27 décembre 2013

On n'est pas des poupées !

Voici le livre à offrir de toute urgence à toutes les petites filles. 
On n'est pas des poupées est un livre pour toutes celles, petites ou grandes qui détestent le rose. Un livre pour toutes les filles, mères, grands-mères que les catalogues de jouets mettent en rage :  pages bleues pour les jouets de création, d'invention, d'aventure; pages  bleues pour les grues, les camions de pompiers, les jeux de construction; pages bleues pour les garçons évidemment !  Alors que les filles doivent se contenter des pages roses : jeux d'imitation, panoplies de parfaites ménagères, aspirateur compris, ou de marchandes, caisse enregistreuse et caddy compris. Poupées et landeaux à gogo. Perles et fanfreluches. Beurk, beurk et rebeurk. Tu voulais une épée de Dark Vador ? Tiens voilà une baguette de fée. Tu voulais une panoplie de cow-boy ? Mais non ! Pas pour les filles. Un train miniature ? Pas pour les filles.  Un laboratoire de chimie pour faire sauter la maison ? Pas pour les filles.

Le livre de Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, publié en 1974, a été une révélation. Celui de Delphine Beauvais et Claire Cantais me fait jubiler. C'est un livre aussi drôle qu'intelligent. Un vrai livre féministe. A offrir de toute urgence à toutes les petites filles que vous connaissez.

"Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent. "




26 décembre 2013

Le Géant égoïste

Le Géant égoïste est peut-être un "conte" d'Oscar Wilde.  Mais le film qu'en a tiré Clio Barnard n'a rien de ce que l'on attend généralement d'un conte. On le rangerait plutôt du côté des romans réalistes à la Zola, ou du côté des romans noirs. Très noirs !
Mais quel film ! Le décor est celui du Nord de l'Angleterre, ciels plombés sur fond de terrains vagues et de centrales électriques.


Arbor et Swifty ont été renvoyés de l'école, Arbor définitivement, Swifty provisoirement mais il suit son copain dans ses errances désordonnées. Ils n'ont rien trouvé de mieux que de récupérer des cables électriques pour le compte d'un ferrailleur, qui organise à l'occasion des courses de chevaux clandestines.
Inutile d'en dire plus, on sait déjà qu'il n'y aura pas de fée pour modifier la trajectoire de ces deux gamins, livrés à eux-mêmes, qui vont droit à la catastrophe.

Clio Barnard est une jeune réalisatrice qui s'inscrit dans le droit fil de Ken Laoch et du cinéma à dimension sociale. Le monde qu'elle décrit est un monde en pleine déliquescence; la pauvreté quand ce n'est pas la misère est omniprésente; combines et magouilles sont les seuls moyens de survivre dans cette société du chacun pour soi où nul ne peut compter sur personne. Les mères, malgré leurs efforts, sont incapables de maintenir des liens familiaux qui se dissolvent dans l'alcoolisme et la drogue.
Le constat est désespérant. Et le seul élément qui sauve le spectateur du désespoir c'est l'amitié qui unit ces deux garçons, pourtant si dissemblables : l'un, Arbor, est une boule de nerfs, un perpétuel agité toujours à la recherche d'une combine pour gagner 3 sous; alors que Swifty est un gros garçon placide qui trouve auprès des chevaux le réconfort qu'il ne trouve pas dans sa famille.

Je me méfie souvent des films dont les personnages principaux sont des enfants, surtout s'ils sont miséreux car il est trop facile de provoquer chez le spectateur compassion et apitoiement. De toute évidence, ce n'est  pas ce que cherche à obtenir Clio Barnard car le portrait qu'elle fait de ces deux loustics est sans indulgence. Comme est sans indulgence le regard qu'elle porte sur la société. On ne sort donc pas de ce film en larmes. Plutôt en rage !

24 décembre 2013

The Lunchbox


Une "lunch box", c'est un ensemble de boîtes empilables qui permet d'emporter son déjeuner au bureau.  Il en existe de toutes sortes, en bambou, en mélamine, en métal .... mais la "lunchbox" la plus courante en Inde ressemble à celle d'à côté.

En Inde apparemment, il existe des services de livraison des "lunch boxes", et il suffit d'une erreur d'adresse pour que démarre une très jolie histoire  entre un employé terne et triste et solitaire, Saajan, et une jeune femme, Ila, qui croît, par ses talents de cuisinière et le dosage parfait des épices, récupérer un mari devenu indifférent. Les allers-retours  de la "lunch box" entre Ila et Saajan donnent lieu à des échanges de petits mots, et le film prend soudain des allures de roman épistolaire.


Dans The Lunchbox, Ritesh Batra, son réalisateur, met en scène l'Inde d'aujourd'hui, avec sa bureaucratie, ses embouteillages, mais le regard qu'il porte sur les gens est plein d'humour et de tendresse. 

 Ce film indien - qui n'a rien à voir avec les films de Bollywood que pourtant j'adore - est tout simplement délicieux. Une histoire d'amour toute simple mais pleine de charme, doublée d'un joli portrait de l'Inde, sans sari, sans bindi et sans guru. Sans misérabilisme non plus. Et sans mièvrerie ! 
Un vrai régal.

23 décembre 2013

Kanazawa

Pourquoi parler d'une exposition qui vient de fermer ses portes?
Parce qu'en dehors de l'exposition qui était consacrée à la culture de Kanazawa, la ville mérite d'être inscrite dans tout itinéraire de voyage au Japon. Ne serait-ce que pour son magnifique jardin et son non moins magnifique musée d'art contemporain.
Et parce que, ce que l'exposition tentait d'expliquer, c'est comment une  civilisation fondée sur la guerre a choisi d'évoluer lorsque la guerre a cessé. Pour ne pas perdre le savoir-faire des artisans qui avaient fabriqués armes et cuirasses, les seigneurs du lieu les ont habilement dirigés vers des réalisations moins guerrières comme la fabrication d'objets qui servent à la cérémonie du thé ou indispensables aux représentations du théâtre No. Autant d'objets, masques, céramiques, tissus, laques, soigneusement présentés à La Maison de la Culture du Japon
Les seigeurs du clan Maeda sont ainsi parvenus à passer de l'art de la guerre à celui de la paix.
Et cela valait bien une exposition !


