29 novembre 2023

Julien Creuzet


Retourner au Magasin, le centre national d'art contemporain  de Grenoble, est un vrai plaisir. Objet de polémiques diverses, maltraité, délaissé, abandonné ... il était sorti de mon cercle d'intérêts. Mais depuis quelques mois, il reprend vie et si les premières expos ne m'ont pas convaincue, celle de Julien Creuzet a suscité ma curiosité. En partie seulement, car j'avoue que les oeuvres accrochées/pendues dans la rue m'ont laissée pour le moins perplexe. Les vidéos proposées dans les grandes salles m'ont en revanche fascinées, mêlant jeux de lumières, couleurs intenses, formes en mouvement, dits poétiques et musique et laissant ou plutôt proposant à l'imagination du spectateur toute sa place. A l'imagination, voire à l'émotion. 

J'aime qu'une oeuvre ne soit pas fermée sur elle-même, qu'elle n'impose pas un sens unique, mais qu'elle permette au spectateur de se l'approprier, d'y glisser son propre vécu, même si ce n'est que celui du moment. Umberto Eco parlait d'oeuvre "ouverte", expliquant qu'elle laissait toute sa place au lecteur, à condition bien sûr qu'il ne soit pas passif, simple consommateur, mais ouvert lui-même et réactif. 

Voilà pourquoi, je suis passée avec la plus grande indifférence devant les oeuvres exposées dans la rue et restée longuement devant chacune des vidéos. 

Julien Creuzet, Zumbi Zumbi, 2023

28 novembre 2023

La Voie royale et Le Théorème de Marguerite

Si je regroupe ces deux films dans la même chronique c'est en partie pour combler mon retard, mais aussi parce qu'ils parlent d'un milieu que le cinéma n'a pas souvent abordé : les classes préparatoires (côté scientifique), l'ENS et la recherche en mathématiques. Et les deux films sont centrés autour d'un personnage féminin.  

La Voie royale

Sophie est fille d'agricultrice et participe aux travaux de la ferme avant d'aller en cours. Ses résultats en math et en physique lui permettent d'intégrer une "bonne" prépa - traduire une prépa très compétitive  - Elle se trouve rapidement confrontée aux exigences des enseignants, et doit en même temps faire l'apprentissage des codes sociaux et culturels qui ne sont pas les siens. La description que fait Frédéric Mermoud, le réalisateur, de cet apprentissage à marche forcée est assez juste, un peu exagéré parfois, mais il montre bien les turbulences de ces années où il s'agit de faire des choix qui vraisemblablement engageront le reste de la vie. Polytechnique ou l'ENS, la voie royale ? Une voie ardue assurément, que ces étudiants peuvent accepter ou refuser. Car eux, ils ont le choix.


Le Théorème de Marguerite

Marguerite n'a pas choisi Polytechnique, elle a choisi l'Ecole Normale Supérieure; indifférente au monde qui l'entoure et totalement absorbée par la poursuite de sa pensée mathématique, elle est sur le point de terminer sa thèse.  Une erreur dans son raisonnement, relevée par un étudiant qui travaille sur le même sujet et son monde s'effondre. Retour à la vie ordinaire où l'on gère des stocks dans un magasin de chaussures, où l'on apprend à jouer au majong et ... retour triomphant aux mathématiques après ce détour incongru. Le cinéma comme la littérature aime bien ce genre de personnage totalement passionné par son sujet au point d'oublier les contingences matérielles et d'ignorer les normes sociales. Dans le film d'Anna Novio, ce n'est ni un petit chauve, ni un gros barbu, mais une jeune fille qui tient ce rôle.


D'une facture classique, ces deux films relativement modestes proposent un regard intéressant sur deux jeunes filles à l'orée de leur vie d'adulte, deux jeunes filles qui misent sur leur intelligence plus que sur leur pouvoir de séduction. Un nouvel idéal féminin en lieu et place des influenceuses et autres" créatrices de contenu "? On peut en tout cas se réjouir de l'intention.

26 novembre 2023

La fille de son père

Les films, les livres se succèdent.  Les choix sont déterminés par la disponibilité en bibliothèque, les horaires des séances et souvent le hasard. Pourtant des correspondances apparaissent parfois qui ne cessent de m'étonner.  Le roman de Jean Hegland, Dans la forêt, fait écho au film de Thomas Caillet, Le Règne animal, qui a son tour fait écho au film d'Erwan Le Duc, La Fille de son père. Un jeu de domino inattendu. 

