30 juin 2021

Einar Karason, Oiseaux de tempêtes

 Je crains que ce roman ne soit un peu difficile à suivre pour les lecteurs peu familiers avec le monde de la mer et des bateaux. Parce que le récit que fait Einar Karason de cette effroyable tempête de l’hiver 59, est d’une précision et d’un réalisme … glaçant. En effet le principal danger que court le Mafur, un chalutier avec 32 hommes à bord qui termine sa campagne de pêche avec ses cales pleines de sébastes, vient autant de la mer et du vent que du poids de la glace qui recouvre le pont, alourdit le bateau et risque à tout moment de l’envoyer par le fond.

Le choix d’un récit essentiellement factuel est certes justifié parce que la vie à bord d’un bateau est strictement ordonnée, plus encore lorsque les conditions sont difficiles, mais le roman perd en émotion ce qu’il gagne en vérité. Les personnages n’émergent que peu à peu dans leur singularité, ce qui est tout aussi justifié, parce qu’un équipage c’est d’abord un collectif, où chaque individu a une fonction bien particulière. Ce n’est donc que dans la dernière partie du roman que peu à peu on s’intéresse non plus au sort du bateau, mais à celui des hommes : le maître d’équipage (un colosse), le premier lieutenant (gravement blessé) le radio (qui a mis ses habits du dimanche pour mourir dignement), le commandant (qui 4 jours et 3 nuits durant ne quitte pas la passerelle), les cuistots, les mécaniciens… et le jeune Larus, le seul à être nommé autrement que par sa fonction !

Le livre une fois refermé, on comprend qu’à travers le récit de cette tempête, l’auteur a voulu montrer qu’un équipage, soumis à de telles épreuves, n’a de chances de survie que dans la mesure où chaque individu s’oublie au profit du collectif.

« Tous pour un et un pour tous » ? un roman comme une leçon de philosophie politique ?

Oiseau de tempête est le deuxième roman traduit en français de cet auteur islandais. Il serait peut-être bon d’aller chercher les autres …

 


Craig Johnson, Dry bones

 

J’avais un peu lâché prise sur les romans de Craig Johnson et me réjouissais de ces retrouvailles. Peut-être un peu décevantes.

 J’ai certes retrouvé avec plaisir le shérif Longmire, et tous ses acolytes. Mais les histoires de dinosaures et de fouilles archéologiques au milieu du Wyoming… bien qu’avérées, ne m’ont pas passionnée et à vrai dire, je me suis un peu perdue, non pas dans les Black Hills, mais parmi les personnages un peu trop nombreux sans que leur présence soit absolument indispensable (si ce n’est peut-être pour préparer le prochain roman) ; je me suis même lassée des clins d’œil trop appuyés, de l’humour un peu forcée. Bref, un capital de sympathie légèrement écorné, mais qui ne m’empêchera pas de lire le prochain roman du grand auteur du Wyoming.

Jenni Hendricks and Ted Caplan, Missouri 1927

Chick lit ! je connaissais l’expression qui désigne un certain type de « littérature » à destination des filles. Le seul fait qu’un livre puisse être destiné à un lectorat spécifique me hérisse le poil. Mais rien ne vaut l’expérience et j’aurais au moins lu un exemplaire de ce genre romanesque. Bourré de bonnes intentions c’est évident puisqu’il s’agit de l’odyssée de deux jeunes filles partis du Missouri pour aller jusqu’à une clinique d’avortement du Colorado. Celle qui est enceinte est la « sage », bonne élève, populaire, sur le point d’obtenir la place enviée de Major de sa promotion. L’autre est la « folle », la paria du lycée. Elles étaient autrefois amies, mais l’occasion les a rapprochées. Les lois sur l’avortement, l’acceptation de l’homosexualité, l’amitié … voilà pour les thèmes graves abordées avec un semblant de fantaisie. Résultat un produit parfaitement calibré et sans doute efficace.

J’ai bien dit produit. Pas littérature. 

 



16 juin 2021

Ils ont grandi ...


 ... grandi et grossi. !Ils ont désormais des plumes. Mais j'ai beau compter et recompter je ne trouve que 4 becs. Il y avait pourtant bien 5 oeufs au départ ... 

 
En tout cas, d'un jour à l'autre la transformation est rapide. La première photo date du 12 Juin, la deuxième du 14 ! Bientôt, de toute façon le nid sera trop petit.



15 juin 2021

Fatima Daas, La Petite dernière

 Hasard des lectures qui se succèdent. Je viens de quitter un étrange roman juif, et me voici avec un roman tout aussi étrange dont le personnage principal et la narratrice est une jeune fille musulmane. 