22 décembre 2013

Chaise rouge sur fond noir

Effet du hasard ou effet de l'art ?


Peu importe ! La beauté n'est-elle pas dans l'oeil qui regarde ?




21 décembre 2013

Philippe Parreno





C'est brutal, bruyant, fascinant. Des images projetées sur un grand écran, éclats lumineux, cliquetis, engrenages, spectateurs à contre-jour : immobiles, pendant que passent les images, ils reprennent ensuite leur mouvement interrompu. Ils font partie du tableau.

C'était dans l'entrée du Palais de Tokyo.

Au sous-sol, Philippe Parreno avait installé un autre dispositif sonore et visuel. Une immense salle plongée dans l'obscurité, des colonnes de béton, un bruitage, des blocs lumineux suspendus au plafond; rester attentif; essayer de découvrir un rythme, une logique, un sens; se laisser porter; fermer les yeux, fuir; se lasser.

Artiste multi-média, multi-sensoriel, multi-supports Phiippe Parreno est tout simplement un artiste inclassable. Il faut lui consacrer du temps et ce qui est bien c'est qu'au Palais de Tokyo, on peut entrer, sortir, rester, s'attarder, partir, revenir... de façon à s'imprégner de son travail avant d'en penser quoi que ce soit. Enfin .... ça, c'est possible ....  pour les Parisiens. Parce que pour tous les autres qui ne font que passer, c'est un peu plus difficile

20 décembre 2013

Zeng Fanzhi

A côté de Poliakoff, le MAM (Musée d'Art Moderne) de la ville de Paris expose un peintre chinois : Zeng Fanzhi. Une exposition rétrospective que l'on est contraint de parcourir à rebours, c'est-à-dire des oeuvres les plus récentes aux plus anciennes, avant de faire le parcours en sens contraire, des débuts du peintre dans les années 90 jusqu'à maintenant. Deux passages pour s'imprégner de l'atmosphère de ces tableaux, à la fois étranges et fascinants. 


Sa représentation de la Cène, sujet  par excellence de la peinture religieuse occidentale ne reprend que la disposition des figures derrière la table. Tout le reste, les panneaux sur les murs, les foulards rouges des pionniers, est chinois, mais les masques et les pastèques sont apparemment des fantasmes propres à Zeng Fanzhi.



Il y a d'ailleurs dans ces pastèques, quelque chose d'inquiétant et de sanglant, comme les traces sur le visage de l'homme à l'imperméable rouge représenté ici en buste.

Mais les tableaux les plus fascinants sont peut-être ceux de la dernière salle, c'est-à-dire les plus récents. Moins narratifs bien que figuratifs, ils acquierent je ne sais comment une certaine profondeur.


 Derrière l'entralacs de branches et de ronces parfois un lièvre - représenté avec la plus extrême minutie - est saisi. Prisonnier peut-être ou simplement immobile dans un autre monde, rendu inaccessible par la barrière végétale.

Dans les tableaux de Zeng Fanzhi, chacun peut projeter son histoire, la sienne ou celle de la Chine.

Dans le hall du musée, est accroché le tableau le plus récent, celui qui a été réalisé en juillet 2013, un triptyque en réalité.  Une vidéo montre les étapes de l'exécution du tableau depuis le premier trait de peinture sur les toiles encore vierge, jusqu'à l'état final. Projections, dripping, traits au pinceau, à main levé... le travail a l'air spontané, improvisé, mais la pensée malgré tout commande le geste. Sinon pourquoi aurait-il commencé par mettre du jaune, comme un feu derrière un roncier.

L'oeuvre achevée, plusieurs lectures sont possibles et libre à chacun de voir dans ce flamboiement au milieu des ténèbres, un incendie qui fait rage, une tragédie inexorable ou au contraire une lumière pour sortir de la nuit.


19 décembre 2013

Valloton, Poliakoff et quelques autres

Les exposition de peinture ne sont pas mieux loties que les expositions de photo. Il y a celles que l'on peut photographier, et celles que l'on ne peut pas photographier. Une interdiction dont je ne comprends pas bien le principe, car la photo d'une oeuvre prise à la volée dans un musée n'a pas d'autre fonction que de servir de mémo.
Toujours est-il que je n'ai puiphotographier ni Vallotton, au Grand Palais, ni Poliakoff au musée d'art moderne de la ville de Paris. J'aurais pourtant aimé les rapprocher, aussi incongru que cela puisse paraître. Car Vallotton, quand il ne peint pas des scènes d'intérieur remplies de détails, utilise, pour peindre un paysage ou même un corps de femme, de grands aplats de couleur qui paraissent parfois bien près de l'abstraction. Ainsi le tableau intitulé Sur la plage et qui date de 1899.  Bien sûr les silhouettes sont encore reconaissables, mais il ne faudrait pas grand chose pour qu'il ne reste dans notre mémoire rétinenne que des formes colorées.


L' impression d'une continuité entre Vallotton et Poliakoff est dès lors évidente. Comme est évidente à mes yeux la continuité entre Poliakoff, Debré et même Rothko.



 Mais il fallait qu'il y en eût un pour commencer ...




18 décembre 2013

Salgado, Depardon et quelques autres



Des expositions photos, il y en a beaucoup à Paris en ce moment, mais il y a celles que l'on peut photographier, et celles que l'on ne peut pas photographier.

Sous le titre Genesis, la Maison Européenne de la photographie présente 245 photos de Sebastaio Salgado, photos de paysages, photos d'animaux, toutes en noir et blanc,  comme autant d'hommages à la grande Nature. Mes préférées - que je n'ai pas pu photographier - sont celles qui frôlent l'abstraction, une dune de sable entre ombre et soleil, un rocher plissé, mais ce ne sont pas celles que la MEP a choisi de montrer sur son site. Dommage.

