12 décembre 2025

Epopées graphiques

 L'exposition tombe à point pour égayer l'hiver. Et comme le billet permet plusieurs entrées, pourquoi s'en priver ? Parce qu'il y a beaucoup à voir et beaucoup à lire dans cette exposition particulièrement ambitieuse.  En effet, en partant de la collection Michel Leclerc et de quelques emprunts complémentaires, le musée de Grenoble entend retracer toute l'histoire de la bande dessinée, depuis ses balbutiements jusqu'à ses dernières productions. A ce parcours chronologique se superpose un parcours thématique qui bien sûr ne se limite pas au seul territoire français. Le risque de se perdre au milieu de toutes ces planches est évident, comme il est évident que l'exposition ne pouvait être exhaustive; et certains ne manqueront pas de pointer les lacunes ou se plaindront que leur auteur préféré n'est pas suffisamment mis en valeur...  Sans doute. Reste que faire entrer la bande dessinée dans un musée classé "beaux-arts" est une démarche audacieuse qui permettra peut-être à certains que l'Art (avec un grand A) intimide ou indiffère, de franchir pour la première fois la porte du musée. Ce qui en soi est une bel objectif. 

Le deuxième objectif me semble-t-il est de montrer qu'entre le dessin dans la case et le tableau accroché au mur, la différence ne tient souvent qu'à la taille, et qu'une fois agrandi et encadré, le dessin change éventuellement de catégorie. 

Osamu Tezuka, 1961

Certains dessinateurs d'ailleurs n'hésitent pas à passer de la planche imprimée à la peinture tout court.

 
C'est le cas de Philippe Druillet  ...  


Et bien sûr d'Enki Bilal


 L'exposition du musée de Grenoble, aussi "savante" puisse-t-elle paraître, est avant tout ludique et il suffit pour s'en convaincre de regarder tous ces adultes, plantés devant un dessin, une planche, un extrait de comics ou de manga, pour comprendre que ce qu'ils regardent, le sourire aux lèvres, c'est avant tout le souvenir d'une lecture particulièrement appréciée. 

 

Trois jours à vivre

Revisiter l'histoire du cinéma est toujours intéressant (surtout quand l'occasion est présentée de visionner le film en salle plutôt que sur son écran d'ordinateur). Le décalage temporel permet de regarder un film sous un angle différent de celui que l'on pouvait avoir à sa sortie et de prendre ainsi la mesure de l'évolution du cinéma. 

Trois jours à vivre, le  film de Gilles Grangier date de 1958 et fait preuve d'une certaine liberté puisqu'il s'inscrit dans trois genres différents au moins, celui du film policier (le personnage principal a été témoin d'un meurtre), de la comédie (rivalités ridicules parmi les membres d'une compagnie théâtrale) et pour finir, du film d'amour tragique, puisque l'héroïne commet un meurtre pour sauver son amant. Dans ces conditions l'effet de surprise tient moins à l'intrigue elle-même qu'aux hésitations du spectateur qui ne sait pas où le réalisateur va l'emmener.

Le choix des acteurs constitue un atout de plus pour le cinéphile d'aujourd'hui parce qu'il lui est donné l'occasion de voir des acteurs comme Daniel Gelin et surtout Lino Ventura et Jeanne Moreau à l'orée de leur carrière. 


 

 

11 décembre 2025

Calendrier de l'Avent


 Déposé sur un banc, à l'intention de qui le trouvera, ce petit bouquet de fleurs séchées. Sur l'étiquette, ce message : Ce bouquet de l'Avent est pour toi, passe une bonne journée.

Une publicité pour la ferme florale de Lucie ? Sans doute. Mais avant tout un geste gratuit, qui amène un sourire sur les lèvres de celui ou de celle qui trouve le bouquet. Ici ou là. 

 https://www.lucky-fleurs.fr/ 

 

10 décembre 2025

Quand Harry rencontre Sally

Séquence nostalgie pour cette "comédie sentimentale" qui a fait les beaux jours des années 90. Le schéma est celui de tous les films du genre, deux individus qui a priori n'ont rien en commun vont finir dans les bras l'un de l'autre. Ici, pas de différence sociale au départ comme dans Un divan à New York ou Pretty woman,  mais une différence de caractère radicale : elle est aussi optimiste que maniaque, alors qu'il est franchement pessimiste tendance cynique. Ils mettront 12 ans et 3 mois à finalement admettre qu'ils sont faits l'un pour l'autre. 

