25 avril 2024

Borgo

 Une prison en Corse. Un unité "ouverte" où sont regroupés les Corses. Mélissa y est matonne. Pas facile de comprendre le fonctionnement du centre pénitentiaire quand on est nouvellement arrivée sur l'île pour bénéficier de la prime insulaire et prendre un nouveau départ avec son mari et ses deux enfants. Un jeune détenu, croisé dans un autre poste, la prend sous sa protection. Et demande un service en échange. Petit service, mais c'est le début de l'engrenage. 

Borgo n'est pas un film spécialement violent, mais on sent en permanence la tension, toujours croissante jusqu'à la résolution finale parce que le film est mené comme un thriller, croisant le parcours de Mélissa avec celui de l'enquête policière. Chronologies à rebours -  l'une va vers le meurtre, l'autre commence avec le meurtre  - qui ne font qu'accroître la tension. Le casting est parfaitement crédible et Hafsia Herzi, dans un rôle de femme à la fois forte à l'extérieur et fragile à l'intérieur est excellente. 

La crédibilité du film de Stéphane Demoustier tient au fait qu'il s'est inspiré d'un fait réel, mais aussi à l'aspect quasi documentaire de certaines séquences. Dont bien sûr je n'ai aucune envie de vérifier la véracité !



24 avril 2024

Sidonie au Japon

 Pourquoi a-t-on envie d'aller voir Sidonie au Japon, le film d'Elise Girard ?

 Pour se donner l'illusion d'un voyage au Japon? Sans doute, et le film déroule en effet pas mal de clichés sur le Japon entre courbettes du début et cerisiers de la fin en passant par toutes les règles de savoir vivre énoncées du genre "Au Japon on ne fait pas... Au Japon on ne dit pas ... ". Soit !  On peut sans doute mettre cela sur le dos de l'ironie bienveillante, pas de la caricature, mais c'est un peu limite quand même. 

Pour l'interprétation inconditionnellement louée de l'actrice principale ? Pas de chance, je ne fais pas partie des admiratrices d'Isabelle Huppert que je finis pas trouver semblable à elle-même dans tous ses rôles, toujours un peu guindée, sourire en coin. Certes c'est dans son personnage de femme qui a subi trop de deuils et ne supporte pas d'être une survivante. Mais l'émotion ne jaillit pas.

Reste l'idée principale du film, le voyage, le dépaysement comme solution au sentiment de perte et au deuil. Pas d'une originalité folle.  

Au final, un film un peu plat regardé avec indifférence





23 avril 2024

Deesha Philyaw, La vie secrète des bigotes


 Féroce et drôle? Oui, c'est sans doute ce que je peux dire de ce recueil d'histoires courtes qui surprend et accroche dès le premier texte. Sans doute parce que Deesha Philyaw a su trouver un ton, une écriture, une langue bien à elle et qui sonne juste, même en traduction ! Ses histoires parlent de femmes, de femmes noires, de femmes qui connaissent leur catéchisme sur le bout des doigts et appliquent toutes les règles de l'église ... ou pas. Et c'est dans cette articulation entre leurs désirs très charnels et leur éducation que Deesha Philyaw situe la plupart de leurs histoires. C'est souvent cru, inattendu, mais toujours drôle.  Les bigotes  de ce recueil ne sont pas des grenouilles de bénitier, ce sont des femmes de chair, on y parle de sexe, mais aussi de tendresse, on y parle couleur de peau car "noir" ne signifie pas grand chose quand il existe tant de nuances entre pâle et foncé. On y parle éducation des enfants dans des familles d'où les hommes sont absents. On y parle de femmes ordinaires qui affrontent la vie comme elles peuvent et vont de l'avant.Toujours de l'avant. 

J'ajoute que pour des lectrices qui ne vivent pas dans le Sud des Etats-Unis, qui n'ont pas été élevées sous le couvercle de la religion, qui ne sont ni américaines, ni noires.... ce livre est exotique, au sens premier du terme : perçu comme étrange et lointain et stimule l'imagination. C'est bien cela, un livre qui stimule l'imagination. Et finit par nous interroger sur nous-mêmes qui ne sommes ni noires, ni américaines.

22 avril 2024

Olivier Rolin, En Russie


 Baïkal-Amour
, lu récemment date de 2017. En Russie date de 1987. Oui, non seulement je lis les livres  de Rolin  au hasard, je les lis aussi à l'envers de leurs chronologie. Ce qui n'est pas sans intérêt parce qu'à 30 ans d'écart on peut imaginer que la Russie a changé  : la Perestroïka, l'URSS moribonde; et puis la chute et la reprise autoritaire sous Poutine. Mais si les régimes politiques changent, les peuples ne changent pas. Ni les paysages pour peu que l'on sorte des villes et des grands axes touristiques. Et ce qui ne change surtout pas, c'est le regard  de l'écrivain, curieux, intéressé, lucide, empathique mais aussi critique. Un vrai regard de voyageur. 

Leningrad et Moscou sont des incontournables, mais pour l'écrivain ce sont surtout des points de départ vers d'autres destinations comme le pourtour de la mer noire : Odessa, Yalta, Sotchi, Batoum (où l'on n'irait hélas pas se balader aujourd'hui), et le Transsibérien jusquà Irkoutz et Khabarovsk. Faveur supplémentaire, lorsqu' Olivier Rolin monte dans le train, c'est toujours un livre à la main. Cendrars, Gide ou Custine, Pouchkine, Tchekov ....

Dans l'avion de retour, Olivier Rolin s'interroge sur ce qu'il ressent, s'il est ému à l'idée de ne pas revenir. Il répond par la négative mais à peine a-t-il répondu non qu'il corrige "peut-être un tout petit peu tout de même, furtivement, à cause de la générosité de certains sourires, de certains yeux impavides, de la main tendue de la "provodnista" sur le quai d'Irkoutsk, à cause de la colère rentrée de certaines paroles, des signes d'adieu qu'un homme immobile envoie dans la nuit, du bord d'un trottoir, des derniers mots ironiques d'Evgueni à Sotchi. Et même du stylo à bille du passager de l'Ilyouchine. Et parce qu'il y a des steppes là-bas."

Les gens, oui. Et les paysages. Immenses et vides.                                                                                          Mais les gens d'abord. Ensuite seulement les paysages.

Olivier Rolin, Le Météorologue

 Troisième opus d'Olivier Rolin, lu dans la foulée. Toujours en Russie, mais il ne s'agit pas d'un récit de voyage, sauf à considérer qu'un convoi de prisonniers entre Moskou et le goulag des îles Solovki - qui passe pour être le prototype de tous ceux qui vont suivre - est un voyage. 

En tout cas, dans cet ouvrage parfaitement documenté, l'écrivain suit à la trace la vie d'Alexeï Feodossievitch Vangengheim, le météorologue du titre, déporté aux Solovki en 1934 et exécuté avec des centaiens d'autres prisonniers en 1937. Sans raison autre que la volonté de Staline.

 

Olivier Rolin n'est pas historien, mais fait ici un travail remarquable et son récit est d'autant plus convaincant qu'il retrace la vie d'un individu, un seul individu, dont on sait maintenant qu'il est représentatif de milliers d'autres individus qui ont disparu sous Staline. A l'attaque frontale contre le stalinisme, l'écrivain préfère le coin, très efficace dans l'abattage des arbres. 

Le Météorologue est un récit précis, objectif. Mais c'est aussi un livre poignant car jamais Feodossievitch n'a cessé de croire à l'erreur judiciaire et à sa possible libération, pas plus qu'il n'a cessé de croire au  communisme et à Staline !  Et puis, un livre qui commence par "Son domaine, c'était les nuages. Les longues plumes de glace des cirrus, les tours bourgeonnantes des cumulonimbus, les nippes déchiquetées des stratus, les stratocumulus qui rident le ciel comme les vaguelettes de la marée le sable des plages, les altostratus qui font des voilettes au soleil, toutes les grandes formes à la dérive ourlées de lumière, les géants cotonneux d'où tombent pluie et neige et foudre. Ce n'était pas une tête en l'air, pourtant - du moins je ne crois pas." comment ne pas le lire jusqu'au bout ? D'autant que dans les toutes dernières pages, même dans l'édition de poche, sont glissés les reproductions des dessins que le météorologue faisait parvenir à sa fille. 

