27 juillet 2025

Dörte Hansen, Quelque part en mer

 

Quelque part en mer.... au vu de la couverture on s'attendrait presque à un roman animalier, ou tout du moins à une histoire de marins perdus en mer. On pense à Melville peut-être, à Hemingway, ou à tous les récits de navigateur dont on se gave en attendant, à notre tour, de partir en mer....

On ouvre rarement un livre sans avoir une attente, comme une rêverie préliminaire. Et c'est tant mieux si les premières pages nous emmènent loin de ce que l'on avait imaginé.

Le "quelque part en mer" de Dörte Hansen, c'est en fait une île de la mer du Nord, "entre Jutland, Frise et Zélande " mais ce pourrait être Ouessant ou n'importe quelle île battue par la mer et les vents. Et ce dont parle le livre, c'est de la vie des îliens, une vie simple, ordinaire, mais aussi rude et parfois tragique. Il y a quelque chose d'austère dans l'écriture de Dörte Hansen, qui colle parfaitement aux lieux et aux personnages. Quelque part en mer n'est pas un roman à suspense qui multiplie les péripéties, non, plutôt une chronique familiale qui permet d'imaginer la vie sur l'île. Un famille dont la vie tourne forcément autour de la mer, qu'on s'en nourrisse, qu'on s'en accommode ou qu'on la haïsse.  Malgré les apparences, ce n'est pas un roman d'autrefois, mais bien un roman d'aujourd'hui où les estivants d'hier ne sont plus désormais que des touristes, parce que le ferry qui relie l'île au continent permet de partir et de revenir, et que l'île n'est plus tout à fait un lieu clos coupé du monde, un enfermement, mais un choix. 

Quelque part en mer est un roman suffisamment dépaysant pour donner envie d'aller voir à quoi ressemblent ces îles et ces plages de la mer du Nord.  

22 juillet 2025

Emmanuel Ruben, Sur la route du Danube

C'est un très long voyage, plus de 2000 km qu'Emmanuel Ruben et Vlad ont entrepris pour remonter le Danube, depuis son embouchure jusqu'à sa source, "depuis la mer noire jusqu'à la forêt noire". A vélo. 

 

Un récit de voyage en tous points passionnant parce que son auteur, bien que cycliste inconditionnel ne fait pas de ce voyage un exploit sportif, bien au contraire, on le voit étape après étape peiner, suer, souffler, s'épuiser. Non, le vélo est juste un moyen de transport qui lui permet de rester au plus près du fleuve et surtout au plus près des gens. De préférence les "petites gens" des "petites villes", parfois juste des villages, des hameaux oubliés de l'Europe. Des gens avec qui on partagent une bière, une blague, une confidence.  Parce que le vrai sujet du livre, c'est moins le Danube que l'Europe; pour Emmanuel et son comparse, le fleuve n'est au fond qu'un prétexte à une traversée de l'Europe : Roumanie, Bulgarie, Serbie, Croatie, Hongrie, Autriche, Allemagne ...Sept pays traversés, plus Odessa et le Sud de l'Ukraine car il fallait bien atterrir quelque part pour commencer le voyage. 

 Géographe de formation, Ruben se lance dans une entreprise d'arpentage qui l'amène à parler des paysages, de leur formation, des reliefs, de la végétation, et plus encore des populations, de leur installation dans le paysage et donc de leur histoire. Il ne manque aucune église, aucun musée, si modeste soit-il, aucun monument, et surtout il parle et fait parler les gens qu'il rencontre. Car l'histoire et la géographie comptent moins finalement que les hommes et les femmes qui en subissent les aléas. 