Pas de surprise ni même de suspense dans le scénario, les acteurs se donnent à fond et le dialoguiste a fait des étincelles. Il est vrai qu'une comédie romantique sans réplique cinglante, ne jouerait pas son rôle qui est avant tout de divertir. Et 35 ans après la sortie du film de Nora Ephron, le divertissement est toujours dans la salle. Parce que tous les spectateurs de la séance à laquelle j'ai assisté connaissaient apparemment le film, l'avaient sans doute vu plusieurs fois et, comme moi, gloussaient avant même d'entendre les répliques, capables de les souffler aux acteurs si nécessaire ! De scène culte en scène culte le film faisait le bonheur de la salle. Un plaisir simple sans prise de tête, mais partagé puisque dans une salle de cinéma. 


 

 

09 décembre 2025

Un divan à New York

Deux films la même semaine, deux comédies qui mettent en scène des psychanalystes ?  Pure coïncidence. Mais coïncidence amusante.

Un Divan à New York est un film de Chantal Ackerman, qui date de 1996. Un scénario bien ficelé pour une comédie sentimentale façon Lubitsch ou Pretty woman (à chacun ses références), l'essentiel est que les deux personnages, que bien entendu tout oppose, se rejoignent à la fin du film pour un happy-end amoureux. Et c'est évidemment ce qui se passe dans Un divan à New York où un psychanalyste un tantinet psycho-rigide  échange sur un coup de tête son appartement de luxe sur la 5e avenue avec l'appartement parisien très "bohème" d'une jeune danseuse pétillante, avide de découvrir NY. Tout est léger dans ce film, même si, au passage, la psychanalyse en prend pour son grade. 

 

Le dernier film de Chantal Ackerman que j'ai vu est l'inoubliable Jeanne Dielman, 23 quai du commerce... un film engagé, terriblement austère et radical dans sa mise en scène. Rien à voir avec la frivolité du Divan à New York.  Il n'est pas donné à tous les cinéastes d'être capable de changer à ce point sa manière de filmer. C'est peut-être le moment de revoir plus systématiquement sa filmographie ...

08 décembre 2025

Vie privée

Il y a des films que l'on va voir parce que c'est le bon créneau horaire. Mauvaise raison bien sûr. Et choix peu satisfaisant. Pourtant Rebecca Zlotowski est une réalisatrice qui m'intéresse et j'avais apprécié à leur sortie Grand central,  et Les enfants des autres ... Mais Vie privée ne m'a pas emballée du tout, à moins de le prendre comme une farce un peu délirante ou comme une charge contre la psychanalyse, puisqu'en l'occurrence, c'est la psy qui déraille complètement. La fascination de la réalisatrice pour son actrice principale est évidente, Jodie Foster est au centre du film, mais son jeu m'a paru un peu trop maniéré pour être tout à fait crédible. Conclusion, aller voir un film parce qu'un grand nom est à l'affiche n'est pas non plus une bonne raison
 

06 décembre 2025

Marie Vintgras, Blizzard


 Premier roman de Marie VintgrasBlizzard fonctionne comme une fugue à quatre voix, quatre personnages - Bess, Benedict, Cole et Freeman- s'exprimant tour à tour à la première personne. Le recours à la première personne permet d'accéder au flux de pensée de chaque personnage, qui va et vient entre passé et présent. Quatre vies, quatre âmes fracassées dont le lecteur s'approche petite à petit, intrigué d'abord puis touché par l'extrême solitude de chacun de ces êtres, avant que l'intrigue ne vire carrément au thriller. 

Roman psychologique, Blizzard est aussi un roman des grands espaces puisque l'écrivaine a choisi de situer le récit non seulement dans une contrée du bout du monde, au fin fond de l'Alaska, mais en plein blizzard, le genre de situation météorologique extrême où la survie de chacun est en jeu.  

Dès son premier roman, Marie Vintgras s'inscrit parmi les écrivains raconteurs d'histoire, ceux qui osent se servir de leur imagination pour parler des autres plutôt que de parler d'eux-mêmes. Trois ans plus tard, son deuxième roman Les âmes féroces est venu confirmer son talent ... Il appartient maintenant à l'écrivaine de ne pas faire de la construction de ses prochains romans un procédé. 

05 décembre 2025

Gerhardt Richter

La grande exposition rétrospective que la fondation Vuitton consacre à Gerhard Richter souligne clairement que le peintre fait partie des artistes intranquilles, toujours à la recherche d'une approche nouvelle de leur art, jusqu'à trouver leur manière définitive. Ce qui n'est pas tout à fait le cas pour Richter qui de manière récurrente abandonne puis reprend des façons de faire un temps délaissées. D'où l'impression d'une très grande diversité dans le parcours chronologique proposé.  Et l'impossibilité de définir vraiment le peintre...
 

