25 mars 2011

El Cantor de tango

Je rentre de voyage. Un voyage extra-ordinaire !
Je viens de passer 15 jours à Buenos Aires, sans même quitter mon bureau, ni mon écran d'ordinateur ! Surtout pas l'ordinateur ! 15 jours à lire Le Chanteur de tango , un roman de Tomas Eloy Martinez.
Le titre n'est pas très impressionnant et en ouvrant le livre, on se croit parti pour une petite aventure romanesque impliquant ... un chanteur de tango.
Le personnage principal du roman est effectivement un chanteur de tango, un certain Julio Martel, moins connu mais "meilleur" que Carlos Gardel (aux dire des Portenos !), un chanteur de tango dont a entendu parler Bruno Cadogan, un étudiant américain qui termine sa thèse sur ... Borges et le tango. Une bourse Fulbright permet à l'étudiant de passer quelques mois à Buenos Aires pour compléter sa thèse.
La trame est mince en apparence, mais en apparence seulement, parce que le pied à peine posé à Buenos Aires, le narrateur, et avec lui le lecteur, se trouve embarqué dans une quête obstinée de la vérité dans une ville qui ne cesse de glisser vers l'imaginaire, si bien qu'il devient rapidement difficile de distinguer la réalité de la fiction, le passé du présent. La ville - et avec elle le roman - devient un labyrinthe dans lequel le lecteur se perd avec délices .... à moins qu'il ne s'amuse, comme je l'ai fait, à retrouver sur Internet les noms, les lieux, les faits dont parle l'écrivain.
"Me habria gustado verificar si todo lo que decia era cierto. "
C'est l'auteur lui-même qui semble nous inviter à vérifier la véracité de ses dires. Et 15 jours ne sont pas de trop !


Car Tomas Eloy Martinez fait tout pour perdre son lecteur, allant jusqu'à prétendre que "tous les personnages de ce roman sont imaginaires, même ceux qui paraissent réels." Pourtant Julio Martel, le chanteur de tango, a bien existé, et quasi tous les personnages, victimes ou bourreaux, qui sont mentionnés et dont l'histoire nous est contée. Car sur la trame principale du roman se greffe une multitude d'histoires dont il n'est pas difficile de vérifier la véracité, pas plus qu'il n'est difficile de retrouver les lieux évoqués, qu'il s'agisse du Café Britanico où le narrateur passe la plupart de son temps, ou le club Atlético, lieu de rétention et de torture pendant la dictature.

Lire Le Chanteur de tango est une aventure absolument passionnante.
Comme un voyage au coeur d'un labyinthe urbain où l'on ne cesserait de se perdre, malgré, ou peut-être à cause des précisions apportées par l'auteur sur les transformations auxquelles la ville est soumise en permanence.
Comme un voyage dans le passé - tourmenté et violent- de la ville, mais un voyage qui, à travers les écrivains, les musiciens qu'elle a inspirés, nous permettrait de découvrir son âme.

Tomas Eloy Martinez est un écrivain habile, passé maître dans le maniement des codes littéraires; on pense au Butor de L'Emploi du temps, à Proust parfois, pour les échos de la mémoire et des sens, à Borgès bien sûr, mais à la différence de Borgès dont l'écriture paraît très, voire trop cérébrale, Tomas Elloy Martinez engage son écriture dans une histoire terriblement humaine.

Le Chanteur de tango est un livre monde, un "Aleph", "un punto en el espacio que contiene todos los puntos, la historia del universo en un solo lugar y en un instante. "
C'est un livre indispensable à qui prévoit de partir à Buenos Aires, c'est un livre de référence pour qui s'intéresse à la fabrique de la littérature, c'est un livre incontournable pour tous ceux qui mettent l'humain au centre de leur réflexion.

18 mars 2011

Le Voleur de lumière


Le Voleur de lumière est un "petit" film. Sans doute réalisé avec les moyens du bord. Pas d'acteurs très "glamour"; pas d'effets numériques; pas de montage frénétique. Le réalisateur, Aktan Arym Kubat, qui joue aussi le personnage principal, raconte une histoire simple, dont la simplicité même est le principal atout.
Celui qu'on surnomme Monsieur Lumière est un électricien qui établit des branchements clandestins, "mais seulement pour ceux qui n'ont pas d'argent." Le film raconte le quotidien de cet homme, entre sa femme et ses deux filles, raconte aussi ses rêves (des éoliennes capables de produire suffisamment d'électricité pour toute la région) et enfin ses démêlés avec l'administration. Ce qui est bien suffisant pour nous laisser imaginer ce que peut être la vie dans un petit village du Khirghizistan, dont le sort est suspendu aux aléas politiques.