 

Malgré tout, le livre refermé, un doute subsiste dans ma tête. Et si Alexeï Feodossievitch Vangengheim n'avait en réalité jamais existé et n'était qu'une brillante invention d'Olivier Rolin, puisque toutes les mentions du météorologue sur Internet, n'apparaissent qu'en référence au livre ? Me voici contaminée par le doute ... mais...  Cendrars, à qui on demandait s'il avait réellement pris le Transsibérien ne répondait-il pas : Qu'importe puisque je vous l'ai fait prendre !

16 avril 2024

Yasmina Liassine, L'Oiseau des Français

L'0iseau des Français, est un récit volontairement labyrinthique,  qui essaye de restituer le point de vue  de ceux qui ont vécu en Algérie, sans être Algériens proprement dit, ni colons. Ni Pieds-noirs ni Arabes pour faire court. Mais un peu les deux quand même puisqu'il s'agit de familles mixtes. Dans le cas de Yasmina Liassine qui se réfère à sa propre histoire, c'est une enfant née d'une mère française et d'un père algérien qui a grandi à Alger dans les années 60. Une enfant qui observe la vie autour d'elle, qui écoute les tantes, les voisines, sans vraiment comprendre de quoi il s'agit. Devenue adulte elle a pris du recul et s'interroge sur ce pays où elle a grandi, essaye de comprendre comment les populations se sont côtoyées sans se mélanger, se sont appréciées ou méprisées,  aimées parfois, détestées souvent. 

Au-delà du passé tragique et de la difficile voire impossible réconciliation des communautés, le livre de Yasmina Lliassine pousse le lecteur à s'interroger sur le rôle de l'éducation et de la culture qui devraient ouvrir les esprits, mais parfois aussi les enferme et les conduit à penser que si les autres ne font pas comme nous, ne se comportent pas comme nous, ne parlent pas la même langue, ne prient pas les mêmes dieux, ils ne sont pas comme nous. Rien de tel chez Yasmina Liassine qui dans le labyrinthe de ses souvenirs s'efforce de retenir ce que les uns et les autres ont en commun, puisqu'elle-même est un être composite.

15 avril 2024

Z de Costa Gavras

 Revoir un vieux film comme Z qui date de 1969, c'est toujours se demander s'il a vieilli, si l'enthousiasme qu'il avait suscité à l'époque était vraiment justifié. Parce qu'un film qui parle de politique est toujours vu en fonction d'un contexte. D'un double contexte en fait, celui d'hier et celui d'aujourd'hui. 

Celui d'hier ? L'assassinat d'un député grec, Grigoris Lambrakis en 1963, le coup d'état de 1967 et l'instauration de la dictature des colonels dans les années qui ont suivi; le roman de Vassilis Vassilikos dont se sont inspirés Costa-Gavras et Jorge Semprun. Alors, forcément, dans cette fin des années 60 où la jeunesse est en ébullition, le film avait marqué.

55 ans plus tard, dire que le film n'a pas pris un pli serait mentir,  mais il reste d'une redoutable efficacité. Un casting comme on en voit peu, Montand, Trintignant, Perrin, Perrier, Dux, Denner, Bofuzzi, Salvatore... peu de femmes il est vrai (on est encore au XXe siècle !)  mais Irène Pappas et Magali Noël quand même. Tous, les meilleurs de leur époque.

D'excellents acteurs donc, mais aussi un scénario bien agencé, et surtout une mise en scène et un montage extrêmement dynamiques, pas une minute d'ennui et impossible d'oublier le défilé final, quasi chorégraphié, des militaires devant le juge et dans les couloirs du palais de justice ! 

Aucun film il est vrai n'a changé la face du monde, ni entravé un coup d'Etat, ni empêché une dictature de s'installer. Mais Z sonne comme un avertissement sur la fragilité des démocraties, y compris dans un pays qui a inventé la démocratie. C'est pourquoi, bien qu'historiquement daté, il garde son intérêt. D'autant que le film s'adresse à tous les publics, pas seulement à ceux qui fréquentent les salles d'art et d'essai ou les ciné-clubs. Non à tous, vraiment. 






14 avril 2024

Gaelle Josse, A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit

 

Un "bijou" ?  Trop mignard ! Une "pépite" ? Trop galvaudé !  Non, le mot qui convient c'est "diamant ", un pur diamant, une pierre dure mais qui brille de mille éclats. Le dernier livre de Gaelle Josse est un ensemble de courts récits - pas des nouvelles, juste des récits courts, que l'on savoure l'un après l'autre, sans se presser. Des instants volés à la nuit, debout devant la fenêtre. Des instants  de vide, des instants à soi. Rêveries. Chagrins. Espoirs. Souvenirs.  Chacun de ces textes est riche d'humanité, l'écriture ciselée. ... On y revient, petits cailloux, petits éclats de lumière dans la nuit. Pourquoi en dire plus ...

05 avril 2024

Olivier Rolin, Baïkal-Amour


 

 Olivier Rolin .... j'avais lu il y a très longtemps Port-Soudan. Et j'avais beaucoup aimé. J'avais lu il n'y a pas si longtemps Extérieur monde que j'avais un peu oublié. Et puis Veracruz peut-être. J'avais lu d'autres livres comme Zones,  que je n'avais pas beaucoup aimé, mais c'était un livre de son frère et j'avais confondu Jean et Olivier. 

Et puis voilà, à l'occasion d'une rencontre dans une librairie pour le dernier livre d'Olivier, Jusqu'à ce que mort s'ensuive (que je n'ai pas encore lu ) je tombe sur ce Baïkal-Amour que je dévore gloutonnement tant il correspond à ce que j'aime dans les voyages : l'inconnu sans rien d'absolument spectaculaire, les rencontres avec des gens tout à fait ordinaires ou parfois un peu moins. Ne pas être pris par le temps, laisser passer le temps, se bercer du défilé des heures dans un train brinquebalant qui traverse jour après jour des contrées aussi magnifiques que désolées. Non pas le Transsibérien, mais le BAM, le train qui circuler sur la ligne Baïkal-Amour, entre Krasnoïarsk et Vanino où un ferry permet de passer sur l'île de Sakhaline. Oui, je sais il faudrait une carte, mais elle est dans le livre et l'on peut suivre le trajet découpé en plusieurs tronçons du bout du doigt. 

Pourquoi cet engouement pour cet assez petit livre ? Parce qu'Olivier Rolin voyage comme j'ai parfois voyagé, comme j'aimerais voyager. Parce qu'Olivier Rolin a fait plus de 20 voyages en Russie et s'est pris d'affection pour ce pays, y compris pour son côté déglingué, comme je me suis prise d'affection pour les Etats-Unis où je suis retournée plus de 20 fois. Parce qu'il porte un regard à la fois critique et amoureux sur un pays qu'il a appris à connaître, dont il est familier, mais pas suffisamment pour ne pas se laisser surprendre. Curieux toujours. jamais blasé. Je retrouve avec lui mon goût du vopyage. Mais Olivier Rolin n'est pas qu'un voyageur, il est, ce que je ne suis pas, un écrivain, avec une plume aussi légère que précise pour dresser un portrait, évoquer un paysage. Tout est juste dans son écriture. Avec juste ce qu'il faut d'érudition pour titiller le lecteur, sans l'ennuyer. 

 J'avais un peu perdu le goût de la lecture;  je l'ai retrouvé et crains qu'une autre pile (Rolin/Russie) ne s'ajoute bientôt à toutes celles qui s'accumulent depuis un certain temps sur ma commode.

