28 février 2013

Elefante blanco

Le cinéma en ce moment est riche de propositions.  Et je n'ai oublié ni Django unchained, le film de Tarantino, ni Zero dark thirty, le film de Bigelow,  ni Lincoln, le film de Scorcese, ni Argo, le film de Ben Afflek  Ces "grands" films américains, dont l'intérêt est indéniable,  occupent beaucoup de place dans les médias et je préfère parler ici de films, peut-être  moins bien repérés parce que moins largement diffusé, mais dont les mérites ne sont pas moins grands que ceux des autres.

Elefante blanco est un film de Pablo Trapero, réalisateur de l'excellent mais très horrifiant Carancho, avec Ricardo Darin et Jerémie Reinier dans les rôles principaux. Il faut bien sûr un petit moment pour s'habituer à voir ces deux acteurs dans le rôle de prêtres, mais ils sont finalement assez crédibles en hommes d'église soucieux avant tout d'améliorer les conditions de vie de leurs ouailles. Car c'est dans un bidonville aux portes de Buenos Aires qu'ils ont choisi d'accomplir leur sacerdoce. Et Dieu sait si les habitants de ce bidonville ont besoin d'aide, eux qui doivent lutter contre la pauvreté la plus extrême et s'accommoder de la violence des gangs qui se disputent les territoires de la drogue et autres trafics.

Elefante blanco est un film très ambitieux, sans doute un peu trop car autant il est convaincant quand il s'agit de montrer les conditions de vie à l'intérieur du bidonville et prend à bras le corps la réalité sociale,  il est nettement moins convaincant dans sa dimension romanesque, quand il met en scène les destins individuels : le traumatisme initial de Nicolas, montré en ouverture, la maladie de Julian dont la vie est suspendue à un fil, la relation amoureuse entre Nicolas et Luciana, l'assistante sociale . "Ce misérable tas de petits secrets" aurait dit Malraux.

On sort néanmoins du film avec l'intention d'en apprendre un peu plus encore sur le rôle qu'a joué l'Eglise en Amérique latine dans les années 60 et 70, lorsque certains parlaient de Théologie de la libération et que d'autres s'offusquaient de voir les prêtres catholiques frôler d'un peu trop près l'idéologie marxiste.  Un film qui excite ainsi votre curiosité n'est pas un mauvais film.



Sur les murs derrière les acteurs, une des phrases clefs du film :"Seigneur, je rêve de mourir pour eux, aidez moi à vivre pour eux."  Une phrase empruntée à Padre Carlos Mugica, assassiné le 11 Mai 1974 sur les marches de l'église où il venait de célébrer la messe.

27 février 2013

Syngué Sabour

C'est  le genre de film vers lequel on ne se précipite pas car le sujet a de quoi rebuter : une femme au chevet de son mari mourant ! Savoir que le film est l'adaptation par Atiq Rahimi d'un de ses propres romans n'est guère plus encourageant, bien que - ou peut-être justement parce que -  le roman en question ait obtenu le prix Goncourt en 2008.
Mais il est difficile de résister à la beauté et à l'intelligence de Golshifteh Farahani dont j'ai eu, à deux reprises, l'occasion d'apprécier le talent : dans A propos d'Elly d'Asghar Farhadi et Si tu meurs je te tue de Hiner Saleem.
L'affiche annonçait un film bouleversant et inoubliable; pour une fois les termes ne sont pas usurpés.



Ce qui rend ce film inoubliable c'est peut-être d'abord la beauté des images :  lumières, couleurs,  cadrages,  c'est un enchantement permanent. A qui en attribuer le mérite, au réalisateur ou à son directeur de photographie, Thierry Arbogast, je ne sais pas, mais faire de chaque scène, de chaque décor, qu'il s'agisse d'une pièce nue ou d'une rue ravagée par la guerre, un véritable tableau,  requiert un savoir-faire technique et plus encore un regard d'artiste. Et rendre presque séduisants ces voiles dans lesquelles les femmes afghanes sont contraintes de dissimuler leur corps et leur visage relève de la gageure. 




La beauté des images toutefois ne suffit pas à faire un film. Encore faut-il qu'il ait une histoire à raconter, des personnages à faire vivre.  Condamnée à rester auprès de son mari mourant et condamnée à souhaiter qu'il sorte du coma pour échapper au sort qui attend les veuves, la femme le veille, règle sa perfusion, le lave et parle. Elle parle à celui qui n'entend pas, elle se souvient de ses noces, de la naissance de ses deux petites filles, elle donne sa version de leur histoire, elle dit ce qu'elle n'a jamais dit à personne et peut-être pas même pensé. Et ses propos sont d'une liberté inouïe. La guerre fait rage autour d'elle, elle vit dans le plus grand dénuement, ne possède rien que ses voiles et un vieux Coran posé sur une étagère; sans autre sauvegarde que sa propre liberté. Voilà pourquoi Syngué Sabour est effectivement un film bouleversant et inoubliable. 

