07 janvier 2008

Machiavel

- Encore un Italien ?
- Oui, mais un Florentin cette fois. Parce que Florence, à la fin du XVe siècle, c'était quand même quelque chose. Essaie d'imaginer : Machiavel naît en 1469, le 3 mai. Un mois plus tard, Laurent de Medicis épouse Clarisse Orsini et le 2 décembre, il devient Prince de Florence. Il avait tout juste 20 ans ! Voilà ce qu'on oublie souvent. Dès qu'on parle culture, on croit avoir à faire à de vieux barbons, mais pas du tout ! D'ailleurs, tous ceux qui ont fait la réputation du Quattrocento florentin étaient à peu près de la même génération : Ghirlandaïo, Perugino... Botticelli avait 4 ou 5 ans de plus; Leonardo 3 ans de moins.
- Quattro quoi ?
- Quattrocento : c'est le terme que l'on utilise pour parler de cette période, particulièrement florissante à Florence. Tu sais, ce qui est tout à fait étonnant c'est qu'une ville finalement assez petite, assez quelconque ait permis à tant d'artistes de manifester leur génie. C'est d'autant plus étonnant que l'Italie, n'était, à l' époque, qu'une mosaïque de petits états qui ne cessaient de se faire la guerre et n'hésitaient pas, pour venir à bout d'un rival, à faire appel à l'Espagne ou à la France qui, bien entendu, ne se faisaient pas trop prier pour prêter main forte à l'un ou à l'autre et tirer profit de leur intervention. Ce qui mettait hors de lui Machiavel !
Quand, dans le dernier chapitre du Prince, il parle de l'Italie "plus esclave que les Hébreux, plus serve que les Perses, plus morcelée que les Athéniens, sans chef, sans ordre, battue, dépouillée, déchirée, envahie " on devine, derrière la rhétorique, une certaine émotion, non ?
- Mmmouais ...
- Ah non, tu ne va pas faire partie de ces gens qui pensent pis que pendre de Machiavel avant même de l'avoir lu !

- Pas lu, en effet, mais dire de quelqu'un qu'il est "machiavélique", ce n'est pas lui faire un compliment que je sache. Et le "machiavélisme", ce n'est pas joli-joli non plus. "Qui veut la fin, veut les moyens", c'est bien ça non ? et les moyens sont le plus souvent malhonnêtes.
- C'est vrai. C'est souvent à cela qu'on réduit Machiavel. Et c'est pour cela qu'on a tout intérêt à le lire et à se faire une opinion par soi-même. Tu verras, tu risques d'être surpris. Et puis Le Prince ne fait jamais qu'une centaine de pages : c'est vite lu et ça donne à réfléchir.
- Et bien, donne moi quelques indices si tu veux vraiment que je lise ce bouquin !

- Ce qui chiffonne avant tout chez Machiavel, c'est, comme tu l'a suggéré toi-même, sa prétendue absence de morale, plus précisément le fait qu'il subordonne la morale aux résultats, à l'efficacité. C'est en partie vrai, mais si tu lis le chapitre XV tu comprendras, et c'est un point essentiel, que Machiavel, se positionne résolument contre Platon, bien qu'il ne le cite jamais ! Pourtant à qui crois-tu qu'il fasse allusion lorsqu'il écrit : "Beaucoup se sont imaginé des républiques et monarchies qu'ils n'ont jamais vues ni connues pour vrai. En effet il y a si loin de la façon dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse ce qui se fait pour ce qui se devrait faire apprend plutôt à se détruire qu'à se préserver : car un homme qui en toute occasion voudrait faire profession d'homme de bien, il ne peut éviter d'être détruit parmi tant de gens qui ne sont pas bons." Tu vois, Machiavel tient à se démarquer des utopistes et des idéalistes de tous poils qui l'on précédé. C'est un réaliste, un pragmatique, qui s'appuie sur la connaissance des faits et des hommes. C'est un homme d'expérience qui a occupé pendant plusieurs années des responsabilité politiques. Et c'est sans doute son expérience politique qui l'a conduit à se méfier des hommes qui sont à ses yeux plus souvent mauvais que bons .
- Un pessimiste donc ! Pas platonicien ... pas rousseauiste non plus.... Je croyais que tu aimais bien Rousseau ?


