06 décembre 2024

Architecton

 Un film comme je n'en ai jamais vu, un tout petit peu long par moments et pourtant totalement fascinant. Architecton est classé comme documentaire; ce n'est le plus souvent qu'une succession d'images, mais des images parfois sublimes (j'emploie rarement ce mot !), un film quasi sans paroles et surtout sans commentaire. Un film pour les yeux.  Un film que l'on regarde subjugué, intrigué... c'est qui ce vieux barbu avec un chapeau ?  c'est où ce dégoulis de pierres, caduta di massi disent les italiens; c'est où cette carrière gigantesque, ces  immeubles de béton, carcasses détruites par la guerre, ces ruines fantomatiques filmées en noir et blanc où la végétation se dessine commpe de la dentelle à contre-jour sur les colonnes écroulés ... Leptis Magna ? Balbek  ? Agrigente ? Olympe ?  ... Et pourquoi ce titre ? Pourquoi ces ouvriers italiens ? Pourquoi ce cercle "magique" dans un jardin ... Ne pas savoir, mais chercher à comprendre...

Architecton est un film charade, qui contraint le spectateur à se poser des questions pendant toute la séance, mais qui au fond ne repose que sur une interrogation simple, évidente, formulée à la toute fin du film. Il faut savoir être patient et je ne peux en dire plus.

Le réalisateur, Victor Kossakovsky s'est fait une réputation de documentariste hors norme avec des films apparemment expérimentaux comme Vivan las antipodas et Aquarela l'Odyssée de l'eau que j'aimerais bien avoir l'occasion de voir ... au cinéma de préférence.




04 décembre 2024

Une part manquante

 Comme une envie de revoir Tokyo .... oui un peu. Mais le film de Guillaume Senez est surtout un portrait à charge contre le système judiciaire japonais qui en cas de divorce accorde systématiquement et exclusivement la garde de l'enfant au parent japonais. Certes, la loi est dure et il vaut mieux la connaître, mais ce film m'a mise mal à l'aise parce qu'il ne donne la parole qu'à celui qui est privé de sa fille depuis 9 ans et que l'autre partie est représentée de façon caricaturale d'autant que c'est la belle-mère plus  encore que la mère qui mène la bataille. Bref, le film est beaucoup trop démonstratif pour être ne serait-ce que vaguement émouvant. Dommage pour le Japon ! 



03 décembre 2024

La mer ...

... si belle, si lointaine, si ... 
 
 

... inaccessible ...


 Photos Rajia Tobia (San Francisco)

Trois amies

 Une comédie de temps en temps cela ne fait pas de mal. Une comédie peut-être moins légère qu'elle n'en a l'air parce que aimer, ne pas aimer, tromper, se tromper, changer, recommencer... en fait, les histoires sentimentales sont toujours graves quand on les vit, et puis on passe à autre chose... peut-être... ou peut-être pas.

Le film dit tout ça, fait un peu penser à La Ronde de Max Ophüls, mais c'est un film d'Emmanuel Mouret, un peu bavard forcément, et la caméra bouge joliment., se glisse d'un personnage à l'autre, tourne et virevolte.  Alors on sourit, on se dit que l'amour c'est toujours compliqué, mais que l'amitié, ah l'amitié... Bref Trois amies est l'occasion de passer un bon moment au cinéma. Avec une amie éventuellement. 



26 novembre 2024

 "A présent que les voyages sont devenus impossibles, une violente nostalgie me saisit du temps où le monde était ouvert comme un grand champ. "  

Olivier Rolin in Vider les lieux (Folio p. 39)

24 novembre 2024

Olivier Norek, Les guerriers de l'hiver


 Bien que le livre  d' Olivier Norek ait été inclus dans la listes des "goncourables", et en dépit de sa présentation par la presse, Les Guerriers de l'hiver ne me paraît pas tout à fait relever du roman, mais plutôt du récit historique et plus spécifiquement du récit de guerre. Romanesque certes, mais les événements dont il est question sont historiques et parfaitement documentés par l'écrivain, auteur par ailleurs de romans policiers qui sait, mieux qu'un essayiste accrocher le lecteur et garder son attention même dans les phases de pure stratégie militaire. 