04 avril 2024

C'e ancora domani

Il reste encore demain, la phrase clef de ce film que j'hésitais à aller voir parce que j'avais peur de me retrouver devant une daube commerciale tarte à la crème sur la condition féminine, avec un petit relent néo-réaliste, historique (l'après-guerre) et le noir et blanc pour le verni culturel et esthétique. Et c'est presque ce que j'ai trouvé. Presque ! Car malgré ce qui nous paraît aujourd'hui exagéré, caricatural et quasi invraisemblable, c'est bien de la domination masculine telle qu'elle était établie dans les années 40 (et au delà), en Italie (et pas seulement), qu'il s'agit, et si elle est montrée ici à gros traits c'est pour mieux en persuader les spectateurs d'aujourd'hui. Et ça marche ! Parce que Paola Cortellesi fait vivre un petit monde qui ne dépasse pas la taille du quartier où vit Delia, son macho de mari et leurs 3 enfants, sans oublier l'horrible beau-père dont la mort vient interférer avec les projets de Délia. Le film accumule les détails pour mieux faire comprendre la situation de Délia, brave petit cheval qui avance malgré les coups; la réalisatrice sait très habilement suggérer la violence physique tout en pratiquant l'art de l'esquive et ménager des effets de surprise tout au long du film. La séquence américaine m'a cependant paru un peu trop tirée par les cheveux, mais plutôt drôle quand même. Comment éviter à votre fille de tomber dans les pièges dans lesquels vous êtes vous-même tombée ! La méthode est pour le moins explosive. 

De scène en scène, mes réticences vis à vis du film sont tombées; en effet  la réalisatrice joue sur l'empathie du spectateur qui limite, aimerait intervenir, souffler à Délia ce qu'elle devrait faire, l'encourager, voire la bousculer... mais le retournement final, que bien sûr je ne peux commenter de peur de vous "divulgâcher" le film est tout simplement jouissif  ! Totalement inattendu. 

Paola Cortellesi est la réalisatrice, la scénariste et l'actrice principale de ce film dont les entrées en Italie ont été supérieures à celles de Barbie ou d'Oppenheimer. Jolie réussite, non ?





03 avril 2024

Nathaniel Ian Miller, L'Odyssée de Sven

 

 

Nathaniel Ian Miller est éleveur de bétail dans le Vermont !  C'est en tout cas ce qu'annonce l'éditeur en 4e de couverture. Ce doit être, je suppose, un argument commercial car, avec L'Odyssée de Sven Nathaniel Ian Miller fait surtout la preuve qu'il a l'étoffe d'un romancier. D'un bon romancier !  Qui s'appuie sur des bribes d'histoire réelles pour construire autour du personnage de Sven une formidable odyssée, pleine d'embûches et d'obstacles.

A l'étroit et en difficulté dans sa première vie de suédois pauvre, défiguré par un accident dans une mine, Sven lâche tout pour rejoindre le Spitzberg, territoire glacial et peu accueillant, mais qui d'une certaine façon lui correspond et va lui permettre peu à peu de découvrir ce dont il est capable. Autour de lui des personnages pas toujours bienveillants, mais toujours pittoresques, d'autres, aussi cultivés que généreux, ce qui est plus inattendu.  El les jours se déroulent, puis les années dans des paysages certes grandioses mais où la question de la survie se pose constamment. 

Lire L'Odyssée de Sven c'est renouer avec les romans d'aventures de notre adolescence, les Jack London, Daniel Defoe, Jules Verne ... C'est aller vers l'inconnu. Un inconnu âpre et rugueux, définitivement hors du commun. Rien de tel qu'un bon livre comme celui-ci pour échapper à la morosité du quotidien et à relativiser nos difficultés.



02 avril 2024

Ojoloco 2024 : Totem

 

 C'était le film de clôture et effectivement je l'ai trouvé plus abouti que les films que j'ai pu voir pendant le festival. Mais il est vrai que je n'en ai pas vu beaucoup et que j'ai manqué Valentina o la Serenidad d'Angeles Cruz, qui a obtenu le prix du public et le prix du juré étudiant. 

Totem est une espèce de chronique familiale, chronique d'une journée puisque dans cette maison où se croisent et se recroisent toute une gamme de personnages, se prépare une fête pour l'un des leurs, gravement malade. Chacun vaque à ses occupations s'agite, prépare la fête, se prépare pour la fête et comme il y a beaucoup de monde dans la famille, on assiste à un tourbillon de gens, mais aussi d'émotions. Et c'est le côté le plus intéressant du film: il y a de la joie, des rires, mais aussi de la colère, de l'angoisse, et peut-être du désespoir. Des disputes aussi, et du chagrin. Bref la vie avec ses hauts et ses bas, et tout ce qui se dit ou se tait dans une famille .

Lila Avilès, la réalisatrice, procède par petites touches impressionnistes, sa caméra glisse d'un personnage à l'autre, d'un lieu à un autre, toujours au plus près des ces personnages. Tout se mêle et tout s'emmêle jusqu'à l'ellipse finale. Oui j'ai bien aimé Totem et comme il s'agissait d'une avant-première, il ne devrait pas tarder à arriver sur vos écrans !


30 mars 2024

Ojoloco 2024 : Mientras todos pasa

Un film doux et lent sur l'insaisissable période entre enfance et adolescence. Au choix : fascinant ou horripilant.  Je l'ai surtout trouvé languissant.  Mais il ne dure que 60mn et c'est un premier film. Le prochain film de Sofia Introcaso sera sans doute plus rythmé...


29 mars 2024

Ojoloco 2024 : Betânia



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 Le film de Marcelo Botta est l'occasion de découvrir un paysage extraordinaire, celui du parc national  des Lençois Marahenses au Brésil : dunes de sable plus blanc que sucre, lagunes vertes ou bleues, et parfois couvertes de fleurs ? Le genre de paysage qui vous donne immédiatement envie de craquer votre empreinte carbone pour prendre un billet d'avion et voir en vrai. 

Betânia est aussi l'occasion de découvrir comment vivent ceux qui habitent près de ce parc national, entre traditions et modernité. Pas d'électricité, mais des téléphones portables ? Rituels ancestraux, mais super quads ? Pauvreté matérielle, mais richesse humaine ? Le thème du passage plus ou moins chaotique à la modernité, et de la nécessaire adaptation au changement est joliment incarné par le personnage de Betânia et sa famille et serait suffisant pour intéresser le spectateur sans l'ennuyer. Mais le réalisateur a la main lourde et en ajoutant leçons d'écologie et sarcasmes à l'encontre des touristes (caricaturaux certes mais horriblement mal joués), il finit par lasser malgré les multiples panoramiques sur le sublime paysage. A force de vouloir trop en faire.... 

Résultat, Betânia reste un film brouillon qui multiplie les plans inutiles, défaut encore accentué par le montage saccadé. Réalisateur de séries télévisées, Marcello Botta a apparemment beaucoup à dire, mais n'a peut-être pas encore trouvé son rythme pour un long métrage.


 


26 mars 2024

Jan Carson, Les Ravissements


 Pas évident de chroniquer ce roman de Jan Carson, parce que les premiers chapitres donnent l'impression que l'auteure peine à trouver sa voix, hésite entre un récit à la première personne  - mais la voix d'un enfant limite toujours un peu les possibilités - et un récit à la troisième personne. Il faut donc du temps pour entrer dans le livre et un peu de patience pour continuer parce que Jan Carson est du genre prolixe et accumule les détails qui restituent  en effet un univers mais ... Alors je suis passée à la vitesse rapide. 

Quelle que soit la vitesse de lecture, le roman reste néanmoins très intéressant parce qu'il s'agit de mettre en scène une enfant, Hanna, sa famille (fondamentaliste), les habitants d'une petite ville d'Irlande du Nord et de leur faire traverser un mal inattendu  - non ce n'est pas le Covid - qui  touche tous les enfants de la classe d'Hanna. Sauf elle ! A partir de ce moment, le roman tourne au thriller et l'on se dit que si la romancière a un peu tardé à accrocher son lecteur, c'est pour ne plus le lâcher. 