De page en page et de chapitre en chapitre, on s'étonne de tant d'érudition - jamais pédante - et de l'aisance avec laquelle l'auteur transcrit ses observations, ses réflexions pour mieux faire pénétrer le lecteur au coeur de cette Europe qui deviendra peut-être un jour une véritable communauté européenne, mais ne l'est pas encore. Et qui en attendant, se hérisse de plus en plus de barrières et de barbelés. Au fil du voyage, l'empathie de l'auteur pour les pays traversés au début du voyage, fait place à une ironie parfois mordante à partir du moment où il traverse les trois derniers pays de son périple : Hongrie; Autriche et le Sud de l'Allemagne. Autant il était indulgent, et même compatissant vis à vis des populations des Balkans, autant on sens son poil se hérisser dès qu'il aborde l'Europe que l'on dit centrale. Histoire d'affinités sans doute avec les plus humbles, avec ceux qui n'ont rien. Du côté des dominés plus que des dominants, surtout quand ils s'enferment dans leurs certitudes. 

La route du Danube que nous invite à suivre Emmanuel Ruben est finalement aussi politique qu' historique ou géographique ou plus exactement mettons que la géographie et l'histoire de la Danubie expliquent en grande partie les orientations politiques des pays qui longent le fleuve. Tout ça depuis la selle d'un vélo ! 

 

21 juillet 2025

Eddigton

 Ce doit être le Stetson sur la tête de Joachim Phoenix qui pousse les critiques à parler de western. Mais non, Eddington n'est pas un western, pas vraiment un polar non plus, juste un film d'un genre pas très défini, qui fait le tour de tous les problèmes qui menacent la démocratie américaine. Cela commence par des disputes à propos du port du masque et des vaccins, complotistes et illuminés à l'affut, cela continue avec le racisme endémique, mais de plus en plus insupportable, les manifestations et l'éveil à la conscience politique des "blancs privilégiés", les droits tribaux constamment bafoués, les violences sexuelles et pour aggraver le tout, l'omniprésence des téléphones qui permettent à chacun de poster n'importe quoi - mais toujours hors contexte - sur les réseaux sociaux... l'énumération n'en finit pas, mais se résume en deux mots "fanatisme" et surtout "bêtise". Voilà pourquoi le film joue en permanence sur l'excès, le manque de retenue, tourne parfois au grand guignol et se termine dans une apothéose de violence. 

Je n'ai vu aucun des précédents films de Ari Aster, connu pour jouer sur l'horreur et le fantastique. Mais ce qu'il donne à voir de l'état de l'Amérique m'a paru terriblement réaliste, d'autant qu'il le situe non pas dans une des villes comme Los Angeles ou Chicago régulièrement traversées par des accès de violence, mais dans une petite ville, certes imaginaire, du Nouveau Mexique. Une petite ville tranquille où d'habitude il ne se passe rien. Mais là, d'un seul coup, tout dérape et il n'y a pas de retour en arrière possible. Le cauchemar des années à venir ? Pour Eddington, Ari Aster a peut-être renoncé au fantastique mais certainement pas à l'horreur : celle d'une société totalement chaotique, sans repères communs, où chacun est persuadé de tenir la vérité et s'enferme dans une bulle paranoïaque, où plus personne n'essaye de comprendre personne et finit par croire que seules les armes résoudront le problème. "Stop the world, I want to get out... " Mais ouf, ce n'est que du cinéma n'est -ce pas ?  Ou bien ....

13 jours, 13 nuits

Enfin un film d'action ! En tout cas un film qui n'est pas centré sur les problèmes d'un seul individu, mais carrément sur les malheurs du monde, puisqu'il s'agit de l'évacuation de l'ambassade de France de Kaboul en août 2021. 

13 jours, 13 nuits c'est long quand vous avez la charge de filtrer et d'évacuer au plus vite des milliers de personnes qui ont envahi le territoire de l'ambassade dans l'espoir de fuir le régime des talibans. Mais 13 jours, 13 nuits c'est aussi très court parce qu'il y a tant à faire, tant à organiser, tant à prévoir et que l'Elysée tarde à répondre, tarde à donner le feu vert alors que la situation s'aggrave de jour en jour. 