Ceci dit, grâce à ce "roman", j'ai tout appris de cette "guerre d'hiver" entre la Russie (l'agresseur) et la Finlande (l'agressée), une guerre qui n'a duré que 3 mois et 12 jours et s'est terminée par la défaite de la Finlande dont les soldats se sont pourtant battus avec une énergie féroce, malgré la disproportion en nombre des deux armées. Habilement, l'écrivain a centré son livre sur un personnage hors du commun, un tireur d'élite inégalé et ses proches compagnons, originaires du même village. Ce qui donne au récit sa teneur émotionnelle. 

J'ai donc lu avec intérêt Les Guerriers de l'hiver et n'ai cessé de m'interroger sur les raisons qui avaient pousseé Olivier Norek à l'écrire tant sont évidents les parallèle entre cette agression russe d'hier et celle d'aujourd'hui, contre un pays a priori plus faible et dont la reddition devait être quasi immédiate ...

23 novembre 2024

La Vallée des fous

 Personne dans la salle de cinéma à part moi. C'est dommage parce que le film de Xavier Beauvois est loin d'être inintéressant. Sans doute parce que sa sortie tombe pile avec le départ de la course autour du monde, je m'attendais à de belles images de mer et de bateau. Il y en a quelques unes.... mais virtuelles. En fait on est très loin d'un film d'aventure, puisque l'essentiel se déroule dans le huis-clos du bateau dans lequel le personnage s'est enfermé pour participer à Virtual Regatta et surtout - et c'est là sa vraie aventure -  pour se remettre sur pied, régler ses dettes, et surtout se débarrasser de son addiction à l'alcool. Sortir d'une crise qui a mis sa vie et celle de sa famille en péril, voilà le vrai enjeu. Une histoire de résilience en somme, dont on ne sort vraiment que si l'on est bien entouré. 

J'espérais voir un film de voileux, j'ai vu un film psychologique gentil, que le réalisateur et ses comédiens maintiennent constamment sur un fil, entre tragédie et comédie. Comme dans la vraie vie ? 



22 novembre 2024

All we imagine as light

 Non, il ne se passe pas grand chose dans ce film indien, tourné dans une lumière bleutée et le plus souvent nocturne. Mais on suit le quotidien de deux femmes infirmières dans un hôpital de Mumbai : Prahba, la quarantaine et Anu, sa jeune colocataire. Mariage imposé pour la première, mais son mari est parti travailler en Allemagne et ne donne plus de nouvelles. Anu plus jeune aime en cachette un homme d'une religion différente. Franchit un interdit dangereux. Un troisième personnage vient compléter ces deux premiers portraits : Parvaty, une femme d'un certain âge et peu éduquée va être expulsée de son logement et doit repartir dans sa campagne d'origine. 

La tonalité un peu sombre du film de Payal Kapadia s'accorde bien avec avec ce qu'elle montre de la condition des femmes en Inde. Soumises certainement, par les normes sociales, par leur culture, par la tradition, mais d'une génération l'autre, les femmes s'affirment, fortes de leurs espoirs. De leur solidarité aussi. Alors, au bout de leur chemin, il y a malgré tout un peu de lumière...

21 novembre 2024

3 km jusqu'à la fin du monde


 J'ai un faible pour les films roumains. Ou plus précisément pour les films à la fois modestes et ambitieux produits dans des pays dont la production cinématographique est encore peu abondante. Modestes par leurs moyens - et cela déjà suffit à justifier mon indulgence - ces films sont souvent ambitieux dans leur propos. Il en va ainsi du film d 'Emmanuel Parvu qui choisit, une petite île du Delta du Danube, pour mettre en scène ses personnages.  Ce qui correspond presque à faire un huis clos en plein air puisqu'ils sont coupés du reste du monde par l'insularité.

 Le film tourne autour de l'homosexualité du personnage principal et des réactions qu'elle provoque : incompréhension, violence, verbale et physique, intervention du pope qui à la demande de la mère pratique un "exorcisme", intervention des services sociaux ... oui le film ressemble parfois à un catalogue des comportements homophobes. Mais ce film bien pensant ne cherche pas l'outrance, essaye plutôt de montrer les tensions qui traversent cette micro-société refermée sur elle-même. J'y ai vu un appel à sortir de sa propre culture, à remettre en question les traditions, les certitudes. J'y ai vu surtout la nécessité pour chacun de quitter son île. Car nous vivons tous dans une île. Sociale, culturelle, idéologique ...