Pas de catastrophe planétaire ici,  pas de virus invasif, pas de forêt primaire où se réfugier. Juste un homme, devenu père très jeune qui s'est débrouillé pour élever seul sa fille depuis que la mère les a abandonné sans explication. Rosa a maintenant 16 ans et devra bientôt choisir où poursuivre ses études.... Rien de spectaculaire dans ce film, mais une jolie relation entre un père et sa fille, une relation faite de complicité, de tendresse, d'humour. Il y est à peine question de résilience, juste un attachement très fort et la nécessité pour chacun de trouver sa liberté et d'assumer ses choix. C'est joli, c'est léger. Profond aussi.

25 novembre 2023

Jean Hegland, Dans la forêt


Pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de lire ce roman de Jean Hegland, alors que tous les réseaux de littérature américaine en faisaient l'éloge ? Paru en 2017 chez Gallmeister, il a été publié aux Etats-Unis en 1996 et c'est bien là le plus étonnant, parce qu'il paraît soudain, non pas prophétique, mais au coeur de nos préoccupations actuelles, de nos interrogations sur l'avenir de la planète et accessoirement sur celui de l'humanité. 

Dans la forêt est bien un roman "survivaliste",  puisque, de façon inexpliquée, de dysfonctionnements mineurs en changements majeurs, rien n'est plus comme avant dans cette partie de l'Amérique (le Nord de Californie) où vivent Eva (18 ans) et Nell (17 ans), dans une maison isolée en lisière d'une grande forêt.  Elles ont perdu leur mère, morte d'un cancer, et leur père disparaît dès les premiers chapitres. Eva ne pense qu'à danser, Nell lit et écrit. Deux adolescentes insouciantes, vite rattrapées par la nécessité de s'adapter à des conditions de vie de plus en plus difficiles, de faire face à l'absence d'électricité, à la pénurie de denrées alimentaires, à l'isolement. La situation met leur relation à l'épreuve, mais elles apprennent malgré tout à faire face, à survivre, à trouver comment palier les manques, en retrouvant des façons de faire oubliées ... Un viol (mais pas avant la p.144 !), une grossesse...  Eva et Nelle se retournent de plus en plus vers les ressources fournies par la forêt... C'est le moment où le survivalisme devient sous la plume de Jean Hegland une proposition idéologique, celle du grand retour à la Mère Nature, un positionnement certes romanesques, mais totalement régressif et bien peu crédible. Dommage. En tout cas, depuis que j'ai terminé ma lecture,  je me demande comment j'aurais aimé que le roman finisse.... et je n'ai pas trouvé !

23 novembre 2023

Le règne animal

Pour un sujet comme celui-là il fallait des acteurs crédibles dans leurs rôles et c'est le cas, en particulier pour Paul Kircher, parfait dans son rôle d'adolescent qui doit faire face à la disparition de sa mère, à l'intégration dans un nouveau lycée et à un virus insidieux qui lui fait perdre peu à peu ses caractéristiques humaines. 

Le règne animal est un film d'effroi, mais pas totalement invraisemblable : la transformation progressive des humains en animaux est du domaine du fantastique, mais les mesures prises par les autorités, confinement, enfermement, éloignement, et les réactions des individus (compassion, rejet) ne sont pas sans rappeler ce qui s'est passé récemment lorsque le Covid est apparu. C'est certainement une des belles réussites du film de parvenir à se tenir ainsi à la limite entre cinéma de genre, spectaculaire par bien des aspects et cinéma d'auteur, plus intime, centré autour des relations père/fils. Malaise et fascination alternent au fur et à mesure que le récit progresse par bonds et rebonds vers de nouveaux développements.  Mais l'attention portée à l'intrigue n'empêche pas la réflexion de se mettre en place, sur la place de l'animalité en chacun de nous, sur la façon dont nous nous comportons vis à vis des animaux et plus largement vis à vis d'autrui.

Le Règne animal n'est que le deuxième film de Thomas Cailley (après Les Combattants).  Un film capable de séduire à la fois les amateurs de cinéma de genre, et les amateurs de cinéma d'auteur, d'entremêler intime et universel ouvre de belles perspectives à ce jeune cinéaste.




