16 novembre 2024

Misericorde


 Un film de Garaudie, c'est d'abord un paysage. Celui de l'Aveyron, pour son dernier film Miséricorde. Un territoire rural, loin de tout, pas complètement abandonné, mais presque. Le boulanger vient de mourir, son ancien commis est revenu au village pour l'enterrement, mais il n'a pas l'intention de reprendre la boulangerie. Un village qui meurt ... un de plus. Le film s'inscrit ainsi dans un contexte social précis, mais son propos n'est pas pour autant politique. Car ce qui intéresse le réalisateur, ce sont plutôt les gens, les âmes en déshérence, des âmes flottantes, traversées par des pulsions violentes mais mal définies. Alors l'arrivée de Jérémie, c'est un peu celle du visiteur dans le film de Pasolini, celui qui va perturber l'équilibre de ce petit milieu si loin du monde. 

Si Miséricorde peut se lire comme un polar, puisqu'il y a un meurtre et une enquête sur disparition inquiétante, c'est surtout un polar psychologique et moral pour ne pas dire théologique : que valent les notions de bien et de mal dans un univers où les désirs se croisent, sans arriver à s'exprimer, envie, jalousie, passion, culpabilité.... Loin de se plier à un code cinématographique, aux règles d'un genre, Garaudi laisse partir son film sur des sentiers inattendus, cocasses. La tragédie devient farce, parce que dans la vraie vie, le rire et les pleurs s'emmêlent constamment alors pourquoi pas dans les films. 

De film en film en tout cas, Garaudie trace sa route. et son cinéma ne ressemble à celui de personne.

11 novembre 2024

Ron Rash, Une tombe pour deux

Malgré le titre, et malgré les apparences, le dernier roman de Ron Rash n'est pas un polar à proprement parler. Mais un roman noir, oui. Rural noir plus précisément puisqu'une fois de plus Ron Rash situe son roman dans une petite ville de Caroline du Nord, Blowing Rock. 


Une petite ville où tout le monde se connaît, forcément, et surtout, une petite ville où chacun est supposé tenir sa place. Alors quand Jacob, fils de riches propriétaires choisit pour ami, un garçon déformé par la polio et, pire encore, épouse sans l'autorisation de ses parents Naomie, une jeune fille dont les parents sont des paysans sans le sou, le lecteur sait que tout ne va pas bien se passer, d'autant que Jacob a été mobilisé pour aller se battre en Corée.

Ce que j'aime dans les romans de Ron Rash, c'est que les choses ne sont jamais simples et que les personnages sont aussi complexes que dans la vraie vie. Pour construire son intrigue il prend appui sur des lieux que l'on n'a pas de peine à visualiser, sur des modes de vie, des mentalités qui sont celles d'une période précise, ici le début des années 50. Jacob, Naomie, Blackburn sont des êtres de fiction,  comme tous les autres personnages, mais ils sonnent vrais, ils sonnent juste.

Une tombe pour deux est l'histoire d'une mésalliance et des extrémités auxquels les parents se livrent pour y mettre terme, mais c'est aussi l'histoire d'une belle amitié, comme souvent dans les romans de Ron Rash. Un roman sombre, il est vrai, mais pas un polar à proprement parler.

10 novembre 2024

03 novembre 2024

Anora

 Grosse déception pour le dernier film de Sean Baker dont j'avais pourtant bien aimé les deux précédents :  The Florida project et Red Rocket. Mais Anora, non, ça ne passe pas ! Un film lourdingue, qui cumule les clichés, les gags convenus; un film complaisant. En quelques minutes le spectateur a compris comment Ani gagne sa vie. Pas besoin de multiplier pendant 20mn les gros plans racoleurs; même traitement pour présenter le gamin pourri de fric et démarrer un romance dont on comprend dès le début qu'elle n'a aucune chance de finir bien. Le film vire ensuite au mauvais polar et à la farce grotesque. Second degré ? Même pas ! J'essaye de chercher ce qui a bien pu justifier la Palme d'or, je ne trouve pas.  



29 octobre 2024

Paola Pigani, N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

 Un deuxième roman de Paola Pigani, lu dans la foulée du premier, et dont le titre m'enchante autant que le précédent. N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures, est un proverbe manouche, cité au début du livre. Car c'est à cette population que s'intéresse ici l'écrivaine. Et plus précisément au sort qui a été réservé en 1940 à ceux que l'on n'appelait pas encore les gens du voyage.  La libre circulation des individus étant désormais interdite par décret,  les Manouches de Vendée sont internés dans un camp fait de méchants baraquements entourés de barbelés et gardés par des policiers français. Ils y resteront jusqu'en 1946 !