S'agit-il seulement d'un roman ? La Petite dernière est un long monologue rythmé, que l'on imagine aisément slammé. Un texte poétique scandé par le même incipit à chaque chapitre : Je m'appelle Fatima  qui devient parfois Je m'appelle Fatima Daas  qui sonne comme l'affirmation d'une identité, mais dont on s'aperçoit rapidement qu'il s'agit de la recherche d'une identité. On pourrait dire de La Petite dernière qu'il s'agit d'un roman devinette. Qui suis-je ? Je suis française, je suis d'origine algérienne, je suis asthmatique, je suis une menteuse, je suis une petite chamelle sevrée, je suis musulmane, je suis une adolescente perturbée... 

Le texte est très accrocheur et les pages s'envolent. L'autobiographie n'est pas loin, mais une autobiographie tout en interrogations. Comme Surie dans Divison avenue, Fatima s'interroge sur sa place dans la société, dans sa communauté. L'une est au mitan de sa vie, l'autre n'en est qu'au début, l'une est juive et l'autre musulmane. Ce sont des intranquilles.


14 juin 2021

Goldie Goldbloom, Division avenue

Division Avenue est une banale rue du quartier de Williamsburg à Brooklyn. Banale ? Pas tout à fait parce que  Division Avenue est aussi le coeur de la communauté juive hassidique. Et c'est de ce côté que nous emmène le roman de Goldie Goldbloom. 


Un roman ? Oui, bien sûr, avec des personnages fictifs, comme Surie, déjà mère de 9 ou 10 enfants (dont certains ont déjà procrée) qui se retrouve enceinte de jumeaux à 57 ans ! La situation est hautement improbable ? Peu importe parce que le roman nous emporte dans la vie au jour le jour d'une famille juive très respectueuse des traditions de sa communauté et qu'une chance est ainsi donnée au lecteur de pénétrer dans cette communauté, de partager les corvées, les obligations, mais aussi les fêtes, les rituels. Les interdits sont nombreux il est vrai mais ils n'entravent pas l'affection, le rire, la générosité. Les contraintes sont nombreuses elles aussi, mais elle donnent sens et cohésion à cette communauté qui semble parfois vivre en marge du monde ordinaire.

Surie, pour cause de grossesse à haut risque est amenée à se rendre dans un hôpital de Manhattan; elle franchit alors l'East River, une rivière symbolique qui marque la frontière entre deux mondes, celui où l'on parle yiddish et celui où l'on parle américain. Dans cet hôpital elle découvre d'autres façons de faire, et avec l'aide de Val la sage-femme elle s'initie peu à peu aux tâches hospitalières tout en s'interrogeant sur sa place dans le monde. Son regard sur son mari, sur sa famille, sur sa communauté se fait plus distant, plus lucide surtout. 

Division Avenue est un roman joyeux, souvent très drôle, émouvant parfois, que j'ai lu avec avidité, curieuse d'en savoir un peu plus sur le mode de vie et le mode de pensée de cette communauté hassidique. Curieuse aussi de savoir si Goldie Goldbloom allait mener son personnage au terme de sa grossesse. Qu'allait-elle pouvoir inventer qui soit à peu près crédible ? J'avoue avoir été un peu déçue sur ce point, mais à y bien penser, je n'ai finalement pas trouvé de meilleure solution. 

 

13 juin 2021

L'oubli que nous serons

 Les meilleurs intentions ne font ni un bon livre, ni un bon film. 

A trop vouloir faire l'éloge  du Dr Héctor Abad Gomez, Fernando Trueba finit par faire un film un peu plombant à force de montrer toutes les qualités de ce médecin colombien, bon père, bon époux, grand humaniste, grand défenseur des droits de l'homme et de la démocratie : ce n'est plus un biopic, c'est une hagiographie ! 

Je ne mets pas en doute les qualités du personnage, père de l'écrivain et journaliste Héctor Abad Faciolince; je comprends aussi que le fils ait voulu rendre hommage à son père en racontant son histoire puisque le film a d'abord été un livre. Mais j'attendais du réalisateur plus de retenue, une certaine mise à distance car dans le parcours de cet homme trop parfait, on finit par chercher les failles - et il y en a forcément - tant la mise en scène est lourde et insistante. Héctor Abad Gomez est certainement un homme remarquable; le film de Fernando Trubea est juste un peu pesant. 