21 novembre 2023

La Passion de Dodin Bouffant

Quel ennui ! Mais quel ennui ! Certes l'image est superbe, les décors et les costumes magnifiques, les acteurs excellents, les éclairages somptueux, les mouvements de caméra d'une fluidité étonnante...  Et pourtant je me me suis ennuyée. L'esprit vacant, j'ai eu tout le temps de penser à d'autres films, à la démesure provocatrice de La Grande bouffe, lorsque cuisiner et manger devient non seulement obsessionnel mais franchement maladif. Ou au Dîner de Babette, quand les mets aussi rares que raffinés contribuent à l'éveil des sens. Il y a bien un peu de cela dans La Passion de Dodin Bouffant, mais le film est si lent, les dialogues si ampoulés, la mise en scène si théâtralisé, les mouvements de caméra si virtuoses que l'on en perd même l'envie de goûter aux plats. La relation entre Dodin Bouffant et sa cuisinière a bien quelque chose d'un peu piquant, lui si passionné, elle si ... libre, mais il est déjà trop tard, l'ennui s'est installé. 

Le réalisateur, Tran Anh Hun s'était fait connaître avec un film à l'esthétique extrêmement soignée ; l'Odeur de la papaye verte? Mais la beauté des images ne suffit pas à donner vie à une histoire.  




20 novembre 2023

Second tour

Pochade, oui c'est bien le mot qui me vient à l'esprit pour parler du dernier film d'Albert Dupontel : de la verve, de la rapidité, un brin de burlesque, on n'est jamais loin de la caricature, mais l'ensemble est enlevé et plutôt réjouissant. A première vue. Car ni le monde politique, ni le monde médiatique ne sortent grandis de cette histoire d'élection truquée. Ce pourrait même être pesant si le charme de Cécile de France n'allégeait le propos.

15 novembre 2023

Nickolas Butler, La Maison dans les nuages

 Une des tâches les plus difficiles pour écrivain comme Nickolas Butler est de garder un équilibre constant entre le pur romanesque (des personnages bien cernés, une intrigue bien ficelée avec suffisamment de péripéties pour accrocher le lecteur) et le didactique, l'envie d'utiliser la littérature pour dire quelque chose, faire passer un messae. Dans La Maison dans les Nuages, comme dans Le Petit-fils, il est évident que l'auteur ne reste pas indifférent aux dérives de la société et qu'il essaye de mettre en garde le lecteur contre l'appauvrissement de l'esprit et partant de l'humanité quand l'individu ne pense plus qu'à satisfaire ses désirs : l'argent,  et le pouvoir que donne cet argent. Il montre aussi comme il est facile de se perdre, même quand le point de départ de la dérive est à chercher du côté d'une blessure initiale, d'un mal-être que rien ne viendra combler. 

Formulé de cette façon, le roman peut paraître trop moralisateur pour être intéressant, mais ce n'est que la conclusion à laquelle le lecteur arrive une fois qu'il s'est passionné pour l'aventure insensé de ces trois amis, dont la toute petite entreprise vient d'être engagée pour mener à bien un projet de construction extravagant dans des délais impossibles. Un chantier mené comme une course contre la montre où le moindre retard, la moindre intempérie peut avoir des conséquences et pousse chacun à donner le meilleur de soi-même. Et des imprévus, il y en a, que seule leur indéfectible amitié permet de surmonter. A ces difficultés, s'ajoutent les exigences extravagantes de la propriétaire dont on ne connaît que progressivement les raison. Suspense, tragédie, mélodrame, la diversité des situations est un des ressorts de ce roman qui confirme le talent de Nickolas Butler.




14 novembre 2023

Anselm

 Wim Wenders a incontestablement un sens visuel hors du commun. Il a le sens de la lumière, du cadrage, quelque chose comme l'oeil du photographe. Le documentaire qu'il propose sur Anselm Kiefer est d'autant plus intéressant qu'on le sent fasciné, subjugué par la démesure de l'artiste allemand.  Une démesure qui se perçoit avec la taille de son atelier de Barjac, un domaine de 40 hectares, totalement investi à l'extérieur comme à l'intérieur et dans lequel "le maître" se déplace à vélo. 