C'est cet épisode bien peu glorieux pour le gouvernement français qu'évoque Paola Pigani, en s'appuyant sur un témoignage direct (celui d'une femme qui a grandi dans ce camp) et sur un savoir faire romanesque qu'elle maîtrise parfaitement.  C'est avec les yeux d'Alba, gamine de 14 ans au début du roman, que l'on découvre les conditions dans lesquelles elle a vécu et avec elle, sa famille et toute la communauté manouche. On s'attache forcément à ces personnages, qui vivent non seulement dans le plus complet dénuement, mais dans des conditions qui vont à l'encontre de leurs habitudes, de leur culture profonde. Le roman prend parfois des allures de réquisitoire, mais sans excès de manichéisme grâce à deux personnages, un gardien "aux yeux doux", et une infirmière qui fait tout son possible pour palier leur détresse parce qu'à la sédentarisation forcée s'ajoutent insalubrité et sous-alimentation. 

Le roman de Paola Pigani joue à la fois sur la sensibilité du lecteur et sur son envie d'en apprendre un peu plus sur la façon dont la France a traité les Manouches. Une façon peut-être de lever quelques préjugés ?

 


 

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/linternement-des-tsiganes-en-france-1940-1946


26 octobre 2024

Paola Pigani, Et ils dansaient le dimanche

La littérature de la classe ouvrière... elle a sans doute eu ses heures de gloire, mais ne semble plus faire l'objet de bien des romans. Ou alors dans une évocation historique mêlée de nostalgie. Comme le fait Paola Pigani, qui dans ses livres s'intéresser aux "gens de peu" ballotés par la vie, immigrés, ouvriers ... plutôt qu'à ceux qui les exploitent. 

Dans Et ils dansaient le dimanche, elle met en scène deux jeunes hongroises venues en France pour travailler dans les usines de viscose, nouveau textile qui a connu son heure de gloire dans les années 30. Les usines de la région lyonnaise, comme celle de Renage et d'Echirolles, sont avides d'une main d'oeuvre venue d'ailleurs, "docile et bon marché".  Le regard de Szonja nous fait ainsi découvrir le fonctionnement de l'usine et l'absence totale de précautions prises pour manipuler des produits chimiques dont on se souciait peu de connaître le degré de toxicité. Le travail à l'usine donc, avec ses cadences, ses contraintes, la fatigue, mais plus généralement, le roman s'intéresse aux conditions de vie et d'hébergement, sous contrôle patronal et religieux (!) car il importe, n'est-ce pas, de veiller aux "bonne moeur"s des ouvriers pour assurer la continuité et donc la rentabilité du travail. 

Cependant, dans son roman au titre parfaitement évocateur, Paola Pigani ne se contente pas de dénoncer les conditions de travail dans les usines textiles, elle s'attache aussi à faire comprendre ce qu'était l'esprit de classe et la fierté des ouvriers  - on est dans les années 30, en plein Front populaire, et même si les immigrés hongrois, polonais ou italiens ne sont pas aux premiers rangs des manifestations, il ne sont pas indifférents aux possibilités qui s'ouvrent alors. Il y a dans le roman de Paola Pigani, une énergie, une joie de vivre, dû sans doute aux fait que ses personnages principaux sont de très jeunes filles, qui rêvent d'amour et de liberté et attendent toute la semaine d'aller danser le dimanche.

A défaut d'être totalement joyeux, Et ils dansaient le dimanche est un roman tonique qui ne cache rien des difficultés de la classe ouvrière, mais en montre tout autant la fierté, celle de faire partie d'une collectivité, d'avoir sa place dans la société et de partager l'espoir d'un avenir meilleur. Les lecteurs d'aujourd'hui savent à quel point ses espoirs ont été déçus, mais les personnages du roman, eux,  ne le savaient pas.

16 octobre 2024

Célestin de Meeûs, Mythologie du . 12

 

 Le roman de ce jeune écrivain belge vient à point pour nous rappeler ce qui différencie la littérature des autres formes d'écrits. Car le sujet de Mythologie du.12, ce n'est au fond qu'un très banal fait divers que l'écrivain magnifie par l'écriture romanesque. L'histoire de cet homme excédé qui tire sur deux adolescents bruyants, c'est un peu comme l'affaire Berthet dont Stendhal a fait Le Rouge et le Noir ou le suicide de Delphine Delamare dont se serait inspiré Flaubert pour Mme Bovary. Je m'arrête là pour ne pas faire crouler Célestin de Meeûs sous les références, lui qui a su en 144 pages seulement créer une atmosphère de plus en plus fébrile au fil de la narration et des personnages parfaitement crédibles bien que fictifs, le tout dans une écriture quasi ....  proustienne. Proustienne ? Non, pas vraiment parce que réduire Proust à ses longues phrases est de toute façon abusif; il y a dans la recherche de très courtes phrases également, en fait il y a des phrases de toutes les longueurs,  mais je ne sais pourquoi, on ne veut jamais en retenir que les plus longues. Les phrases de Célestin de Meeüs, elles, sont effectivement longues, voire très longues. La première phrase (deux pages quand même ! ) ne concerne que Théo, la seconde (deux pages encore) met en place le deuxième personnage, le Dr Rombouts. Les phrases alternent ensuite passant d'un personnage à l'autre jusqu'à s'imbriquer, se fondre l'une dans l'autre au fur et à mesure que progresse le récit. Vertige de funambule qui se maintient sans faiblir sur sa ligne et souligne ainsi le caractère irréversible de la tragédie. 