 


26 février 2013

Dans la brume

"Une forêt. Deux résistants. Un homme à abattre, accusé à tort de collaboration. Comment faire un choix moral dans des circonstances où la morale n’existe plus ? "

Voici, résumé en quelques mots et une interrogation le synopsis du très beau film de Sergueï Loznitsa, Dans la brume, un résumé qui n'est peut-être pas très incitatif, mais, ce serait vraiment dommage de passer à côté de ce film.



Car un résumé ne dit pas tout. Ne dit pas que le cinéaste photographie admirablement la forêt russe, cette forêt dans laquelle il est si facile de se perdre, où les futaies constituent autant de labyrinthes, où la brume qui s'effiloche entre les troncs d'arbre contribue à faire perdre les repères.
Le résumé ne dit pas non plus que, par de fréquents retours en arrière, le réalisateur restitue pour le spectateur le passé de ces trois hommes et lui donne ainsi les éléments dont il a besoin pour mieux appréhender le dilemme auquel chacun d'eux est confronté.
Le film est lent, mais cette lenteur est nécessaire pour laisser à chacun le temps de mûrir sa décision. Car, bien que l'histoire se passe pendant la guerre, il s'agit bien d'individus qui doivent, à un moment ou à un autre, non pas obéir à un ordre, ou s'engager collectivement, mais décider, en leur âme et conscience, de ce qu'ils doivent faire. Seuls.

Dans la  brume est un film grave, beau, intelligent, à mille lieues des gesticulations de bien des films de guerre.

Sergueï Loznitsa est un réalisateur ukrainien, originaire de Bielorussie, qui s'est installé en Allemagne, histoire de mettre un peu de distance entre son pays et lui. C'est aussi un spécialiste de l'intelligence artificielle qui a travaillé sur les processus de prise de décision. Ceci explique peut-être cela. 


25 février 2013

Searching for Sugar man

L'histoire est étonnante et le film l'est tout autant.

L'histoire, c'est celle d'un chanteur qui aurait pu avoir une carrière comparable à celle de Bob Dylan, mais ne l'a pas eu. Sixto Diaz Rodriguez a, dans les années 60 enregistrée deux disques qui n'ont eu absolument aucun succès aux Etats-Unis alors que sa voix est apparemment mieux posée que celle de Bob Dylan et que ses textes sont tout aussi "engagés".
Après son échec, Sixto Rodriguez est alors retourné à sa vie ordinaire, faite de petits boulots et d'ambitions modestes, sans savoir que pendant ce temps là, il faisait un tabac en Afrique du Sud ou ses disques se vendaient comme des petits pains.

Voilà pour l'histoire. Singulière il est vrai. Comme le film qui reconstitue l'enquête menée par deux de ses fans pour retrouver la trace d'un chanteur que l'on  disait mort dans des conditions étranges alors qu'il est bien vivant, à Dearborn, dans la banlieue de Detroit. Le film est présenté comme un documentaire, mais construit comme un film policier et suscite la curiosité du spectateur qui se demande en permanence s'il s'agit d'un "hoax", d'une histoire bidon, d'un coup monté, ou d'une histoire à 100% véridique. Intriguant donc.

Quoi qu'il en soit, deux concerts de Sixto Rodriguez sont prévus au Zénith de Paris les 3 et 4 Juin. Une façon de compléter l'histoire ?

Sugar man est le titre d'une des chansons de Sixto Rodriguez.

22 février 2013

Walter Hill


Les Guerriers de la nuit (1979) découvert récemment en cinémathèque, appartient apparemment à la catégorie des films cultes. Ce qui ne signifie pas grand'chose à mes yeux puisque je n'ai toujours pas compris sur quels critères et par qui, cette étiquette est soudainement attribuée à un film ou à un livre.

Toujours est-il qu'après avoir vu Les Guerriers de la nuit, j'ai été suffisamment intéressée pour avoir envie de visionner un second film du même réalisateur, et je n'ai pas été déçue !