Je n'irai pas jusqu'à parler, comme le fait son éditeur, de réalisme magique simplement parce qu'Hanna "communique" avec les morts. Il se passe tant de choses dans l'esprit d'un enfant ! Je pense en revanche que la minutie avec laquelle Jan Carson décrit les comportements de ses personnages, leurs attitudes, leurs propos, relève d'une observation attentive et pour finir j'ai trouvé le roman d'une grande finesse et d'une grande justesse. 

25 mars 2024

Ojoloco 2024 : La Practica

Je crains de ne pas aimer beaucoup les films comiques. Si tant est que La Practica soit un film comique ? Parce que je n'ai pas entendu beaucoup de rires pendant la séance à laquelle j'ai assisté. Comique de situation, comique de répétition avec ce professeur de yoga, sans charisme aucun, qui ne cesse de se faire mal jusqu'à finir plâtré. S'agit-il de tourner en dérision les adaptes du yoga, d'en dénoncer la docilité, ou la rigueur pour ne pas dire la rigidité de leur comportements, même en dehors de leur pratique ? Cela me paraît un peu excessif. Quant à suggérer que les blessures physiques ne sont que le symptômes de blessures à l'âme non identifiées... oui, sans doute. Mais en attendant je me suis bien ennuyé. Et affubler une jeune fille de nattes blondes pour en faire une allemande, franchement ... ou alors le film est trop subtil pour moi ! 


Chroniques de Téhéran

 

 

Chroniques de Téhéran est un film tout à fait inhabituel et tout à fait passionnant parce qu'avec un dispositif d'une grande simplicité et d'une grande efficacité il met en scène quelques moments de la vie quotidienne à Téhéran.  9 au total. Le dispositif est toujours le même, un plan fixe, un personnage face caméra, face à un interlocuteur dont on ne voit pas le visage mais dont on entend les propos, si bien que le spectateur se retrouve en quelque sorte à sa place et par conséquent, totalement impliqué. Le dialogue est toujours calme, mais devient rapidement incongru, loufoque, bizarre comme lorsqu'un jeune père vient déclarer la naissance de son fils qu'il entend appeler David, ou un autre homme qui vient pour une formalité administrative, se voit contraint de se déshabiller pour montrer ses tatouages... en l'occurrence le texte d'un poème.

Ali Asgari et Alireza Khatami, qui ont, à coup sûr lu Kafka et Ionesco, ont réussi un petit bijou de film, drôle, intelligent, qui permet de dénoncer les absurdités du régime des mollahs et ... d'échapper à la censure. Censure que l'on voit d'ailleurs à l'oeuvre dans la séquence où un réalisateur est contraint d'arracher par paquets les pages de son scénario pour obtenir le très espéré visa. d'autorisation. Rien de méchant dans ces Chroniques de Téhéran, mais beaucoup de finesse. Le film commence par un long plan fixe sur la ville, suffisamment long pour passer de la nuit à la lumière du jour (un indice) ?  et un s'achèbe sur dernier plan, comme une trouvaille : la caméra a changé de place et fixe désormais un vieillard figé, tordu, proche de l'effondrement. Derrière lui une grande baie vitrée d'où l'on aperçoit la ville.... dont les murs se mettent soudain à trembler. 

D'accord, j'ai un peu "spolié" le film, mais vous n' interpréterez
peut-être pas la fin de la même façon quand vous irez voir le film. Car vous irez le voir !

 


24 mars 2024

Ojoloco 2024 : Saravah

 En "pré-ouverture" du festival, juste avant El Professor, était projeté un vieux film de 1969 : Saravah de Pierre Barouh. Pas un film de fiction, pas un vrai documentaire non plus; plutôt un film comme un vieil album de famille, où le musicien retrouve de vieux copains pour parler de la musique qu'ils aiment, la musique populaire brésilienne, samba en tête évidemment. 

Bien que le film ait été restauré, l'image est parfois un peu floue, les cadrages pas toujours habiles, mais cela importe moins que l'ambiance, celle d'une passion partagée. Entre musiciens, mais entre inconnus aussi bien :  à une terrasse de café, les musiciens jouent, les chanteurs chantent, des airs si connus que les spectateurs mêlent leur voix à celle de Maria Bethania qui chante comme elle respire, rit à gorge déployée, toute à la joie de la musique. Musique populaire, plaisir partagé. Saravah .... un voyage musical et comme une envie de Brésil.



Ojoloco 2024 : El Profesor

 Ojoloco !  voilà bien 10 ans que je suis ce festival de cinéma ibérique et latino américain. Sans me lasser. Et toujours frustrée de ne pas pouvoir voir TOUS les films. 

Pas question donc de manquer le film d'ouverture, souvent consensuel pour n'effrayer personne. Hélas le film choisi cette année, El Professor, réalisé par Maria Alché et Benjamin Naishtat ne m'a pas convaincue. Cette histoire de rivalité entre deux universitaires, l'un timide, maladroit, introverti, l'autre sûr de lui, vantard, arrogant m'a paru convenue. D'autant qu'en 2022, le festival avait déjà proposé un film  - brillant et extravagant - sur le même thème, mais dans le milieu du théâtre : Compétition officielle. Alors, forcément ... 

Oh, bien sûr, on peut y voir un fait de société, à savoir que ce sont toujours les "grandes gueules" qui l'emportent et que pour construire une carrière universitaire - ou n'importe quelle autre carrière - il vaut mieux être brillant que terne et effacé. Mais pour en faire la démonstration, j'aurais aimé un film plus pétillant, plus léger. Ce n'est pas le cas de El Professor, dont le comique est souvent bien lourd. 



23 mars 2024

Bye Bye Tibériade

Bye Bye Tibériade est un objet filmique non identifié. Impossible à ranger dans un genre. Pas un film de fiction. Pas un film documentaire. Quelque chose qui ressemble à une autobiographie ou en tout cas une histoire familiale, celle d'une petite fille devenue adulte qui feuillette un album-photo pour raconter les trois générations qui l'ont précédée : sa mère, qui a quitté la Palestine de son plein gré pour devenir actrice, sa grand-mère et son arrière grand-mère chassées de leur pays en 1948, lors du grand déplacement qui a souvent éparpillé les familles. Une grande tante se retrouve ainsi en Syrie et les deux soeurs ne se sont pas vues depuis 3o ans ! 

Lina Soualem, la réalisatrice, est née en France. Sa mère l'emmenait en vacances dans sa famille en Palestine mais que sait-on quand on est enfant de l'histoire des adultes ? Devenue adulte à son tour Lina a entrepris de reconstituer, avec l'aide de sa mère, l'histoire familiale. Et cela donne un film tendre, un film drôle, plein de nostalgie, plein d'humour. Sa mère, l'actrice Hiam Abbass est de presque tout les plans, et rejoue parfois certaines scènes  du passé pour mieux faire vivre les souvenirs. Un joli film, vraiment. 

 




22 mars 2024

Dimitri Rouchon-Borie, Le Chien des étoiles

Je n'avais pas voulu lire son précédent roman, trop dur, trop noir, trop violent pour moi. J'ai commencé Le Chien des étoiles avec réticence et les premiers chapitres ne m'ont pas incitée à poursuivre : trop de vies massacrées, des vies d'enfant qui plus est. Mais peu à peu le ton change, la réalité reste brutale, mais les êtres que l'on suit, Gio, Papillon et Dolorès ne le sont pas. Gio est grand et fort, c'est un géant fragile, un géant au grand coeur, qui prend sous sa protection les deux autres, des enfants perdus à qui la vie n'a fait aucun cadeau. Le fil est tiré, les chapitres se suivent et je n'ai plus lâché le livre. Car il y a, malgré la noirceur, de la tendresse entre ces trois êtres, de la solidarité bien sûr,  de la bienveillance aussi, tout ce à quoi le lecteur légitimement aspire. 