Bien sûr, la lecture de Mythologie du.12 requiert du lecteur une attention sans faille, mais n'est-ce pas le propre de la littérature que de solliciter le lecteur pour lui permettre de suivre le flot ininterrompu des pensées des personnages, comme s'il était dans leur tête, et ainsi de s'éloigner des jugements hâtifs sur "ces jeunes qui n'ont rien dans la caboche, glandent toute la journée, des pas grand-chose qui pourrissent la vie des autres", comme des préjugés sur "ces soi-disant beaufs toujours prêts à sortir leur fusil dès qu'on empiète sur leur territoire". 

Célestin de Meeûs, s'essaye pour la première fois au roman, mais son habileté dans le maniement du langage est incontestable. Lui reprochera-t-on d'être trop brillant, de chercher avant tout l'effet de style. Peut-être, mais rien, dans le récit de ce "fait divers" n'est fait pour l'esbroufe car au final c'est bien des travers de notre société dont il parle, de cette fermeture des individus sur eux-mêmes, de l'ennui et du vide existentiel qui nous menace tous.

14 octobre 2024

Les Graines du figuier sauvage

 J'ai un peu tardé à aller voir le film. On en disait grand bien. Et comment dire du mal d'un film qui dénonce les absurdités et la violence d'un régime théocratique ? J'en conviens, il n'est pas évident de faire un film dont le propos est de faire incarner par des personnages les différents points de vue qui permettraient de mieux comprendre ce qui se passe actuellement en Iran et comment une jeunesse avide de liberté se heurte à la violence d'un Etat qui entend ne rien changer et s'appuie pour cela sur des fonctionnaires soucieux de leur carrière et de leurs intérêts financiers. Le père donc, face à ses filles et la mère qui s'efforce de tout concilier. Le résultat ? Beaucoup de scènes où les uns et les autres essayent d'argumenter entrecoupées par des images, récupérées sur smartphone pour montrer l'actualité et la réalité des émeutes. Les positions des uns et des autres sont bien sûr irréconciliables et mènent à l'effondrement non pas du régime ou alors de façon totalement symbolique, mais de la famille. 

En dépit de sa réputation, Les graines du figuier sauvage reste un film très - trop - démonstratif et donne l'impression que le réalisateur, arrivé au terme de sa réflexion  n'a pas su comment conclure sauf à avoir recours au bon vieux procédé du "deus ex-machina", plus risible qu'autre chose. Il est vrai qu'il ne pouvait pas s'en tirer avec une fin heureuse, mais la dernière partie du film est juste ridicule. 



13 octobre 2024

Bona

 Je ne pense pas avoir jamais vu un film philippin et celui-ci je ne l'ai vu que par ... erreur en me trompant sur le titre. Mais ne regrette certainement pas mon erreur car le film est étonnant. 

C'est une version soigneusement restaurée d'un film de Lino Brocka, un film l'on croyait perdu, "chef d'oeuvre du cinéma philippin invisible depuis 40 ans."  Alors bien sûr, il importe de le remettre avant tout dans son contexte, celui des années 80. Le film raconte l'histoire d'une jeune fille de la classe moyenne qui tombe folle amoureuse d'un très mauvais acteur de second rôle.  Elle renonce à ses études, quitte sa famille pour se mettre au service des moindres souhaits de son idole, dont elle accepte tous les caprices,  toutes les turpitudes, toutes les maîtresses, ... .  Difficile de faire pire choix que celui de ce goujat, stupide et prétentieux, caricature de macho. L'efficacité du propos tient aussi bien à l'économie de moyens  - on n'est pas à Hollywood - qu'à la simplicité de la mise en scène et au  jeu remarquable de l'actrice, Nora Aunor.