 ... qu'il travaille d'après photographie pour s'approcher au plus près du réel, comme dans ce paysage rural estompé par la brume ...

 ou qu'il modifie progressivement la photo originale - un enfant dans les bras de sa mère - jusqu'à la rendre quasi abstraite. Exactement comme dans sa tentative de reproduction d'un tableau du Titien, dont il ne reste au final que les couleurs et le mouvement. 

 L'abstraction pure, celle qui se pratique à grands gestes est une autre de ses habitudes picturales, comme sur cette feuille de papier canson de petit format que l'on peut sans peine imaginer sous un format monumental, comme une fresque murale. 
 

04 décembre 2025

Fabienne Verdier



 L'accès à l'exposition sur l'architecture 1925 se fait au bout d'une longue galerie, où sont exposées les dernières toiles de Fabienne Verdier, dont je suis depuis longtemps le parcours. Son geste est toujours spectaculaire, bien qu'un peu éloigné désormais de ses origines calligraphiques, ne serait-ce que par sa démesure. Mais les éléments d'architecture gothique autour des toiles m'ont paru un peu lourds et passablement étouffants. 

 

02 décembre 2025

L'exposition art déco de 1925

L'art déco est à l'honneur à Paris avec une exposition au Musée des arts décoratifs intitulée : 1925 - 2025 cent ans d'art déco et une deuxième exposition à la Cité de l'architecture et du patrimoine intitulée:  Paris 1925 : l'art déco et ses architectes. Titre un tout petit peu trompeur puisqu'en réalité il s'agit de présenter les seuls architectes de L'exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes qui s'est tenue à Paris en 1925. Ouf, on y est. Maquettes, dessins, photos sont là pour montrer les pavillons construits à cette occasion, qui répondent avant tout à des cahiers des charges bien particuliers et de très nombreuses contraintes - comme une hauteur limitée à 5 mètres - justifiées par le fait qu'il s'agit d'architectures éphémères. Autant de "pavillons" qui n'existent plus qu'en images, mais qui ont permis à certains architectes de l'époque d'accéder à la notoriété. Pour ma part je n'ai retenu que Mallet-Stevens, auteur du Pavillon du tourisme, repérable de loin grâce à son "campanile", et Auguste Perret, le maître du béton, qui, pour l'occasion, utilise le bois plus que le béton pour construire un théâtre de 900 places. 

Cela fait longtemps que je suis fascinée par les grandes expositions internationales qui ont jalonné le début du 20e siècle, surtout par celles qui se sont tenues à Paris : l'exposition des arts décoratifs et industriels de 1925, l'exposition coloniale de 1931, et celle des arts et techniques de la vie moderne de 1937.  J'ai depuis peu une raison de plus de m'y intéresser depuis que j'ai découvert que l'entreprise chargée des travaux électriques de ces trois expositions (et des illuminations prévues sur la tour Eiffel) était celle du grand-père de mon mari. Modeste contribution certes, mais sans branchements électriques ... pas de lumière !  Et c'est ce qui a valu à Eugène Reinhardt, sa légion d'honneur. 

 

La Tour Eiffel illuminée pendant l'exposition de 1937, vue du Trocadéro, feu d'artifice,1937,
épreuve sur papier,H. 24,0 ; L. 30,1 cm.,Don Mme Bernard Granet et ses enfants et Mlle Solange Granet, 1981,©Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais/Alexis Brandt

https://www.worldfairs.info/expohistoire.php?expo_id=33https://www.worldfairs.info/expopavillondetails.php?expo_id=33&pavillon_id=2891https://www.worldfairs.info/expopavillondetails.php?expo_id=33&pavillon_id=2817


Parfois on ne retient qu'une photo


Pourquoi celle-là et celle-là seulement ? Le bleu sans doute.  Et les deux silhouettes qui permettent d'imaginer une rencontre, deux vies, un futur... La photo est de Tyler Mitchell, un jeune photographe américain qui a d'abord évolué dans le milieu du skate puis de la mode. Loin du misérabilisme  ou de la violence qui sont souvent de mise lorsqu'il s'agit des Noirs américains. 

https://www.mep-fr.org/event/tyler-mitchell-wish-this-was-real/ 

Il y avait beaucoup d'autres photographies à la Maison européenne de la photographie, mais il y avait aussi beaucoup de monde, devant les photos.  Edward Weston méritait certainement que je garde le souvenir d'au moins une de ces photos, mais ça ne s'est pas fait. Il est vrai qu'il fait partie depuis longtemps de "classiques" de la photographie. 