Au Grand Palais en revanche, il n'était pas interdit de photographier les photos de Depardon, des photos de voyageur, toutes en couleurs, et quelles couleurs !  La toute première, celle qui accueille le visiteur à l'entrée de l'exposition a tout d'un manifeste. Des couleurs qui claquent, un surplus de lumière et cette façon si particulière de photographier les angles.




 Ou les diagonales


Afrique, Amérique du Sud, Depardon semble avoir traîné ses bottes un peu partout. dans le monde.  Le regard toujours à l'affût du détail curieux, mais surtout avide de lumière et de couleurs. 
 

De couleurs et de lumière.  


De lumière surtout. Et c'est sans doute la raison pour laquelle ces deux images accrochées côte à côte m'ont fascinées, en souvenir sans doute  du tableau de Hopper intitulé Soleil dans une pièce vide









17 décembre 2013

Paris en décembre ...

Ou le prix de la paresse.


Pour avoir cru qu'un téléphone pouvait faire aussi bien qu'un appareil photo!
Presque peut-être, mais pas tout à fait !

Pourtant la place de la Condore s'était mis dans tous ses états !


La prochaine fois, l'Iphone restera dans ma poche et je prendrai mon appareil photo.



08 décembre 2013

Rêves d'or


Encore un excellent film en provenance d'Amérique latine. Mais je pourrais aussi bien dire, encore un film très dur ! 
Si les films chiliens, argentins ou comme c'est ici le cas, mexicains sont souvent des films "durs", c'est parce qu'ils parlent non pas de petits problèmes individuels, de petits egos malmenés par la vie, mais de politique ou de faits sociaux.


Rêves d'or (Jaula d'oro), le film de Diego Quemada-Diez, suit l'odyssée de trois adolescents - une fille et deux garçon dont l'un est indien et ne parle pas espagnol - depuis le Guatemala jusqu'au pays dont ils rêvent : l'Amérique bien sûr. Ils ont à peine franchi clandestinement la frontière que les voilà déjà dépouillés et ramenés de l'autre côté. Mais ils repartent, et repartiront encore car rien ne semble les décourager. Ils voyagent, avec des milliers d'autres émigrants, sur le toit des trains de marchandises et, comme Ulysse et ses compagnons, ne cessent de tomber de Charybde en Scylla :  policiers corrompus, mafieux en tous genres, proxénètes, trafiquants de drogue ...  sur le chemin de l'exil il n'y a pas une âme charitable et le film logiquement devrait décourager tout candidat à l'immigration.



Mais ce que j'ai particulièrement apprécié dans le film c'est la façon dont le réalisateur montre les relations qui se tissent entre les trois adolescents, méfiance, racisme, indifférence pour commencer mais une certaine curiosité aussi, du respect, et quelque chose de plus en fin de compte qui s'appelle l'humanité. Le réalisateur n'en est qu' à son premier film je crois et ses acteurs ne sont pas des professionnels. Mais les imperfections du film importent peu, ce qui importe c'est la façon dont le cinéaste s'approche au plus près de ses personnages, si bien qu'au delà de l'intention documentaire, ce que l'on retient c'est l'intensité de leur regard.

04 décembre 2013

Craig Johnson

J'avais lu tous ses livres, du moins ceux qui sont traduits en français : Little Bird, Le Camp des morts, L'indien Blanc, Les Enfants de poussière, Dark Horse. Au premier on se dit : "pas mal", au second on confirme, au troisième on est accro parce que désormais on sait qui on va retrouver au Busy Bee Café, on sait que Vic vient de Philadelphie et qu'ils sont tous flics dans sa famille, on sait que Lucian l'ancien shérif tient à sa partie d'échec hebdomadaire,  que Henry Standing Bear, l'ami cheyenne, porte les cheveux longs et que le Shérif Longmire  ... bref les personnages des romans de Craig Johnson nous sont devenus si familiers qu'on a l'impression d'habiter la même petite ville du Wyoming depuis toujours.

Et puis, Samedi dernier, dans une bibliothèque de la banlieue de Grenoble, voici que surgit non pas Longmire, mais celui qui l'a inventé et le met à rudes épreuves de roman en roman : Craig Johnson. Stetson sur la tête comme il se doit !  Et c'est parti pour deux heures de questions-réponses. Les questions sont courtes, les réponses parfois si longues qu'on finit par oublier la question, mais cela n'a pas d'importance. Craig Johnson maîtrise bien l'exercice et d'anecdotes en anecdotes fait la preuve de son professionnalisme, comme de sa générosité et de son humour. En toute simplicité.

Il faut dire qu'il s'adresse à un public conquis d'avance, venu pour retrouver dans cette bibliothèque le souffle du grand Ouest américain.

D'ici Mars prochain, les éditions Gallmeister auront traduit le 6ème roman de Craig Johnson, Junkyard dogs. Pour les autres, il faudra attendre un peu plus. A moins de les lire en anglais ! 

http://www.craigallenjohnson.com/
http://bibliotheque.mairie-seyssinet-pariset.fr/opacwebaloes/index.aspx?IdPage=571#.Up-RNI1fdZ0

PS. Le soir même étaient diffusés sur D8, les premiers épisodes de la série Longmire, tirée des romans de Craig Johnson.  Bien sûr c'est regardable, mais beaucoup plus falot que les romans. Vic, l'adjointe teigneuse de Longmire en blonde un peu fade ? Non, ça ne le fait pas !


03 décembre 2013

Una Noche


Una Noche est le premier long métrage d'une jeune réalisatrice, Lucy Mulloy. D'un premier film il a à la fois les maladresses et la fougue, et c'est ce qui en fait le charme. Mais Una Noche n'est pas un film tendre, loin de là.


La tendresse pourtant existe. Elle existe entre les personnages : l'affection et l'admiration de Lila pour son frère jumeau est évidente; comme est évident l'attachement d'Elio est à sa soeur, qu'il n'a de cesse de protéger. Raoul lui-même qui dans le film tient le rôle du mauvais garçon fait des pieds et des mains pour procurer à sa mère (sa grand-mère ?) les médicaments dont elle a besoin.

