29 juin 2020

Les Lèvres rouges


Ce film est une vraie curiosité ! Un film de Harry Kumel - pas le plus connu de cinéastes - qui date de 1971, avec Delphine Seirig, star incontestée, familière des films de Resnais, Truffaut, Demy, Bunuel, Losey ... La retrouver dans un film d'épouvante est pour le moins surprenant ! Plus sophistiquée que jamais, plus femme fatale que jamais, elle fascine autant le spectateur que le jeune couple arrivé par hasard  en plein hiver, dans ce grand hôtel d'Ostende. Car l'histoire se passe bien à Ostende et non en Transylvanie comme on pourrait s'y attendre pour un film de vampires.


Blonde platine, vêtue de rouge, de noir ou de blanc - les couleurs symboliques du film - pour finir en lamé argent,  Delphine Seirig n'a pas les canines agressives, mais ses lèvres sont peintes d'un rouge étincelant et son sourire est foudroyant. Elle passe en un éclair d'un regard suave et enjoleur à un regard de "serial killer", ce qu'elle est effectivement.

Grâce au jeu très étudié de l'actrice, et son phrasé si partiuclier, le film joue sur le double registre de l'épouvante, et du mélodrame un peu neu-neu. Si bien que le spectateur ne sait plus trop où se situer : premier degré ? second degré ? Tout est un peu excessif, caricatural, et parfois maladroit. Tout est constamment décalé : les costumes, les maquillage, les coiffures très années 70, contrastent avec le le décor intemporel et l'atmosphère mondaine du vieil hôtel pour, en fin de compte, régénérer, sans trop de subtilité, le thème éternel de la femme prédatrice.  Façon féministe : c'est la femme qui mène le jeu ! Façon saphiste : la proie visée par la tentatrice n'est pas Stephan mais Valérie ! 

28 juin 2020

Ernest J. Gaines, Catherine Carmier


Je croyais avoir lu tous ses livres, mais non, puisque je viens d'en découvrir un autre : Catherine Carmier m'a paru toutefois moins immédiatement emballant que  ... Colère en Louisiane ou Dites-leur que je suis un homme. Peut-être parce que ce qui se passe entre les différents personnages n'est pas explicite, et ce ne l'est pas parce que eux-mêmes ne sont pas toujours très au clair avec leurs émotions, leurs sentiments.
Le roman, qui se passe dans une petite ville de Louisiane, tourne autour de Catherine Carmier, de sa famille et de Jackson, un ami d'enfance parti un temps en Californie et revenu au pays mais sans l'intention d'y rester. La relation qui se noue entre Catherine et Carmier n'a rien de surprenant, mais, et c'est toute l'originalité du roman, elle est rendue impossible par leurs couleurs de peau.


Ernest Gaines, comme dans tous ses romans, parle de racisme et l'on n'est pas surpris de voir ici l'antagonisme entre les Créoles et les Noirs, les premiers grignotant petit à petit toutes les terres ce qui contraint les Noirs à quitter  la région. Mais dans ce roman, l'écrivain aborde également la question du racisme entre Noirs, la couleur de peau faisant toute la différence pour Raoul, le père de Catherine, un homme intransigeant et borné qui ne peut concevoir que sa fille, à la peau si claire, fréquente un homme à la peau plus foncée. Les choses bien sûr ne sont pas dites aussi platement, parce que la palette des sentiments est infinie et parce que ce racisme relève du non-dit :  ce n'est qu'en progressant de page en page que l'on découvre la tragédie qui a marqué à jamais la famille.

Ernest Gaines est de ces écrivains habiles qui autour de 2 ou 3 personnages principaux, crée en fait toute une communauté avec une poignée de personnages -  hommes ou femmes, jeunes ou vieux -  qui chacun représente une façon d'être Noir, une façon différente d'être au monde. Parce que, blanc ou noir, le monde est complexe et les réactions des êtres humains souvent ambigus.

27 juin 2020

Brooklyn Secret

Le cinéma - comme la littérature -  pour découvrir des personnages, des milieux, des histoires qui ne ressemblent en rien à la mienne, voilà ce que j'attends à chaque fois que je vais voir un film ou que j'ouvre un livre.

Le film d'Isabel Sandoval, Brooklyn secret, répond tout à fait à cette attente. D'abord parce que le Brooklyn dont il est question n'est pas celui des bobos, et autres hipsters. Non, c'est celui des immigrés, certains depuis plusieurs générations et déjà très intégrés; d'autres plus récents et encore sans papiers comme c'est le cas d'Olivia, une jeune femme originaire des Philippines qui s'occupe d'Olga, une vieille dame d'origine russe qui n'a plus toujours sa tête.
Lorsque revient, après un an d'absence inexpliquée (prison?), le petit-fils d'Olga, la famille décide qu'il doit loger chez sa grand-mère pour s'en occuper. Se noue alors, comme on pouvait s'en douter une liaison amoureuse entre Alex et Olivia.


