27 février 2025

Les Damnés

1862, en pleine guerre de Sécession. Ils avancent dans un paysage vide à l'infini, ils ont des uniformes bleus, ce sont donc des soldats de l'Union. 

En 1862, le Montana n'est pas encore un Etat, même pas un territoire. C'est un espace vide qu'un détachement de l'armée de l'Union est chargée d'explorer. 

Le film de Roberto Minervini n'est pas un western, ni même un film sur la guerre de Sécession; mais c'est un film sur la guerre et l'engagement des militaires. La guerre y est vue à ras de fantassin - un peu comme  Fabrice del Dongo à Waterloo - c'est à dire observée avec minutie, dans ses détails les plus triviaux (l'utilisation d'une arme, le montage d'une tente...) avec une alternance de gros plans et de plans beaucoup plus large destinée à faire comprendre au spectateur le quotidien de ces hommes qui s'efforcent de survivre sur un terrain inconnu et dans des conditions météorologiques difficiles : ils exécutent des ordres, sacrifient leur vie à des objectifs qui ne les concernent pas directement. Loin, très loin de ceux qui les ont envoyés si loin de tout. C'est au bout d'un moment que ce film, légèrement ennuyeux jusque là,  puisqu'il ne se passait rien, a pris son sens. Parce que ces hommes parlent, s'interrogent, expliquent les raison de leur engagement, parfois radicalement différentes. Comme dans le poème d'Aragon, il y ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas... Ceux qui pensent que la terre leur a été donnée par Dieu et qu'il faut la défendre, ceux qui n'en sont pas vraiment certains. 

Peu à peu, Les Damnés prend une autre dimension, ce n'est plus un film de guerre - la seule bataille se fait contre un ennemi invisible (juste des éclats de feu) - c'est un film sur la guerre, sur l'inanité de la guerre, de toutes les guerres, celles du passé ou celles d'aujourd'hui. Et si les premières images montraient une troupe assez importante et soudée dans ses efforts, la dernière ne montre que deux hommes, visage levé vers le ciel, vers la neige qui tombe et va bientôt les recouvrir comme elle a enseveli tous les autres. 

Les Damnés est un film âpre, exigeant, mais c'est un film qui marque. 

25 février 2025

Maya Angelou, Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël

 

 

Le titre était irrésistible. Le nom de l'auteur également car je n'avais pas oublié mon enthousiasme à la lecture de Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage, premier volume de l'autobiographie de Maya Angelou.

Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël est le troisième volume de son autobiographie, paru en 1976. La petite fille élevée par sa grand-mère a grandi, est désormais mère-célibataire d'un jeune enfant et se fraye un chemin dans le monde du showbizz grâce à son talent de chanteuse et de danseuse,  mais surtout grâce à son intelligence et son audace. Voilà une femme qui sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, prête à tenter toutes les aventures pourvu qu'elles lui permettent de gagner sa vie et de garder quoi qu'il arrive sa dignité. Femme et noire dans l'Amérique des années 50, elle étonne, elle détonne et fait preuve d'une extraordinaire vitalité. Engagée dans la troupe partie présenter Porgy and Bess en Europe et en Afrique du Nord, elle n'est pas du genre à rester enfermée dans sa chambre d'hôtel, non. Elle achète un dictionnaire et sort à la découverte des villes qu'elle traverse, avide d'expériences nouvelles, qu'elles soient culinaires ou artistiques ! Les pieds sur terre, toujours, un sens de la répartie exceptionnel, une insatiable curiosité et une formidable envie de vivre à fond tout ce que la vie lui propose. Ce qui n'empêche pas la tristesse, la peur parfois. 

Maya Angelou qui plus tard s'activera aux côté de Martin Luther Kingdes et des militants des droits civiques, poète à ses heures, manie la plume avec une facilité étonnante. Son écriture est à son image, tonique, directe. Quelques mots lui suffisent pour croquer un portrait, rendre compte d'un lieu. A Zagreb : "Les couloirs de l'hôtel sentaient le chou et la poussière des siècles.

Lire Maya Angelou est une véritable antidote à la morosité et même à l'angoisse latente provoquée par les informations qui arrivent de l'autre côté de l'Atlantique. 

Et l'éditeur, qu'il en soit remercié, a même inclus dans les pages du livre une play list qu'un QR code permet d'enregistrer pour écouter, en lisant, les musiques évoquées par Maya Angelou !