16 novembre 2024

Misericorde


 Un film de Garaudie, c'est d'abord un paysage. Celui de l'Aveyron, pour son dernier film Miséricorde. Un territoire rural, loin de tout, pas complètement abandonné, mais presque. Le boulanger vient de mourir, son ancien commis est revenu au village pour l'enterrement, mais il n'a pas l'intention de reprendre la boulangerie. Un village qui meurt ... un de plus. Le film s'inscrit ainsi dans un contexte social précis, mais son propos n'est pas pour autant politique. Car ce qui intéresse le réalisateur, ce sont plutôt les gens, les âmes en déshérence, des âmes flottantes, traversées par des pulsions violentes mais mal définies. Alors l'arrivée de Jérémie, c'est un peu celle du visiteur dans le film de Pasolini, celui qui va perturber l'équilibre de ce petit milieu si loin du monde. 

Si Miséricorde peut se lire comme un polar, puisqu'il y a un meurtre et une enquête sur disparition inquiétante, c'est surtout un polar psychologique et moral pour ne pas dire théologique : que valent les notions de bien et de mal dans un univers où les désirs se croisent, sans arriver à s'exprimer, envie, jalousie, passion, culpabilité.... Loin de se plier à un code cinématographique, aux règles d'un genre, Garaudi laisse partir son film sur des sentiers inattendus, cocasses. La tragédie devient farce, parce que dans la vraie vie, le rire et les pleurs s'emmêlent constamment alors pourquoi pas dans les films. 

De film en film en tout cas, Garaudie trace sa route. et son cinéma ne ressemble à celui de personne.

11 novembre 2024

Ron Rash, Une tombe pour deux

Malgré le titre, et malgré les apparences, le dernier roman de Ron Rash n'est pas un polar à proprement parler. Mais un roman noir, oui. Rural noir plus précisément puisqu'une fois de plus Ron Rash situe son roman dans une petite ville de Caroline du Nord, Blowing Rock. 


Une petite ville où tout le monde se connaît, forcément, et surtout, une petite ville où chacun est supposé tenir sa place. Alors quand Jacob, fils de riches propriétaires choisit pour ami, un garçon déformé par la polio et, pire encore, épouse sans l'autorisation de ses parents Naomie, une jeune fille dont les parents sont des paysans sans le sou, le lecteur sait que tout ne va pas bien se passer, d'autant que Jacob a été mobilisé pour aller se battre en Corée.

Ce que j'aime dans les romans de Ron Rash, c'est que les choses ne sont jamais simples et que les personnages sont aussi complexes que dans la vraie vie. Pour construire son intrigue il prend appui sur des lieux que l'on n'a pas de peine à visualiser, sur des modes de vie, des mentalités qui sont celles d'une période précise, ici le début des années 50. Jacob, Naomie, Blackburn sont des êtres de fiction,  comme tous les autres personnages, mais ils sonnent vrais, ils sonnent juste.

Une tombe pour deux est l'histoire d'une mésalliance et des extrémités auxquels les parents se livrent pour y mettre terme, mais c'est aussi l'histoire d'une belle amitié, comme souvent dans les romans de Ron Rash. Un roman sombre, il est vrai, mais pas un polar à proprement parler.

10 novembre 2024

03 novembre 2024

Anora

 Grosse déception pour le dernier film de Sean Baker dont j'avais pourtant bien aimé les deux précédents :  The Florida project et Red Rocket. Mais Anora, non, ça ne passe pas ! Un film lourdingue, qui cumule les clichés, les gags convenus; un film complaisant. En quelques minutes le spectateur a compris comment Ani gagne sa vie. Pas besoin de multiplier pendant 20mn les gros plans racoleurs; même traitement pour présenter le gamin pourri de fric et démarrer un romance dont on comprend dès le début qu'elle n'a aucune chance de finir bien. Le film vire ensuite au mauvais polar et à la farce grotesque. Second degré ? Même pas ! J'essaye de chercher ce qui a bien pu justifier la Palme d'or, je ne trouve pas.  