Mais c'est la vie qui, à Cuba, est dépourvue de tendresse car il s'agit par tous les moyens de survivre dans un système dont l'échec, malgré les tentatives de Lila pour le défendre, est patent. Combines en tous genres, petites arnaques, prostitution, le régime cubain n'est plus celui du communisme ni même du socialisme mais celui de la débrouille et du désespoir. La démonstration de Lucy Mulloy est si convaincante que je me suis demandée un moment si son film n'avait pas été financé par les anticastristes de Miami .... Mais il y a dans ce film une telle énergie, une telle intensité dans les émotions, une telle empathie pour le peuple cubain que l'impression qui domine en fin de compte c'est que la réalisatrice, qui a apparemment passé plusieurs années à Cuba, a su capter l'âme de ce peuple, avec sa rage, son désespoir, mais aussi son insouciance, sa vitalité, et sa capacité de résistance. Jusqu'à ce que, toute capacité de résistance épuisée, il n'y ait plus d'autre solution que la fuite. Sur un radeau de fortune.


J'ai quitté la salle en proie à des impressions contradictoires, mais surtout accablée à l'idée que La Havane était redevenue, comme au temps de Batista, un lupanar pour touristes friqués.

02 décembre 2013

Coquetterie hivernale



Franchement, je ne sais pas ce qui lui a pris à cette vache (ce taureau ?). L'envie d'une nouvelle coiffure ? La peur de manquer de foin alors que la froidure gagne du terrain ? Mais à la voir ainsi coiffée, je suis partie d'un grand éclat de rire. 

28 novembre 2013

Vers sa destinée

Vers sa destinée est un film de John Ford sorti en 1939. Sans Indiens ni cow-boys. Mais avec un personnage effectivement en marche vers sa destinée, Young Mr Lincoln (le titre original).
Avec Henry Fonda pour incarner la silhouette dégingandée de Lincoln (1m93 quand même !), le film saisit le personnage  au moment où il n'est encore qu'un fermier mal dégrossi, qui vient de découvrir le droit par hasard. C'est sur le dos d'une mûle qu'il arrive à Springfield (Illinois) pour s'y installer comme avocat et résout avec brio sa première affaire (petite distorsion chronologique que s'accorde le réalisateur.)
A vrai dire, dans ce film la vérité historique (bien qu'elle soit respectée dans ses grandes lignes) importe moins que le mythe en train de se construire. Et il faut bien avouer que John Ford utilise habilement les moindres détails -  la Sangamon, la rivière qui traverse Springfield, objet de toute l'attention du "vrai" Lincoln, la petite cabane en bois de la famille Clay, en tous points semblables à la maison où est né Abraham, et même le retournement inattendu qui a permis au jeune avocat de gagner son premier procès - pour montrer les origines extrêmement modeste de celui qui deviendra le seizième président des Etats-Unis.


 
 Vers sa destinée est un film remarquable qui montre, non sans drôlerie, comment se construit un mythe. Il n'était projeté qu'à une seule séance dans mon cinéma préféré, mais il en existe, heureusement, plusieurs versions en DVD. 

26 novembre 2013

The Immigrant

Le titre du film n'est pas vraiment trompeur, mais la référence à Ellis Island et aux difficultés des immigrants à leur arrivée en Amérique m'a paru finalement secondaire par rapport au vrai sujet du film que est la relation qui s'établit entre une femme - jeune brebis naïve en apparence, mais en apparence seulement - et un homme, prédateur endurci et sans scrupule. Ainsi le film de James Gray se lit d'une part comme le récit d'une initiation, celle d'une jeune femme prête à tout pour survivre dans un monde étranger et par définition hostile, qui, en dépit des compromissions et des vilénies auxquelles elle est astreinte, n'oublie ni son objectif ni son âme.  Mais le film se lit aussi comme l'histoire d'une rédemption, celui du proxénète qui découvre qu'il peut exister entre les êtres d'autres liens que vénaux.
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Bref, on va voir un film historique sur l'immigration et on découvre un film aux références quasi bibliques : dans les abysses du mal surgit soudain une lumière. Le jour se lève sur Manhattan quand la barque d'Ewa, qui est parvenue à récupérer sa soeur Magda s'éloigne d'Ellis Island. Bruno, le proxénète disparaît lui dans l'ombre du bâtiment. James Gray et son obsession de la dualité ? Sans doute. C'est ce qui fait en fin de compte la richesse du film.

25 novembre 2013

Tracy Chevalier


Tracy Chevalier s’est fait une réputation avec son deuxième roman, La Jeune fille à la perle (1999) et le film que Peter Webber en a tiré. Le fait que Scarlett Johansson ait tenu le rôle principal n’est sans doute pas anodin.  Mais j’avoue avoir négligé le livre puisque j’avais vu le film, comme j’ai négligé les 4 suivants qui tous se passent en Angleterre où l’écrivain s’est installée depuis 1984. Son dernier roman néanmoins semble indiquer un retour vers ses racines américaines ; elle est en effet diplômée de l’Université d’Oberlin, une petite ville du Nord de l’Ohio, dont elle a fait le cadre de son roman.

La dernière fugitive, 2013
The Last Runaway, 2013
Le roman débute en Angleterre. Honor Bright, une jeune quaker anglaise, vient de décider sur un coup de tête (et une peine de cœur) de suivre sa sœur qui doit s’embarquer pour l’Amérique où l’attend son futur époux. Le voyage commence mal car Honor souffre du mal de mer pendant toute la traversée et sa sœur meurt peu après leur arrivée sur le nouveau continent. Elle poursuit donc seule son voyage, est momentanément hébergée par une modiste excentrique avant de rejoindre le foyer de son ex-futur-beau-frère, un foyer où elle n’est pas vraiment bienvenue. Auparavant elle aura croisé le chemin d’un chasseur d’esclave, Donavan, le méchant du roman.
La dernière fugitive est sans doute un roman historique, mais c’est avant tout un roman « romanesque » comme le laissent supposer la série de péripéties qui ponctuent les premiers chapitres. Quant au dernier chapitre, il laisse très habilement la place à une éventuelle suite. Une suite qui ne fait peut-être pas partie des projets de l’auteur mais que le lecteur peut s’amuser à imaginer.

