- Alors, les classiques, les grands auteurs du XVIIe, quand est-ce que tu t'en occupes ?
- "Perchée sur les racines de la bruyère, une corneille boit l'eau de la fontaine Molière."
- Noooon, trop facile, tu ne vas pas t'en tirer comme ça ! D'abord ce vieux truc mnémotehcnique tout le monde le connaît ! Racine, La Bruyère, Corneille, Boileau, La Fontaine, Molière ... ça fait un bout de temps qu'on annone ce vieux machin.
- Tu n'as pas tout à fait tort, j'en conviens. D'autant qu'il manque quelques auteurs majeurs...
- Tu vas me dire qu'on a encore oublié les femmes , Mme de La Fayette, Mme de Sévigné....
- Bien sûr! Et Pascal, et Bossuet, et Fénelon et...
- Stop ! Suffit ! Pas besoin de sortir ton Lagarde et Michard ! Ils t'ennuient à ce point les écrivains classiques ?
- Un peu, oui. Mais pas tous, et pas tout le temps. J'aime bien Racine par exemple, dans Phèdre en particulier et plus encore dans Bérénice. Je sais, ce n'est pas très original, mais cette histoire d'amour empêchée par la raison d'Etat, cet empereur qui ne peut pas épouser sa princesse parce qu'elle est étrangère ....
- ça fait pas un peu coeur d'artichaut ton histoire ?
- Evidemment. Toutes les "grandes" histoires d'amour sont des variations sur le même thème; Tristan et Yseult, Lancelot et Guenièvre, Roméo et Juliette, ... que des histoires du genre "ils s'aiment mais n'ont pas le droit de s'aimer" alors, évidemment, ça tourne mal ! Et avec le même schéma, on peut faire un mélo façon Harlequin ou une tragédie de Racine.
"Dans un mois, dans un an, comment souffriront nous
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Difficile de faire à la fois plus simple et plus efficace. Ecoute encore : "Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez !" Un seul vers pour dire à la fois la toute puissance et le désespoir.
- Ouais, bon, d'accord ! Va pour Bérénice. Mais t'as rien d'autre dans ta besace ?
- ...
- Et bien ?
- Polyeucte !
- La pièce de Corneille ? Je croyais que tu détestais Corneille !
- C'est vrai, je ne l'aime pas beaucoup. Trop pompeux, trop glorieux, trop ronflant !
- Gonflant quoi !
- Mais Polyeucte c'est autre chose. Polyeucte est un chrétien du IIIe siècle, fraichement converti, et qui au nom de sa foi, entend renverser les idoles païennes, au péril de sa vie bien entendu.
Un martyr qui, poussé par la grâce divine, renonce progressivement à toutes ses attaches terrestres, à l'amour de sa femme Pauline, soucieux seulement de mériter le Ciel.
- Et il fait quoi ? Un attentat-suicide ?
- D'une certaine façon, puisque en renversant les idoles, il se condamne à mort.
- Un fanatique, c'est bien ce qu'il me semblait.
- Un fanatique religieux en effet, mais, touchés par le martyr de Polyeucte, son beau--père et sa femme se convertissent au christianisme. La pièce de Corneille est donc un éloge de la religion, de la foi qui déplace les montagnes.
- Et c'est pour cela que tu aimes Polyeucte ?
- Certainement pas. Corneille a écrit cette pièce en 1642. A la lumière de tous les événements qui se sont passés depuis, on ne regarde plus le fanatisme,qu'il soit politique ou religieux, du même oeil. Et tu sais à quel point je me méfie de la confusion entre foi et aveuglement idéologique. Autant je respecte les croyances tant qu'elles restent dans le domaine intime sans chercher à s'imposer, autant je m'en méfie quand elles prétendent à l'intégrisme, à l'absolutisme et au totalitarisme.
- Toujours un problème avec les " ... ismes" !
- Non, pas du tout : j'aime bien rationalisme et plus encore humanisme !
- Pour en revenir à Polyeucte, ton interprétation n'est pas un peu ... tendancieuse ?
- Je ne crois pas. Un texte dont on ne fait qu'une lecture historique n'est pas vraiment vivant. Les textes intéressants sont ceux qui ont toujours quelque chose à dire à leurs lecteurs, quelle que soit l'époque à laquelle ils sont lus. Le contexte politique, économique, social modifie forcément le regard que l'on porte sur un texte. Et le "vécu" de chacun modifie à sont tour l'interprétation d'un texte. C'est la raison pour laquelle il est toujours intéressant ... de confronter son point de vue à celui d'un autre lecteur.
- Et voilà, je me suis encore fait avoir. Parti pour lire Polyeucte...
12 octobre 2009
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