ça va, je t'écoute.
- En 1678 donc, est publié sans nom d'auteur...
- Un roman anonyme ? Mais je croyais ...
- Un court roman ...
- Court ?
- Oui, très court ! Mais si tu m'interromps sans arrêt, ça va être très long !
- D'accord je la boucle.
- Un court roman intitulé La Princesse de Clèves.
- ...
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Rien ! J'ai rien dit !
- Bon d'accord, pas si court que cela : 268 pages dans ma vieille édition de poche. Mais les caractères sont assez gros !
- Encore heureux ! Et pendant que tu y es ? L'auteur, c'était qui vraiment ?
- Oui, je sais, on a prétendu que le roman n'a pas été écrit par Mme de La Fayette, mais par certains de ses amis comme La Rochefoucauld ou Servais et que du moins ils l'ont bien aidée... Mais on a dit aussi qu'Homère n'avait écrit ni l' Iliade ni l' Odyssée et que les pièces de Molière avaient été écrites par un autre que lui. Balivernes ! De toute façon qu'importe le nom sur la couverture, c'est le texte et lui seul qui compte. Certes, le texte de La Princesse de Clèves est un peu précieux parfois, et l'intrigue une peu trop "fabriquée", mais ce qui est passionnant dans ce roman, c'est que depuis plus de trois siècles, il y a toujours des lecteurs pour prendre parti pour ou contre la princesse.
- Vraiment ?
- Oui, vraiment. Un vrai sujet de dissertation : soit une femme mariée (dans quelles conditions, c'est à voir) qui n'est pas amoureuse de son mari, mais d'un autre, le Prince de Nemours qui lui même est follement amoureux de la princesse en question.
- Plutôt banale comme situation, genre roman à l'eau de rose.
- Jusque là sans doute.... Or la Princesse, au lieu de céder à sa passion, résiste et se refuse au Prince, du vivant de son mari - ce qui peut se comprendre - et même après la mort de son mari. Ce qui, tu en conviendras, est plus étonnant.
- En effet. Mais les moeurs de l'époque...
- Justement. Mme de La Fayette prend soin de suggérer que la société de l'époque acceptait, sans plus s'en offusquer, qu'une femme ait un amant . Ce ne sont donc pas les lois sociales ou mondaines qui ont retenu la Princesse de Clèves.
- Les lois morales ?
- Peut-être ... ou plutôt la haute idée qu'elle se faisait d'elle-même. "Suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant" disait Gide (bien que lui l'ait souvent descendue, la pente !) Quelque chose comme cela.
- Respect, non ?
- Oui, certains ont même parlé d'attitude janséniste à son propos, sauf que l' exigence "morale" de la Princesse a coûté la vie à son mari, a causé son propre malheur et celui du prince de Nemours. Un mort et deux vies gâchées. C'est un peu cher non ?
- Tu ne l'aimes pas beaucoup cette princesse.
- Pas trop. Parce que ce qui m'apparaît à chaque lecture, ce n'est pas l'aspiration vers le haut mais la peur de la vie.
- La peur de la vie ?
- Oui, quand tu liras le roman, tu verras que la Princesse de Clèves avait surtout peur de souffrir : peur que Nemours se lasse, peur qu'il ne l'aime plus et qu'elle soit horriblement malheureuse, peur qu'il en aime une autre et soit horriblement jalouse, peur de ne plus l'aimer un jour...peur de souffrir, tout simplement peur ! Il est vrai que sa mère n'avait cessé de lui parler de l'inconstance des hommes, de leur légèreté, de la brièveté de la passion....Tu vois, d'une certaine façon, elle est victime de son éducation. Elle n'a jamais réussi à se débarraser des préjugés que lui avait inculqués sa mère.
- ...
- Et bien ?
- Aspiration vers le haut ou peur de la vie? C'est bien ce que tu suggères ? Et comment je tranche moi ? Non, pas la peine, j'ai compris. Il faut que je lise ! Si je veux m'y retrouver dans ces arguties psychologiques, il faut que je lise La Princesse de Clèves.
- Après, tout, c'est le premier roman qui invite le lecteur à s'interroger sur nos vraies motivations, sur les vraies raison qui nous font prendre telle ou telle décision.... Plus j'y pense, plus sa lecture me paraît indispensable à tout individu responsable, quelle que soit sa place dans la société.
- Même Président ?
- Surtout Président !

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