19 décembre 2016

Sinclair Lewis : Impossible ici


Titre original : It Can’t happen here, 1935

Pourquoi aller dénicher ce pas très bon roman de Sinclair Lewis qui date de 1935 ? Pourquoi de surcroît reprendre la traduction de Raymond Queneau qui malgré la notoriété de son traducteur, sonne souvent faux ? Bref y avait-il urgence à re-publier ce roman ?
Oui sans doute,  parce que lu aujourd’hui ce roman semble par bien des aspects un décalque de ce qui se passe en ce moment même aux Etats-Unis : un homme sorti de nulle part, un populiste capable de raconter à peu près n’importe quoi pour gagner des votes, remporte les élections et devient, contre toute attente Président des Etats-Unis. Une fois au pouvoir il s’empresse d’instaurer un régime qualifié de fasciste par l’auteur, nomme ses proches à des postes de responsabilité parce qu’à défaut d’avoir des compétences ils seront à ses bottes et s’entoure d’une milice dont les exactions n’ont rien à envier à celles de la gestapo ou à celles des gardes rouges de Mao.


Toute ressemblance avec un personnage réel du présent est bien entendu involontaire  de la part de Lewis, qui s’est pourtant vaguement inspiré d’un personnage historique de sinistre réputation, Huey Pierce Long, gouverneur de Louisiane, qui avait l’intention de se porter candidat aux élections présidentielles de 1936 quand il a été assassiné.

Bien que fortuites, les ressemblances entre le contexte politique du roman et la situation actuelle, aux Etats-Unis aussi bien que dans d’autres pays, européens ou plus lointains, expliquent que le livre ait été tiré de l’oubli où il avait sombré. Il se lit donc avec intérêt, malgré ses longueurs, ses détours, ses extravagances.

Il m’a cependant laissée perplexe.  Il s’agit bien sûr d’un roman, pas d’un essai politique et Lewis ne s’attarde pas à expliquer les mécanismes qui ont permis à Windrip de gagner les élections. Il se préoccupe en revanche de montrer les effets pernicieux d’un système régi par le bon vouloir de quelques uns : limogeages aussi injustifiés que les nominations, intimidations, recours à la violence (emprisonnements arbitraires, tortures, parodies de procès, exécutions…la panoplie habituelle des régimes autoritaires !) . Il s’agit de faire peur, de montrer la bête immonde et l’auteur y parvient assez bien.
Mais il parvient mieux encore à montrer l’apathie, l’indifférence de ceux qui d’une façon ou d’une autre s’accommodent de la situation alors même qu’ils la refusent intellectuellement. Doremus Jessup, rédacteur en chef du Daily Informer, le journal de la petite ville du Vermont où est situé le roman - « C’était une ville doucettement sommeillante, une ville tranquille et traditionaliste où l’on croyait encore aux fêtes nationales […]. » - s’inquiète, mais n’entre que très tardivement en résistance parce qu’il se laisse distraire par la vue de ces « collines du Vermont qui avaient servi de cadre à la majeure partie de sa vie. »   Les habitudes, le confort, les traditions sont autant d’œillères qui empêchent de voir que la démocratie peut être menacée. A l’affirmation faussement rassurante du titre It Can’t Happen Here j’aurais préféré une interrogation ? Impossible ici ?

L’auteur de Main Street excelle à décrire l’Amérique des petites villes,  des petites gens des petits esprits. Il n’a cessé de dénoncer le conformisme, l’étroitesse d’esprit, la médiocrité de ses concitoyens qu’il pourfend de ses sarcasmes et accable de son mépris.  On ne peut lui reprocher de détester les égoïsmes, les compromissions, les ventres mous . Mais ses personnages sont des fantoches construits pour servir sa démonstration.  La cause est certainement juste et mérite d’être défendue, mais la littérature en pâtit un peu.

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