La dernière fugitive est un roman qu’on lit avec plaisir et intérêt parce qu’il est, mine de rien, très documenté, et que l’auteur parvient à construire son roman en assemblant des éléments hétéroclites qui, comme les petits bouts de tissus d’un patchwork lorsqu’ils sont bien assemblés, finissent par former un ensemble harmonieux. Ainsi, en suivant Honor Bright, on apprend beaucoup de choses sur l’immigration américaine et sur le mode de vie des fermiers de l’Ohio, sur les mœurs et les croyances des Quakers, pour qui la vie matérielle compte bien peu au regard de la vie spirituelle, et sur … la fabrication des quilts, ces couvertures matelassées qu’en France on appellait « centons ».  Or, en matière de quilt, il existe de grandes différences entre l’Angleterre et l’Amérique.  Ici on assemble les pièces, là on les applique. ; ici on utilise toute la palette des couleurs, là on se limite au rouge et au vert.  On voit bien à quels dilemmes Honor, la jeune fille du roman, est confrontée : elle est anglaise, les façons de faire américaines lui sont étrangères, lui faudra-t-il s’y soumettre pour être acceptée ? Quelle est la part de son passé, la part d’elle-même qu’elle pourra préserver ? S’intégrer, se faire accepter, est-ce nécessairement renoncer ? Sans en avoir l’air, le roman de Tracy Chevalier ouvre la porte à des réflexions plus grave qu’on ne s’y attendrait. Honor en effet ne tarde pas à comprendre que Belle, la modiste qui l’a hébergée à ses débuts, héberge occasionnellement des esclaves fugitifs : elle appartient en fait à un réseau d’activistes du « chemin de fer clandestin». L’Ohio a une frontière commune avec le Canada, pays non esclavagiste et les Noirs sont nombreux à tenter leur chance! Le s Quakers croient à l’égalité de tous les êtres humains, mais favoriser la fuite d’un esclave est, dans ces années là,  contraire à la loi.  Suivre sa conscience ou obéir à la loi ? Aider les fugitifs et mettre en péril sa famille ou fermer les yeux sur les injustices et le malheur des autres pour protéger son mode de vie ? Confrontée à tant de choix antagonistes, Honor n’a que son silence pour s’opposer à ceux qui la somment de choisir son clan. Un silence très provisoire...
Suffisamment intéressée par le roman pour aller chercher un complément d’information, j’ai découvert le site de Tracy Chevalier,  qui très généreusement dévoile ses sources d’inspiration, photos à l’appui,  ainsi que ses références bibliographiques. Ce qui laisse à chacun la possibilité de poursuivre son chemin sur la voie qu’elle a tracée.

22 novembre 2013

Les Garçons et Guillaume, à table !

L'humour décidément s'explique mal. Autant je me suis ennuyée à Quai d'Orsay, lassée des gags convenus, attendus et de cette mise en pièce grotesque de la politique, autant je me suis amusée au film de Guillaume Galliene, qui se moque peut-être de sa famille, mais encore plus de lui-même et qui sans en avoir l'air met sens dessus dessous les notions de genre. On ne naît pas... on le devient ?  Encore faudrait-il savoir ce qu'on est. A cette perturbante question Guillaume s'efforce de répondre autrement que par des évidences.
Répliques ciselées, rythme enlevé, l'impression dominante reste celui d'un jeu permanent entre les différents personnages, qu'ils soient joués par un même acteur, ou par ses comparses. Ce n'est pas tout à fait du théâtre, pas complétement du cinéma non plus, c'est un "one man show" à plusieurs personnages. Drôle oui, définitivement !


16 novembre 2013

Le Médecin de famille

Ecrire des romans ou réaliser des films semble pour Lucia Puenzo appartenir à la même catégorie. Elle s'est fait connaître par un premier roman qu'elle a ensuite adapté au cinéma 'El Nino Pez / l'Enfant poisson et récidive cette année en adaptant au cinéma son roman Wakolda qui devient, hasard des traductions Le Médecin de famille.

Au début du film, une route interminable, dans un paysage beige puis gris sous l'orage : la Patagonie telle qu'on l'imagine ! Un peu plus loin, une montagne enneigée qui se reflète dans l'eau d'un lac,  le paysage est devenu suisse, autrichien... De nombreux nazis se sont réfugiés en Argentine après la guerre. Parmi eux celui qu'on surnommait "L'Ange de la mort" et qui, bien qu'exilé et poursuivi par les chasseurs de nazis,  n'a pas renoncé à poursuivre ses "expériences" médicales. Le film montre comment une famille ordinaire se laisse circonvenir par le comportement affable et policé de celui qui n'est même pas leur "médecin de famille."


Le sujet est suffisamment intéressant pour que l'on passe sur les faux-raccords et autres négligences de mise en scène. Car ce que l'on retient avant tout ce sont les façons doucereuses de cet homme, ce masque de bienveillance qui constitue une arme beaucoup plus efficace au fond que la brutalité puisqu'elle fait de ses victimes, des victimes consentantes. Le film fait en outre allusion aux réseaux d'émigrés allemands, constitués bien avant la guerre, qui se sont fait un devoir (et un plaisir ?) d'accueillir les fugitifs nazis. Une page d'histoire peut-être pas si connu que cela.

14 novembre 2013

Inside Llewin Davis

J'aime bien les frères Cohen et je crois avoir vu à peu près tous leurs films. Mais celui-ci n'est pas mon préféré. Trop neurasthénique peut-être. avec ce que cela suppose de lenteur, de silences (un comble pour un chanteur).
L'objet est pourtant beau en soi, avec beaucoup de scènes nocturnes qui supposent un travail sur les couleurs, glauques souvent, et l'éclairage, parcimonieux. Certaines images par leur cadrage ou leurs couleurs peuvent faire penser à des tableaux de Hopper. Le plus réussi dans le film c'est sans doute cette volonté de rendre par l'image l'état d'esprit de ce chanteur folk en mal de succès. Llewin Davis qui ne possède rien d'autre que sa guitare évolue dans un univers étriqué, confiné, se heurte constamment à des portes closes, circule dans des couloirs si étroits que deux personnes ne peuvent s'y croiser et lorsqu'il quitte, brièvement,  NY pour rejoindre Chicago, c'est coincé dans une voiture dont le siège arrière est occupé par un musicien obèse et quasi moribond. L'image de son avenir ?

