10 octobre 2013

To be or not to be

Pas d'accord ! Aussi intelligente et savante que soit la présentation du film de Lubitsch que j'ai entendue ce matin, je ne peux pas vraiment être d'accord. Mettre en valeur les figures de style, la mise en scène, s'intéresser avant tout à l'aspect formel d'une oeuvre au point de tenir pour secondaire son sens et les valeurs qu'elle incarne me paraît toujours dangereux.

To be or not to be ne serait pas véritablement un film de propagande ...
To be or not to be EST un film de propagande, dans la mesure où il indique, de façon évidente,  où est le bien, où est le mal. Et ceci dès les premiers plans. Pour dater et situer géographiquement le film, Lubitsch montre, en ouverture, des panneaux accrochés au-dessus des magasins qui portent des noms bien polonais. Quelques scènes plus tard, les mêmes panneaux sont cassés en deux, brûlés, la ville est en ruine : les "méchants" sont clairement désignés !  Septembre 1939. Les Allemands ont envahi la Pologne

Lubitsch ne s'en prendrait pas véritablement à l'idéologie nazie mais plutôt à l'aspect mécanique du système .... mais n'est-ce pas justement là le problème, un système qui fait de chacun une marionnette dont on tire les fils ? Dans le film, les nazis ne pensent pas, ils agissent par réflexe conditionnés, ils obéissent. Une des scènes les plus réjouissantes est bien celle où Bronski, déguisé en Hitler ouvre la porte de l'avion et ordonne aux deux pilotes de sauter ce qu'ils s'empressent de faire. Et Bronski de conclure "Very obliging people". Souligner que Bronski s'est ainsi conduit en meurtrier m'a paru un tant soit peu déplacé. J'ai plutôt vu dans cette scène la dénonciation (propagande donc) d'une machine à décerveler. Et je n'ai pu m'empêcher de penser à l'argument de la défense au procès de Nürenberg. "Ils ont obéi aux ordres." Je n'oublie pas non plus que le professeur Siletsky, celui qui trahit son pays, ne porte, lui, aucun uniforme, il ne suit aucun ordre : il s'est engagé auprès des nazis par conviction.

Si l'on regarde maintenant de l'autre côté, du côté de cette troupe de comédiens qui met en échec le rouleau compresseur nazi, ils ne brandissent aucun drapeau, et ne s'encombrent d'aucune idéologie. Certes ! Ils sont jaloux, mesquins, bouffis de vanités. Certes encore ! Mais qui peut un instant croire à la perfection des héros ? D'ailleurs, le personnage le plus intéressant, le plus humble et le plus fort en fin de compte,  n'est ce pas Greenberg (*),  le hallebardier qui a toujours rêvé d'un grand rôle et ne cesse de répéter la fameuse tirade de Shylock dans Le Marchand de Venise : " If you prick us, do we not bleed? If you tickle us, do we not laugh? If you poison us, do we not die? And if you wrong us, do we not revenge? If we are like you in therest, we will resemble you in that."  Si Lubitsch a choisi de n'utiiser que la fin de la tirade et non son début  : "I am a Jew. Hath not a Jew eyes? Hath not a Jew hands, organs, dimensions, senses, affections, passions; fed with the same food, hurt with the same weapons, subject to the same diseases, heal'd by the same means, warm'd and cool'd by the same winter and summer, as a Christian is? ", c'est peut-être pour ne pas alourdir son film par une tirade trop longue, mais plus vraisemblablement pour lui donner une tournure  universelle. Greenberg, qui pour la première fois de sa vie va jouer un premier rôle, un rôle dont dépend le sort de toute la troupe "if you don't play right, we are all lost, and if you do, I still can't guarantee.... d'un simple "What do I have to do ? " et sans aucun effet de manche, signe son engagement dans le combat contre les sbires du nazisme.  Il est aussi celui qui rappelle la nécessité du rire au théâtre, au cinéma ou dans la vie. Un rire qui sonne comme un défi lancées aux forces du mal. Greenberg, l'humaniste, n'a qu'un petit rôle à côté de Carole Lombard  et de Jack Benny, mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est lui le vrai porte-parole de Lubitsch.


Je sais que le terme de propagande n'a pas bonne presse parce que la propagande est considérée comme un moyen de manipulation des esprits simples. Lubitsch, de toute évidence ne prend pas les spectateurs pour des imbéciles.  Il ne cherche pas à manipuler leurs émotions. C'est à l'intelligence qu'il s'adresse. Alors, mettons que To be or not to be n'est pas un film de propagande, mais c'est définitivement un film engagé. Le film date de 1942.


* Félix Bressart est le nom de l'acteur qui incarne le personnage de Greenberg. Il est né en Prusse orientale en 1882. Juif, il a été contraint d'émigrer en Autriche d'abord puis aux Etats-Unis.





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