Pourtant, rien n'est évident dans cette relation, parce que rien n'est évident dans la trajectoire de l'un et de l'autre. Alex travaille dans un laboratoire, mais sa propension à l'alcoolisme, son goût de la fête et son insouciance risquent de lui faire perdre son job. Olga, consciencieuse et travailleuse, harcelée par sa famille à qui elle envoie régulièrement de l'argent, vit constamment sur ses gardes, terrorisée à l'idée de se faire arrêter et renvoyer aux Philippines.

La réalisatrice, qui a sans doute mis beaucoup d'elle même dans son film, ne serait-ce que parce qu'elle en interprète le rôle principal, réussit par une mise en scène subtile et sensuelle,  tout en clair-obscur et en demi-teintes, à souligner les émotions souvent intenses de ses personnages comme suspendus dans le vide, puisqu'ils n'appartiennent ni tout à fait à un monde, ni tout à fait à un autre. Le discours n'est en rien moralisateur, ou didactique, c'est plutôt par l'empathie qu'Isabel Sandoval cherche à toucher le spectateur. Et y parvient !


26 juin 2020

Dans un jardin qu'on dirait éternel


La cérémonie du thé ! Qu'un rituel aussi compliqué puisse exister pour préparer "une simple tasse de thé" paraît très difficile à comprendre pour qui s'intéresse un peu au Japon. Mais le film de Tatsushi Ōmori n'a rien d'un documentaire, bien que chaque geste, chaque objet, chaque silence soit soigneusement observé et minutieusement reconstitué.

Il s'agit en réalité de tout autre chose car le réalisateur invite le spectateur à une compréhension du rituel  qui ne passe pas seulement par la parole, mais bien par les cinq sens : il faut regarder, toucher et surtout écouter.  Ecouter le claquement de la serviette que l'on déplie, le bruit de l'eau que l'on verse jusqu'à la dernière goutte, sentir le vent, le froid ou la chaleur car le rituel varie en fonction des saisons.
Et l'on comprend peu à peu que dans l'apprentissage de la cérémonie du thé la préparation du breuvage n'est pas l'essentiel. Il s'agit plutôt d'appréhender le temps d'une autre façon, de vivre pleinement chaque moment, chaque seconde.


Le film séduit incontestablement par son esthétique et choisir deux adolescentes des années 50 comme protagonistes est tout à fait astucieux : elles sont débordantes de vitalité, bien dans leur époque, et découvrent peut à peu d'autres valeurs; chacune d'ailleurs décidera de suivre le chemin de son choix, en tenant compte, ou pas, de l'enseignement de Maître Takeda.

Dois-je préciser que Dans un jardin qu'on dirait éternel n'est pas vraiment ce qu'on appelle un film d'action, ni même d'aventure ! Mais aller le voir c'est accepter d'ouvrir une fenêtre sur d'autres façons de penser et de vivre.

25 juin 2020

Hotel by the river


La programmation du film de Hong Sang-Soo pour réouvrir le Méliès après 99 jours d'absence relève d'un choix exigeant de la part de son directeur. Car le réalisateur coréen, grand admirateur de Rohmer, se soucie plus de la qualité des dialogues, et de la fluctuation des relations entre les personnages, que de la construction d'une intrigue linéaire. C'est donc au spectateur de se débrouiller pour expliquer la présence dans un hôtel au bord d'une rivière, d'un écrivain, bientôt rejoint par ses deux fils adultes pour une raison qu'au début du film il reste à imaginer.
Dans ce même hôtel et au même étage, séjourne une jeune femme mélancolique et contemplative qui  n'a, a priori, aucun lien avec l'écrivain. Une autre femme, une amie peut-être la rejoint bientôt sans que sa venue soit clairement expliquée.
Tous ces personnages vont et viennent, se croisent, se fuient, échangent quelques propos, disparaissent, se cherchent.... Ils sont désoeuvrés. En attente d'on ne sait trop quoi. Dehors il fait froid. La neige est tombée. Le paysage se noie dans la blancheur. C'est la plus belle image du film, celle de l'affiche.




Le rythme alangui du film qui suggère plus qu'il ne dit peut être un stimulant pour celui qui s'acharne à trouver le noeud de l'intrigue et combler les trous du scénario, mais se laisser porter par les situations sans vouloir à tout prix trouver une raison à tout, est une autre façon d'aborder le film de Hong Sangsoo

24 juin 2020

Retour au cinéma

Au Méliès bien sûr ! Avec des mesures simples à respecter et une floppée d'avant-premières réjouissantes. 
99 jours sans cinéma, c'était long ! 


