04 juin 2008

Simon Norfolk

En cherchant une illustration pour une bibliographie sur le Liban, je suis tombée, par couverture interposée, sur le site de Simon Norfolk. C'est en effet une de ses photos qui illustre la couverture de livre d'André Bercoff : Retour au pays natal


Ciel bleu, mer turquoise; au premier plan une piscine, turquoise elle aussi, mais vide.
Quelques meubles sur la terrasse, deux parasols.... image d'oisiveté, de détente !
Mais pas un être humain et, au loin une épaisse fumée noire.

J'ai retrouvé la photo, et quelques autres sur le site de Simon Norfolk, un photographe né au Nigeria, qui, après des études de philo et de sociologie à Oxford et Bristol, a d'abord travaillé comme photo-journaliste avant de se consacrer à la photo de paysages.
De paysages !
Liban, Afghanistan, Bosnie, Irak, Palestine... camps de réfugiés : les paysages de Simon Norfolk sont des paysages de guerre.
D'une insupportable violence et d'une stupéfiante beauté.

Allez voir sur http://www.simonnorfolk.com/ et dites moi ce que vous en pensez. Mais vous voici prévenus, les photos sont parfois très dures.

03 juin 2008

L'os et la moelle


- Alors, Gargantua, tu l'as lu ?
- Un peu oui !
- Et ?
- Ben je ne savais pas que c'était aussi ... cochon !
- Forcément ! Dans les manuels scolaires on ne donne que des extraits soigneusement triés, expurgés et disons le franchement censurés. Comment veux-tu apprécier un auteur de cette façon ? On essaye de te mettre l'eau à la bouche, mais on te présente les morceaux les plus fades, les plus insipides ; du coup tu trouves (peut-être ! ) que c'est intéressant, mais sacrément ennuyeux ! Et tu en restes là. Et tu gardes le souvenir d'un texte édulcoré et d'un Rabelais gentillet. Alors qu'en réalité il attaque fort ! astucieusement mais fort ! Et surtout intelligemment parce que les bouffonneries de certains chapitres ne sont là que pour masquer les observations très critiques de Rabelais sur la religion, la situation politique et la gestion des affaires.

Le procédé est peut-être vieux comme le monde, mais il n'a jamais été aussi bien théorisé que par Rabelais ! Tu as lu attentivement le prologue n'est-ce pas ?
- Attentivement ? Je l'ai lu.
- Tu te souviens des Silènes, ces petites boîtes à médicaments ?
- ?
- Et de Socrate ?
- ?
- Et de l'os à moelle ?
- Ah, oui : l'os à moelle !
- Et bien, d'une image l'autre, Rabelais ne dit qu'une seule et même chose. Et c'est la clef de toute lecture : il y a la lettre et puis l'esprit. Il y a les mots, les personnages, l'intrigue.... dont tu te divertis et puis il y a le sens, plus ou moins caché dont tu te nourris.
- Quelque chose comme le premier et le second degré ?
- A peu près. Si tu te contentes de lire une histoire sans te demander ce qu'elle signifie, ce n'est pas la peine de lire. Autant enfiler des perles ou peigner la girafe !
- C'est pas un peu "prise de tête" ta méthode ?
- Bien sûr, mais à l'intérieur du crâne tu as quoi ? Du fromage blanc ? Non, comme tout humain normalement constitué, tu as un cerveau et ce qui est bien avec le cerveau, c'est que plus tu t'en sers, mieux il fonctionne. Dans son prologue, Rabelais ne demande rien d'autre.

"A l'exemple de ce chien, il vous convient d'avoir, légers à la poursuite et hardis à l'attaque, le discernement de humer, sentir et apprécier ces beaux livres de haute graisse; puis, par une lecture attentive et une réflexion assidue, rompre l'os et sucer la substantifique moelle [ ...] avec le ferme espoir de devenir avisés et vertueux grâce à cette lecture [...]"

