20 décembre 2015

Béliers




Avec leurs rides, leur barbe bouclée et leur gros ventre,  dans ce pays de neige et de froid où ils vivent, on pourrait presque les prendre pour des Pères Noël. Des pères Noël en civil, sans habit rouge mais avec pulls jacquard !
Pourtant Gummi et Kiddi, bien que frères et bien que vivant à quelques dizaines de mètres l'un de l'autre, ne sont pas de vieux bonshommes débonnaires : ils ne se sont pas parlé depuis 40 ans et se haïssent d'une haine féroce. Pourquoi ? Le film ne nous le dit pas, mais on subodore une vieille rancune pour pas grand chose, une rivalité d'enfant ou peut-être d'adulte? Tous deux élèvent des moutons, présentent leur plus beau bélier au championnat annuel, et le demi-point qui sépare le premier du second ne fait que renforcer leur haine.


Dès les premières séquences, le spectateur se retrouve dans un monde totalement étranger, celui des paysages islandais, vides mais grandioses, celui des éleveurs dont l'existence entière semble tourner autour de leurs moutons. Que survienne une épidémie de tremblante qui les oblige à abattre la totalité de leurs bêtes pour suivre les prescriptions des autorités sanitaires et c'est un monde qui bascule. Comment vont réagir Gummi et Kiddi, ces vieillards obstinés ?  L'essentiel du scénario est là, dans les réactions en chaîne que ce séïsme va provoquer.

Béliers est le premier long métrage diffusé en France de ce jeune réalisateur islandais et c'est un coup de maître car il sait tenir son film en équilibre entre tragédie et comédie et diriger ses acteurs aussi bien que ses moutons !  On rit, on sourit, on s'inquiète... On en apprend beaucoup sur l'Islande et la façon de vivre des Islandais, sur l'élevage des moutons, mais au fil des scènes, le suspens est toujours maintenu et l'on ne cesse de se demander jusqu'où ces diables de vieux bonshommes vont nous emmener. Tout simplement jubilatoire, parce qu'à mille lieues de ma propre existence. 









17 décembre 2015

The Other Side

Des films durs, j'en ai vu un certain nombre. Mais aussi dur que celui-ci ? Pas beaucoup.
Il s'agit d'un documentaire de Roberto Minervini sur les blancs les plus misérables des Etats-Unis.  Entre Louisiane et Texas. Mark et Lisa ont accepté pendant deux ans d'être filmés dans leur vie quotidienne faite essentiellement de drogue et d'alcool. Le décor est vite mis en place : vieux mobil homes déglingués dans un environnement sordide, avec, exceptionnellement, une échappée vers un bayou. La misère est partout, et se lit jusque dans les corps, abîmés, édentés. Certaines scènes sont difficilement supportables et l'on aimerait pouvoir s'en dispenser. Mais ce serait tourner les yeux de ce qui dérange et nier d'une certaine façon l'humanité des personnages. Car le réalisateur, qui n'a pas peur de montrer les moments les plus trash, n'a de cesse de souligner les liens qui unissent Mark et Lisa, mais aussi l'affection que le même Mark porte à sa mère, à sa grand mère... Ils sont dépourvus de tout, mais il leur reste un certain sens de la famille.
Roberto Minervini, qui a su se faire accepter dans ce milieu de marginaux, de laissés pour compte, a su aussi éviter la caricature. Et c'est sans doute la raison pour laquelle le film, aussi dur soit-il, touche infiniment.
La deuxième partie - qui semble avoir été rajoutée de façon artificielle, peut-être parce que le tournage en Louisiane a été brutalement interrompu - met en scène l'entraînement de miliciens texans; tenues de camouflage, fusils d'assauts, techniques de combat, la panoplie militariste déployée révèle un discours franchement paranoïaque bien que tempéré par des propos sur le droit de chaque pays à décider par lui-même de son régime politique et le refus de l'ingérence américaine dans le monde. 
Comme dans le premier reportage, le réalisateur évite habilement la caricature et c'est peut-être ce qui fait le plus froid dans le dos : la réalité brute à laquelle nous confronte ce film est beaucoup plus effrayante que n'importe quelle fiction.