19 juin 2020

David Grann, La Note américaine


Il m'arrive, mais c'est assez rare, de lire autre chose que des romans. Ainsi ce récit historique, monté comme une enquête policière par David Grann, sur un épisode peu connu de l'histoire américaine.

On se retrouve ainsi dans l'Oklahoma, au début des années 20, et on s'intéresse aux Osages, une tribu indienne - oui, je sais, native-americaine serait plus correct - auquel le gouvernement américain a attribué un territoire sans valeur sur le plan agricole. Jusqu'à ce que l'on y découvre un gisement de pétrole. Voici donc les Osages richissimes par le seul jeu du foncier.
Oui mais.... aux yeux des Bancs, les Indiens n'est-ce pas ne sont pas capables de gérer leurs bien !  Il faut donc leur attribuer des tuteurs qui n'ont pas beaucoup de mal à s'emparer des fortunes qu'ils sont supposés administrer. Et quand cela ne suffit pas, ou si cela prend trop de temps, certains n'hésitent pas à commanditer un meurtre, des meurtres ! Des dizaines de meurtres !  Puisqu'il ne suffit pas de faire disparaître les propriétaires  et leurs héritiers, il faut aussi supprimer les intermédiaires et les témoins qui pourraient parler.


David Grann, journaliste-historien acharné a mené une longue enquête pour reconstituer toute l'histoire de cette décennie fatale, dans un récit qui tient du roman policier autant que de l'étude sociologique. Ce faisant on découvre aussi, avec Tom White, l'agent chargé de l'enquête sur les meurtres, le fonctionnement du FBI nouvellement créé par Hoover.

La Note américaine est un document tout à fait passionnant qui met en évidence la façon dont certains individus sans scrupules et motivés par le seul appât du gain, ont imposé leur présence sur le sol américain.

Martin Scorcese devrait adapter le livre  de David Grann au cinéma, le titre, Killers of the flower moon, et les acteurs  (Di Caprio, De Niro) ont déjà été choisis, mais le tournage a été repoussé à une date inconnue pour cause de Covid. En attendant le livre se lit d'une traite !

18 juin 2020

Aelita


Aelita est un film étonnant qui s'est retrouvé je ne sais comment parmi mes DVD. Un film russe de Jacob Protozanov qui date de 1924. Muet donc et en noir et blanc. Il fallait bien un dimanche après-midi gris et vaguement pluvieux pour me décider à le regarder.

Et pourtant, quel film que cet Aelita qui mélange tous les genres ou presque : le mélodrame, l'enquête policière, la science-fiction, l'onirisme et la propagande politique ! Rien de moins.


On est en Russie, au tout début des années 20 et donc de l'URSS lorsque l'art et la politique marchaient encore main dans la main. Au tout début aussi du constructivisme qui marque le film de son esthétique : les décors et les costumes réalisés par Alexandra Exter sont certes datés, mais tout à fait remarquables. La restauration numérique est en tout cas une réussite et permet d'apprécier pleinement tout ce qui relève du visuel dans le film.
Le scénario adapté d'un roman d'Alexis Tolstoi est assez complexe puisqu'à l'histoire d'amour entre l'ingénieur Los et sa jeune épouse (les intellos), s'ajoute l'histoire du jeune soldat et de son infirmière (les prolos), celle d'un couple d'escrocs (issus évidemment de la  bourgeoisie !) sans oublier l'enquête du détective privé pas très futé.
Quant aux épisodes censés se passer sur Mars ils relèvent franchement de la fable politique et pour tout dire de la propagande avec la tentative de récupération d'une révolution populaire par un tyran. Une tyranne en fait si le mot existait !
Je ne sais comment le film a été reçu à sa sortie, mais 96 ans plus tard, avec le recul historique, ce film est passionnant aussi bien par ce qu'il révèle de l'idéologie soviétique que par son esthétique.


17 juin 2020

Karina Sainz Borgo, La Fille de l'Espagnole


La Fille de l'Espagnole est un livre intéressant, très intéressant même, mais on ne le referme pas le sourire aux lèvres. Parce que, même s'il s'agit bien d'une fiction, cette fiction ressemble terriblement à la réalité et fait froid dans le dos