 

10 juin 2021

Une vie secrète

 L'histoire est pour le moins surprenante : pour échapper aux milices de Franco, un homme se réfugie dans un trou creusé dans sa maison. Le temps d'échapper aux recherches. Oui mais ! On est en Andalousie, en 1936 et ce n'est pas le camp d'Higinio qui sort vainqueur de la guerre civile. 

Ils sont trois - Jon Garaño et Aitor Arregi avec Antonio de la Torre - à signer l'histoire de cet homme qui a vécu pendant 30 ans terré comme une bête au fond d'une cave. L'histoire de cet homme et de sa femme, sa complice, sa protectrice, celle qui pourvoit à tous ses besoins, qui assure sa sécurité comme son alimentation. Une vie secrète est une histoire d'enfermement, mais aussi et surtout une histoire de dépendance et de renoncement difficile à imaginer.  Pourtant, le film ne fait que reconstituer le sort de ceux qui jusqu'à l'armistice de 1969 ont vécu comme des taupes pour échapper aux représailles, aux vengeances, à la haine. 

Les conditions de vie de ce couple sont minutieusement reconstituées et donc inscrites dans une réalité quotidienne, mais le sentiment d'effarement provient du fait que les années passent, que le monde extérieur change, mais que l'enferment et l'obligation du secret demeurent. 

Le couple, par un subterfuge que je ne dévoilerai parvient à avoir un enfant, contraint lui aussi de vivre dans la dissimulation. et l'on comprend, à travers lui, que c'est toute une génération qui a vécu jusqu'à la mort de Franco dans la peur et le mensonge. Une réalité  historique dont l'image, mieux sans doute que la parole, fait ressentir la pesanteur et l'absurdité.


09 juin 2021

Cinq minuscules merleaux

Lundi matin,  trois oeufs avaient éclos. 

Hier ils étaient cinq. Si nus, si fragiles, et si emmêlés. Difficile de les distinguer !



Attica Locke, Bluebird, Bluebird

 Le roman avait a priori tout pour me plaire : l'Amérique, un bled paumé du Texas, deux meurtres,  un Ranger du Texas noir, un shérif pas très net, des bars poisseux où se retrouvent des suprématistes blancs pour ne pas dire des membres de KKK .... oui mais voilà, si l'ambiance est facile à imaginer, la multiplication des personnages ne rend pas l'affaire aisée à suivre (ce qui pour un polar est quand même dommage) et il y a dans l'écriture, quelque chose de raide, de maladroit (et je ne crois pas que cela vienne de la seule traduction). Un petit abus de clichés peut-être aussi ou trop de "bonnes intentions" ... bref, je me suis un peu ennuyée à lire ce roman, ce qui pour un polar est franchement un comble. Dommage, la couverture était pourtant très réussie.



08 juin 2021

Consoude

Grande Consoude du Caucase pour faire plus exotique. Une fleur pourtant bien ordinaire, qu'on utilise essentiellement en paillis, quand on n'en fait pas du purin ! 

Photographiée à contre-jour et en contre-plongée, elle est pourtant d'un bleu si intense qu'elle peut sans difficulté rivaliser avec bien des plantes dites ornementales.

07 juin 2021

Yannis Makridakis, La Première veine

Un roman grec. Pas très gros,  mais en 90 pages Yannis Makridakis parvient à raconter deux vies, ou plutôt à faire entendre deux voix, celle d'Evgenia, ancienne prostituée et celle de Yorgos, ancien marin. Deux voix qui se croisent, mais ne se rencontrent jamais. 

C'est une jolie réussite parce que les récits alternés, structure très (trop!) usitée de la littérature actuelle, restent alternés jusqu'à la fin. Chacun son chemin, bien qu'Evgenia et Yorgos soient contemporains et donc inscrits dans l'histoire grecque du XXe siècle, entre guerre civile et dictature. Bien qu'ils aient  de surcroît quelques points communs, ne serait-ce que cette façon se déplacer de lieu en lieu, de port en port.

Pour Yorgos cela va de soi puisqu'il est marin et n'a cessé d'embarquer sur toutes sortes de bateaux, à une époque où la marine marchande grecque étendait sa diaspora dans le monde entier. Yorgos toutefois parle moins de sa vie en mer que de ses bordées à terre, et de sa fréquentation assidue ... des bordels et des prostituées !

Evgenia voyage sans doute un peu moins, mais son indépendance d'esprit lui fait claquer la porte dès qu'elle sens sa liberté menacée. Elle est prostituée, parce que c'est un moyen de gagner sa vie, mais c'est elle qui décide, c'est elle qui choisit. Réfractaire au mariage, elle mène sa vie comme elle l'entend, une femme sûre d'elle et volontaire, un beau modèle de féministe, sans même qu'elle ait jamais besoin de prononcer le mot.