29 octobre 2024

Paola Pigani, N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

 Un deuxième roman de Paola Pigani, lu dans la foulée du premier, et dont le titre m'enchante autant que le précédent. N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures, est un proverbe manouche, cité au début du livre. Car c'est à cette population que s'intéresse ici l'écrivaine. Et plus précisément au sort qui a été réservé en 1940 à ceux que l'on n'appelait pas encore les gens du voyage.  La libre circulation des individus étant désormais interdite par décret,  les Manouches de Vendée sont internés dans un camp fait de méchants baraquements entourés de barbelés et gardés par des policiers français. Ils y resteront jusqu'en 1946 !

C'est cet épisode bien peu glorieux pour le gouvernement français qu'évoque Paola Pigani, en s'appuyant sur un témoignage direct (celui d'une femme qui a grandi dans ce camp) et sur un savoir faire romanesque qu'elle maîtrise parfaitement.  C'est avec les yeux d'Alba, gamine de 14 ans au début du roman, que l'on découvre les conditions dans lesquelles elle a vécu et avec elle, sa famille et toute la communauté manouche. On s'attache forcément à ces personnages, qui vivent non seulement dans le plus complet dénuement, mais dans des conditions qui vont à l'encontre de leurs habitudes, de leur culture profonde. Le roman prend parfois des allures de réquisitoire, mais sans excès de manichéisme grâce à deux personnages, un gardien "aux yeux doux", et une infirmière qui fait tout son possible pour palier leur détresse parce qu'à la sédentarisation forcée s'ajoutent insalubrité et sous-alimentation. 

Le roman de Paola Pigani joue à la fois sur la sensibilité du lecteur et sur son envie d'en apprendre un peu plus sur la façon dont la France a traité les Manouches. Une façon peut-être de lever quelques préjugés ?

 


 

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/linternement-des-tsiganes-en-france-1940-1946


26 octobre 2024

Paola Pigani, Et ils dansaient le dimanche

La littérature de la classe ouvrière... elle a sans doute eu ses heures de gloire, mais ne semble plus faire l'objet de bien des romans. Ou alors dans une évocation historique mêlée de nostalgie. Comme le fait Paola Pigani, qui dans ses livres s'intéresser aux "gens de peu" ballotés par la vie, immigrés, ouvriers ... plutôt qu'à ceux qui les exploitent. 

Dans Et ils dansaient le dimanche, elle met en scène deux jeunes hongroises venues en France pour travailler dans les usines de viscose, nouveau textile qui a connu son heure de gloire dans les années 30. Les usines de la région lyonnaise, comme celle de Renage et d'Echirolles, sont avides d'une main d'oeuvre venue d'ailleurs, "docile et bon marché".  Le regard de Szonja nous fait ainsi découvrir le fonctionnement de l'usine et l'absence totale de précautions prises pour manipuler des produits chimiques dont on se souciait peu de connaître le degré de toxicité. Le travail à l'usine donc, avec ses cadences, ses contraintes, la fatigue, mais plus généralement, le roman s'intéresse aux conditions de vie et d'hébergement, sous contrôle patronal et religieux (!) car il importe, n'est-ce pas, de veiller aux "bonne moeur"s des ouvriers pour assurer la continuité et donc la rentabilité du travail. 

Cependant, dans son roman au titre parfaitement évocateur, Paola Pigani ne se contente pas de dénoncer les conditions de travail dans les usines textiles, elle s'attache aussi à faire comprendre ce qu'était l'esprit de classe et la fierté des ouvriers  - on est dans les années 30, en plein Front populaire, et même si les immigrés hongrois, polonais ou italiens ne sont pas aux premiers rangs des manifestations, il ne sont pas indifférents aux possibilités qui s'ouvrent alors. Il y a dans le roman de Paola Pigani, une énergie, une joie de vivre, dû sans doute aux fait que ses personnages principaux sont de très jeunes filles, qui rêvent d'amour et de liberté et attendent toute la semaine d'aller danser le dimanche.

A défaut d'être totalement joyeux, Et ils dansaient le dimanche est un roman tonique qui ne cache rien des difficultés de la classe ouvrière, mais en montre tout autant la fierté, celle de faire partie d'une collectivité, d'avoir sa place dans la société et de partager l'espoir d'un avenir meilleur. Les lecteurs d'aujourd'hui savent à quel point ses espoirs ont été déçus, mais les personnages du roman, eux,  ne le savaient pas.