La réussite formelle du film est indéniable. N'empêche que l'on s'ennuie un peu et qu'il n'y a pour nous tirer de cet ennui que les mésaventures d'un chat.



Le film toutefois présente un autre intérêt, c'est de faire à travers le portrait de ce "loser", le portrait d'une Amérique qui n'est pas celle de la gloire, de l'argent et de la réussite. Car dans les années 60, pour un Bob Dylan, combien de Llewin Davis. Et prendre le contre-pied du rêve américain, c'est après tout ce que les frères Cohen réussissent très bien. Le film est en couleur, c'est l'Amérique qui est  ici bien grise.




13 novembre 2013

Voyage en Italie

Réviser ses classiques de temps en temps, c'est plutôt intéressant. Surtout si, après la séance,  commentaires et discussions permettent de préciser sa pensée.

Ainsi du Voyage en Italie, le film de Rossellini tourné en 1954, j'ai surtout retenu le thème de l'incommunicabilité. Il est vrai qu'à ce thème on associe plutôt le nom d'Antonioni, mais Rossellini me paraît ici aller plus loin encore.

L'attention du spectateur se concentre dès le début sur le couple, enfermé dans sa voiture, dont les échanges semblent exclusivement fonctionnels. La suite du film ne fait que confirmer cette hypothèse, leurs intérêts sont trop différents pour que le couple perdure au-delà de ce voyage qui semble raviver les rancoeurs. Chacun semble vivre dans sa propre sphère, son propre univers, une situation non pas choisie mais subie.
Va pour la psychologie à la petite semaine. Mais il n'est pas certain que Rossellini, en dépit de ses aventures conjugales et extra-conjugales se soit à ce point passionné pour les histoires de couple. Sauf à imaginer que pour lui, il existe une incommunicabilité fondamentale entre les hommes et les femmes, quelles que soient les histoires individuelles.

Plusieurs scènes néanmoins amènent le spectateur à s'interroger: pourquoi cette insistance sur la villa luxueuse et vide, alors qu'à la cuisine tout le personnel s'agglutine; pourquoi cette agitation post-prandiale alors que les Italiens sagement font la sieste;  pourquoi cette Rolls-Royce, ce manteau de fourrure, ce luxe et cette oisiveté qui ne font que souligner l'écart entre deux mondes, celui d'une bourgeoisie qui ne sait que faire de son temps libre et celui du peuple qui travaille; pourquoi surtout cette scène insistante entre la cuisinière et le mari, si ce n'est pour signifier qu'il n'y a pas de communication possible entre les uns et les autres, chacun s'obstinant à parler dans sa langue et s'irritant de ce que l'autre ne le comprend pas.

Il me semble qu'il y a plus dans ce film qu'une histoire de couple sur fond de carte postale et qu'en fin de compte la mésentente du couple n'est peut-être qu'une métaphore de la division du monde.

12 novembre 2013

Prince of Texas


De même que la première phrase d'un roman peut être décisive, la première image d'un film l'est tout autant. Et celle qui ouvre Prince of Texas est à la fois stupéfiante de beauté et forcément tragique puisqu'il s'agit d'un incendie de forêt.


Un an plus tard, deux cantonniers avancent mètre par mètre dans la forêt calcinée : ils sont chargés de tracer la ligne médiane à grands coups de peinture jaune. Deux cantonniers ? Deux branquignoles plutôt. Et c'est le début d'un de ces films bizarres, cocasse, vaguement surréaliste, qui se maintient toujours dans un équilibre précaire, entre farce et tragédie. Les deux personnages n'ont bien entendu rien en commun, l'un est sérieux, introverti, il apprécie la nature autant que la solitude : un romantique ! l'autre est désinvolte, négligent et ne pense qu'à profiter de son week-end pour draguer les filles : un glandeur de première !
Mais ceci n'est que le début du film, car le travail fait en commun, la promiscuité (ils partagent la même tente), les confidences échangées, les rencontres (réelles ou imaginaires) l'alcool, modifient  peu à peu la donne. Les masques tombent, il n'y a plus que deux pauvres types, largués dans la forêt comme il le sont dans la vie.
Je m'attendais à une pochade un peu facile, mais ces deux loosers m'ont finalement touchée  sans doute parce que David Gordon Green, le réalisateur, a le trait juste. 

10 novembre 2013

Omar




Un mur, un mur de béton de plusieurs mètres de haut qu'un jeune homme accroché à une corde franchit rapidement. C'est la première image du film que l'on retient. Et cette image revient plusieurs fois. Forcément. Parce que, quand on est palestinien et que l'on vit en Cisjordanie, il y a toujours un mur qui vous sépare des autres, qui vous sépare de la vie que vous auriez aimé vivre.
Le film de Hany Abu-Assad est un film sur la division. Omar, le personnage principal, celui qu'on  a vu passer de l'autre côté du mur au début du film, est partagé entre son amour pour Nadia et son engagement dans la résistance palestinienne, entre sa fidélité à ses amis, à une cause et la tentation de la trahison. Mais l'on s'aperçoit assez vite que tous les personnages du film sont ambigüs, ce sont des Janus à double visage auxquels il est difficile de faire confiance car au moment même où ils vous tendent la main, ils vont peut-être vous trahir.
Avec Omar on passe constamment d'un côté du mur à l'autre, mais qu'il s'agisse d'une cellule au fond d'une prison israélienne ou du labyrinthe de la ville arabe il s'agit toujours d'un lieu d'enfermement où les femmes plus encore que les hommes sont soumises aux codes qui régissent la société musulmane.
Le film est construit comme un thriller, mais le suspens n'interdit ni la réflexion, ni même l'humour.