L'histoire est celle d'une jeune femme de Caracas qui vient de perdre sa mère et qui doit faire face à ce deuil, mais aussi à l'invraisemblable situation économique et politique de son pays. Où des bandes armées font régner la terreur, accaparent les ressources alimentaires et spolient les habitants de leurs appartements. C'est ainsi que la narratrice qui vient d'être mise à la porte de son propre appartement n'a d'autre ressource, alors que les émeutes font rage dans sa rue, que de se réfugier dans l'appartement voisin le temps de trouver comment quitter le pays pour rejoindre l'Espagne sous une identité usurpée.
On serait dans un roman d'aventure du XIXe siècle,  ou même un roman noir du XXe siècle, on trouverait ces péripéties époustouflantes. Mais comme il s'agit bien de la réalité d'aujourd'hui elles sont tout simplement terrifiantes ! Edifiantes  aussi à propos d'un pays, le Venezuela, dont les médias ne se soucient que de temps en temps....
Et quand on pense qu'une partie au moins du roman est autobiograpique, cela explique peut-être la froideur avec laquelle Karina Sainz Borgo s'efforce de décrire l'état de son pays. Une mise à distance certainement salutaire.

07 juin 2020

Gaelle Josse, Un été à quatre mains


Un autre joli petit texte de Gaelle Josse. Un été dans la vie de Schubert, l'esquisse d une histoire d'amour, toute la mélancolie de ce qui pourrait être, mais ne sera pas. Une lecture parfaite pour un jour de pluie. Avec en fond sonore, une sonate de Schubert ?

04 juin 2020

Alex -W-Inker, Un Travail comme un autre


Je l'attendais depuis un certain temps. Commandé à ma librairie préférée, il est arrivé pile le jour de sa parution, preuve que les vraies librairies font, en matière de livraison, aussi bien qu'Amazon !


De quoi s'agit-il ? De la version graphique du roman de Virginia Reeves paru en 2017 : Un travail comme un autre. L'entreprise est étonnante et n'a pas pris moins de 2 ans à Alex-W-Inker pour arriver au bout de sa tâche. D'abord parce que le roman d'origine aborde des thèmes aussi variés que la pauvreté du monde rural, les relations de couple, le racisme, la prison, la chaise électrique ...  des sujets graves certes, mais au final un roman très équilibré avec des personnages qui ne laissent pas indifférents. Ensuite, parce que les dessins demandent à être documentés pour correspondre à la réalité historique et géographique.


En adaptant le roman, le dessinateur fait forcément des choix : style graphique, couleurs bien sûr, mais aussi des choix d'interprétation, en mettant en valeur tel personnage plutôt que tel autre, tel événement plutôt que tel autre. Bien que souvent réfractaire aux transpositions cinématographiques ou graphiques, j'ai apprécié la lecture de cette bande dessinée qui, sans trahir le roman, en propose une lecture légèrement différente de la mienne. Et puisque lire c'est toujours faire des choix, il est toujours intéressant de confronter ses propres choix de lecture à ceux d'un autre lecteur.

Ceci dit, il n'est pas indispensable d'avoir lu le roman de Virginia Reeves pour apprécier celui d'Alex-W-Inker qui se suffit parfaitement à lui-même. En revanche l'interview de l'auteur publiée sur le site de France Inter est un intéressant complément  à sa lecture.

https://www.franceinter.fr/culture/bande-dessinee-un-travail-comme-un-autre-par-alex-w-inker-la-grande-depression-a-travers-un-loser-eclaire

02 juin 2020

Vanessa de l'ortie


Drôle de nom pour un papillon... 


01 juin 2020

Robert Seethaler, Le Champ


Des personnages tous différents, tous "uniques" et malgré tout le sentiment d'une communauté, voilà ce que j'ai retenu de ce livre, qu'au départ je n'avais pas très envie de lire. Les habitants de Paulstadt l'appellent le Champ, mais en réalité c'est un cimetière.
"C'était une mauvaise terre jonchée de pierres et de boutons d'or toxiques, que le paysan s'était empressé de refiler à la commune à la première occasion. Elle ne valait rien pour les bêtes, elle ferait bien l'affaire pour les morts. "
Avec un tel début on hésite un peu à se lancer dans la lecture du roman de Robert Seethaler. Cela se comprend, mais ce serait dommage, car les morts qu'il fait parler l'un après l'autre, ont d'abord été vivants - merci Lapalisse ! Et c'est leur vie qu'ils nous racontent, des vies simples, des vies ordinaires pour la plupart. Mais chacun a sa façon de la raconter. Et au final c'est toute la vie d'un village que découvre le lecteur.
A chaque voix, son histoire donc, un peu comme dans un recueil de nouvelles, mais l'unité de lieu constitue le lien de l'une à l'autre car tous, à un moment ou l'autre de leur existence, ont vécu à Paulstadt ; la plupart n'en sont jamais partis, ils se sont donc connus, un peu, ont vécu quelques événements en commun (l'incendie de l'église) ....Des personnages tous différents, tous "uniques" et malgré tout le sentiment d'une communauté, voilà ce que j'ai retenu de ce livre, qu'au départ je n'avais pas très envie de lire.