 

01 décembre 2025

25 novembre 2025

Dossier 137

 Le film n'était pas facile à faire : montrer le travail de l'IGPN en pleine crise des gilets jaunes, quand la violence était à l'oeuvre de part et d'autre et la tension politique à son maximum, demandait certainement du doigté et de la nuance; demandait en particulier que soient équilibrées les forces en présence et prises en compte toutes les voix. C'est à cette tâche que se sont attaqués Dominik Moll et Gilles Marchand et je trouve qu'ils s'en sont plutôt bien sortis. Ils ont, en tout cas fourni des arguments, recevables je crois par tous les bords. Et la fiction était, pour ce faire, sans doute plus efficace qu'un documentaire et pas moins convaincante. Dossier 137, qu'on ne s'y trompe pas, n'est pas un film d'action, mais bien une démonstration, où la complexité des enjeux est mise en évidence, laissant au spectateur la possibilité de prendre parti. Ou pas. 


 

23 novembre 2025

François-Henri Désérable, Chagrin d'un chant inachevé

J'ai suffisamment aimé le précédent récit de voyage de François-Henri Désérable, L'Usure du monde, pour avoir envie de lire celui qu'il a publié ce printemps : Chagrin d'un chant inachevé.
Dans L'Usure d'un monde il partait sur les traces de Nicolas Bouvier; le voici maintenant sur les traces du  Che. Un bon filon ! Le début d'une collection ? Un nouveau genre littéraire, façon "je mets mes pas dans les pas d'un autre voyageur" ? Pourquoi pas ? Cela laisse en tout cas beaucoup de possibilités. 
De toute façon ce qui m'importe dans ce genre de réit, c'est moins l'itinéraire que l'esprit du voyage. Et avec François-Henri Désérable je m'y retrouve pleinement.
Parce que, même si l'itinéraire est plus ou moins tracé, il y a toujours les impondérables, les surprises, bonnes ou mauvaises, les rencontres, l'inattendu auquel on se prête avec plus ou moins de grâce, les contretemps dont on s'accommode. Et il y a surtout la confrontation entre deux voyages, celui de Guevara et celui de Désérable. Une façon de "revisiter" un personnage et avec lui une époque, un moment de l'Histoire qui a compté pour les Cubains, mais pas seulement eux. 
La personnalité de Désérable, telle qu'elle se reflète en tout cas dans son écriture, n'est pas pour rien dans le charme de son récit. Cultivé, mais pas pédant, il aime confronter ce qu'il sait à ce qu'il voit. Renonce à décrire ce que tant d'autres avant lui ont déjà décrit,  et quitte à paraître iconoclaste, s'extasie sur le paysage qui entoure le Machu Pichu plus que sur les ruines : "Les ruines, oui, d'accord. Bien sûr les ruines. Mais on ne m'ôtera pas de l'idée qu'on aurait jamais fait tant de foin des mêmes ruines en Picardie, au milieu des plaines à betteraves." On le trouve en revanche plus disert quand il s'agit de décrire les bidonvilles d'Iquitos : "La rivière leur sert tout à la fois de latrines et d'égouts, de baignoire et de garde-manger. [...] Les poissons frayent dans une eau jonchée de merdes en plastique, amoncellement d'immondices dans lequel j'ai vu plonger un père de famille pour attraper un brochet à mains nues : ce soir au moins les enfants mangeraient à leur faim. "
 
 
 
 

19 novembre 2025

La femme la plus riche du monde

Pourquoi aller voir le film de Thierry Klifa ? Pour son côté "people", comme on feuillette un magazine chez son  coiffeur en attendant son tour ? Mais l'histoire qui a fait en son temps la "une" des médias est sans surprise.  Pour les acteurs en tête d'affiche, Isabelle Huppert et Laurent Lafitte, elle en pauvre vieille dame riche qui s'ennuie, lui en pique-assiette vulgaire et manipulateur ?  Mais ni l'un ni l'autre ne font partie de mes acteurs préférés. Ou parce que la description de cette famille richissime qui a perdu tout sens de la réalité, et partant de l'argent, interpelle et donne du grain à moudre à ceux qui veulent "taxer les riches" ? Leur faire payer des impôts à la mesure de leur fortune, soit!  Mais se réjouir de voir un escroc abuser d'une vieille dame, fût-elle richissime, ne m'a jamais paru très réjouissant, ni très moral. J'ai été voir ce film par ennui, et n'y ait finalement trouvé que de l'ennui. Mauvais choix.