Sans retour (1981) en effet est construit sur la même trame que les Guerriers de la nuit, à savoir une course poursuite entre des groupes ennemis. Dans les Guerriers, ce sont des gangs new-yorkais qui s'affrontent dans un univers hyper-urbanisé. Dans Sans Retour, ce sont des réservistes de la garde nationale qui s'engagent dans les bayous de Louisiane et se heurtent aux Cajuns dont ils ont "emprunté" les barques sans se douter de l'ire qu'ils allaient déclancher. Il s'agit dans les deux cas d'une véritable chasse à l'homme, menée à un rythme frénétique, mais plus que les péripéties et rebondissements propres à ce genre de film, ce qui m'a paru remarquable, c'est la façon dont Walter Hill, le réalisateur, filme, dans un cas, la ville, la nuit et dans l'autre la nature sauvage, la forêt, les marécages, dans une lumière crépusculaire, glauque au propre sens du terme. Le métro new-yorkais, les bayous pourraient n'être que des éléments du décor, mais le cinéaste en fait presque des personnages dont la seule présence suffit à ralentir ou à accélérer l'action.

PS. Le titre original des Guerriers de la nuit était tout simplement Warriors ; il aurait pu être repris pour le second film, mais Southern Comfort (qui désigne aussi une boisson alcoolisé, véritable réconfort des Sudistes) est une délicieuse et très ironique antiphrase, malheureusement intraduisible en français. Sans retour en revanche est beaucoup trop explicite bien que l'image finale laisse planer un doute sur la véritable issue de cette chasse à l'homme.


20 février 2013

La Vallée des rubis

Voici une courte bibliographie birmane, qui en 4 titres seulement permet de faire le point sur l'histoire de la Birmanie.

Si on a l'âme chronologique on commencera par Le Palais des miroirs d'AMOSH GHOSH, une formidable saga, pleine de bruits, de fureur et de passion comme il se doit, qui en trois générations évoque une période décisive de l'histoire birmane, celle de la fin de la monarchie et de la prise de pouvoir par les Anglais. C'est une histoire politique, mais aussi bien une histoire économique, celle de l'exploitation du teck, des fortunes qui se font et se défont avec, en prime, une belle histoire d'amour. Tout ce qu'on attend d'une bonne saga.

A partir de 1886 et jusqu'à son indépendance en 1948 ( à l'exception  des 3 années de l'occupation japonaise ), la Birmanie a été sous domination anglaise. En 1922, GEORGE ORWELL termine ses études et devient sergent dans la police impériale en Birmanie. Nul doute que ces 5 années passées en Birmanie ont pesé lourd dans l'orientation de l'écrivain.
Le roman intitulé Une Histoire birmane qu'il publie en 1934 est une caricature féroce du colonialisme tel qu'il a pu s'exercer dans ces années trente. Une poignée de colons anglais s'efforce de maintenir les apparences de la civilisation dans une petit village perdu dans la jungle birmane. Mais il n'y en a pas un pour sauver l'autre, pas même le personnage principal, Flory, qui porte sur ses compatriotes un jugement peu amène, mais se révèle en fin de compte d'une grande médiocrité et surtout d'une grande lâcheté. Racisme, alcoolisme, corruption ... le tableau est chargé. Lu avec le recul nécessaire, le roman est jubilatoire.

Le livre de JOSEPH KESSEL, La Vallée des rubis, date lui de 1955. La Birmanie est désormais indépendante, mais elle est devenue la proie de tous les traffics, en particulier de pierres précieuses.
Sous la plume extrêmement efficace de Kessel, La Vallée des rubis ressemble moins à un roman qu'à un fabuleux reportage : à Mogok,  centre d'exploitation des mines de rubis, on croise toutes sortes d'aventuriers au passé trouble, de commerçants intrépides, de voyageurs sans autre patrie que l'argent ou ... la curiosité. L'intrigue est mince mais peu importe car ce que l'on apprend sur les rubis, leur extraction, leur valeur, leur commerce, leurs légendes suffit à passionner le lecteur qui après avoir tourné les pages avec avidité, ne rêve plus que d'aller à Mogok, hélas territoire pour le moment interdit par les autorités birmanes et formellement déconseillé par le ministère des affaires etrangères fançais. Dommage. Ce sera le grand regret de mon voyage, dont j'ai essayé de me consoler en visitant le musée des pierres précieuses de Rangoon, à la recherche d'un rubis coeur de pigeon que je n'ai pas trouvé.