17 février 2025

Le Jardin Zen

 Le film de Naoko Ogigami, premier film de la réalisatrice sorti en France, m'a laissé particulièrement perplexe et je me demande encore quel était son propos. S'agit-il d'un film féministe qui entend dénoncer la façon dont les femmes sont traitées au Japon et inciter Yoriko, ménagère de 50 ans au service  d'un mari et d'un fils qui abusent de sa docilité à se révolter et à suivre sa propre voie ?  S'agit-il au contraire de souligner les déséquilibres d'une femme toujours prête à se réfugier dans des passions exclusives, qu'il s'agisse de jardinage ou de pseudo spiritualité ? S'agit il de critiquer une société japonaise excessivement normée ou de montrer la faiblesse d'une femme incapable de savoir ce qu'elle veut, ce qu'elle vaut, trop timorée pour imposer ses choix ? 

Il est vrai que le monde n'est pas binaire et que le film reflète sans doute la complexité de la société japonaise autant que celle des individus. Mais le film m'a néanmoins paru trop  chargé - les retombées de Fukushima, le cancer, les sectes, la surdité ... et partant trop confus pour être tout à fait convaincant. 

 


13 février 2025

Pierre Christin, Est-Ouest

"Du grand Ouest américain aux territoires les plus reculés du bloc communiste, le scénariste Pierre Christin raconte ses voyages des deux côtés du rideau de fer, chose rare du temps de la guerre froide."  

 Toujours à la recherche d'une Amérique que j'ai aimée, que j'aime encore, mais dont j'exècre les récents choix politiques, j'ai lu Est-Ouest, attirée par cette confrontation entre deux mondes que cette bande dessinée semblait promettre, et je n'ai pas été déçue.

Scénariste avant tout, Christin a laissé à Philippe Aymond le soin d'illustrer son récit structuré en quatre volets dont le premier évoque sa découverte de l'Amérique, lorsqu'au début des années 60, il part enseigner à Salt Lake city, la capitale du pays mormon. L'occasion de découvrir une Amérique pas encore totalement mythique, les grands paysages de l'Utah et de l'Arizona, comme les villes de San Francisco et Los Angeles. Le récit passe ensuite au noir et blanc pour évoquer l'enfance et l'adolescence, se poursuit avec la période intermédiaire, au retour des Etats-Unis et l'entrée dans le milieu de la bande dessinée. Le dernier volet est consacré aux voyages de l'autre côté du rideau de fer. 

Est-Ouest est bien sûr un récit autobiographique, mais pas seulement parce que, visiblement, ce ne sont pas les tourments de son moi intime qui intéressent Christin, mais bien les tourments du monde dans lequel il a vécu. Et le lecteur profite de son regard curieux, qui note un détail, s'étonne, se réjouit sans pour autant asséner sa vérité sur l'un et l'autre monde. 




11 février 2025

Mon gâteau préféré

Le problème avec les films iraniens, c'est qu'ils sont systématiquement couverts d'éloges parce qu'ils sont iraniens et que le réalisateur et les acteurs risquent la prison ou pire pour avoir osé montrer ce qui ne doit pas être montré, dire ce qui ne doit pas être dit.  

Alors oui, je veux bien dire qu'il fallait une sacrée audace pour mettre en scène cette histoire d'amour et de sexe entre deux septuagénaires. Fatiguée de son veuvage et de sa solitude, Mahin s'est lancée à la recherche d'une autre âme isolée,  qu'elle trouve en la personne de Faramaz, chauffeur de taxi. Et c'est parti pour une folle nuit où tous les interdits ou presque sont foulés au pied : Mahin et Faramaz mangent, boivent de l'alcool, prennent une douche ensemble (la meilleure scène ! en tout cas la plus drôle!) écoutent de la musique, rient,  dansent, parlent d'amour.... Mahin bien sûr a posé son voile...

Mon gâteau préféré est indéniablement un film très audacieux, mais un peu lourd aussi.  Tout est  trop appuyé, trop insistant. Sans doute pour bien faire comprendre au spectateur occidental ce que les Iraniens doivent affronter au quotidien. 

Alors non, impossible de chipoter, de chicaner et de pinailler. Il faut aller voir Mon gâteau préféré et saluer le courage de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha "Nous sommes fier.es de dédier la première de notre film aux dignes et courageuses femmes de notre pays qui sont passées en première ligne de la lutte pour le changement social, qui tentent de faire tomber les murs de croyances dépassées et sclérosées, et qui sacrifient leur vie pour obtenir la liberté.


 

10 février 2025

Je suis toujours là

 Le film de Walter Salles vient à point pour rappeler ce que signifie vivre sous un régime autoritaire où l'arbitraire fait la loi, pour rappeler aussi qu'avant l'Argentine et le Chili, le Brésil avait connu la dictature. 