Rien de neuf sous le soleil : Saïgon, Phnom Pen, Téhéran ... les films, les livres, mais surtout les reportages nous ont hélas habitués à cette débandade frénétique de tous ceux qui essayent de fuir un pays parce qu'ils savent que rester c'est à coup sûr la prison et sans doute la mort. Et bien que le déroulé de l'action soit connu ou au moins prévisible, Martin Bourboulon, le réalisateur parvient à maintenir une tension constante dans son film qui n'a rien à voir avec le suspense d'un film d'action ordinaire, mais tout à voir avec la tragédie en train de se dérouler sous nos yeux. Pour les hommes chargés de l'évacuation il faut parer à tous les dangers, rassurer mais aussi bloquer une foule en panique, mesurer les risques, mais aller au-delà quand même, être prêt à utiliser les armes, mais négocier jusqu'au bout. Le succès de l'opération repose sur le Commandant Mohamed Biba,  à 15 jours de sa retraite, mais en choisissant de mettre en avant un certain nombre de personnages secondaires, le cinéaste évite l'écueil de l'hagiographie. On sort du film, un peu secoué, parce que l'évacuation de l'ambassade de Kaboul,  ce n'est pas seulement du cinéma, c'est tout simplement de l'histoire. Une histoire très récente. 


 

16 juillet 2025

Loveable

 Encore un film norvégien, encore une histoire d'amour, encore une histoire de couple ... c'est l'été qui veut cela ?

Le film de Lilja Ingolfsdottir fait irrésistiblement penser aux films de Bergman puisqu'il s'agit d'une plongée profonde dans la psychée d'une personne et dans la dissolution progressive et irréversible d'une histoire d'amour qui avait commencée comme une relation fusionnelle. Pourquoi pas. Le film est plutôt bien fait, pas statique du tout; plutôt bien joué  par les personnages principaux autant que par les personnages secondaires. Oui mais .... dans cette histoire, c'est surtout au comportement de la femme que l'on s'intéresse, à ses exigences, ses doutes, son manque de confiance, sa fragilité, pour expliquer l'échec du couple. Coupable, forcément coupable ! Ben non ! Il faudrait pour équilibrer cette histoire un deuxième film, avec un point de vue aussi empathique sur les erreurs et les insuffisances du mari. 


 

14 juillet 2025

La Venue de l'avenir

 Une remontée généalogique entre 2025 et 1885. Autres temps autres moeurs, évidemment.  Avec de surcroît un alibi culturel (la peinture, la photographie) et touristique (Paris, ville lumière, la Normandie, le jardin de Giverny, ... ), sans oublier la nostalgie (?) des maisons closes. Décorateurs et costumiers ont dû se régaler. Le film de Klapish,  un peu trop fourre-tout et pas vraiment subtil, ne m'a pas emballée. Mais par temps de canicule, le salles de cinéma sont des havres de fraîcheur ! 


 

13 juillet 2025

La trilogie d'Oslo : Rêves

Rêves est le premier volet de la trilogie d'Oslo,  un projet ambitieux du cinéaste norvégien  Dag Johan Haugerud. Est-il assez convaincant pour me donner envie d'aller voir les deux autres volets ? Je n'en suis pas certaine. Certes il exprime avec une certaine justesse les émotions d'une adolescente, tombée amoureuse d'une de ses enseignantes, et leurs répercussion sur sa mère et sa grand-mère, féministes toutes les deux, mais pas de la même façon. Quatre portraits de femmes donc, à des âges différents de la vie, plutôt bien vus. Les attitudes, les sentiments, les dialogues, tout est bien observé et parfaitement rendu. Mais voilà, cela fait au final beaucoup de mots, beaucoup de phrases et il m'a toujours semblé que si le théâtre est bien le lieu de la parole, celui du cinéma est prioritairement celui de l'image et du mouvement. Oui, je suis un peu bornée sur sur ce point !  Ceci dit et malgré mes préjugés, Rêves est certainement un film passionnant pour qui s'intéresse à la psychologie des individus, des femmes en particulier et d'une certaine façon à l'évolution de la société. 