Sans compter que l'auteur, Dimitri Rouchon-Borie a une façon bien à lui de donner vie à ses personnages, de pénétrer dans leur tête, de restituer leur langage intérieur qui permet au lecteur d'éprouver pour eux de l'empathie et pas seulement de l'intérêt. Et je n'ai pas regretté ma lecture.



15 mars 2024

Inch Allah un fils

L'histoire se passe en Jordanie, mais pourrait aussi bien se passer en Iran, en Arabie Saoudite ou dans n'importe quel pays où la femme n'est pas reconnue comme l'égale de l'homme. 

Le mari de Nawal meurt soudainement. Il a des dettes envers son frère, qui dès le lendemain des funérailles, tout en proclamant son affection pour sa belle-soeur et sa nièce, exige d'être payé immédiatement et s'empresse de lancer les démarches successorale pour récupérer sa part d' héritage car, selon les lois de ce pays, les biens de celui qui n'a pas de fils appartiennent pour moitié à sa famille (donc son frère), pour moitié seulement à sa femme, même si c'est elle, qui par son salaire et sa dot a contribué à l'achat de l'appartement. Mais Nawal est une femme forte et elle se bat pour ne pas se retrouver sans logement et perdre la garde de sa fille. Tel est en résumé le sujet principal de ce film, mais le réalisateur, Amjad El Rasheed, en profite pour aborder bien d'autres sujets sur la condition féminine. 

Nawal n'est pas une militante féministe, son combat est solitaire, mais c'est une femme debout, qui ne plie pas, parce qu'elle sait ce qu'elle vaut ! Nawal est musulmane, elle porte le voile; elle ne met pas en cause la religion, mais bien la façon dont les hommes l'utilisent pour s'approprier tous les pouvoirs. Mais ce qui m'a le plus frappée dans ce film, c'est la façon dont les femmes elles-mêmes - hormis Nawal bien sûr - loin de remettre en cause les règles qui les oppriment, les acceptent sans rechigner et contribuent même à leur perpétuation. 

Le film d'Amjad El Rasheed est une remarquable dénonciation du patriarcat en place dans un pays musulman. Pourtant, avant de s'en offusquer il est peut-être bon de s'interroger sur les droits des femmes en France dans les années 50 : ni contraception, ni avortement, ni indépendance financière, ni liberté de travailler sans autorisation maritale .... certes depuis, nous avons progressé, mais il reste encore du chemin à faire non ?

12 mars 2024

La suite des jours

Jour gris, jours bleu à Marseillan



 

05 mars 2024

Walk up

Ce ne sont pas les personnages principaux.  Ou alors une version antérieure ... Mais l'image ne rend pas trop mal l'esprit du film : beaucoup de blanc un peu de noir, un lieu clos par des murs (bien qu'on soit en extérieur ), un plan resserré, mais deux personnages à distance que seul le geste de la main droite rapproche, un geste maladroit; de toute évidence les acteurs ne sont pas des fumeurs !

Les films de Hong Sang Soo sont décidément bien étranges;  celui-ci en particulier, à la fois très visuel mais plutôt statique, lieux exigus, caméra rapprochée toujours centrée sur les personnages, ce qui convient bien à de longs plans avec champ/contre-champ, qui donnent la priorité au dialogue sur le mouvement, presque du théâtre. On pense à Godard, à Resnais à  Truffaut, ou Antonioni; on se dit que la Nouvelle vague  et l'incommunicabilité c'est du passé déjà lointain, mais que Hong Sang Soo c'est malgré tout le cinéma d'aujourd'hui. Autofiction sans doute puisque le personnage principal est un réalisateur célèbre, perdu dans son passé, entre ses maîtresses, sa fille,  l'alcool.... Ellipses temporelles et spatiales : on reste dans le même immeuble, mais la chronologie se brise chaque fois qu'on change d'étage ? 

Au final je ne sais pas si j'ai "aimé" le film,  ni si je l'ai compris, mais je l'ai trouvé assez intriguant pour ne pas m'ennuyer. C'est déjà beaucoup.
 

04 mars 2024

John Woods, Lady Chevy

Et voilà un roman où l'on n'a pas le temps de s'ennuyer. Avec un personnage hors du commun : une jeune fille forte et intelligente que ses camarades de classe ont surnommé Chevy "parce qu'elle a le derrière comme une Chevrolet". Amy fait avec, comme elle fait avec une famille pas vraiment idéale, mais qui essaye de s'en sortir. Pour cela le père a signé un contrat avec une société minière qui lui a acheté les droits sur le sous-sol de son terrain pour exploiter les gaz de schistes. Et nous y voilà !  Dans l'Amérique pauvre, l'Amérique des déclassés, l'Amérique sans éducation, sauf cette jeune fille qui ne rêve que d'être admise dans une grande université pour devenir vétérinaire. Et elle est prête à tout pour y arriver. A tout !

Lady Chevy a tous les atouts du roman noir, une intrigue solide dans un contexte social bien documenté et comme assez vite, on se prend de sympathie pour la jeune fille, on tremble pour elle et on aimerait pouvoir lui éviter les pièges dans lesquels elle se fourre. Une espèce de "fatum" qui pèse sur elle jusqu'au dénouement. 

On peut éventuellement reprocher à John Woods d'en faire un peu trop, de multiplier les thèmes (écologie, racisme, harcèlement, drogue, homosexualité), travers véniel d'un premier roman, compensé par son habileté à créer un personnage de jeune-fille forte et volontaire, mais parfois ... dérangeante parce qu'elle contraint le lecteur à s'interroger sur ses choix, sur ce qui est admissible ou ne l'est pas pour parvenir à ses fins, et, en fin de compte sur la frontière entre le bien et le mal. Ce n'est pas rien pour un premier roman. J'attends déjà le suivant ...


02 mars 2024

Dune

 Pas vu le premier épisode. Mais lu le livre. Il y a longtemps. Vu le 2. Beaucoup baillé ...

Trop de scènes guerrières. Trop d'images spectaculaires. Pour une intrigue résumée à "il devra choisir entre l'amour de sa vie et le destin de l'univers" comme si les héros choisissaient jamais l'amour ! De là à dire que Dune est un film politique, qui dénonce les totalitarismes, les dictatures (héridaires ou non), le terrorisme, le panurgisme, la crédulité, la soumission sectaire, la violence bref, tous les maux du monde....je veux bien. Mais je pense que personne n'est dupe, surtout pas le réalisateur, Denis Villeneuve, qui reconnaît donner la priorité à l'image et aux effets visuels. Soit ! Mais  2h46, c'est quand même long pour des images, aussi grandioses soient-elles.



28 février 2024

Gouzel Iakhina, Convoi pour Samarcande

 Ecrivaine russe, originaire de Kazan, Gouzel Iakhina est une romancière prolixe : trois gros livres (seul le dernier fait un peu moins de 500 pages !) publiés en 6 ans, mais c'est une écrivaine qui sait à merveille jouer des ressorts du romanesques, tout en s'appuyant sur des éléments qui relèvent de l'histoire de l'URSS et ses livres sont du genre qu'on ne lâche plus une fois qu'on les a commencés.

Le tableau qu'elle fait de l'URSS des années 20 n'a rien de reluisant et l'on retrouve dans ses trois romans ce qui a marqué les premières années, particulièrement chaotiques de la révolution soviétique : crise économique,  famines et déportations de populations. 