- Si je te comprends bien, en lisant Rabelais, je suis tombé sur un os ! ah! ah!
- Un os, oui mais quel os ! Puisque des siècles plus tard, des tas de gens s'en nourrissent encore. Quant aux censeurs et autres empêcheurs, ils se sont cassés les dents sur les litanies bachiques ou sur l'interminable liste des torche-culs !
- Il faut reconnaître que ton Rabelais avait pas mal de vocabulaire.
- Et beaucoup d'imagination ! Deux mots encore si tu veux bien...
- Je veux bien, mais deux mots ... ça m'étonnerait. Deux phrases au moins ou deux paragraphes !
- Et bien, il me semble que ce prologue du Gargantua est un texte capital parce qu'il permet de comprendre la différence entre littérature et philosophie.
- Dis toujours...
- Voilà : un texte philosophique te propose directement des idées, des concepts, voire un système; il parle directement à ton intelligence, mais - à mon goût en tout cas - de façon un peu abrupte, un peu sèche parce que trop abstraite. Le texte littéraire te propose la même chose, mais la pensée de l'auteur s'incarne dans des personnages, des situations qu'il appartient au lecteur de décoder. Il y a dans la philosophie, quelque chose de très cérébral, alors que la littérature passe d'abord par l'image, la visualisation. La philosophie n'est pas supérieure à la littérature, la littérature n'est pas supérieure à la philosophie : elles s'adressent simplement à des lecteurs différents. Dans le domaine alimentaire, il y a ceux qui n'aiment que les sucreries, et ceux qui raffolent de mets épicés ou salés, ou acides...
- Sans compter ceux qui aiment le mélange du sucre et du sel ! Et ton deuxième "mot" ?
- Le principe de l'os que l'on ronge et de la moëlle dont on se nourrit, ce principe qui consiste a dissimuler les propos les plus audacieux derrière des plaisanteries plus ou moins fines a permis à bien des écrivains des siècles suivants d' échapper à la prison et de rester en vie.
- Tu penses à qui ?
- Aux libertins par exemples.
- Ton prochain billet ?
- Sans doute ....

02 juin 2008

Le fil de l'histoire

- Dis, tu voudrais pas faire une pause ?
- Volontiers parce que moi-même je finis par perdre le fil de mon histoire.
- M'étonne pas, tu vas toujours trop vite et si tu continues tu vas nous faire une sortie de route.
- Trop vite, trop vite ! Tu as vu le chemin qu'il nous reste à parcourir...
- Voyons voir, pas tant que ça en fait. Parce que si tu regardes derrière toi on a déjà fait pas mal de chemin. On a commencé avec Homère et Hésiode, n'est-ce-pas ? Huit siècles environ avant l'an zéro. Et les derniers auteurs dont tu as parlé étaient tous du XVe siècle. 8 + 14 ça fait 23 !
- Mathématiquement, tu as raison bien sûr. Mais tu oublies que notre histoire est une histoire à trous et que pour certaines périodes les trous sont énormes parce que l'on ne sait rien ou presque rien de ce qui se passait. En revanche, plus on se rapproche de notre époque, plus les oeuvres sont nombreuses et leur histoire bien documentée. Tu vois, au début on avait l'impression d'avancer très vite : après Homère et Hésiode, on s'est un peu attardé vers les Ve et IVe siècles ...
- Et encore ! A mon avis, tu as été un peu rapide sur les philosophes grecs !
- Possible mais je n'ai rien promis, et surtout pas de faire un parcours encyclopédique. D'ailleurs tu n'es pas plus que moi du genre à t'arrêter devant tous les tableaux dans un musée ! Tu t'attardes dans une salle, tu en traverses une autre à toute allure et parfois même tu en "sautes" une ou deux ! C'est parcours libre.

- Les philosophes grecs, donc ! Et les grands dramaturges. Ensuite, voyons voir si je me souviens ... ah, oui : Lucrèce. Je l'aime bien celui-là, il me fait toujours rire. Ensuite tu as filé à toute allure vers la Renaissance...
- C'est vrai, j'ai été un peu vite et j'aurais peut-être pu te parler de Saint Augustin et de Plotin.
Le problème c 'est que ces deux là sont beaucoup trop proches de Platon pour me plaire alors j'ai préféré te parler de ceux que j'aime vraiment bien : Mirandola, Machiavel, Erasme, More ... Ils sont quasi de la même génération. 1463,1469,1469,1478 ! La même génération et pas les deux pieds dans le même sabot. C'est quelque chose qui m'a toujours fascinée : sans TGV et sans ordinateur, les intellectuels de cette époque trouvaient quand même moyen de se déplacer, de se rencontrer, d'échanger des nouvelles et surtout des livres et des idées. Tu vois la Renaissance, c'est une effervescence, un bouillonnement permanent et pas seulement dans le domaine de la littérature ou de la philosophie, dans tous les domaines, dans les arts bien sûr mais aussi bien dans les sciences ! Je t'ai déjà parlé je crois du livre de Marguerite Yourcenar, L'Oeuvre au noir. Lire ce roman, c' est à mon avis la meilleure façon de s'imprégner de l'esprit de l'époque.
- Oui, oui, tu m'en as déjà parlé, mais ce n'est pas facile facile à lire. Trop de pages !
- Tu exagères. Le tout c'est de commencer, après tu ne le quittes plus jusqu'à la dernière page. Je crois aussi qu'il existe un livre qui présente les tableaux dont Marguerite Yourcenar s'est inspirée pour rendre l'esprit de l'époque. Je crains qu'il ne soit épuisé sinon ce serait sans doute un bon moyen pour t'aider à "visualiser" le roman.
- Mmmouais... Tu n'as vraiment rien de plus facile à me proposer ?
- Gargantua ?