16 juin 2025

Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé


Décembre 1989 ! Timisoara, Ceucescu, la révolution roumaine...  C'est déjà de l'Histoire, mais de celle que l'on n'oublie pas. Et le film de restitue à merveille l'atmosphère de ces jours qui ont précédé la chute du tyran. Mais pas seulement. Parce que c'est tout un climat d'interdits, de suspicion, de méfiance, qui était celui des pays sous domination soviétique. Bogdan Muresanu, pour son premier long métrage, propose au spectateur de suivre 6 personnages, qui s'efforcent de poursuivre une vie "normale" dans un climat de paranoïa totale devant les absurdités d'un régime dictatoriale. Montage alterné pour mieux suivre chacun des personnages et le Boléro de Ravel (un peu incongru il est vrai) pour mieux souligner la montée de la tension jusqu'à l'éclat final. C'est juste, c'est vrai et sur un écran assez drôle, bien que la réalité historique n'ait pas franchement prêté à rire. Mais avec le recul ...


Eowyn Ivey, Une Histoire d'ours

L'Alaska ! Trop loin, trop grand, trop froid, trop montagneux ... et puis franchement, l'Amérique en ce moment n'est pas vraiment fréquentable ... 

Une histoire d'ours, le deuxième roman d' Eowyn Ivey, est en revanche très fréquentable et très dépaysant, bien que sa lecture soit susceptible de causer quelques frissons. Parce que vivre dans une cabane isolée au milieu de la nature, une nature aussi sauvage que grandiose, est certes exaltant et une bonne partie du roman tente à en convaincre le lecteur. Mais l'isolement comporte aussi un certain nombre de dangers, surtout quand Birdie, sur un coup de tête, décide de gagner la forêt avec sa fille Amaleen, et de s'y installer aux côtés d'un homme du genre taciturne et pour tout dire bizarre qu'elle vient à peine de rencontrer. Birdie est une femme pleine d'énergie, une mère attentionnée et la petite fille est pleine d'initiatives. Ce qui devrait leur permettre de faire face à toutes les situations... ou presque. 

Voilà, le roman est lancé, et on ne le lâche plus  parce qu' Eowyn Ivey joue habilement de l'écriture des grands espaces si chère Gallmeister, son éditeur en France, et le fantastique, avec comme une envie de retour à l'état sauvage. La vie au plus près de la nature et des animaux, oui, mais avec un petit filet de sécurité quand même et un gentil vieil homme qui utilise son avion pour venir prendre des nouvelles et compléter l'avitaillement. On n'est aux Etats-Unis, en Alaska. pas dans les Carpates ...

 




14 juin 2025

Amira Ghenim, Le désastre de la maison des notables

Enfin un vrai roman "romanesque ". Plein de personnages, d'émotions et d'événements qui, bien que fictifs pour la plupart, s'accordent parfaitement avec la réalité ou plus exactement se mettent au service de la réalité pour mieux raconter l'évolution de la Tunisie des années 30 jusqu'au fameux "printemps arabe" de bien courte durée. 


Le pari d' Amira Ghenim est particulièrement audacieux, mais totalement réussi. Elle met au coeur du récit un personnage bien réel, Tahar Haddad, "intellectuel, syndicaliste et homme politique" dixit Wikipedia, un progressiste soucieux de l'évolution de la société tunisienne et partisan engagé "de la cause des femmes".     https://lepetitjournal.com/tunis/actualites/histoire-tahar-haddad-militant-feministe-avant-garde-53811

Mais  Amira Ghenim est bien trop maligne pour se contenter d'une biographie. Non ce qu'elle veut montrer, c'est comment la société tunisienne a réagi, a repris ou combattu les idées de Tahar Haddad et pour ce faire elle choisit de faire vivre deux familles l'une plus progressiste que l'autre, l'autre plus conservatrice.  Deux histoires familiales qui se croisent et se décroisent puisqu'un mariage, celui de Mhsen et de Zbeida les a réunies. On va ainsi suivre les familles Naifer et Rassaa  sur 4 générations, soit une bonne vingtaine de personnes (sans oublier les domestiques), qui vont, tour à tour et à des époques différentes, prendre la parole pour raconter leur version des faits dont ils ont été témoins, des propos qu'ils ont entendus et interprétés. Croiser les témoignages, n'est-il pas le B.A. BA de toute enquête policière qui tend à l'objectivité. C'est en tout cas la méthode qu'emploie Amira Ghenim et l'on ne peut qu'admirer sa  virtuosité à entrelacer les voix de ses personnages et à maintenir en alerte la curiosité du lecteur. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas lu un roman aussi complexe et au final aussi passionnant. 

12 juin 2025

Jeunes mères

 Avec les frères Dardenne, ce n'est plus tout à fait du cinéma mais plutôt de l'action sociale. Ou pour le dire plus gentiment une tentative d'éveiller les consciences sur des problèmes sociaux avec les moyens que leur donne leur réputation. Ce qu'ils font depuis le début de leur carrière cinématographique et ils le font très bien. Mais voilà, ce dernier film consacré aux jeunes mères recueillies dans un foyer le temps de leur grossesse, ressemble un peu trop à un inventaire des raisons qui expliquent que ces adolescentes se retrouvent devant le choix d'avorter ou de garder le bébé, de s'en occuper en dépit des difficultés ou de le confier à d'autres pour lui donner les chances qu'elles mêmes n'ont pas eu pour cause de foyer dysfonctionnel. Alors tout y passe, l'alcool, la drogue, la violence, la lâcheté masculine.... 

Le film est irréprochable, crédible, avec comme d'habitude une direction d'acteurs remarquables. Mais parfois, on trouve que le monde est trop lourd à porter, même au cinéma.



03 juin 2025

Tu ne mentiras point

Le film est vraiment très noir, et pas seulement parce que le personnage principal est un charbonnier ! L'histoire est relativement connue désormais puisqu'il s'agit du traitement que l'Eglise irlandaise a réservé aux "filles-mères" jusqu'en 1998 !  D'où le choix d'images presque toujours sombres, avec un éclairage limité pour des scènes nocturnes, souvent pluvieuses ou brumeuses. "Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ..." L'adéquation entre les images et le récit est totale. 

En mettant au centre du film un homme, désormais père de famille aimant et attentif aux siens - alors qu'il est lui-mème né hors mariage, mais a été recueilli par une famille charitable, ce qui fait toute la différence -  le réalisateur, Tim Mielants, semble suggérer que d'autres choix sont possibles, que la conscience morale individuelle permet d'échapper à la chappe de plomb imposée par la religion. Car le film reste avant tout une attaque en règle contre l'Eglise catholique et ses suppôts, dont la supérieure du couvent est une parfaite représentante. Mais il montre aussi une société soumise, prête à baisser la tête et à laisser faire. Je ne vois rien, je n'entends rien, je ne dis rien ! 

Le film est certes très lent. Mais montrer l'éveil d'une conscience, montrer comme il est difficile de désobéir, de s'opposer à la loi ou du moins à des règles jugées iniques, de mettre ainsi en péril sa famille et sa place dans la société, ne pourrait en aucun cas s'accommoder des agitations d'un film d'action. Non, Tu ne mentiras point est un film lent et sombre et c'est très bien comme cela.