Dans Convoi pour Samarcande il s'agit de sauver des enfants recueillis dans un orphelinat de Kazan et de les convoyer vers des territoires plus hospitaliers et des cieux plus cléments à 3000 km de Kazan.  500 enfants affamés, apeurés, malades, grabataires... Daiev, jeune vétéran hanté par la guerre civile qui a mis les soviets au pouvoir est chargé de ce convoi, aidé dans sa tâche par l'exigeante commissaire Blanche et le gros infirmier Boug. Les difficultés s'accumulent au fil du voyage qui ressemble de plus en plus à une traversée des enfers. Gouzel Iakhina construit son roman en multipliant les péripéties, alternant échecs tragiques et petite victoires. Elle parvient à donner un nom et une personnalité à la plupart de ses personnages, y compris les enfants et n'oublie jamais, même dans les moments les plus noirs de garder la possibilité d'une trève dans le malheur, d'un contrepoint à la tragédie.

Convoi pour Samarcande se lit comme un roman d'aventures, qui fait passer le lecteur par toutes sortes d'émotions parce qu'il oscille constamment entre le réalisme le plus noir, façon Zola, et le merveilleux voire le fantastique. Quelque chose comme le réalisme magique de la littérature sud-américaine ? 

Les romans de Gouzel Iakhina sont apparemment appréciés en Russie où l'écrivaine a été récompensée par plusieurs prix. Ce qui me pousse à croire que dans un pays où l'on s'efforce constamment de réécrire l'histoire, où depuis toujours les faits ont été falsifiés pour exempter le régime de ses responsabilités, où l'on se méfie des essayistes et des journalistes, la littérature, qui sait mêler l'Histoire à la fiction, est plus à même de faire comprendre ce qui s'est réellement passé et ce que le peuple a vécu.

27 février 2024

Bellissima

 


La Magnani, la Magnani, la Magnani ! L'intensité de son regard, la mobilité de son visage, la puissance de son jeu ... je ne suis pas la première à faire l'éloge de la Magnani, mais revoir ses films c'est toujours la certitude de se retrouver subjuguée par l'actrice, capable de passer du rire le plus tonitruant à la subtilité d'un sourire en coin qui en dit long ; un poing sur la hanche, un regard qui vous cloue, une parole qui claque... Elle est encore et toujours fascinante.  

Bellissima n'est que le troisième film de Luchino Visconti,  mais la façon dont il met en scène ce personnage féminin, forte en gueule, à la fois naïve et dupe de rien, la façon dont il l'entoure de personnages secondaires, mais tout aussi bien typés, la façon enfin dont il se moque du milieu du cinéma et de ses douteux fantasmes de gloire, milieu auquel il appartient pourtant, me semble annoncer la patte d'un grand réalisateur. Moins baroque, moins fantasque mais pas moins profond.

Et puis retrouver ce cinéma italien des années 50, qui avait tant à dire sur l'état de la société, est un plaisir  qui ne se refuse pas.

18 février 2024

A man

 A man est un film élégant, à l'image de l'avocat qui mène l'enquête sur la véritable identité de l'homme  que Rie, une jeune veuve avec un enfant, a rencontré, aimé, épousé et qui vient de mourir. Kei Ishikawa propose ici en images, une réflexion sur l'identité, sur l'usurpation d'identité et, plus que sur le phénomène des "évaporés" auquel on voudrait réduire le film, sur la difficulté qu'il y a à connaître l'autre et en fin de compte soi-même. C'est bien fait, c'est intelligent, les acteurs sont parfaits dans leur rôle, la mise en scène est d'un classicisme irréprochable. C'est peut-être là son défaut : on ne peut rien reprocher au film, mais on reste sans émotion, alors que le sujet pouvait, aurait dû apporter un peu de trouble, ou d'inquiétude.

 

Denis Rouvre

 L'exposition présentée en ce moment par le Musée Hébert est étonnante. D'abord parce qu'elle est double et propose un parcours assez classique autour du vêtement au XIXe siècle, dont on perçoit toutes les contraintes. Mais, dans la grande galerie, ce sont les photos de Denis Rouvre qui fascinent : des portraits essentiellement et quelques photos de groupe. Des photos posées, composées, structurées, travaillées, des portraits façon "grand siècle", des scènes d'intérieur dans des décors d'autrefois, des poses, des attitudes, des mises en scène dont chaque détail a soigneusement été élaboré et la mise en lumière particulièrement travaillée. L'impression première est celle d'une galerie de portraits à l'ancienne, bien que les couleurs soient à la fois plus sombre, plus vives, plus contrastées. Ce n'est qu'au plus près de la photo que l'on comprend l'intention du photographe qui a travaillé avec la communauté Emaüs, y a trouvé ses modèles, ses costumes, ses éléments de déco; le reste est affaire de talent. Les personnages de Denis Rouvre sont certes vêtus d'oripeau, mais la photographie les transfigure, les magnifie et leur rend toute leur dignité. 

https://www.rouvre.com/fr/gallery/29/ground-zero



PS. Ne pas se contenter des quelques images empruntées au site de Denis Rouvre. Ces photos il faut aller les voir "en vrai". L'exposition sera en place jusqu'au 23 Septembre.

https://musees.isere.fr/expo/musee-hebert-denis-rouvre-photographies?musee=17




 

 

15 février 2024

Anne Sinclair, 21 rue de la Boétie


 Un livre choisi au hasard sur une de mes PAL -  a vrai dire choisi surtout pour son petit nombre de pages entre deux monstres de plus de 800 page, oui les livres se choisissent parfois comme cela - et me revoilà plongée dans les histoires de la guerre. Celle de 40. 

Il s'agit d'un récit largement autobioraphique, Anne Sinclair, à qui l'administration demandait de faire la preuve de sa quadruple ascendance française se replonge dans son histoire familiale, centrée autour de son grand-père maternel : Paul Rosenberg, marchand d'art, collectionneur averti et passionné qui a contribué a faire connaître et apprécier les grands peintres de la fin du XIXe et du XXe siècle, les impressionnistes d'abord, les cubistes ensuite, ami de Picasso, de Matisse et de bien d'autres. Mais la guerre contraint le galeriste à l'exil, ses biens sont spoliés ... 

Paul Rosenberg, vu par sa petite fille est un personnage d'importance, pas toujours sympathique d'ailleurs. En lisant le livre d'Anne Sinclair on s'aperçoit qu'il n'est pas si facile de trouver le bon point de vue et le ton juste pour raconter une histoire qui relève de l'intime autant que de l'essai historique ou du récit journalistique. Une hésitation qui rend la lecture parfois un peu chaotique. 

Sorj Chalandon, Enfant de salaud

Lire Enfant de salaud, c'est se plonger deux fois dans la boue : celle du procès de Klaus Barbie, que l'auteur a suivi en tant que chroniqueur judiciaire et celle de la vie de son père qui pendant la guerre de 40 n'a cessé de changer de camp, opportuniste ou mythomane, sans doute les deux. 

Présenté comme un roman, le livre s'appuie sur des faits indéniables, mais l'écrivain se donne la liberté de manipuler la vérité, comme il se donne la liberté de mêler son histoire intime (la relation à son père) avec l'histoire officielle, enregistrée, documentée. Au final c'est assez perturbant parce que les doutes et les soupçons finissent par s'immiscer partout, dans toutes les pages, entre toutes les lignes. Plus on avance dans le roman, plus on s'interroge; on se demande s'il est jamais possible de savoir exactement ce qui s'est passé, de connaître la responsabilité (la culpabilité?) de chacun. D'autant que le roman n'est pas seulement une construction intellectuelle : le récit à la première personne permet de faire partager des émotions, que ce soit devant la tentative désespérée du fils pour établir une relation vraie avec son père, devant l'évocation de la rafle des enfants d'Izieu ou des sévices infligés par les nazis à leurs prisonniers, ou devant la morgue de Barbie et les agissements de Jacques Vergès, son avocat. Le "roman" de Sorj Chalandon est en tout cas un roman troublant.

 



14 février 2024

Le Condorcet de Badinter

 

 

 Le livre d'Elisabeth et Robert Badinter, Condorcet, Un intellectuel en politique est sorti en 1989. Dans la cohorte de tous les livres qui ont marqué le bicentenaire de la Révolution. Mais celui-ci est du genre qui ne s'oublie pas. Car, s'il s'agit bien d'une biographie, elle est non seulement précise et bien documenté, qualités que l'on est en droit d'attendre de tout ouvrage historique, mais elle met en oeuvre des qualités littéraires qui en font un ouvrage extrêmement agréable à lire. 