Le roman de KAREN CONNELLY, La Cage aux lézards, quatrième volet de cette bibliographie est nettement plus sombre. Le personnage principal, Teza, est un chanteur, condamné à 20 ans de prison pour avoir critiqué le régime birman. Ses conditions d'emprisonnement sont, on s'en doute effroyables. Privé de nourriture, privé surtout de lumière, pour ne pas sombrer et garder son humanité, Teza s'accroche à sa foi bouddhiste. Il fait la connaissance d'un gamin, orphelin, qui sans être emprisonné, n'a pas d'autre foyer que la prison où il survit de trafics en tous genres. Il y a, semble dire l'auteur, pire sort encore que celui de Teza qui, dans un ultime effort, va  tenter d'apprivoiser cet animal sauvage, comme il a apprivoisé les lézards de sa cage. 

Lire La Cage aux lézards n'est pas vraiment une partie de plaisir, mais c'est une lecture indispensable pour qui veut essayer de comprendre ce que les
Birmans ont vécu - et vivent sans doute encore - depuis que la Junte a pris le pouvoir. 

Quatre romans, ce n'est pas beaucoup pour la Birmanie d'autant qu'aucun des écrivains cités n'est birman. Toutefois ils constituent un viatique a minima mais intéressant, pour accompagner un voyage.

19 février 2013

The Lady



De ce voyage si riche en découvertes et impressions, mon plus beau souvenir sera incontestablement le visage de celle dont nous avons eu la chance de croiser, très brièvement,le chemin, et qui, à elle seule, porte tous les espoirs d'un pays.




 Et tant pis si la photo n'est pas très bonne !  Parce que le temps passé sur la route entre Mandalay et Monywa où elle devait se rendre pour s'entremettre entre les propriétaires d'une mine de cuivre et les mineurs, en grève depuis plusieurs semaines, le temps passé à l'attendre en compagnie de ceux qui étaient chargés de l'accueillir à l'hôtel de Monywa,  et le temps surtout mis à se frayer un chemin au milieu de tous ceux qui, depuis plusieurs jours campaient sur l'emplacement même de la mine où elle était attendue pour prononcer un discours, nous a permis de mesurer la ferveur qui accompagne chacun de ses déplacement et la dévotion du peuple birman à son égard. 
.


A la sortie de Mandalay, premiers partisans sur le pont de l'Irrawady, 


puis tout le long de la route, les moinillons, les enfants des écoles, les gens ordinaires. 


A l'hôtel de Monywa, l'attente est plus formelle.


 A chaque fonction sa couleur, rose, orangé, beige, vert.. On attend debout.... puis on se lasse et l'on reprend une position plus confortable car l'attente est longue, très longue. Mais les sourires ne quittent pas les visages. 


A quelques kilomètres de Monywa, sur l'emplacement de la mine où, la veille,  des mineurs et des moines ont été brutalisés par la police, la foule est immense. Ils sont des milliers, des dizaines de milliers peut-être, avec le même regard ardent, la même ferveur. 




Hommes, femmes, enfants, vieillards, ils sont tous là. à l'attendre. 

AUNG SAN SUU KYI




Quand nous repasserons par le même endroit, quelques heures plus tard, la nuit sera tombée et dans la lumière des phares et la poussière levée par les véhicules et les piétons, la foule s'écoulera comme un fleuve qui n'en finit pas de s'écouler. 


Alors tant pis si les photos ne sont pas très bonnes. 

Visages birmans

Qu'ai-je trouvé dans ces visages birmans inlassablement scrutés ? Qu'ai je lu dans ces regards ? 




 




J'y ai vu beaucoup de choses. De la curiosité, de l'amusement parfois.  De l'indifférence souvent. Mais surtout une infinie patience, une extrême tolérance ( en particulier vis à vis des touristes dont certains semblent avoir oublié ce que respecter autrui signifie.)

Et puis j'ai vu le sourire de cet homme, qui arpentait la route d'un bon pas, venant de je ne sais où, allant je ne sais où. Heureux semble-t-il de sa liberté.



Ici et maintenant

"Des mains s'activer à toutes sortes de tâches..."
oui, car avant d'atteindre l'Eveil, il faut bien faire son chemin sur terre.












Et donc travailler ...
A quelques exceptions près ...

Pour tourner la page (suite)


J'ai vu, au fond de grottes obscures, des fresques étonnantes


J'ai vu toutes sortes de bouddhas, debout, assis, couchés


Beaucoup -  les plus somptueux -  m'ont laissée de marbre. D'autres plus modestes, plus naïfs et parfois un peu étranges, m'ont, selon le cas, séduite ou divertie.


 




J'ai vu des visages impassibles à force de sérénité. 



J'ai vu des mains en prières. 



J'ai vu des mains couvertes d'or.


Mais je n'ai pas vu de mains tendues.


Car partout, j'ai vu des mains s'activer sans relâche.






  



Oui, des mains s'activer à toutes sortes de tâches...