Après Homère, Hésiode, Platon, le théâtre grec et Eschyle, il est peut-être temps de quitter la Grèce. Non que j'en aie épuisé les richesses, loin de là, mais puisque nous sommes partis pour un long voyage littéraire qui doit nous mener jusqu'à aujourd'hui, il importe avant tout de de ne pas s'encombrer et donc de voyager léger.
J'ai toujours en tête les PPOC (Plus Petites Oeuvres Complètes ) dont j'ai essayé, pendant des années, de propager le concept afin de ne pas décourager, dès l'abord, ceux dont l'appétence culturelle n'est pas encore très affirmée. Je ne sais si l'appétit vient en mangeant, mais le goût des lettres vient en lisant, c'est certain. A condition toutefois de ne pas commencer par le plus lourd et le plus indigeste ! Des PPOC, je suis passée au BCM (bagage culturel minimum), et en voyageuse avisée je ne mets dans mon sac de voyage, que l'indispensable, de sorte qu'il reste beaucoup de place pour "les souvenirs" glanés en route, et parfois beaucoup plus précieux parce qu'on les a découverts "tout seuls" ! Je pourrais poursuivreplus loin la métaphore rappeler que des bagages bien organisés permettent de retrouver facilement ses affaires et de dénicher l'emplacement adéquat où l'on pourra glisser chaque nouvelle trouvaille. Vous venez de lire Bérénice (excellente lecture!), la pièce trouvera facilement sa place à côté des tragédies d'Eschyle; vous êtes en train de lire Aristote et vous savez déjà que vous le rangerez à côté de Platon, même s'ils doivent s'eng... un peu. La dispute est de toute façon l'apanage des philosophes (surtout quand ils se mêlent de politique ! )
J'ai l'air de donner des conseils ? Un peu trop directive ? Pas du tout : je parle, je parle mais au fond, chacun n'en fait qu'à sa tête.
Venons en aux choses sérieuses : Lucrèce. Car c'est de Lucrèce que j'aimerais vous parler ce matin. Lucrèce et son De Natura rerum; De la Nature des choses en français, souvent abrégé en De la Nature. Un peu plus de 200 pages, ce n'est pas la mer à boire; mais pour pleinement apprécier la tentative de Lucrèce, il faut prendre son temps : lire tranquillement, posément, l'un après l'autre chacun des six livres, les annoter. Revenir sur certains passages. Mon exemplaire est souligné, surligné, gribouillé ... à la mesure de mon intérêt pour ce que dit Lucrèce.
Et que dit Lucrèce ?
Mais d'abord qui était Lucrèce ?
Un poète latin, né à Rome vers 98 avant Jesus-Christ et mort en 55, suicidé peut-être !
Nous savons en réalité bien peu de choses du bonhomme. Nous n'avons guère que son oeuvre, un poème en 6 chants, rédigé en hexamètres dactyliques, 7415 vers au total ! Voilà pour la forme. L'essentiel est ailleurs, l'essentiel est dans ce que Lucrèce cherche à faire comprendre; or, ce qu'il cherche à faire comprendre, c'est la doctrine d'Epicure.
Et nous voilà revenu en Grèce.
Lorsque naît Epicure - pour autant que les dates soient confirmées - Platon vient de mourir. Aristote a une quarantaine d'années, Zénon de Citium n'est pas encore né.
- Attends, attends. Tu n'es pas en train de nous faire tourner en rond, là ? Tu devais nous parler de Lucrèce et on se retrouve en train de parler d'Epicure; on en était au premier siècle de notre ère et on retourne quatre siècles en arrière ? Arrête et explique-toi : tu nous donnes le tournis.
- D'accord, c'est pourtant simple. Si je pouvais, je te ferais un dessin, mais avec l'ordinateur, je sais pas faire.
Voyons voir... soit un axe chronologique qui va de X à Y. Tu places le point zéro au premier tiers (en gros 1000 ans avant, 2000 après : ça fait déjà pas mal comme axe culturel ! ) Tu ajoute des graduations tous les 100 ans environ, tous les 50 si tu tiens à raffiner.
- Je le fais comment mon axe ? vertical ou horizontal ?
- Aucune importance, cela revient au même. Mets ton crayon 4 siècles avant le point zéro. Et là, tu inscris 4 noms : Platon, Aristote, Epicure et Zénon. Et sous chacun de ces noms, 4 noms de lieux : Académie, Lycée, Jardin et Portique . Un moyen facile de se souvenir des 4 grandes écoles philosophiques grecques ! L'Académie pour l'école de Platon, le platonisme donc; le Lycée pour Aristote et l'aristotélisme; le Jardin pour Epicure et l' Epicurisme, et ...
- Le Portique pour... ça ne marche pas ton truc !