Il y a peu de couleurs dans l'oeuvre de Kiefer, des gris, des noirs, des marrons. Son oeuvre est monumentale, massives,  comme cette "bibliothèque" don les oeuvres rangées sur les étagères sont en feuilles de plomb.

Il lui arrive d'utiliser de la peinture, mais à plein seaux. Ses matériaux préférés semblent plutôt être le bois et le métal, le plomb fondu, les végétaux qu'il enflamme pour n'en garder que la trace noirci... Il y a quelque chose de brutal, de pesant dans son oeuvre. Le poids de la culpabilité du peuple allemand, semble dire le film, de la colère aussi. Un sentiment sans doute partagé par celui qui le filme.





13 novembre 2023

Beatrice Salvioni, La Malnata

Qu'il s'agisse de l'édition française ou de l'édition italienne, la couverture est la même : un portrait en noir et blanc d'une adolescente, qui impose d'emblée un visage et prive le lecteur d'imaginer, de se faire lui-même une idée du personnage. La couverture heureusement est amovible, je l'ai enlevée et j'ai pu retrouver ma liberté de lectrice.

La Malnata est un premier roman intéressant, mais il arrive après un certain nombre de romans italiens qui ont mis en scène des relations intenses entre adolescentes, qu'elles soient soeurs ou amies. Je pense à L'Amie prodigieuse, à Borgo sud ...  Béatrice Salvioni joue comme les autres, sur les différences de caractère auxquelles s'ajoutent éventuellement les différences d'éducation et de milieu social, ici sur fond de fascisme; c'est peut-être ce dernier point qui en fin de compte, différencie le mieux La Malnata des autres romans et en fait l'intérêt.  Parce qu'on y sent les regards lourds, les soupçons, les contraintes, les propos allusifs, la méfiance, l'hypocrisie, tout ce qui empêche une société de s'exprimer librement.  Le roman de Beatrice Salvioni n'est pas à proprement parler un roman historique, mais il montre bien comment 20 ans de régime fasciste ont modelé les mentalités. Mussolini est mort en 45, mais "la bête immonde" .... 


 

03 novembre 2023

Denene Millner, De même sang



Grace, Dolores, Rae. Trois femmes.  De la même famille, mais pas forcément du même sang puisque Rae a été adoptée. Grace est sa mère "biologique", mais elle ne le sait pas, et ne la rencontrera pas. Dolores est sa mère adoptive. 

Trois générations de femmes suivies sur plusieurs décennies, en gros entre 1965 et 2005. Des années importantes pour l'émancipation des femmes d'autant que Grace, Dolores et Rae sont Américaines et Noires. Le Civil Richts Act signée par le Président Johnson en 1964  a beau avoir officiellement "mis fin à toute forme de ségrégations ou de discriminations reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l'origine nationale", dans les faits rien n'était vraiment gagné, car ce n'est pas par décret qu'on change les mentalités. 

Le roman de Denene Millner court sur plus de 600 pages mais il fallait bien tout cela pour montrer la complexité des situations et des caractères, pour montrer comment chacune de ses femmes appréhende sa vie de couple, ses relations familiales et surtout sa maternité. Car c'est de ce lien essentiellement qu'il s'agit. Denene Millner a certainement laissé dans ce roman une part de sa propre histoire, mais il ne s'agit heureusement pas d'auto-fiction, plutôt une tentative à partir d'une expérience intime, d'élargir le propos à d'autres points de vue, d'autres façon de vivre sa maternité ou sa relation filiale, que l'on soit du même sang ou pas.

 

02 novembre 2023

Gaspar Koenig, Humus

 

 

Philosophe, essayiste, chroniqueur, président de Génération libre, homme politique ... et finaliste du prix Goncourt 2023 : le parcours de l'auteur est prestigieux. Humus, son dernier roman reflète les centres d'intérêts  de ce brillant touche-à-tout  dont l'écriture alerte entraîne facilement son lecteur à la suite de ses personnages, jeunes gens perdus dans les évolutions récentes de la société. 

En effet, bien que leurs parcours aient été, au départ, très différents Arthur et Kevin, ces deux brillants étudiants d'Agro-Paris-Tech se retrouvent à une conférence donnée par un éminent spécialiste des lombrics et sont tellement convaincus par ses propos qu'ils décident de mettre toute leur intelligence et leur savoir-faire au service de vers de terre. L'idée est pour le moins originale et permet à l'auteur de partager ses convictions sur l'ombriliculture et l'écologie bien sûr, mais aussi sur l'entrepreneuriat, sur le monde de la finance, celui de la communication, accessoirement de la politique...et plus généralement sur les dérives de notre société. 

C'est souvent bien vu, à peine caricatural, drôle .... oui mais .... cela manque un peu de chair. De chair, pas de sexe, car Gaspard Koenig se soucie aussi bien de la sexualité des vers de terre que de ses personnages. Ce qui au final donne l'impression que les uns (les vers) et les autres (les humains) sont observés d'un même oeil. : le regard froid du psychologue/sociologue/politologue fait d'Arthur et de Kevin des marionnettes, simples outils au service de sa thèse. 

C'est bien le reproche que je fais à Humus, de n'être au final qu'un roman à thèse. Ou plus exactement d'utiliser la littérature pour la mettre au service de ses idées (aussi intéressantes, originales et convaincantes que soient ces idées ! ). Le genre a eu ses heures de gloire, a souvent été décrié; il semble depuis quelques temps faire sa réapparition. Un mal nécessaire sans doute. Mais j'attends plus de la littérature.  


01 novembre 2023

La fin du Petit Bulletin

 

Mauvaise nouvelle que cette disparition du Petit Bulletin, phare de la culture grenobloise depuis 30 ans, que l'on croyait insubmersible tout simplement parce qu'on l'avait vu apparaître, une petite page de rien du tout, en noir et blanc, avec juste les programmes de cinéma, mais le programme de toutes les salles de cinéma, très nombreuses à l'époque. Dès le début, ce regroupement des informations culturelles a constitué le fil conducteur de la publication, passée rapidement à une double page, puis quatre puis .... les pages se sont multipliées parce qu'il ne s'agissait plus seulement de cinéma, mais il fallait parler de toutes les offres culturelles, cinémas, théâtres, concerts, expositions ... Il y avait les "grandes institutions" à commencer par la "Macu", mais surtout toutes les petites instances culturelles, souvent les plus dynamiques, les plus difficiles à dénicher aussi pour le cultureux lambda. Alors le mercredi on attendait avec impatience que le Petit Bulletin soit déposé dans ses paniers, à la bibliothèque ou à la boulangerie, et muni d'un stabilo, on cochait les sorties qu'on avait envie de faire, les spectacles qu'on avait envie de voir, les groupes musicaux qu'on avait envie d'écouter.... il y en avait beaucoup, souvent trop, mais on était content de cette effervescence culturelle. D'autant que le Petit bulletin ne jouait pas la carte de la promo, mais celle de l'information et de la critique. Précise irrévérencieuse, stimulante. 

Hélas, hélas ! Diriger un organe de presse indépendant, ce n'est pas facile. Il faut des sous. Beaucoup. Alors on met de la publicité. On multiplie les pages. On essaie de tenir le coup. On ne publie plus chaque semaine, mais tous les quinze jours. Impossible de caser les horaires de cinéma, juste les critiques. On fait une pause pendant l'été. On va sur Internet. Mais le ressort est cassé et, le 18 Octobre, le Petit Bulletin a publié son dernier numéro

Tristesse bien sûr et un peu d'inquiétude : comment faire, sans le Petit Bulletin pour savoir ce qui se passe dans le champ culturel local ? Faudra-t-il empiler chez soi tous les catalogues, tous les programmes, tous les flyers ? Faudra-t-il passer d'un site à l'autre pour retrouver l'ensemble des programmations de chaque organisme, de chaque musée, de chaque galerie, de chaque salle de concert ou de théâtre, de chaque compagnie de danse ou de cirque, de chaque bibliothèque, de chaque atelier .... impossible, la tâche est démesurée. Alors, forcément, on sortira moins, on restera dans ses pantoufles, devant sa télé ou son ordinateur. Curiosité moins titillée, on renoncera. La vie culturelle continuera un temps, mais faute de spectateurs, faute de participants ralentira, s'essoufflera, s'assoupira. 

Depuis 30 ans le Petit Bulletin nous accompagnait, nous devançait dans nos choix culturels. Il était une évidence dans nos vies. Ce n'est que demain, lorsqu' il nous manquera, que l'on prendra conscience  - trop tard - de l'importance du Petit Bulletin dans la vie culturelle grenobloise.