En lisant le livre des Badinter, j'ai beaucoup appris sur l'auteur de L'Esquisse d'un tableau historique de l'esprit humain - oeuvre majeure du XVIIIe siècle que j'ai toujours eu à coeur de faire connaître - beaucoup appris sur le démocrate, le féministe, l'humaniste qu'était Condorcet, mais j'en ai appris presqu' autant sur le couple Badinter qui de toute évidence partageait les idées et les valeurs du philosophe. En parlant de Condorcet, c'est un peu d'eux-mêmes qu'ils parlaient. En filigrane, à demi-mots, avec pudeur bien sûr, mais il est évident qu'ils poursuivaient les mêmes combats et qu'ils étaient du même côté, celui du respect de l'être humain. Après tout, lorsqu'en 1793 il a fallu décider de la culpabilité du roi et du châtiment à lui infliger, Condorcet a voté  pour "la peine la plus élevée à l'exception de la mort," refusant lui aussi qu'un homme soit coupé en deux. 


11 février 2024

L'Homme d'argile

 L'art ou plutôt les artistes, leur vie privée, leurs méthodes de travail... Anselm (Kiefer), Bonnard, Dali, Ricardo (Cavallo)... en quelques mois cela fait beaucoup de films sur des peintres, comme si l'art, la peinture en particulier, était devenu le nouveau hochet des cinéastes. 

Le film d'Anaïs Tellenne, L'Homme d'argile échappe à cette tendance parce que ce n'est ni un biopic ni un documentaire sur un artiste connu, mais une fiction sur la relation qui peut s'établir entre un artiste (en l'occurrence une femme) et son modèle (en l'occurrence un homme). Raphael, dont la laideur massive inspire Garance est un être frustre, naïf. Connue pour ses installations et sesprovocations artistiques, Garance se lance ici dans la sculpture et travaille l'argile avec une sensualité évidente. Le film joue sur l'ambiguïté de ces deux regards qui se croisent et s'entremêlent avec des intentions bien différentes : elle porte sur son modèle un regard d'esthète alors que lui, amoureux transi, la dévore des yeux.


Peu de dialogues, beaucoup de scènes nocturnes, de scènes d'intérieur où tout se joue, le possible et l'impossible,  dans l'intimité de la création artistique qui abolit les différences. A l'extérieur la réalité n'en paraît que plus triviale. Indifférent à l'âge comme aux conditions sociales, l'art permet de voir la beauté là où elle n'existe pas et d'entrecroiser brièvement deux mondes que tout oppose. Pour un premier film, c'est plutôt réussi.


08 février 2024

La zone d'intérêt

 Je crains que beaucoup ne fassent la grimace en découvrant le sujet du film. Oui, il s'agit encore de la guerre et du nazisme. Oui il s'agit bien des camps d'extermination. Mais le point de vue adopté par Jonathan Glazer est particulièrement intéressant. Parce que oui, nous sommes bien à Auschwitz, mais en dehors du camp, de l'autre côté du mur. Du camp lui même, on n'aperçoit d'ailleurs que le haut des bâtiments, ou parfois - rarement -  la longue cheminée d'où sort une fumée grise

Jonathan Glazer est un réalisateur habile, qui non seulement utilise toutes les ressources du cinéma, effets visuels ET sonores, mais sait aussi innover comme dans cette séquence initiale où l'on ne voit rien d'autre sur l'écran que du gris, un gris moche, un gris sale. Comme une mise en condition du spectateur qui se retrouve au plan suivant  au bord d'une rivière, les herbes sont hautes, on est en été, maillots de bain, rires, gambades... les corps, très blonds, très blancs sont plus ou moins dénudés, déjeuner sur l'herbe ... des références picturales, ou cinématographique.; une autre séquence dans un jardin fleuri, au début de l'été, une jeune mère attentive penche son bébé vers les fleurs pour lui en faire respirer le parfum. Un vrai chromo, avec quelque chose d'un peu trop ordonné, des couleurs un peu froides qui empêchent d'adhérer pleinement à cette image du bonheur en carte postale. 

Le film distille un malaise qui ne fait que s'accentuer lorsque la mère de famille essaye un manteau de fourrure dont on a vite compris la provenance, lorsqu'elle ricane avec son mari ou refuse de le suivre dans sa nouvelle promotion parce qu'elle aime trop sa maison, son jardin, sa piscine ... Monstrueuse cette femme qui refuse de voir, de savoir ou plutôt qui sait et approuve ? Monstrueux son mari dont le seul souci est le gain en efficacité, qui lui permet d'augmenter la rentabilité du processus d'extermination, chef d'entreprise efficace, fonctionnaire zélé ? Monstrueux ces gens ? Non. Ce film ne fait que montrer la banalité du mal, au sens où l'entendait Hanna Arendt, en posant la question de l'absence ou de l'annihilation du sens moral. Chez certains individus ? Dans une population entière ? Dans certaines conditions?  Je ne pense pas que La Zone d'intérêt apporte la moindre réponse, la moindre explication à ces question qui malgré les apparences n'ont rien perdu de leur actualité. Au spectateurs de poursuivre la réflexion avec les éléments que le cinéaste lui a donnés.

07 février 2024

Laurent Gaudé, Salina


 C'est un chant, c'est un poème, c'est une épopée. C'est le dit de Salina raconté par son fils. Son troisième fils. C'est une histoire d'amour et de haine, de violence et de tendresse. Une histoire comme un conte cruelle, un récit que ne connaît que la démesure. 

Salina les trois exils est un livre envoûtant, qui se lit d'une traite, mais ne se raconte pas. Laurent Gaudé (Le Soleil des Scorta, La Mort du roi Tsongor) est un écrivain hors du commun dont les textes se disent et s'écoutent autant qu'ils se lisent parce que sa parole est musique. 

06 février 2024

La tête froide

 Encore une histoire de migrants ? Oui, mais celle-ci est bien d'aujourd'hui. Et elle est vue du côté des passeurs avec toute l'ambiguïté que cela suppose. Parce que lorsqu'il s'agit de faciliter le passage clandestin d'individus d'un pays à l'autre, rien n'est simple vraiment. 

Marie vit dans la précarité  - un bungalow dans un camping - quelque part du côté de Briançon. Pour payer son loyer elle fait de la contrebande de cigarettes, aidée par un ami policier qui lui indique la route à prendre pour éviter les contrôles. Une nuit, elle porte secours à deux clandestins en détresse et la voilà prise dans un engrenage dont il lui sera difficile de sortir. Parce qu'il n'est pas beaucoup plus difficile de passer des cartouches de cigarettes que des clandestins, et que cela rapporte beaucoup plus. Or Marie a besoin d'argent, et Souleymane, son premier clandestin, qu'elle a fini par héberger, également. 

L'intérêt du film de Stéphane Marchetti repose entièrement sur cette ambiguïté qui nous interdit de juger. Trancher entre le bien et le mal n'est jamais facile et on ne cesse de se demander ce qui l'emporte chez cette femme : le besoin d'argent c'est certain qui permet de passer par-dessus les barrières morales et les dangers, l'empathie, l'altruisme, générosité ... Il faut dire qu'avec Florence Loiret Caille, le réalisateur a trouvé une interprète à la mesure de cet enjeu. Elle est tour à tour revêche, âpre, ardente, renfrognée, forte, généreuse, altruiste, paumée, déterminée, attachante, énervante ...



05 février 2024

Natacha Appanah, Traits et portraits


Pur hasard, mais juste après avoir lu Les Exportés de Sonia Devillers, je tombe en bibliothèque sur La Mémoire délavée de Natacha Appanah,  cette écrivaine mauricienne dont on dit grand bien depuis un certain temps et que je n'avais pas encore lue.