 

12 juillet 2025

Aharon Appelfeld, La Ligne

Depuis que le film La Chambre de Mariana est sorti, on parle beaucoup de cet écrivain né en Roumanie, en 1932, rescapé des camps, réfugié en Israël depuis 1946 et considéré comme un écrivain majeur de la Shoah. Histoire d'une vie, paru en français en 2004 était plus classiquement autobiographique que La Ligne, écrit en 1991 et publié en français en mars de cette année. Mais si La Ligne emprunte un peu plus au genre romanesque, puisque le narrateur est un homme qui refait inlassablement depuis des années le même circuit en train à la poursuite de l'homme responsable de la mort de ses parents, les éléments biographiques sont toujours là, en arrière-plan. . Les paysages défilent; les gares, les pensions où le narrateur revient toujours, les gens qu'il retrouve régulièrement au rythme des ses voyages soulignent le côté obsessionnel d'une mémoire qui ne parvient à oublier ni la permanence de l'antisémitisme, ni le renoncement au communisme. La Ligne ressemble à un récit de voyage, mais un voyage en boucle; ressemble aussi à un polar, puisqu'il s'agit de retrouver un assassin; mais c'est plus encore un texte qui, sous des dehors romanesque, pousse à réfléchir sur ce que signifie être juif, dans un siècle qui après tant de pogroms a connu la Shoah. 


 

11 juillet 2025

Le Jardin d'été

Le film de  Shinji Somai et Yozo Tanaka date de 1994. Je l'aurais su avant de voir le film, j'aurais peut-être été plus indulgente.  Mais dès les premières images j'ai été désagréablement surprise par la qualité de la pellicule, genre Kodachrome un peu trop saturé. De plus, si le point de départ - la curiosité des enfants vis à vis de la mort - était intéressant, et a conduit l'improbable trio à espionner un vieillard, puis se lier d'amitié avec lui jusqu'à en faire le meilleur compagnon de leur été, je me suis assez vite lassée d'un thème un peu trop rebattu (le vieillard et l'enfant), qui n'avait de neuf que d'être japonais. Mais ce qui m'a surtout gêné dans ce Jardin d'été, c'est le jeu des gamins, à commencer par un casting caricatural : petit avec des lunettes, obèse et juste normal souligné de surcroît par les surnoms dont ils écopent.  J'avoue avoir toujours un peu de mal avec les enfants-acteurs, mais ceux-là vraiment, m'ont rappelé ... La guerre des boutons (!) sans doute à cause du plu petit, véritable moulin à parole. Entre allergie épidermique et attendrissement, j'ai hélas penché du côté de l'agacement. 


10 juillet 2025

La soif du mal

Parmi les plaisirs de l'été, il y a les "reprises" de film un peu oubliés, ou de grands classiques qui n'étaient pas ressortis depuis longtemps. 

Fan inconditionnelle d'Orson Welles (à égalité avec Kübrick !), j'avais néanmoins achoppé sur La Soif du mal, vu plusieurs fois, mais qui m'avait paru trop confus pour être convaincant. La version proposée aujourd'hui est non seulement restaurée, mais modifiée pour correspondre non plus au projet mercantile des producteur, mais aux intentions de Welles.  Furieux des modifications apportées au montage par le studio, celui-ci avait rédigé une note de 58 pages pour préciser les changements à apporter. La version présentée actuellement tient compte de ce document et le résultat est époustouflant. J'ai enfin trouvé le film clair - bien que la complexité de l'intrigue demande toute l'attention du spectateur - et franchement éblouissant : la pertinence des mouvements de caméra, la perfection des cadrages, des gros plans qui enferment les personnages et font monter l'angoisse, l'alternance des scènes d'intérieures, et plus rares de scènes urbaines, avec un travail sur la lumière qui donne au noir et blanc toute sa force. Un film d'Orson Welles, c'est souvent un dilemme moral, mais c'est avant tout une aventure visuelle totalement maîtrisée, par le réalisateur et son équipe.  

S'il y a un film à ne pas manquer cet été, c'est bien celui-là. Mais attention, il n'y a pas tant de séances que cela.  Et c'est sur grand écran qu'il faut le voir, c'est dans les salles obscures qu'il éblouit.