11 octobre 2018

Les Raisins de la colère

Revoir Les Raisins de la colère aujourd'hui, dans sa version restaurée est non seulement un très grand plaisir, mais une redécouverte capitale.

Depuis la publication du roman de Steinbeck en 1936 et plus encore depuis la sortie du film de John Ford en 1940, l'histoire de ces Okies contraints, sous les effets conjugués du climat et de la crise économique, de quitter leurs fermes d'Oklahoma et de traverser la moitié du continent américain dans l'espoir de trouver du travail en Californie, est bien connue : les yeux bleus d'Henry Fonda, ça ne s'oublie pas, même en noir et blanc !

Mais désormais le film, qui ressort dans une version restaurée, s'ancre dans l'actualité immédiate.
Il ne s'agit plus seulement d'un film historique sur un moment du passé, mais bien d'aujourd'hui. Certes les migrants ne traversent plus l'Amérique dans un vieux camion poussif emportant avec eux famille et matelas; non, ils traversent la Méditerranée sur un rafiot instable, et les mains vides ! Mais la raison de leur migration est bien la même : la main mise du capital sur la vie de chacun. Impossible de ne pas y penser en regardant le film de John Ford ; chaque image, chaque réplique fait sens au regard de la situation actuelle. Et c'est bien là le plus navrant. Quoi qu'en dise Bob Dylan; le temps passe mais rien ne change. Hier l'Amérique, aujourd'hui le monde. Tant que les rapaces mèneront la danse ....

Dans un même plan, celui qui a perdu sa terre, celui qui a perdu sa foi et celui qui n'a pas encore perdu tout espoir.

On connaît la proximité de Steinbeck avec les mouvements communistes de l'époque - même aux Etats-Unis - et l'on peut certainement parler d'une conscience de gauche pour John Ford. Du coup, on ne s'étonne pas trop des allures de propagande que prend parfois le film. Toutefois, contrairement à ce que certains affirment, il n'y a dans les Raisins de la colère, aucune figure christique, aucune promesse messianique et pour tout dire aucune religiosité.  D'ailleurs on cherche en vain dans le paysage la moindre église, la moindre croix,  on ne rend pas grâce à Dieu pour la maigre portion dans les assiettes et le prêcheur a perdu la foi. Non, l'espoir n'est pas celui d'une autre vie dans un au-delà  meilleur, mais bien celui d'une amélioration immédiate des conditions sociales; ici et maintenant ! L'avenir est politique comme le suggèrent les références aux plans Roosevelt qui, à partir de 1934 ont permis aux plus pauvres de survivre.

Si le parallèle entre ce que décrit le film et la société américaine d'aujourd'hui s'impose, le constat est franchement déprimant. Les écrivains américains ont été les premiers à mettre en scène les "oubliés du rêve américain", les "laissés-pour-compte" de la croissance, ceux-là mêmes qui loin de s'offusquer du qualificatif de "white trash" s'en enorgueillissent, et qui, lassés d'être invisibles aux yeux des élites de Washington, se sont laissés prendre aux paroles du moins crédible, du plus hypocrite et du plus démagogue des candidats à la présidence. Les mineurs de West Virginia,  les ouvriers sidérurgistes de Pennsylvanie, les fermiers de l'Iowa ne sont pas très différents des Joad, pas plus riches, pas plus éduqués. Ils sont, je crois, plus démunis encore et surtout plus aigris parce qu'il voient bien que le monde n'a cessé d'avancer sans eux. On peut éprouver à leur égard la même empathie que celle qu'on éprouve à l'égard de la famille Joad. Mais le 45e président, celui pour lequel ils ont voté, n'a rien à voir avec Roosevelt, 32e président des Etats-Unis réélus trois fois. 

En 1940, le film de John Ford était encore porteur d'espoir. Où est l'espoir de demain? 


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