Comme dans Les Exportés il s'agit d'une histoire familiale, qui s'inscrit dans une histoire d'immigration. Les lieux, les moments, sont différents, mais il s'agit toujours de retrouver dans quelles conditions s'est effectué cette translation d'un pays à l'autre et l'impact que ce déracinement a eu sur les générations qui l'ont vécu et même au delà. Parce qu'une histoire familiale ainsi bouleversée n'est jamais claire pour ceux qui viennent après; elle est pleine de non-dits, de fausses-pistes, un flou dont certains s'accommodent, mais que d'autres cherchent au contraire à élucider. 

Dans une langue souvent lyrique, voire poétique, avec beaucoup de tendresse Nathacha Appanah raconte l'enfance, mais aussi la vieillesse, raconte comment les "engagés", ces coolies venus d'Inde pour travailler dans les plantations de l'île Maurice se sont adaptés, se sont soumis aux conditions imposées par les propriétaires. Parce que l'histoire familiale est aussi une histoire sociale.  Une histoire qui ramène forcément le lecteur au présent.

30 janvier 2024

Sonia Devillers, Les Exportés


 Les Exportés
n'est pas un roman. Plutôt une biographie qui penche du côté de l'essai historique

Journaliste, Sonia Devillers entreprend de raconter l'histoire de ses grands-parents qui, avec leurs deux filles, ont quitté la Roumanie en 1961 pour se réfugier en France. 1961, la guerre froide, les pays de l'Est sous domination soviétique... on a une vague idée de ce qui se passait derrière le rideau de fer, mais que sait-on précisément de la Roumanie, de la façon dont elle a vécu la guerre, que sait-on de sa population juive ? 

Autant de questions qui trouvent leur réponses dans le livre de Sonia Devillers, le coeur du récit restant le sort de ses grands-parents, et la façon dont ils ont réussi à sortir de leur pays, produits d'exportation dont la valeur était calculée en nombre de porcs ou autres animaux d'élevage que le gouvernement roumain récupérait contre autorisations de sortie payées évidemment par les candidats à l'exil. Par l'intermédiaire d'un passeur intéressé financièrement plus que bienfaiteur, bien qu'il ait permis à beaucoup de quitter la Roumanie.

Les Exportés est un livre de bon journalisme, dont les informations chiffrées, documentées et sourcées sont complétées par l'évocation plus personnelle de la famille de Sonia Devillers. C'est un livre à la fois édifiant et émouvant, sur les dessous de l'Histoire, une Histoire dont on ne connaît les détails, que lorsque les documents officiels ont été déclassés. Longtemps après ...

29 janvier 2024

Lance Weller, Les Marches de l'Amérique

Autant être prévenu, le livre de Lance Weller est un livre aussi brutal que violent, centré autour de trois personnages dont on aurait souhaité qu'ils n'aient aucune ressemblance avec quiconque, mais dont on sait bien qu'à défaut d'être vrais, ils sont vraisemblables. Que des gens comme eux il y en a eu, il y en a, et il y en aura à chaque fois que l'histoire trébuche.

Trois personnages donc, une femme et deux hommes. Les deux hommes, qui se connaissent depuis l'enfance, sont en fuite et errent inlassablement dans les "marches" de l'Amérique, ces territoires à l'Ouest du Mississippi, à l'Ouest des Rocheuses et du Pecos où la loi états-unienne ne s'appliquait pas encore, où l'on parlait de territoires, de frontières et de guerre, surtout de guerre : guerre de conquête contre le Mexique, guerre contre les Indiens et même guerre civile. Au cours de leurs pérégrinations, Tom et Pigsmeat rencontrent Flora, une jeune esclave, belle et rebelle, dont le propriétaire a commencé par abuser sexuellement avant de la prostituer.

Les personnages de Lance Weller ne sont pas des tendres, ils n'hésitent ni à se battre ni à tuer, non par goût, mais parce que c'est nécessaire, parce que la survie dans les marches de l'Amérique impose la violence. On aimerait se rassurer, en lisant le roman comme on regarde un western, en se disant que les bons finissent toujours par l'emporter sur les méchants. On aimerait se rassurer en se disant qu'il s'agit d'une fiction, en admirant le talent de l'écrivain dont la plume ne recule devant rien, en râlant même contre la mode littéraire qui impose la dislocation de la chronologie avant de se dire que d'une certaine façon elle repose le lecteur soumis à tant d'horreurs. Mais il faut bien reconnaître que Lance Weller dit la vérité sur l'histoire de l'Amérique, une histoire dont il faut sans doute s'imprégner pour mieux comprendre l'Amérique d'aujourd'hui.

26 janvier 2024

Past lives

 Je n'aime pas qu'on m'explique trop les choses et du coup j'ai trouvé le film de Céline Song un peu trop laborieux, surtout au début. Il est vrai aussi que Greta Lee, qui tient le rôle de Nora en fait un peu trop.

Le sujet pourtant est intéressant qui essaye de comprendre pourquoi nos vies prennent un certain cours, qui aurait pu être tout autre si ... et tout est dans ce si. En suivant deux personnages, amis d'enfance,  sur une vingtaine d'années, plus précisément en mettant en scène trois moments clefs de leur histoire, la réalisatrice suggère que la relation entre Nora et Hae Sun est moins impactée par les accidents de la vie (l'immigration) que par les attentes de chacun. Par leurs différences culturelles bien sûr - l'une s'est américanisée, l'autre est resté coréen-coréen, mais plus encore par leurs personnalités : l'ambitieuse qui veut à tout prix "faire quelque chose de sa vie" et l'autre plus réservé, dont les élans sont moins exubérants mais l'attachement plus profond. Alors forcément il y a un peu de mélancolie, puisque l'histoire d'amour reste du côté de ce qui aurait pu être, mais ne sera pas. Et c'est sans doute mieux ainsi puisque demeure entre les deux personnages l'amitié. Qui vaut mieux que les amours ratés. 



23 janvier 2024

Le Ciel rouge

 Trop contente d'avoir pu voir le film de Christian Petzold, Le Ciel rouge, auquel le festival Télérama a donné une deuxième chance. Le point de départ est hyper simple : une maison de vacances au bord de la mer Baltique. L'herbe est sèche, et personne ne s'inquiète de l'incendie qui monopolise pompiers et hélicoptères puisque le vent souffle de la mer. Quatre trentenaires se retrouvent là, un peu par hasard : Nadja la seule fille du groupe, David le maître-sauveteur, Félix supposé rendre un dossier pour entrer aux Beaux-arts et son ami Léon, écrivain venu là pour écrire.

 

Ce que décrit le film c'est le jeu des affinités, des attirances aussi bien que des rejets, le grand jeu de la séduction entre jeunes gens libres de leur vie amoureuse. Après tout ce sont les vacances ! Mais le seul à ne pas jouer le jeu de l'insouciance, c'est Léon, trop centré sur lui-même, sur l'écriture de son roman, sur ses doutes pour s'intéresser aux autres. Le personnage n'est pas particulièrement sympathique, mais particulièrement bien vu, sans que les autres soient pour autant moins bien traités par le réalisateur. Difficile de ne pas penser au grand roman de Goethe, Les Affinités électives  - deux, puis trois, puis quatre personnages, les interrogations, les doutes, l'allant de la jeunesse - mais dans une version d'aujourd'hui. 

Ces jeunes gens sont à un moment de leur existence où tout est encore possible, mais ils doivent faire des choix, s'engager, renoncer, tenter leur chance. Puiser au fond d'eux même pour trouver qui ils sont et ce qui importe vraiment pour eux. Voilà ce qui les rend émouvants, bien qu'ils fassent partie des privilégiés et ne se soucient guère de l'incendie en cours. Le monde brûle et nous regardons ailleurs... Pourtant je ne crois pas que le propos du film soit vraiment politique; c'est plutôt un regard porté sur la jeunesse. Une certaine jeunesse.