09 novembre 2013

Les romans "canada dry"

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 « Ça ressemble à l’alcool, c’est doré comme l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool »


JOËL DICKER, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert


Le succès de ce roman dans la presse a été immédiat ; pas de journal, pas de revue littéraire, pas de magazine qui ne l’ait mentionné, le plus souvent de façon élogieuse : « un coup de maître »,  « un roman vertigineux », « verbe efficace, construction virtuose et sens du suspense épatant ». La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert , le roman de Joël Dicker est présenté, à juste titre, comme un « thriller à l’américaine » parce qu’il accumule les péripéties et les rebondissements de façon à toujours suspendre l’intérêt du lecteur, il multiplie les hypothèses sur la disparition de la jeune Nola et fait de chacun des habitants de cette petite ville du New Hampshire un coupable potentiel, tout en peaufinant  la description des lieux et des personnages pour accentuer l’effet de réel. C’est incontestablement un livre habile qui joue en virtuose des mises en abîme puisque le narrateur principal Marcus Goldman est un écrivain en mal d’inspiration qui, sous prétexte de venir au secours de son maître en littérature, l’écrivain Harry Québert, accusé de meurtre, phagocyte totalement son histoire. Le roman superpose ainsi plusieurs niveaux de réalité - ce qui s’est passé le jour de la disparition de Nola et dans les mois qui ont précédé sa disparition, ce qui se passe 30 ans plus tard lorsque Marcus Goldman entreprend son enquête – auxquels s'ajoutent les récits fictifs qui en ont été faits (le roman écrit par Harry Québert) ou qui sont en cours d’élaboration (le roman  de Marcus Goldman.)
Le résultat est un roman qui fonctionne effectivement comme un thriller, mais qui met constamment l’accent sur sa fabrication. Y compris sur les rapports de force qui s’établissent entre l’écrivain, son agent et l’éditeur.

TANGUY VIEL, La Disparition de Jim Sullivan
Quelques mois plus tard, un petit roman français reçoit à son tour l’éloge de la critique parce qu’il joue, lui aussi,  avec les codes du roman américain. Le projet est a priori séduisant et l’on se dit que l’on aura, pour le même prix, le roman ET le « making of » du roman. Le premier chapitre confirme l’intention ; le narrateur las d’une littérature « trop statique, trop pétrifiée » dans laquelle il s’englue décide que « l’histoire entière de [son] prochain livre se déroulerait là-bas, aux Etats-Unis. Et plus précisément à Detroit dans le Michigan."
La déception est à la hauteur de l’attente, car en fait, tel un gamin qui ne pense qu’au conditionnel : « on ferait ça, on irait là, on dirait ça…. » Tanguy Viel, par l’intermédiaire de son narrateur, ne rédige que le « making off » ou plutôt le mode d’emploi d’un roman jamais écrit. Certains passages sont assez drôles, quand l’auteur se moque gentiment du succès de certains écrivains du Montana comme Jim Harrison ou Rick Bass « Même dans le Montana, même avec des auteurs du Montana qui s’occupent de chasse et de pêche et de provision de bois pour l’hiver, ils arrivent à faire des romans qu’on achète aussi bien à Paris qu’à New York. » On apprécie l’ironie, mais au final, ce qu’on a entre les mains c’est un exercice de style de plus. Un roman bien français donc.

Le rapprochement de ces deux romans n’est peut-être que pure coïncidence, mais il interroge parce que d’une certaine façon, il permet de mettre le doigt sur l’idée que l’on se fait d’un roman américain et d’un roman français.
Un roman américain est un roman où on respire, où il y a de l’action, du mouvement, de l’espace alors que la littérature française est, aux dire même de Viel,  « statique » « pétrifiée »
Il est vrai que la littérature française, depuis les années 60 s’est désintéressée de l’intrigue et parfois même des personnages  au profit du « savoir écrire » d’une part et de l’introspection autobiographique d’autre part. Avec le Nouveau Roman, il était soudain indécent de raconter des histoires et, selon la formule de Ricardou, la mode n’était plus à « l’écriture de l’aventure mais à l’aventure de l’écriture. » 
Joël Dicker et Tanguy Viel  font semblant d’écrire un roman américain, mais ils le font sans conviction et même, me semble-t-il, avec un peu de dérision pour ne pas dire du mépris. Ils ont repéré les clichés, les stéréotypes qui caractérisent les romans américains et les utilisent, avec brio, mais sans jamais se faire oublier. Au lieu de s’effacer derrière leurs personnages, ils déplacent l’attention du lecteur de la fiction à la mise en œuvre de la fiction. Au lieu de regarder le monde autour d’eux et d’en rendre compte, ils se regardent dans un miroir, en train d’écrire.  
Or ce qui m'intéresse dans la littérature, c'est ce qu'elle m'apprend du monde, c'est sa capacité à me faire vivre des vies autres que la mienne. L'angoisse de l'écrivain devant la page blanche ou sa virtuosité à jouer avec les figures de la langue et les ficelles du roman ne m'intéresse que modérément. Voilà pourquoi, aux romans français je préfère souvent les romans américains, ou argentins ou indiens ou japonais ou ...

27 octobre 2013

Chris Marker

Sacré bonhomme, ce Chris Marker !
Et quel plaisir de revoir, sur grand écran, La Jetée.
Mais aussi de découvrir d'autres films tout aussi étonnants. Comme Dimanche à Pékin, un documentaire d'une vingtaine de minutes sorti en 1956, qui permet de mesurer l'écart entre l'enthousiasme et les illusions qu'avait fait naître la grande révolution maoïste et la situation actuelle de la Chine telle qu'elle est montrée par Jia Zhang Ke dans A Touch of Sin.

http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-chrismarker/

Le Pékin de Marker est un Pékin en rouge et bleu, un Pekin ensoleillé et souriant. Un instantané triomphant trop vite démenti par l'histoire. Mais il est bon que le cinéma garde le souvenir de ce moment, aussi trompeur qu'il ait été.

