Il y a des films dont on a un peu de mal à se remettre; c'est le cas d'Heli, le film du réalisateur mexicain Amat Escalante. Ce n'est pas un mauvais film, loin de là. C'est juste un film de plus sur le trafic de drogue, sur les cartels, sur la police mexicaine et sur de pauvres gens coincés de toute part.
Mais voilà, il y a dans ce film une scène de torture particulièrement longue et particulièrement éprouvante. La violence, la souffrance, mais pire encore la banalisation même de cette violence affligée à un être humain dans un salon ordinaire où des adolescents ordinaires jouent à des jeux videos et regardent avec la même passivité ce qui se passe sur leur écran ou dans la réalité et à l'occasion n'hésitent pas à relayer les bourreaux. Le message est clair mais trop appuyé et par conséquent insupportable, au point de laisser croire qu'il y a, de la part du réalisateur une certaine complaisance. Mais je suis restée et ne le regrette pas car la scène était je crois "nécessaire" pour faire comprendre le traumatisme de celui qui a été épargné et son comportement par la suite.
Le mot qui fait problème est "nécessaire". Nécessaire pour qui ? Les abominations commises par les cartels de drogue au Mexique sont connues; les abominations commises en retour par les forces policières et militaires sont elles aussi connues. Mais est-ce tout à fait la même chose de lire un article sur ce sujet dans Le Monde ou dans Libération, et de "vivre" la scène par écran interposé ? L'image en l'occurrence n'a-t-elle pas un impact plus fort que le texte ? Au risque toutefois d'être mal interprétée. Se pose alors, une fois encore la question du destinataire. Si le réalisateur s'adresse à l'intellectuel bien pensant (les quelques cinéphiles présents dans la salle?), la scène est effectivement inutile. Puisqu'ils "savent" déjà. Or ce genre de film passe rarement la barrière du "grand public" auquel il pourrait éventuellement être destiné. D'ailleurs est-il seulement diffusé au Mexique ? Et s'il l'est quelles sont les réactions du public ? D'un public pour qui la violence est si fréquente qu'elle en devient banale, qui apparemment trouve chaque jour dans les journaux des images similaires à celle qui ouvre le film : un homme pendu à un pont.
"J’ai toujours voulu commencer le film avec cette image : un homme pendu
au-dessus d’un pont. Cette image est très commune au Mexique. Elle est
présente dans les journaux sans arrêt. (...) Derrière chaque image comme
celle-ci, il y a du drame humain, des innocents victimes d’une violence
aveugle… Bref, une histoire qu’il faut raconter, sinon les gens se
rassureront toujours en pensant que l’homme pendu au-dessus de ce pont
le méritait."(Allocine)
Je ne crois pas qu'Amat Escalante se complaise dans la violence; je crois au contraire que son projet est bien de la dénoncer. Sans l'édulcorer. Sans épargner son public.
"Si voy a mostrar violencia, le voy a dar el peso que debe tener", dijo
el director. "Moralmente, creo que la responsabilidad es mostrar la
violencia como debe ser: triste y desagradable, muy sucia, una
pesadilla".
Escalante ne cherche pas aucunement à rassurer, à inquiéter plutôt au sens propre du terme c'est à dire sortir le spectateur de sa quiétude.
Reste au public le choix de fermer les yeux ou de les garder grand ouverts. Ou même, de ne pas aller voir le film. Je ne regrette pas de l'avoir vu. Mais j'ai un peu de mal à m'en remettre.
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