Yannis Makridakis a crée deux "beaux" personnages qu'il fait parler à la première personne. Leur langage est celui de la parole, populaire, souvent crue, celle des gens qui n'ont pas peur des mots ni de ce qu'ils révèlent. Certains propos, de Yorgos en particulier, peuvent paraître tout à fait choquants si l'on oublie qu'il s'agit des propos d'un personnage, fictif donc, et non pas des propos de l'auteur. De toute façon, il m'importe peu que  les personnages de roman soient ou non recommandables, lorsqu'ils sont bien campés, ils finissent toujours par m'intéresser. Et des Yorgos ou des Evgenia, je n'en ai pas beaucoup rencontrés dans ma vie !

06 juin 2021

Les Séminaristes

 Cela fait bien longtemps que je n'avais pas vu de film slovaque. Cela fait bien longtemps aussi que je n'avais pas vu de jeunes séminaristes en soutane !  Un accoutrement qui se révèle presque aussi photogénique que dans les photos de Mario Giacomelli auxquelles on ne peut s'empêcher de penser tout au long du film tant la séduction de ce noir et blanc est grande. Outre les soutanes des séminaristes il y a aussi l'architecture du séminaire, murs blancs, couloirs vides, dont le cameraman souligne la grandeur écrasante par de magnifiques plans; je pense en particulier à cette cour carrée filmée depuis très haut en contreplongée, un plan qui revient à plusieurs reprises et suggère bien sûr l'enfermement,  autant que la pesanteur de l'idéologie.

 Le premier atout du film est incontestablement sa beauté visuelle. Et le mode de narration, très élliptique, choisi par le réalisateur, qui suggère sans jamais être totalement explicite. Ce qui convient parfaitement à la situation décrite, où tout le monde fait l'objet de soupçons et chacun doit apprendre à se méfier de chacun, y compris et surtout de ceux que l'on croit connaître

Deux jeunes séminaristes se retrouvent ainsi pris au piège d'une hiérarchie religieuse qui a prêté allégeance à la dictature politique (on est en Tchékoslovaquie dans les années 80 !) alors même qu'une résistance, soutenue  en secret par le Vatican, s'est organisée à l'intérieur du séminaire,  La collusion de l'Eglise et de l'Etat  ! Le film est certes historique, mais le sujet reste plus que jamais d'actualité ! Quelle que soit la religion. Quel que soit l'Etat !

Le titre anglais The servants me paraît à cet égard beaucoup plus riche de possibilités que "Les séminaristes". Le terme existe en français pour désigner les auxiliaires de messe dans l'Eglise catholique,  , mais il existe bien des possibilités de servir : la messe ... Dieu... l'Eglise... ou le Parti... comme il existe toutes sortes de servitudes, volontaires ou non.  Autant de pistes de réflexion que le film suggère. Ivan Ostrochovský n'en est peut-être qu'à son deuxième film, mais c'est définitivement un cinéaste à suivre.

03 juin 2021

Drunk

" Je bois.... systématiquement..... pour oublier... tous mes emmerdements ! "

Impossible de ne pas penser à ce poème de Boris Vian quand on a vu le dernier film de Thomas Vinterberg. Parce que boire c'est une chose et les quantités d'alcool ingurgitées par les quatre personnages du film sont comme on pouvait s'en douter, phénoménales ! Mais encore faut-il savoir pourquoi on boit. Et c'est là tout l'intérêt du film car c'est au cours d'un repas entre amis que ces quatre hommes au mitan de leur vie, professeurs en lycée,  décident de tenter une expérience et de boire - systématiquement - pour vérifier la théorie selon laquelle l'homme naîtrait avec un déficit d'alcool dans le sang, déficit qu'il conviendrait donc de combler. Une tâche à laquelle ils vont immédiatement s'atteler.

Où cette "expérience" va-t-elle les mener ? C'est ce que le film raconte et pour le spectateur, en l'occurrence la spectatrice, c'est l'occasion de pénétrer dans un monde d'hommes, de découvrir leurs états-d'âme, leurs difficultés à se situer dans leur métier, dans leur couple, avec leurs enfants, avec les autres tout simplement. Drunk malgré les apparences n'est pas qu'une pochade sur les méfaits  - ou les bienfaits de l'alcool, c'est aussi une réflexion sur la façon d'appréhender la vie et les contraintes qui pèsent sur chacun. Et c'est surtout un beau film sur l'amitié.