- Ne détourne pas la conversation. C'est Machiavel qui nous occupe aujourd'hui. Veux tu une autre citation ? Elle se trouve cette fois au chapitre XVIII où Machiavel justement reconnaît l'impossibilité pour un prince d'agir sans jamais contrevenir à la morale. Voici ce qu'il dit exactement : "Aussi faut-il qu'il ait un esprit disposé à tourner selon que les vents de la fortune et les variations des choses le lui commandent, et comme j'ai dit plus haut, ne pas s'écarter du bien s'il le peut, mais savoir entre dans le mal s'il le faut. " C'est clair non ?
- Clair sans doute. Mais un peu facile aussi ? Parce que finalement tout dépend des "si" : s'il le peut, s'il le faut... ça fait une morale bien élastique tout ça. Et des excuses toutes prêtes : Oh, je ne me suis pas bien conduit, j'ai mis la moitié de mon peuple en prison et l'autre moitié au cimetière, mais il le fallait et je ne pouvais pas faire autrement....
- Tu es de mauvaise foi !
- Peut-être, mais toi d'une naïveté confondante !

- Ecoute encore : "Aussi est-il nécessaire à un prince s'il veut se maintenir, d'apprendre à pouvoir n'être pas bon, et d'en user et n'user pas selon la nécessité."
-
De pire en pire ! la nécessité de n'être pas bon, c'est tout simplement la nécessité de se maintenir au pouvoir !
- En tout cas, n'être pas bon, ce n'est pas le chemin de la facilité puisqu'il faut "apprendre à pouvoir n'être pas bon". Il va jusqu'à dire "Si un prince veut maintenir son Etat, il est souvent forcé de n'être pas bon. "
- Pfffff ! simple effet rhétorique .
- Et si le prince cherche à se maintenir au pouvoir c'est parce qu'il se soucie du bien du peuple
!
-Ah oui ? T'as pris ça dans Machiavel ?
- Oui, parfaitement ! Dans le dernier chapitre, Machiavel, désespéré par l'état de l'Italie est à la recherche d'un rédempteur, d'un "homme de sagesse et de talent" capable "d' y introduire une forme qui lui fît honneur et fût bénéfique à l'ensemble des gens de ce pays." Bénéfique à l'ensemble des gens de ce pays, tu entends ?
- Arrête ! Tu vas finir par faire de Machiavel un démocrate....
- Absolument ! il y a tout un chapitre où il explique qu'il y a deux sortes de "monarchie civile" à laquelle on accède ou par la faveur du peuple ou par celle des grands, et il est évident qu'il préfère s'appuyer sur le peuple "car le voeu du peuple est plus honnête que celui des grands, ceux-ci voulant opprimer et celui-là ne pas être opprimé." Contrairement à Platon, Machiavel lui, ne méprise pas le peuple : "si celui qui se fonde sur lui est un prince qui puisse commander, qui soit homme de coeur et ne se trouble pas dans l'adversité, qui ne néglige pas les autres préparatifs, et qui par son courage, par les mesures qu'il prend, entretienne l'ardeur de la population, jamais il ne se trouvera déçu par le peuple; et il verra qu'il a bien placé ses fondements." D'ailleurs...
- Oh assez ! Arrête ! Passe-le moi ton bouquin, qu'on en finisse. On en reparlera quand je l'aurai lu.
- Lis et relis ! C'est un livre dont on ne vient jamais tout à fait à bout d'autant plus que Machiavel a parfois l'air de commenter en direct les moeurs politiques d'aujourd'hui ! Ainsi quand il dit qu'il n'y a rien de plus difficile que d'introduire des réformes ou qu'il n'est pas nécessaire d'avoir en fait toutes les qualités (énumérées au-dessus), mais qu' il est bien nécessaire de paraître les avoir. Et...
- Bon, ça va. Maintenant, laisse-moi lire !

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