Un joli documentaire ? Non mieux que cela parce qu'il y a la bonne humeur et presque l'allégresse, l'ironie aussi, bref, le regard d'un cinéaste sur le monde qui l'entoure, un regard sans naïveté mais sans amertume non plus.

Sous le nom d' Aktan Abdikalikov, le même cinéaste avait déjà réalisé trois films : Le Fils adoptif, La Balançoire, Le Singe.

15 mars 2011

Michael Kenna

Fishing Nets and Mt. Daisen, Yatsuka, Honshu, Japan, 2001 – © Michael Kenna

Juste un lien pour rejoindre le site de ce photographe qui a, mieux que personne, photographié le Japon. En noir et blanc exclusivement. http://www.michaelkenna.net/

14 mars 2011

Winter's bone


Il faut s'y faire, les bons films sont rarement gais et Winter's bone est particulièrement sombre, voire désespéré.
C'est un film inspiré d'un roman de Woodrell, qui met en scène une famille de "petits blancs" de la région des Ozarks, une région reculée et très peu urbanisée des Etats-Unis, à la frontière du Nebraska et du Missouri.
"Petits blancs" est une expression politiquement correcte. Là-bas on n'hésite par à parler de "white trash", (littéralement "déchet blanc") une expression qui fait mal. Elle désigne des gens de milieux défavorisés, illettrés le plus souvent, sans grandes ressources si ce n'est celles fournies par les services sociaux ou des trafics d'un genre douteux. Alcoolisme et violence complètent le tableau. Ce sont les laissés pour compte de l'Amérique.
Debra Granik, qui n'en est qu'à son deuxième long métrage, met en scène une jeune fille de 17 ans qui, à la suite de l'emprisonnement de son père pour trafic de drogues, a pris en charge, sa mère malade, ainsi que son jeune frère de 10 ans et sa petite soeur de 6 ans. A vrai dire, il s'agit plus de survie que de vie et lorsque le père, pour sortir de prison met en gage la maison dans laquelle ils habitent, tout ne peut aller que de mal en pis. Le scénario est celui d'une longue et inexorable chute sans véritable espoir d'amélioration, si ce n'est par la grâce d'un "happy end" sans doute exigée par la maison de production.
" I am oversimplifying, but we see someone tumbling down, they hit bottom, and then they rise up again and find redemption. " reconnaît la cinéaste. Mais qu'importe la fin qui n'est là que pour soulager le spectateur, l'intérêt du film tient à son aspect quasi documentaire - l'ennui en moins - à la peinture d'un milieu qui n'a rien à voir avec le rêve américain dont il est plutôt l'envers.
Une fiction ? A peine, et c'est pour cela que ce film m'a beaucoup plu.
Sans compter que Jennifer Lawrence, la jeune actrice qui tient le rôle principal, est absolument "bluffante !"

13 mars 2011

Une saison au Japon

Difficile en ce moment d'envisager un voyage au Japon. Mais un livre peut éventuellement en tenir lieu. Un livre qui proposerait un voyage fantasmé dans un Japon sans tremblement de terre, sans tsunami et sans accident nucléaire. A mille lieues de la frénésie survoltée de Tokyo et des stridences électriques de la ville aux 14 millions d'habitants. Un autre Japon, qui peut-être n'a jamais existé autrement que dans l'imaginaire des Européens.

Le Japon rêvé de Sandrine Bailly, c'est celui des peintres, des photographes, des poètes, des écrivains, choisis pour l'admiration évidente qu'ils portent à ce pays. A chacun de choisir son rythme pour tourner les pages, glisser ou s'attarder sur un texte, sur une image et la lecture devient voyage intérieur autant que découverte esthétique.

Ce monde est un rêve
J'y suis né comme un rêve
et j'en disparaîtrai telle la rosée
Quelle tranquillité j'y trouve !
Moine Muso



C'est un livre absolument délicieux, apaisant. Comme un fragment de temps suspendu, au milieu des grondements du monde.

Quelques uns des noms, connus ou pas, à découvrir au hasard des pages :
Des photographes : Yamamoto Masao, Michael Kenna, Nicolas Bouvier, Ueda Shoji.... Des poètes, des écrivains : Natsume Sôseki, Kawabata Yasunari, Paul Claudel, Marguerite Yourcenar, Yukio Mishima, Tanizaki Jun'ichirô.... Et beaucoup d'autres...

Une saison au Japon a été publié en 2009 aux éditions de la Martinière.

02 mars 2011

Motel Life


L'histoire commence très mal : un enfant renversé par une voiture. Le conducteur était ivre. Dans sa panique, il se précipite chez son frère, aussi paumé que lui. Ils partent dans la nuit, après avoir déposé le cadavre de l'enfant sur la pelouse d'entrée d'un hôpital, tentent de fuir, reviennent ...


Le vrai sujet du livre pourtant, ce n'est pas l'accident, c'est ce que l'accident met à jour dans la vie de ces deux jeunes américains, qui ont grandi dans une société où ils n'avaient pas leur place. Famille en miettes, sans argent, ils ont plus souvent dormi dans une chambre de motel que dans une vraie maison, toujours prêts à prendre la fuite vers un autre motel minable, dans une voiture qui tient plus de l'épave que de la belle mécanique mais reste parfois leur seul refuge. La seule chose qui les maintient finalement en vie, en dehors des litres de bières qu'ils absorbent pour oublier, c'est le lien indéfectible qui les unit, malgré les chaos de leurs existence.

Motel life de Willy Vautrin n'est pas le roman du rêve américain. Ce n'est pas non plus une histoire qui conduit les personnages de la misère à la fortune et à la gloire : "a success story".
Non, c'est plutôt son contraire. Ce que le livre nous donne à voir c'est l'Amérique des "petits blancs pauvres", des paumés, des "loosers". Ceux qui ne parviennent tout simplement pas à s'en sortir, non parce que ce sont de mauvais bouges, mais parce que la malchance s'acharne sur eux. Depuis le début. Difficile dans ces conditions de croire à sa bonne étoile, difficile d'avoir envie de continuer. Alors Frank raconte à Jerry des histoires qu'il invente au fur et à mesure, comme on berce un enfant.

En tout cas, si vous allez vous promener du côté de Reno (Nevada) , ne vous laissez pas leurrer par l'éclat des néons. Derrière l'Amérique qui brille et qui rutile, il y a une autre Amérique et c'est celle-là qui m'intéresse.

01 mars 2011

William G. Tapply

Lecture idéale pour week-end pluvieux : un roman noir américain.

Mieux encore, deux romans de William G. Tapply : Dérives sanglantes et Casco Bay.

Un lieu, un personnage : la formule est classique et parfaitement efficace.

Un lieu ? L'Etat du Maine, entre mer et forêt. Une côte rocheuse, un village de pêcheurs, une cabane au fond des bois ... Encore préservés de l'afflux massif des touristes les paysages du Maine sont superbes; hivers rigoureux, tempêtes violentes, incendies, ici la nature a gardé quelque chose de sauvage. William G. Tapply, qui se réfère souvent à Thoreau, Emerson ou Whitman peut certainement être considéré comme un "nature writer" au même titre qu'un Jim Harrison par exemple; bien que ni l'un ni l'autre ne fasse de la description de la nature une fin en soi, ils n'en font pas non plus un simple décor, plutôt une force, un élément avec lequel il faut compter.

Un personnage ? Stoney Calhoun, un personnage dont on retient immédiatement le nom, comme on a retenu celui de Dave Robicheaux (James Lee Burke) ou Joe Leaphorn (Tony Hillerman). Ce sont des personnages taillés à grands coups de crayons : Stoney est un homme sans passé, amnésique, solitaire, bourru... mais droit, honnête, courageux cela va sans dire et... amoureux fou de la plus belle fille du pays ! Plus on se familiarise avec le personnage, avec ses manies, plus on s'y attache. Et voilà le lecteur accro pour toute la série d'autant qu'à chaque fois l'intrigue est bien menée, suffisamment complexe pour faire échouer toutes les hypothèses et garder "suspendue" sa curiosité. Ne manquent pas même les clichés sans lesquels un polar ne serait pas un polar. + quelques détails bien trouvés, gage d'authenticité (le sandwich aux palourdes ? à n'en pas douter, l'histoire se passe bien dans le Maine !)

J'attends avec impatience le week-end prochain pour attaquer la lecture de Dark Tiger, le troisième volume avec le même personnage. J'aurai ensuite en réserve une bonne vingtaine de livres du même auteur, mais pas avec le même personnage...