D'autres films de Marker sont annoncés pour les semaines à venir dans mon cinéma préféré et il n'est pas question que j'en manque un seul.

25 octobre 2013

Chiennes de vie

Je n'avais pas encore "digéré" le film de Jia Zhang Ke que je suis tombée sur un livre aussi noir que le film. Etrange, mais fructueuse coïncidence.

Chiennes de vie, sous titré Chroniques du Sud de l'Indiana est le premier ouvrage traduit en France d'un jeune romancier américain, Frank Bill. Les dix-sept nouvelles qui composent le recueil ont en commun non seulement un lieu, le Sud de l'Indiana, mais une population de petits Blancs pauvres passablement cabossés par la vie : des vétérans qui n'ont jamais oublié ce qu'ils ont vu ou fait en Corée ou au Vietnam, des filles abandonnées avec un enfant sur les bras, des fermiers fatigués de se battre contre les éléments. Ce sont les laissés pour compte de l'Amérique, ravagés par l'alcool et la drogue autant que par la misère. Dans cette région de chasse, ils sont tous habitués au maniement des armes depuis l'enfance. La violence, pourrait-on dire est leur élément naturel. Avec de pareils ingrédients, difficile d'imaginer la vie comme un long fleuve tranquille. Lire les nouvelles de Frank Bill, c'est comme boire un alccol qui frôle les 90° ! Et pourtant je les ai lues !  J'ai lu l'histoire de ce grand-père qui vend sa petite fille de 13 ans à un souteneur pour acheter des médicaments pour le cancer de sa femme, ou ... de la gnole pour sa propre consommation  Et l'histoire de cet ancien du Vietnam dont rien ne vient calmer les pulsions meurtrières.

Le recueil une fois refermé, la question se pose de la nécessité d'une telle littérature. Qu'est-ce qui pousse un jeune écrivain à écrire des histoires aussi sordides ? Et qu'est-ce que leur lecture apporte à un lecteur ?

Il y a peut-être dans la production éditoriale américaine des effets de surenchère; pour être publié, pour se faire remarquer, il faut aller toujours plus loin, taper toujours plus fort. C'est possible. Et le soupçon de complaisance, n'est jamais bien loin.  Mais ce qui malgré tout m'intéresse dans ces nouvelles comme dans le film de Jia Zhang Ke chroniqué hier, c'est la part de réalité que ces fictions révèlent. Oui il existe une Amérique pauvre, violente, comme il existe une Chine miséreuse, et brutale. Et il est bon de savoir que certains écrivains, certains cinéastes ont choisi de s'intéresser, comme avant eux Gorki ou Zola,  à la part la plus fangeuse de la société. Au lecteur de se demander comment des systèmes politiques, économique et culturels très opposés aboutissent en fait au même résultat. Peut-on continuer à fermer les yeux et ne pas voir ces rebuts de l'humanité ?  Peut-on ne pas chercher à comprendre le pourquoi et le comment ? Le constat, la prise de conscience ne font pas la solution. Mais il me plaît que ce soit la littérature et le cinéma qui se chargent de réveiller notre vigilance.

Néanmoins, après tant de noirceur littéraire et cinématographique, je ne serai pas fâchée de trouver un roman ou un film un peu plus ... un peu moins ... bref, aussi intelligent mais pas tout à fait aussi sombre. 
Parce que les alcools forts, ça finit quand même par soûler !




24 octobre 2013

A Touch of Sin


Pour avoir déjà vu un certain nombre de films chinois contemporains dont le récent People mountain, people sea et, en particulier,  plusieurs films de Jia Zhang Ke  (Still life), je savais à peu près à quoi m'attendre en allant voir A Touch of Sin : du noir, très noir !  Et c'est effectivement ce que j'ai trouvé. En pire !

A Touch of Sin s'apparente beaucoup plus au film documentaire qu'au film de fiction; c'est un film qui, en quatre volets, fait le point sur l'évolution de la Chine depuis qu'elle a renoncé à l'idéologie communiste pour entrer dans l'ère du capitalisme sauvage.
Sauvage, tout est dit. Tous les personnages du film se comportent effectivement comme des sauvages : ils exploitent, ils tuent, ils violent sans scrupule ni remords, malgré ce que le titre du film peut laisser croire.  Le premier épisode met en scène un ouvrier exaspéré par la corruption et l'exploitation des "migrants", ces travailleurs sans droit. Il réclame justice au nom des idéaux qui ont été autrefois ceux de son pays (l'égalité, le partage des richesses etc... ). Exaspéré de se heurter sans cesse  à des fins de non recevoir quand ce ne sont pas des manoeuvres d'intimidation et des coups, il attrape son fusil et bannière tigrée au poing se charge de rétablir la justice en tuant tous les pourris.
Les épisodes suivants sont tout aussi sanglants; seules changent les motivations (et les circonstances bien sûr!) Tous présentent la violence et le crime comme seules alternatives possibles à l'état de déliquescence morale du pays. Et le cinéaste ne fait rien pour édulcorer son propos ni ses images. Son art n'est pas celui de la litote.  On sort du cinéma avec des éclaboussure de sang sur le visage et sans aucune envie de retourner immédiatement en Chine.


L'effet de sidération passé, reste à s'interroger sur le sens à donner à cette débauche de violence. Car le propos du cinéaste est politique : il ne montre pas la Chine de la croissance à 2 chiffres,  celle des nouveaux milliardaires, des immeubles pharaoniques et des voitures de luxe. Il montre l'autre Chine, la plus misérable, celle qui ne cherche même plus à vivre, juste à survivre.
Le titre du film - si du moins sa traduction est correcte - se réfère peut-être, comme je l'ai lu à un film de sabre sorti en 1969, A Touch of Zen mais, à mon avis  il se réfère plus directement au sens du bien et du mal, car si commettre un meurtre c'est commettre un "péché", acculer quelqu'un au meurtre ou au suicide n'est-ce pas aussi un "péché" ?  Et tant pis pour la terminologie judeo-chrétienne !