Etrange roman que ce dernier livre de Russel Banks qui s'ouvre sur un procédé, vieux comme la littérature, qui vise à authentifier un document prétenduement historique et véridique alors qu'il est en réalité complètement fictif : les cassettes audio soit-disant découvertes retracent la vie, essentiellement le passage à l'âge adulte, de Harley Mann devenu par la suite agent immobilier et riche propriétaire foncier.
Enfant, Harley a grandi dans une de ces colonies utopiste qui fleurissent à la fin du XIXe siècle, mais à la mort du père, après un bref passage dans une plantation esclavagiste, la famille rejoint une communauté shaker installée dans le sud de la Floride. Le récit dès lors prend en compte les moeurs et coutumes de cette communauté religieuse et abstinente, et les choix difficiles que doit faire Harley, tombé fou amoureux d'une jeune femme qui se meurt de la tuberculose. Et voilà pour le côté romanesque !
Connaissant un peu l'oeuvre de Russel Banks, qui dans ses écrits s'est toujours intéressé aux laissés-pour-compte de la société et aux évolutions politiques de son pays. on s'interroge forcément sur ses intentions dans ce qui se trouve être son dernier livre, mais peut-être parce que le point de vue est celui d'un vieillard qui renoue avec les souvenirs de son adolescence, les personnages paraissent plutôt des pions au service d'une démonstration que je ne suis pas certaine d'avoir comprise : la dénonciation de l'hypocrisie ? de l'injustice ? l'infime différence parfois entre le bien et le mal et la difficulté à faire des choix sans anticiper suffisamment les conséquences ? l'influence de la passion sur nos raisonnements ... on cherche tout au long du roman une leçon de vie, sans doute à tort, les questions comme souvent sont de toute façon plus importantes que les réponses. Mais ceci explique peut-être pourquoi je me suis un peu ennuyée à lire ce Royaume enchanté.
PS. A force de lire des références aux Ruskinites et à la colonie de Waycross, j'ai été fouiller dans les placards d'Internet et j'ai trouvé sans beaucoup de difficultés quelques liens intéressants. Autant sur le personnage de John Ruskin que sur les colonies fondées en application de ses idées (sociales et anti-capitalistes). Du coup je me demande pourquoi Russel Banks a choisi de s'intéresser aux Shakers plutôt qu'aux Ruskinites. Peut-être simplement parce qu'il s'agit d'une communauté plus connue, dont la longévité est supérieure à celle des Ruskinites ? Peut-être parce que la religion et la morale y étaient plus prégnantes, que la règle de l'abstinence sexuelle les vouait forcément à la disparition ? Ou peut-être parce que les Shaker sont moins farouchement anticapitalistes ? J'aurais aimé savoir...