C'est vraiment un gros pavé, un très gros pavé : 632 pages ! mais pas de ceux que l'on utilise pour tenir sa serviette sur la plage !
Pour se lancer dans la lecture de Beijing Coma, le quatrième roman de Ma Jian publié en France, il faut avoir du temps et puis l'envie de mieux comprendre ce qui s'est exactement passé à Tiananmen en 1989. Car c'est de cela qu'il s'agit.
Le parti pris de faire raconter les événements à la première personne par un des membres actifs du mouvement dans le coma depuis 10 ans est saugrenu, un peu morbide mais efficace.
Dai Wei n'avait guère plus de 17 ans quand il a reçu une balle dans la tête pourtant il garde une mémoire précise de tout ce qu'il a vécu ce printemps-là; il se souvient aussi des années qui ont précédé Tiananmen : il sait ce que son père a vécu d'humiliations et de souffrances pendant la révolution culturelle; il sait la misère et l'opprobre qui ont plombé l'existence de sa famille, même après le retour du père; il sait la honte de grandir dans la Chine des années 80 quand on est étiqueté " fils d'un ennemi du peuple..."; il sait enfin l'indigence matérielle, intellectuelle et sexuelle des étudiants mais aussi leurs rêves et leurs aspirations.
Bien que dans le coma - c'est le postulat qu'il faut admettre - Dai Wei a gardé toute sa conscience. Il est le témoin immobile de l'évolution de la Chine et d'une certaine façon de sa permanence. Vénalité, cupidité, oui mais comment faire autrement dans une Chine où les illusions maoïstes ont laissé ses habitants plus démunis que jamais, où chacun se bat pour sa propre survie. Le personnage de la mère est un condensé de toutes les ambiguïtés d'une population qui après avoir dû renoncer à ses rêves, est réduite à la précarité et soumise aux aléas idéologiques d'un gouvernement paranoïaque. Car le roman montre aussi quelle a été et quelle est toujours (?) l'ampleur de la répression après Tiananmen.
On ne lit pas ce roman pour se distraire, mais pour savoir, pour comprendre.
Ce que j'ai retenu c'est l'effervescence estudiantine, l'improvisation, le manque de préparation et surtout l'absence de réflexion idéologique. Il est vrai que le propre de toutes les révoltes est peut-être de s'enflammer comme amadou, parfois sur des prétextes futiles en apparence mais révélateurs d'un mal-être infiniment profond. Tiananmen, tel que l'histoire est racontée dans le roman, ressemble par certains côtés au mouvement du 22 Mars en France lorsque la frustration sexuelle amenait les étudiants de Nanterre à faire grève pour obtenir la mixité des dortoirs !
Ce que j'ai retenu aussi c'est l'évocation du massacre, le sang, les blessés poursuivis jusque dans les hôpitaux, à qui le régime dénie tout droit aux soins puisqu'ils ont osé le défier. J'ai retenu enfin le souci permanent des autorités d'effacer la tache, de faire comme si rien ne s'était jamais passé.
La presse occidentale a beaucoup parlé de Tiananmen, mais en Chine le sujet est tabou. De toute façon, le roman a sur la fiction l'avantage de jouer sur nos capacités d'identification, sur notre empathie et la possibilité incomparable de nous faire vivre, de l'intérieur, ce qui s'est réellement passé.
Réellement ? peut-être pas ! Car il existe toujours un écart entre la réalité et la fiction.
Mais à la façon d'un Zola évoquant les conditions de vie des mineurs dans Germinal ou à la façon de Jia Zhang Ke évoquant dans Still Life les répercussions du barrage des Trois Gorges sur la population.
Beijing Coma est un gros roman; c'est surtout un grand roman !
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