Emporté par la nécessité de témoigner, de montrer le fonctionnement en l'occurrence plus insidieux que violent de la dictature brésilienne, le réalisateur s'attache à une famille dont le père a brutalement disparu et dont la femme passera sa vie d'une part à protéger ses cinq enfants, d'autre part à chercher ce qu'il est advenu de son mari. Tiré d'une histoire vraie, le film cherche avant tout à présenter Eunice, non seulement comme une femme de grand courage, une véritable héroïne, mais comme une femme parfaite. : toujours tirée à 4 épingles, toujours la bonne attitude, toujours la bonne réponse pour apaiser les inquiétudes des enfants ... Femme à la maison sans souci d'argent, elle vend son patrimoine, déménage, reprend des études, devient avocate, défend les droits des minorités... parfaite, vraiment parfaite! Ce qui finit par nuire à la crédibilité du film, qui ne s'arrête pas là et dans un dernier volet montre la vieille dame qu'elle est devenue, atteinte par la maladie d'Alzheimer. Et voilà, comment avec les meilleures intentions du monde, on fait un film trop long et juste un peu ennuyeux. Mais très édifiant !



08 février 2025

Douglas Kennedy, Ailleurs chez moi

Douglas Kennedy est un écrivain qui porte un regard très critique sur les Etats-Unis au point d'avoir voulu s'en éloigner pendant des années, préférant l'Europe à son pays d'origine. 

Au pays de Dieu, publié il y a une vingtaine d'année était un récit de voyage dans le Sud des Etats-Unis, dans cette région surnommée "Bible belt" parce que la religion y est omniprésente. Je m'attendais à un livre de la même veine en lisant Ailleurs chez moi, mais j'ai été un peu déçue. Il s'agit plutôt d'une autobiographie qui permet certes à l'auteur de s'interroger sur ce que signifie "être américain",  mais c'est un mélange un peu trop hétéroclite pour être tout à fait passionnant. L'impression d'un grand pêle-mêle où souvenirs, anecdotes l'emportent sur la réflexion. Certes il y est question de la passion de l'argent, qui rivalise avec la passion de Dieu pour la plupart des Américains, mais il n'y a là rien de bien nouveau. Il y est question aussi de l'actuel division entre Démocrates et Républicains qui met en péril la démocratie et dont l'écrivain essaye de faire l'historique en partant de 1968 et de la présidence Nixon. En partant surtout de sa propre histoire. Et c'est sans doute ce qui m'a gênée, car en basculant constamment de l'auto-biographie à l'essai, Douglas Kennedy semble sans cesse digresser.







03 février 2025

Jane Austeen a gâché ma vie

 Les comédies romantiques se ressemblent un peu toutes, mais c'est pour cela qu'on les aime. A vrai dire, ce que j'aime surtout c'est repérer les clichés, les scènes, les situations et parfois même les dialogues incontournables et puis me laisser surprendre par l'inattendu, les petites variations qui font l'originalité de chaque film. Un peu comme dans les westerns au fond. "Same, same, but ... different !"

Dans le film de Laura Piani, on a donc au départ une jeune fille pleine de doutes, libraire (dans une librairie souvent vide) célibataire (en quête du grand amour romantique façon Jane Austeen). Elle se voudrait écrivain (mais n'a encore rien écrit). A sa grande surprise, la voilà invitée dans une résidence pour écrivains par ... la Fondation Jane Austeen !  A partir de là le fil se déroule avec ses petites anicroches, ses soubresauts et ses péripéties plus ou moins attendues.  

Jane Austeen a gâché ma vie est un film plaisant, juste assez anglais (et donc excentrique) pour faire passer un bon moment, loin des tracas du monde.


 


01 février 2025

Hiver à Sochko

 Elle est métisse, née d'une mère coréenne et d'un père français qui a disparu avant sa naissance, alors lorsqu'un auteur de bande dessinée français vient s'installer dans la pension où elle travaille, forcément, elle projette sur lui, bien des espoirs. Mais voilà, l'écrivain est non seulement bourru, mais concentré sur son propre travail, et s'il apprécie l'aide que lui apporte la jeune-fille, il ne se laisse pas distraire de ses propres préoccupations . 

Bella Kim tient tout en finesse le rôle de la jeune fille, mais la prestation de Roschdy Zem, dans le rôle d'un homme maussade, peu amène et même franchement désagréable n'était sans doute pas le plus facile à tenir. Toujours est-il que cette ballade hivernale et souvent nocturne, adaptée d'un roman d'Elisa Shua Dusapin est filmée au plus près des personnages en respectant les non-dits propres à ce type de relation. Ce sont moins les mots que les images qui suggèrent ce qui est en jeu entre les personnages. Accessoirement, le film donne un aperçu intéressant de la vie dans une petite ville de Corée.