22 janvier 2011

Cormac Mc Carthy

Cela m'a pris du temps, mais je viens de finir la Trilogie de la frontière de Mc Carthy.
Cela m'a pris du temps parce que Mc Carthy n'est pas un auteur facile, mais aussi parce que ses romans vous marquent profondément.

J'ai découvert cet écrivain tardivement, en lisant La Route longtemps après tout le monde : un roman aussi consensuel, qui faisait l'unanimité parmi les critiques et que tous les médias encensaient me paraissait suspect. Je refusais donc de le lire.
J'avais tort !
Car, à pleine plongée dedans, j'ai compris que j'avais failli passer à côté d'un grand livre. Noir, désespéré, c'est certain, mais totalement passionnant. Un roman qui s'inscrit parfaitement dans la tradition du "road novel" américain, et porte d'emblée le genre à son sommet.

Du coup, j'ai eu envie de lire d'autres livres du même auteur. Le Gardien du verger ne m'a pas tout à fait convaincue, trop elliptique peut-être ou trop exigeant vis à vis du lecteur à qui l'auteur laisse le soin de reconstituer l'intrigue et de comprendre les motivations des personnages sans lui donner plus que des indications partielles. Mais dans ce premier roman, apparaissent déjà les thèmes inlassablement repris dans les oeuvres suivantes : la solitude, la confrontation avec la nature, l'interrogation sur la frontière entre le bien et le mal.


De si jolis chevaux, Le Grand passage, Des Villes dans la plaine. Qu'est-ce qui fait de ces trois romans, parus entre 1992 et 1998, une trilogie ?

D'abord une unité de lieu : les grandes plaines désertiques que l'on retrouve de part et d'autres de la frontière Texas, Nouveau-Mexique et Mexique. Autant dire une nature sauvage, violente parfois, immense surtout, où l'on peut chevaucher pendant des jours sans croiser personne, sans même apercevoir un village, une ferme. Le territoire de la trilogie, c'est celui des grands westerns de John Ford, Howard Hawks ou Raoul Walsh. Et les romans de Mc Carthy sont bien au premier abord des westerns, mais des westerns crépusculaires. Cowboy d'un côté de la frontière, vaquero de l'autre côté, ce sont des métiers en voie de disparition. Des métiers ? Plutôt des modes de vie dont l'auteur visiblement, et plus encore ses personnages, gardent la nostalgie. On se déplace à cheval, on dort à la belle étoile, ou dans une grange. On lutte contre les éléments , le vent, la sècheresse, la pluie. Un combat perdu d'avance puisque la nature toujours l'emporte; l'homme ne survit qu'à condition de se soumettre.

Mais les personnages de Mc Carthy sont tout sauf dociles. Ce sont des êtres jeunes, ardents, qui prennent la route sur un coup de tête et jamais ne renoncent. Lancés sur une piste, qu'il s'agisse de retrouver un cheval volé, un frère disparu, de porter secours à un ami, ils la suivront jusqu'au bout quoi qu'il dût leur en coûter. Car s'ils sont effroyablement obstinés, ils sont aussi étrangement fidèles. A leurs engagements, à leurs idéaux. Voici les grands mots jetés. Dans les romans de Mc Carthy il est question d'aventures et le lecteur aura son lot d'actions, de péripéties et de rebondissements mais il est question aussi de morale parce que ses personnages sont en permanence confrontés à des situations où il est difficile de discerner le bien du mal.
Solitaires les plus souvent, ils n'ont personne pour leur dicter leur conduite et doivent trouver en eux mêmes les réponses aux questions qu'ils se posent. Au fil de leurs voyages ils découvrent ce que valent les hommes, voleurs, assassins, cruels et barbares mais parfois généreux et bienveillants.

Les romans de Mc Carthy ne sont pas faciles à lire - j'ai même renoncé à les lire en anglais ! - parce que les descriptions, surtout lorsqu'il s'agit de chevaux, sont d'une précision redoutable. Et parfois très techniques ! Ses personnages surgissent sans avoir été présentés; il faut, comme dans la vraie vie, apprendre à les connaître, à les reconnaître, à distinguer leur voix dans l'alternance des répliques, à déduire de leur comportement, de leurs gestes ce qu'ils pensent, ce qu'ils éprouvent. L'auteur les fait agir; au lecteur de donner un sens à leur action, d'interpréter. Descriptions minutieuses, psychologie comportementale, rien n'est fait pour le repos du lecteur.
Mais sans cet ancrage dans la réalité, les personnages n'auraient pas de poids, pas de valeur. Ce ne serait que des fantoches de papier.

Il faut lire Mc Carthy. Il faut prendre le temps de lire ces romans. Parce que ce sont des livres exigeants : âpres, violents souvent, sombres toujours, pessimistes sans doute, mais s'il ne croyait pas, si peu que ce soit, à l'humanité, il y a longtemps que Mc Carthy aurait cessé d'écrire. Or il ne peut s'empêcher d'y croire, parce qu'il y a toujours dans ses romans quelqu'un pour vous tendre la main quand vous êtes perdu ou une gamelle quand vous êtes affamés. Il y a toujours au bout de la route, un espoir auquel vous rapprocher.
Mc Carthy, un idéaliste déçu ? un humaniste pessimiste ? Tout simplement un grand écrivain.

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