15 décembre 2015

L'Idiot


L'idiot est un film à aller voir de toute urgence, mais je crains que son titre n'en décourage certains... En effet, le titre, l'affiche très "constructiviste', tout porte à croire qu'il s'agit d' une adaptation de Dostoïevski
Et bien pas du tout. Ou plutôt le seul point commun entre le Prince Mychkine et Dima le jeune plombier est que ce sont des personnages honnêtes, mais dans le monde dans lequel ils vivent, cette honnêteté confine à la bêtise.
Responsable de la maintenance d'un immeuble HLM, Dima est appelé en pleine nuit pour réparer une canalisation. Il constate alors que la canalisation arrachée importe moins que la fissure qui traverse la façade de bas en haut : l'immeuble menace de s'effondrer. Et la menace est imminente. Dima prend alors sur lui d'affronter les autorités municipale et découvre, en même temps que le spectateur l'ampleur du réseau de corruption qui a mené à un tel désastre.
L'Idiot est bien un film russe. les quantités de vodka descendues par les uns et par les autres en est un signe incontestable,  mais oubliez la vodka, oubliez la neige et le froid, ce film pourrait être chinois, venezuélien, thailandais ou même ... français : la corruption n'est pas une exclusivité russe ! Plus subtilement encore le film de Yuri Bykov montre que quand la corruption a à ce point gangréné la société, l'honnête homme n'a plus personne vers qui se tourner. Dima est renié par sa femme, par sa famille et même par ceux qu'il essayait de sauver. A mes yeux toutefois, la scène la plus poignante est peut-être celle où le père regrette d'avoir transmis à son fils ses propres valeurs,  honnêteté, sens des responsabilité etc...  parce que ce sont elles qui causent sa perte.
Non L'Idiot n'est pas un film optimiste  - surtout quand on le voit entre les deux tours d'une élection - mais c'est un film décapant et salutaire.


10 décembre 2015

Ixcanul




Une maison isolée sur le flan d'un volcan, terre aride s'il en est : c'est là que vit la jeune Maria et sa famille, une famille Maya dont la survie dépend du bon vouloir du métayer. Mais, Rimbaud l'avait bien dit, on n'est pas sérieux  quand on a dix-sept ans et Maria rêve. Elle rêve de savoir ce qu'il y a de l'autre côté du volcan. Elle rêve d'une autre vie que celle qu'elle a connue jusque là. Elle rêve que son amoureux l'emmènera quand il partira vers le Nord, vers l'Amérique...

Ixcanul est un film guatémaltèque, sans doute le premier sorti en France.  Et rien qu'à ce titre, il mérite qu'on s'y intéresse. L'histoire que raconte Jayro Bustamante, le réalisateur, est celle d'une famille maya dont on découvre en même temps que la langue, le mode de vie et les croyances; le film frôle alors le documentaire ethnologique. Mais les difficultés auxquelles se heurte cette famille, la relation, très forte, qui existe entre la jeune fille et sa mère ont un caractère universel. Et c'est pourquoi l'histoire de Maria nous paraît à la fois si proche et si lointaine. Si exotique au sens propre du terme et si émouvante.
Les images sont souvent d'une grande beauté, et le visage de Maria, filmé en gros plan dans la scène d'ouverture est celui d'une déesse autant que d'une jeune fille d'aujourd'hui. Mais le personnage qui marque vraiment le film c'est celui de la mère, forte femme, à la fois empêtrée dans ses rituels et ses croyances animistes, et femme au fort tempérament, prête à tout pour sauver son foyer.

02 décembre 2015

La peau de Bax


Encore une histoire de tueur à gage ? Oui, mais rien à voir avec la précédente. Car avec Alex Van Warmerdam on est à mille lieux du réalisme de Denis Villeneuve.
Oh, il y a bien des coups de feu, des coups de couteau, et même un certain nombre de cadavres. Mais le film est suffisamment bizarre pour que l'on ne s'en inquiète pas davantage, pas plus que l'on ne s'inquiète des cadavres dans une bande dessinée.

La peau de Bax est un délire surréaliste qui laisse libre cours à l'imagination du scénariste qui se trouve aussi être le réalisateur et l'acteur principal du film, le fameux Bax dont "quelqu'un" veut la peau (ne demandez pas pourquoi, on ne le saura jamais ! ) à moins que ce ne soit lui, le tueur à gage chargé d'éliminer Schneider, un homme bon chic, bon genre qui manie pourtant le fusil à lunette avec aisance.

Comédie autant que thriller, La Peau de Bax est un film comme on en voit peu, qu'il ne faut surtout pas prendre trop au sérieux tant les personnages sont farfelus, les situations insolites et les rebondissements cocasses bien que parfois tragiques. Drôle de mélange, auquel il faut ajouter une esthétique très particulière, une maison isolée toute blanche au bord d'un marais somptueux; un choix de couleurs toujours harmonieux avec beaucoup de beige et de blanc, une lumière exceptionnelle, des plans soigneusement composés.... Visuellement, ce film est un vrai bonheur. Et pour l'apprécier pleinement il suffit de se laisser prendre au délire imaginatif du réalisateur.