- Si, enfin presque. Portique, en grec, se dit "stoïcos" et l'école du portique, c'est donc le stoïcisme dont le grand maître est Zénon de Citium. 4 noms, 4 lieux, 4 grandes tendances philosophiques, au 4ème siècle (à peu près). C'est plutôt facile à retenir. Une base ... carrée sur laquelle on peut construire. Ce qui est intéressant ensuite, c'est de voir ce que sont devenues chacune de ces écoles. Comment ont-elles été perçues ? Qu'est-ce que les générations suivantes en ont retenu ? Quelles influences ont-elles eues sur l'évolution des idées?
- Ah non ! T'as dit bagage culturel minimum : là c'est plus du minimum !
- Bon, bon, mais on y reviendra peut-être quand même plus tard.... Quand tu seras mieux disposé parce que ce matin, je te sens ... "chichigneux".
- Normal : un lendemain d'élections !
- On continue quand-même ?
- Sûr ! Au moins, ça change les idées !
- Voici donc Epicure au milieu des trois autres, dans le carré de base. Le problème c'est que Platon et Aristote ont beaucoup écrit, mais pas Epicure, ni Zénon d'ailleurs ! Ou plutôt leurs oeuvres, s'il y en a eu, ne nous sont pas parvenues. Et ne me demande pas pourquoi parce que c'est une autre histoire.
- J'ai rien demandé !
- Des écrits d'Epicure nous n'avons que quelques fragments, quelques lettres et, heureusement, le grand poème de Lucrèce, son admirateur, son zélateur, qui n'a eu de cesse de vulgariser la pensée d'Epicure. Et s'il a choisi la poésie, c'est dans l'espoir de la rendre accessible à tous.
- Ah ouais, genre la cuillère de confiture ou de miel qui fait passer la pilule !
- Exactement !
- Un peu comme ton baratin non ?
- Mettons que l'intention est la même; pas le talent. Mais le problème avec Lucrèce, c'est qu' il rédige son poème, longtemps après Epicure et que nous n'avons aucune idée des textes qu'il avait à sa disposition et donc de l'écart qu'il peut-y avoir entre ce que pensait vraiment Epicure et ce que dit Lucrèce.
- C'est grave ?
- Non, pas trop. Du moment que l'on sait qu'il y a - probablement - un écart !
- Alors, ce Lucrèce et cet Epicure, pourquoi tu les aimes tellement ?
- Parce que les premiers ils ont essayé d'expliquer le monde, logiquement, rationnellement, scientifiquement sans inventer des bobards à dormir debout !
- Stop ! Deux points : Expliquer le monde ? ils n'étaient pas les premiers : Platon aussi. Et scientifiquement ? Tu m'as bien dit qu'Epicure était philosophe...
- Oui, mais à l'époque, le même mot désignait le savant et le sage; on ne faisait pas de différence entre le philosophe et le physicien. Les philosophes étaient aussi des forts en maths, Platon par exemple était super bon en algèbre. Un philosophe, pour philosopher, doit nécessairement s'appuyer sur sa connaissance du monde physique sinon sa philosophie n'est que pure spéculation. C'est en tout cas ce que je pense, mais je reconnais que depuis un ou deux siècles, cela devient de plus en plus difficile. La science va trop vite et surtout elle est de plus en plus morcelée entre des savoirs parcellaires et personne n'est plus capable de faire la synthèse. Le monde est complexe mais nous ne sommes plus capables de le saisir dans sa globalité, dans sa complexité.
- Ah non, tu ne pas pas t'y mettre toi aussi à parler de déclin des connaissances et bla bla bla...
- Certainement pas, au contraire. Je relève juste une difficulté : l'accroissement continue des connaissances ne va pas de pair avec le développement de notre intelligence. Il ne faut pas freiner les connaissances, mais juste essayer d'être plus intelligent et donc faire travailler plus intensément nos neurones. Et pour revenir à ta première remarque que je n'ai pas oubliée, Epicure et Lucrèce n'étaient certes pas les premiers à essayer d'expliquer le monde, mais ils le faisaient pour permettre aux hommes de ne plus avoir peur, car, à leurs yeux c'était la peur qui empêchait les hommes d'être heureux. Et ce qu'ils voulaient avant tout, c'est permettre aux hommes d'être plus heureux.
- Comme tous les philosophes, non ?
- Tu as vraiment mauvais esprit ce matin ! Mettons comme la plupart des philosophes, mais, eux ils y sont parvenus !
- Ah oui ? et comment ?
- Et bien je te le dirai ... demain. Ou dans quelques jours parce que demain et après demain j'ai beaucoup à faire !
- Menteuse ! Tu dis ça parce que toi aussi tu es de mauvais poil. Les élections qui ne passent pas...
- C'est vrai, elles passent mal. Mais au moins, il y a 85% de votes exprimés !
07 mai 2007
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