La question que pose le film est bien sûr celle de l'esclavage volontaire. L'aveuglement de la jeune fille, sa dévotion m'a laissée totalement sidérée d'autant qu'il ne s'agit pas de manipulation comme dans une secte, ni de propagande idéologique, mais bien d'une soumission sentimentale totalement consentie et totalement irrationnelle. Un abandon de soi, de ses propres besoins au profit d'un moins que rien. Et je ne peux m'empêcher de penser à l'aveuglement de ceux qui, aux Etats-Unis font de D.T leur messie, adhèrent à tous ses propos et admettent tous ses comportements. Même les plus ignominieux.



12 octobre 2024

Camus, Monsieur Germain

C'est un tout petit livre qui ne contient que quelques lettres, relativement banales et le brouillon d'un chapitre du Premier homme, projet autobiographique que la mort n'a pas permis à Camus d'achever. Ce qui relie ce brouillon aux lettres c'est tout simplement Monsieur Germain, l'instituteur de Camus qui lui a permis de poursuivre des études au-delà de l'école primaire et à qui l'écrivain voue, plus que de la reconnaissance, une véritable affection. Cette relation épistolaire entre un élève et son professeur, bien que très datée, jusqu'à paraître franchement désuète, est, pour tous ceux qui croient à la chance que peut donner l'éducation à un individu lambda, totalement émouvante. Un hommage à tous les instituteurs, gardiens de la république et de la démocratie.





11 octobre 2024

Hwang Bo-reum, Bienvenue à la librairie Hyunam

 Quel livre étrange. Un livre qui me laisse totalement perplexe, partagée entre la satisfaction et l'agacement. 

Satisfaction parce qu'il s'agit d'un lieu comme en rêvent tous les lecteurs, une librairie accueillante où l'on peut s'installer pour lire, discuter avec d'autres lecteurs, participer à un événement : rencontre avec un auteur ou atelier d'écriture. Un lieu de vie et de partage autour des livres. On y parle de ses lectures, des écrivains qu'on aime .... On peut même y boire un café... 

Oui mais ce "barista" qui prépare des cafés en sélectionnant soigneusement les crus ... difficile de faire plus branché, plus snob. Et puis il y a le côté "feel good" du livre car tous les personnages qui fréquentent la librairie sont mal dans leur peau, dans leur boulot, dans leur couple, dans leur école et tous les problèmes de la société vont y passer, avec de longs passages introspectifs qui ne sont pas inintéressants, mais trop systématiques pour n'être pas lassants. J'ai essayé de me dire que cela ouvrait des perspectives sur la société coréenne et son addiction au travail par exemple, mais trop c'est trop. Gênée de surcroît par la platitude de la langue j'ai commencé par accuser la traduction et l'éventuelle rigidité de la syntaxe coréenne pour expliquer une écriture sans liant, sans souplesse, avant de me demander si l'Intelligence artificielle ne s'était pas mêlée de l'écriture de ce roman. 

De l'autrice, Hwang Bo-reum, l'éditeur nous dit qu'elle "a étudié l'informatique et a travaillé comme ingénieure de logiciel avant de devenir écrivaine ", mais aussi que "le roman est un best-seller en Corée et en cours de  traduction dans une dizaine de langues." Et me voilà définitivement perplexe. 




Andreï Kourkov, Le Coeur de Kiev

Le dernier roman d'Andreï Kourkov, Le coeur de Kiev ? Une lecture douce-amère. 

« Kourkov y déploie, comme d ’habitude, son sens de l ’intrigue, campe des personnages attachants et surtout manie l ’ironie comme si elle était la politesse du désespoir. » Le Soir

Kourkov invente des personnages, noue des intrigues, ajoute des péripéties, raconte une histoire, des histoires, toujours avec le même mordant, toujours avec le même sourire et on y croit. On croit à sa description de la ville dont les noms de rue sont soigneusement relevés, on croit à ses habitants devenus experts en débrouille, on croit à tout ce que l'écrivain invente parce que tout ressemble terriblement à la vérité, celle d'un régime aussi autoritaire qu'inconséquent, aussi odieux qu'absurde. Celui de la jeune république soviétique qui se croit tout permis et impose ses lois en dépit du bon sens. Le jeune Samson, dont il fait son personnage principal, victime indirecte de la lutte fraticide entre les deux partis, entre dans la milice un peu par hasard et sans trop savoir à quoi il doit s'attendre. Mais il sait écrire, apprend vite, suit les instructions qu'on lui donne.... Candide au pays des Soviets. Depuis Voltaire on sait que l'ironie est la meilleure arme contre l'absurdité politique et que la fausse naïveté permet aux mots d'en dire plus qu'ils n'en ont l'air.

10 octobre 2024

Hortensias


 

Journées du patrimoine


 
Coup d'oeil au château de Montbives
 
 

et à son parc, resplendissant dans la lumière de fin d'après-midi.





09 octobre 2024