11 mars 2007

Lundi classique : Platon

Je n'aime pas Platon.
Je n'ai jamais aimé Platon !
Seulement voilà, le bonhomme est depuis si longtemps placé sur un si haut piédestal, il est en telle odeur de sainteté, qu'il est vraiment difficile de le déboulonner et d'avouer que non, décidément, Platon ça ne passe pas !

Ce qui ne passe pas, c'est d'abord sa façon de dialoguer, sa fameuse maïeutique. Trop facile, si tu fais toi-même les questions et les réponses d'avoir toujours raison. D'ailleurs, ses adversaires ne posent jamais la question que le lecteur a en tête et il n'y a personne pour répondre aux vraies questions des vrais lecteurs. C'est tout à fait exaspérant. Prenez Gorgias par exemple. Il est évident que Platon a une dent contre les sophistes, qu'il tient pour responsables de la mort de Socrate. Alors bien sûr il s’emploie à les ridiculiser, les uns après les autres et il les mène si bien en bateau qu'ils finissent par acquiescer comme des benêts : "Oui", "En effet ", "C'est cela! Tu as raison, Platon!" Mais le lecteur n'est pas convaincu pour autant et reste perplexe. Il finit même par se demander qui, dans ce dialogue, est le grand manipulateur des mots et des idées. Celui qui use de tous les procédés rhétoriques pour parvenir à ses fins ? Protagoras ? Pas vraiment ! Mais Platon, oui, certainement. Dénoncer la rhétorique et s’en servir sans scrupule pour discréditer ceux qui l'utilisent ... le procédé est pour le moins suspect. Mais certains, dont je ne suis pas, admireront le procédé puisqu'il est efficace. Machiavélique, oui !

Passons, ce ne sont là que jeux de mots, procédés oratoires. Ce qui me déplait chez Platon c'est son idéalisme. L'âme, l'âme, l'âme : il n'a que ce mot à la bouche ! Le monde des idées. Soit ! Mais le monde physique, il a son importance aussi, non ? Ou il compte pour des prunes ?
Je veux bien admettre que l'histoire de la caverne est assez bien ficelée. Et je reconnais que les efforts de ceux qui cherchent à se détacher de leurs fers pour pouvoir se retourner et regarder la lumière en face, c'est pas mal trouvé : on ne sort pas si facilement de l'ignorance et le savoir coûte de la peine. D'ailleurs Platon, si je me souviens bien, recommande à ceux qui sont sortis de la caverne d'y retourner pour aider les autres à se détacher et leur permettre à leur tour d'accéder à l'essence des choses. Mais fallait-il pour autant mépriser à ce point le monde matériel ? Au fond, ce qui m'irrite singulièrement c'est l'usage que les générations suivantes ont fait de l'idéalisme platonicien, et en particulier les Saint Augustin et autres "Pères de l'Eglise". C'est ici et maintenant que les hommes souffrent et c'est ici et maintenant qu'il faut les aider. Ni demain, ni ailleurs. Ni dans les siècles à venir, ni dans l'au-delà.
Oui, ce qui m'énerve dans le succès de Platon, c'est sa collusion avec le christianisme, au préjudice de l'humanité. Pourquoi l'Eglise s'est-elle entichée de Platon plutôt que d'Aristote, jusqu'à faire disparaître, ou du moins jusqu'à censurer certains de ces textes, qui nous sont revenus - il est important de le rappeler - par l'intermédiaire des érudits arabo-musulmans. Umberto Ecco, dans Le Nom de la rose propose une explication à laquelle je souscris volontiers. L'Eglise aurait interdit l'accès au texte d'Aristote sur la comédie parce qu’il n'est pas bon de faire l'éloge du rire : lorsque l'homme rit, il n'a plus peur de Dieu et s'il n'a plus peur, il n'aura pas besoin des consolations de la religion ou de la philosophie.
Mais revenons à Platon et convenez avec moi qu'il n'y a pas de différence majeure entre l'idéalisme platonicien et l'idéalisme chrétien, que l'un et l'autre affichent leur préférence pour les majuscules (et le singulier) : l’Idée, l'Âme, le Beau, le Vrai, le Bien, Dieu... Très dangereuses les majuscules. Parce qu'on finit toujours par tuer au nom des majuscules !

Et voilà bien la vraie raison de mon exécration. A force de rêver à un monde idéal, une cité idéale, à une humanité idéale, Platon, avec les meilleures intentions du monde, en vient à prôner pour les hommes ce qui se pratique pour les chevaux : l'amélioration de la race "[...] pour qu'il naisse des hommes d'élite des enfants meilleurs encore, et des hommes utiles au pays des enfants plus utiles encore [...]" C'est, à n'en pas douter, la meilleure façon de n'avoir dans sa République que des êtres conformes à son idéal, mais ce n'est plus de l'élitisme républicain, c'est de l'eugénisme platonicien! D'ailleurs, Platon va jusqu'au bout de son idée quand il écrit : "Je veux ensuite que ces fonctionnaires portent au bercail les enfants des citoyens d'élite et les remettent à des gouvernantes, qui habiteront à part dans un quartier particulier de la ville ; pour les enfants des hommes inférieurs et pour ceux des autres qui seraient venus au monde avec quelque difformité, ils les cacheront comme il convient, dans un endroit secret et dérobé au regard. Oui, dit-il, si l'on veut conserver pure la race des gardiens."
Oui, oui, c'est bien le texte de Platon, transcrit tel quel. Enfin ... la traduction que j'ai sous le nez, éditée par les Belles Lettres, dans la collection des Universités de France, sous le contrôle de l'Association Guillaume Budé. Et même si une note savante m’explique qu'en Grèce, au temps de Platon, ces pratiques étaient "autorisés par la coutume, tolérées par la loi, hautement approuvées par les philosophes" , ce Lebensborn grec me reste en travers de la gorge. N'était-ce pas aux philosophes justement de repenser le monde ?

Qu'il y ait un peu de parti pris, voire un peu de mauvaise foi dans cette diatribe, j'en conviens. Mais on ne peut demander à une matérialiste convaincue de faire l'éloge d'un idéaliste, tendance absolutiste.

Néanmoins, je me sens un peu moins seule dans ma détestation de Platon depuis que j'ai lu le livre de Claude Pujade-Renaud : Platon était malade. Non que Claude Pujade-Renaud soit elle aussi, antiplatonicienne, mais elle a une façon de mettre en scène Platon qui est absolument délicieuse parce que totalement irrévérencieuse. Non, je ne vous en dis pas plus. Courrez emprunter ce livre à la bibliothèque de votre quartier, ouvrez-le et vous serez transporté auprès des disciples de Socrate et sur la plage où Platon, grâce à l'entremise d'un jeune esclave, monte à cheval, apprend à nager et découvre qu'il a aussi un corps, et des désirs ... Ce Platon-là, décidément, me plaît beaucoup !


Aucun commentaire: