30 janvier 2024

Sonia Devillers, Les Exportés


 Les Exportés
n'est pas un roman. Plutôt une biographie qui penche du côté de l'essai historique

Journaliste, Sonia Devillers entreprend de raconter l'histoire de ses grands-parents qui, avec leurs deux filles, ont quitté la Roumanie en 1961 pour se réfugier en France. 1961, la guerre froide, les pays de l'Est sous domination soviétique... on a une vague idée de ce qui se passait derrière le rideau de fer, mais que sait-on précisément de la Roumanie, de la façon dont elle a vécu la guerre, que sait-on de sa population juive ? 

Autant de questions qui trouvent leur réponses dans le livre de Sonia Devillers, le coeur du récit restant le sort de ses grands-parents, et la façon dont ils ont réussi à sortir de leur pays, produits d'exportation dont la valeur était calculée en nombre de porcs ou autres animaux d'élevage que le gouvernement roumain récupérait contre autorisations de sortie payées évidemment par les candidats à l'exil. Par l'intermédiaire d'un passeur intéressé financièrement plus que bienfaiteur, bien qu'il ait permis à beaucoup de quitter la Roumanie.

Les Exportés est un livre de bon journalisme, dont les informations chiffrées, documentées et sourcées sont complétées par l'évocation plus personnelle de la famille de Sonia Devillers. C'est un livre à la fois édifiant et émouvant, sur les dessous de l'Histoire, une Histoire dont on ne connaît les détails, que lorsque les documents officiels ont été déclassés. Longtemps après ...

29 janvier 2024

Lance Weller, Les Marches de l'Amérique

Autant être prévenu, le livre de Lance Weller est un livre aussi brutal que violent, centré autour de trois personnages dont on aurait souhaité qu'ils n'aient aucune ressemblance avec quiconque, mais dont on sait bien qu'à défaut d'être vrais, ils sont vraisemblables. Que des gens comme eux il y en a eu, il y en a, et il y en aura à chaque fois que l'histoire trébuche.

Trois personnages donc, une femme et deux hommes. Les deux hommes, qui se connaissent depuis l'enfance, sont en fuite et errent inlassablement dans les "marches" de l'Amérique, ces territoires à l'Ouest du Mississippi, à l'Ouest des Rocheuses et du Pecos où la loi états-unienne ne s'appliquait pas encore, où l'on parlait de territoires, de frontières et de guerre, surtout de guerre : guerre de conquête contre le Mexique, guerre contre les Indiens et même guerre civile. Au cours de leurs pérégrinations, Tom et Pigsmeat rencontrent Flora, une jeune esclave, belle et rebelle, dont le propriétaire a commencé par abuser sexuellement avant de la prostituer.

Les personnages de Lance Weller ne sont pas des tendres, ils n'hésitent ni à se battre ni à tuer, non par goût, mais parce que c'est nécessaire, parce que la survie dans les marches de l'Amérique impose la violence. On aimerait se rassurer, en lisant le roman comme on regarde un western, en se disant que les bons finissent toujours par l'emporter sur les méchants. On aimerait se rassurer en se disant qu'il s'agit d'une fiction, en admirant le talent de l'écrivain dont la plume ne recule devant rien, en râlant même contre la mode littéraire qui impose la dislocation de la chronologie avant de se dire que d'une certaine façon elle repose le lecteur soumis à tant d'horreurs. Mais il faut bien reconnaître que Lance Weller dit la vérité sur l'histoire de l'Amérique, une histoire dont il faut sans doute s'imprégner pour mieux comprendre l'Amérique d'aujourd'hui.

26 janvier 2024

Past lives

 Je n'aime pas qu'on m'explique trop les choses et du coup j'ai trouvé le film de Céline Song un peu trop laborieux, surtout au début. Il est vrai aussi que Greta Lee, qui tient le rôle de Nora en fait un peu trop.

Le sujet pourtant est intéressant qui essaye de comprendre pourquoi nos vies prennent un certain cours, qui aurait pu être tout autre si ... et tout est dans ce si. En suivant deux personnages, amis d'enfance,  sur une vingtaine d'années, plus précisément en mettant en scène trois moments clefs de leur histoire, la réalisatrice suggère que la relation entre Nora et Hae Sun est moins impactée par les accidents de la vie (l'immigration) que par les attentes de chacun. Par leurs différences culturelles bien sûr - l'une s'est américanisée, l'autre est resté coréen-coréen, mais plus encore par leurs personnalités : l'ambitieuse qui veut à tout prix "faire quelque chose de sa vie" et l'autre plus réservé, dont les élans sont moins exubérants mais l'attachement plus profond. Alors forcément il y a un peu de mélancolie, puisque l'histoire d'amour reste du côté de ce qui aurait pu être, mais ne sera pas. Et c'est sans doute mieux ainsi puisque demeure entre les deux personnages l'amitié. Qui vaut mieux que les amours ratés. 



23 janvier 2024

Le Ciel rouge

 Trop contente d'avoir pu voir le film de Christian Petzold, Le Ciel rouge, auquel le festival Télérama a donné une deuxième chance. Le point de départ est hyper simple : une maison de vacances au bord de la mer Baltique. L'herbe est sèche, et personne ne s'inquiète de l'incendie qui monopolise pompiers et hélicoptères puisque le vent souffle de la mer. Quatre trentenaires se retrouvent là, un peu par hasard : Nadja la seule fille du groupe, David le maître-sauveteur, Félix supposé rendre un dossier pour entrer aux Beaux-arts et son ami Léon, écrivain venu là pour écrire.

 

Ce que décrit le film c'est le jeu des affinités, des attirances aussi bien que des rejets, le grand jeu de la séduction entre jeunes gens libres de leur vie amoureuse. Après tout ce sont les vacances ! Mais le seul à ne pas jouer le jeu de l'insouciance, c'est Léon, trop centré sur lui-même, sur l'écriture de son roman, sur ses doutes pour s'intéresser aux autres. Le personnage n'est pas particulièrement sympathique, mais particulièrement bien vu, sans que les autres soient pour autant moins bien traités par le réalisateur. Difficile de ne pas penser au grand roman de Goethe, Les Affinités électives  - deux, puis trois, puis quatre personnages, les interrogations, les doutes, l'allant de la jeunesse - mais dans une version d'aujourd'hui. 

Ces jeunes gens sont à un moment de leur existence où tout est encore possible, mais ils doivent faire des choix, s'engager, renoncer, tenter leur chance. Puiser au fond d'eux même pour trouver qui ils sont et ce qui importe vraiment pour eux. Voilà ce qui les rend émouvants, bien qu'ils fassent partie des privilégiés et ne se soucient guère de l'incendie en cours. Le monde brûle et nous regardons ailleurs... Pourtant je ne crois pas que le propos du film soit vraiment politique; c'est plutôt un regard porté sur la jeunesse. Une certaine jeunesse.

21 janvier 2024

Robert Seethaler, Le Café sans nom


 C'est le deuxième roman de Robert Seethaler que je lis. Et je me retrouve assez vite dans un univers familier, celui d'un monde choral, mais contrairement au précédent, Le Champ, les personnages de ce nouveau roman sont bien vivants. Et puis l'on est passé d'une petite ville à la grande Vienne, que ceux qui la connaissent n'auront pas de mal à reconnaître. 

Cela commence par un personnage, Robert Simon, un journalier qui travaille au marché des Carmélites, et se lance dans un projet risqué : reprendre la gestion d'un vieux café.  On est en 66,  et jusqu'à sa fermeture 10 ans plus tard, Robert voit graviter autour de son café toute une population de petites gens, dont l'auteur suit l'évolution. Pas d'intrigue centrale, pas de suspense mais une jolie fresque viennoise. Robert Seethaler a l'art de créer des personnages qui dès les premières lignes sonnent juste, il sait les différencier, restituer leur personnalité, leur état-d'esprit, et même leur façon de parler. Un lieu, une époque, des vies qui vont rarement en ligne droite. Plus on avance dans la lecture de ce roman, plus on a l'impression de faire partie des habitués du café, assis toujours à la même place, à regarder le monde et le temps passer et ce n'est pas désagréable du tout.

18 janvier 2024

L'innocence

Presque tous les films de Kore-eda parlent de la famille, qu'il s'agisse d'une famille tout à fait traditionnelle ou plus souvent d'une famille atypique, au moins pour le Japon. Dans L'Innocence, il s'intéresse à deux enfants  qui vivent  chacun dans une famille où manque l'un des deux parents : mère célibataire pour cause de veuvage ou père célibataire pour cause de divorce. Le glissement vers parent absent/enfant perturbé fait un peu cliché, mais reste une problématique intéressante, que le réalisateur choisit de développer à partir d'un cas de harcèlement scolaire. Ou plus précisément une suspicion de harcèlement. 

Pour mieux montrer l'écart entre les faits et l'interprétation des faits, Kore-eda juxtapose les trois points de vue, celui de la mère, celui du professeur incriminé, celui des enfants et glisse de l'un à l'autre sans avertir le spectateur qui se retrouve un peu largué jusqu'à l"épisode final qui dramatise la situation avant de finalement l'éclairer. 


A qui donner raison ? Pour qui prendre parti ? Les histoires de famille sont toujours plus complexes qu'elles n'en ont l'air et le réalisateur ne fait rien pour les simplifier, au risque de perdre un certain nombre de spectateurs en chemin. Mais l'intérêt d'un film comme d'un roman ne réside-t-il pas dans sa capacité à intriguer les spectateur,  à stimuler son intelligence, à lui donner à penser, plutôt que de lui donner à voir ce qu'il connaît déjà.

17 janvier 2024

Perfect Days


 On pourrait dire qu'il y a deux films dans Perfect days. Le film d'un occidental qui pose un regard étonné et admiratif sur le Japon ou plus exactement sur les habitudes d'hygiène des Japonais, tout en prenant bien soin de ne choisir que les toilettes les plus "design" de la capitale et de souligner la maniaquerie (ah, le coup du miroir coudé ! ) de celui qui a la charge d'en maintenir la propreté.  C'est le côté un peu documentaire et finalement assez drôle du film avec, en complément quelques personnages "hors normes" comme pour casser le côté trop policé de la société japonaise. 

Mais le propos de Wim Wenders est heureusement plus subtil quand il s'attache à la personnalité d'Hirayama, l'employé chargé du nettoyage. Un homme dont le quotidien est parfaitement structuré et totalement répétitif, un homme d'habitude, soucieux de bien faire ce qu'il fait. Il n'y a pas de sot métier, n'est ce pas, il n'y a que de sottes gens et Hirayama est loin d'être un sot. C'est un homme qui sait se contenter de ce qu'il a, qui choisit avec soin ses livres et la musique qu'il écoute, attentif à la croissance des jeunes pousses d'arbre qu'il transplante avec soin, qui avec son appareil argentique  et des photos tirées en noir et blanc, essaye de capter un éclat de lumière à travers le feuillage, qui porte le même regard attentif sur les arbres que sur les gens. Un homme heureux ?  Un homme sage ? En tout cas le film de Wim Wenders pousse le spectateur à s'interroger sur le sens de ces deux mots : bonheur /sagesse.  Hirayama écoute des chansons des années 50 ou 60 sur un vieux lecteur de cassettes; il n'écoute pas la radio, ne regarde pas la télévision. Hirayama lit des auteurs classiques, il ne lit pas les journaux. Il s'intéresse - un peu  - aux gens, il ne s'intéresse pas au monde. Faut-il à ce point rétrécir son univers pour être heureux ? Faut-il chercher dans l'indifférence au monde la clef de la sagesse ? C'est sans doute le mérite du film de poser la question. A chaque spectateur de chercher la réponse qui lui convient.

16 janvier 2024

Si seulement je pouvais hiberner


 Trois bouilles rieuses. Oui mais à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, l'hiver est rude et dans la yourte où vit Ulzii, il fait particulièrement froid. La mort du père et la perte du troupeau ont contraint la famille à se réfugier au portes de la capitale; la mère a sombré dans l'alcoolisme et décide de retourner tenter sa chance "au village" avec le plus jeune de ses quatre enfants, laissant les trois autres se débrouiller seuls. C'est à Ulzii qu'il revient de trouver comment permettre au trio de survivre à l'hiver tout en poursuivant ses études, parce qu'étudiant brillant, il peut passer les championnats qui lui permettront de gagner une bourse.

Cela fait beaucoup sur les épaules d'un adolescent.  La réalisatrice, Zoljargal Purevdash suit au plus près ce jeune garçon, persuadé que seule l'éducation pourra le sortir et sortir sa famille de la misère. Oui le film est un plaidoyer de plus pour l'école, il y en a eu d'autres, mais celui-ci m'a paru particulièrement juste et attachant. Ulzii est un enfant que la vie a fait grandir trop vite, il est responsable de son frère et de sa soeur, responsable de leur survie, sans autre aide que celle d'un voisin compatissant. Et le soutien d'un professeur qui croit en ses capacités. 

Un peu de bienveillance et d'humanité pour contrer la rudesse d'un hiver mongole. La rudesse du monde.


15 janvier 2024

Kent Nerburn, Ni loup ni chien


 La couverture est prometteuse  : une vieille Buick qui roule dans la prairie, sans même suivre une piste.  Le livre de Kent Nerburn est bien un récit de voyage : trois hommes et un chien embarqués dans une bagnole, quelque part dans les grandes plaines de l'Ouest américain, plus précisément du côté des Dakota parce que c'est dans cette région où les réserves indiennes sont les plus nombreuses... Mais Ni loup ni chien est beaucoup plus que cela : c'est un voyage au coeur de la culture indienne. 

Kent, le narrateur a été choisi par Dan, un vieil indien qui se sait proche de sa mort et veut écrire un livre, un peu comme on écrit un testament. Il commence par tester celui qu'il a choisi pour être sa plume parce qu'il ne veut surtout pas d'un Nième essai anthropologique ou sociologique écrit par un Blanc selon des critères de Blancs. Ce sont finalement les conversations entre les deux hommes, ou plutôt les moments ou le vieil indien décide de parler, qui constitueront l'ossature du futur livre. Le voyage est chaotique, la relation entre les deux hommes tout autant, pendant que le troisième homme Grover sert de chauffeur et accessoirement de tampon entre l'écrivain blanc et le vieil Indien.

Ken Nerburn est un auteur habile, qui s'est depuis longtemps intéressés aux "peuples américains autochtones", et en choisissant de donner à son livre non pas la forme d'un essai mais celui d'une longue balade en territoire indien, il divertit le lecteur autant qu'il l'instruit. Il dénonce le comportement de prédateurs des colons, leur ignorance et leur manque de respect, leur avidité pour les biens matériels, s'irrite des déformations des historiens et se moque des "wannabee" qui se réclament d'une ascendance indienne. Les trois personnages sont bien campés et je n'oublie pas le chien, membre à part entière du quatuor. On s'amuse souvent des facéties du vieil indien autant qu'on s'émeut lorsqu'il raconte ce qui s'est passé à Wounded Knee. 

Une chose est certaine, on en apprend plus sur l'Amérique et les Indiens en lisant le livre de Kent Nerburn qu'en allant voir ce que Scorsese a fait du livre de David Grann  (La Note américaine).  La critique de Killers of the flower moon publiée par Kent Nerburn sur son site est sans appel. https://kentnerburn.com/ 

PS. Ni loup ni chien a été publié en France en Mai 2023, mais le livre est sorti aux Etats-Unis en 1994,  Il a été adapté au cinéma en 2016, mais je ne crois pas que le film soit sorti en France.

09 janvier 2024

Une histoire d'images. Donation Antoine de Galbert

 Que dire de l'exposition de photos actuellement proposée au musée de Grenoble ? Qu'elle est à voir, et à revoir, et revoir encore, ce qui  n'est pas trop difficile puisque l'entrée au musée est gratuite et l'exposition également. Ce qui permet de ne voir qu'un petit nombre de salles à chaque visite plutôt que de tout gober en une seule fois, et du coup de mieux s'imprégner de cette "histoire d'images"

De quoi s'agit-il exactement ? De la collection constituée par Antoine de Galbert, riche héritier qui a, un jour,  décidé de mettre sa fortune au service de l'art et ouvert une galerie à Grenoble, avant d'en ouvrir une autre à Paris (La Maison rouge), et  de décider finalement de se consacrer à sa fondation, de faire circuler ses collections, ou d'en faire don aux musées de son choix. Merci Antoine !

Les photos actuellement présentées au musée appartiennent à la catégorie documentaire, ce qui ne leur interdit pas d'être aussi belles voire artistiques.  Elle retracent l'histoire de la deuxième moitié du XXe siècle en empiétant sur le début du XXIe. Quelques 270 photographies remarquablement bien présentées, sans chichis ni commentaires abscons. Chaque cartel donne une indication sur le photographe ainsi que sur le contexte de la photo, petit rappel historique loin d'être superflu. Si la plupart des photos sont en noir et blanc, elles ne le sont pas toutes, et surtout elles sont présentées sur des murs aux couleurs fortes qui correspondent aux regroupements effectués. 

Le parcours est conçu pour accompagner le visiteur dans la traversée d'une époque qui n'a rien de glorieux en dépit des épithètes qu'on persiste à lui accorder.  "L'humanité y est toute entière interrogée dans ses drames, ses errements, ses luttes et ses révoltes, mais aussi dans ses précieux instants d'espoir. " De mes deux passages dans l'exposition, j'ai surtout retenu les errements et les drames; un peu de honte aussi. Mais la prochaine fois, promis je chercherai les "précieux instants d'espoir" et je m'y accrocherai.

 

Tomasz Tomaszewski, The world is where you stop #4. Série A Stone's throw,2011 © Tomasz Tomaszewski, from the project “A stone's throw” #4

 

08 janvier 2024

Winterbreak

Un film très gentil et plein de bons sentiments pour changer. Un peu trop attendu quand même. Parce que l'histoire de ce professeur d'histoire ancienne consigné dans l'établissement privé où il enseigne pour surveiller cinq élèves qui pour des raisons diverses ne peuvent rejoindre leur famille pendant les vacances de Noël est quand même cousu de fil blanc et passablement caricatural. Le film ne démarre vraiment, à vrai dire que lorsque par un subterfuge tombé du ciel (au sens propre!), il ne reste qu'un seul étudiant sous sa garde; des liens plus personnels et finalement plus intimes peuvent alors se nouer qui mèneront à un dénouement ...  pas vraiment surprenant ! Mais les vieux schnocks au grand coeur, peut-on encore y croire?  Bon, d'accord, Alexander Payne a sans doute voulu marcher sur les traces de Dickens et de son méchant Scrooge, qui par une nuit de Noël ... Après l'avalée de films violents et de livres tout aussi violents que je viens de lire, j'avais certainement besoin d'une pause. Hivernale ou pas.


 


06 janvier 2024

L'ingénieux ingénieur

L'exposition est modeste, mais bien faite et s'adresse aux grands autant qu'aux plus petits. Il s'agit de rappeler que Gustave, l'ingénieux ingénieur qui a donné son nom à la grande tour du Champs de Mars qui accueille près de 7 millions de visiteurs par an, n'a pas seulement construit cette grande charpente métallique devenue symbole de Paris, non, l'ingénieux ingénieur a aussi construit des ponts, des viaducs et ... la structure métallique qui a permis à Bartholdi de construire la gigantesque statue offerte par le peuple français au peuple américain installée depuis 1886 à l'engtrée du port de New York. (Ouf, j'ai terminé ma phrase !)

Et c'est ainsi que l'on apprend dans cette exposition que le bateau qui a transporté les 214 caisses contenant les 350 pièces de la statue démontée et "les 36 caisses réservées aux rivets, rondelles et boulons nécessaires à l'assemblage" s'appelait ... l'Isère.


En revanche, je ne crois pas avoir vu mentionnée dans l'exposition le texte gravé sur une plaque de bronze au pied de la Statue de la Liberté, mais voici le poème d'Emma Lazarus dans sa version originale.

The New Colossus

Not like the brazen giant of Greek fame,
With conquering limbs astride from land to land;
Here at our sea-washed, sunset gates shall stand
A mighty woman with a torch, whose flame
Is the imprisoned lightning, and her name
Mother of Exiles. From her beacon-hand
Glows world-wide welcome; her mild eyes command
The air-bridged harbor that twin cities frame.
“Keep, ancient lands, your storied pomp!” cries she
With silent lips. “Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost to me,
I lift my lamp beside the golden door!”

Donne-moi tes pauvres, tes exténués,
Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte


Maison Bergès à Lancey jusqu'au 3 Mars 2024.  L'entrée est gratuite.

05 janvier 2024

Lance Weller, Le cercueil de Job

 

Passer du film de Felipe Gálvez Haberle au roman de Lance Weller, ce n'est pas vraiment changer d'univers, bien que le premier se passe au Chili au début du XXe siècle et le second aux Etats-Unis pendant la guerre civile. Autant dire qu'aucune brutalité, aucune turpitude ne sera épargnée au lecteur. Sans complaisance cependant. Juste la réalité. Et celle des guerres passées n'est pas très différentes de celle des guerres d'aujourd'hui.

Ceci posé, Le cercueil de Job est un grand et beau roman, remarquablement construit. Très vite on s'attache au personnage principal,  Bell, une jeune esclave qui au cours de sa fuite vers le Nord, croise la route d'autres personnages, esclaves fugitifs comme elle ou déserteur sudiste, tous fascinés par la candeur, la force morale et pour tout dire la pureté de l'enfant. Très habilement, Lance Weller croise et décroise les lignes de vie des personnages, revient en arrière pour raconter ce qu'ils ont vécu, et ménage, au milieu de tant de noirceur, quelques moments de pure bonté, de pure générosité. Ce qui permet de ne pas totalement désespérer de l'humanité, tout en ne cachant rien des monstruosités de l'esclavage et de la férocité des champs de bataille. Fresque historique, épopée lyrique, je ne sais comment qualifier ce livre, mais je sais qu'il fait partie de ceux que l'on n'oublie pas.

 De Lance Weller j'avais déjà lu Wilderness, avec un très beau personnage hanté lui aussi par la guerre civile. Et j'avais été frappé par la force et la subtilité de l'écriture. L'écrivain excelle à décrire la beauté de la nature dans son état sauvage, comme il excelle à décrire la sauvagerie des hommes lorsqu'ils ont perdu tout sens moral. Son regard sur l'Amérique est sans concession, il en dénonce tous les maux, toutes les errances, mais ne peut s'empêcher de croire qu'il pourrait en être autrement. 

PS. Deux couvertures très différentes. la version Totem est plus "lumineuse" mais à y regarder de près, la lumière est plutôt de la guerre et des incendies, et les abeilles, oui il y a des abeilles dans le roman mais est-ce cela l'essentiel ?  ...  L'autre couverture est plus sobre, plus mystérieuse et me paraît mieux convenir au roman.