07 avril 2010

Le Trône du Paon

Encore un roman indien. Encore un de ces romans qui me fait dire que les écrivains indiens contemporains ont la force et l'envergure de nos écrivains de XIXe siècle, Hugo ou Zola en tête.

Le roman de Sujit Saraf commence le jour de l'assassinat d'Indira Gandhi et retrace 25 ans de vie politique en Inde, mais une vie politique vue à travers les habitants d'un quartier populaire de Dehli : Chandni Chowk. On peut sans doute ne voir que le pittoresque de ce quartier, les mille petits métiers, les mille petites façons de survivre ou de s'enrichir. Mais on suit surtout avec intérêt les mésaventures de Gopal Pandey, petit marchand de thé, que les manipulations des uns et des autres vont propulser dans la vie politique. A travers ses lunettes rayées, Gopal, pauve et analphabète n'a pourtant qu'une vision très restreinte du monde.

L'écrivain en revanche porte un regard lucide, critique et finalement assez féroce sur la vie politique indienne et plus généralement sur la société de son pays, dont il ne cherche à édulcorer ni les turpitudes, ni les injustices, ni la violence. Il s'en explique dans une interview que vous trouverez sur le site de son éditeur français.

"Un point commun entre tous vos personnages : une vie sans espoir, teintée d'intolérance, de cupidité et d'ambition. Est-ce le reflet de votre vision de l'Inde ?
Placez dix personnes en situation d'attendre un bus de 15 places et chacun, sagement, patiente jusqu'à l'arrivée du bus. Si, en réalité, il n'y a plus que 6 places libres, je vous laisse deviner la bousculade ! De la même manière, doublez la population française tout en réduisant de moitié ses ressources et vous verrez... Je pense que plus l'Inde deviendra prospère - ce qui adviendra tôt ou tard, plus le tempérament des Indiens s'adoucira : ce n'est pas une question d'éducation mais de richesse - un point de vue amoral qui prévaut dans Le Trône du paon. Mes ''gentils'' n'y sont pas moins désagréables que les méchants. Tous sont le produit de leur condition sociale. Tous sont des êtres humains ordinaires, qui font ce qu'ils peuvent, étant données les circonstances."
Pour ma part j'ai été surtout frappé par la permanence des haines religieuses. Catherine Clément dans le premier chapitre de L'Inde des Indiens (Liana Levi) évoque un pays mosaïque pour souligner la diversité des langues, des religions, des ethnies, des cultures. Sans doute a-t-elle raison, elle qui a vécu 12 ans en Inde. Mais en lisant Sujit Saraf, on pense plutôt à une mosaïque éclatée sans mastic ni enduit pour assurer l'adhérence des fragments et former un motif harmonieux.

Quoi qu'il en soit, plonger dans les 800 pages du Trône du paon est une aventure passionnante. Sujit Saraf a du souffle, de l'imagination, des qualités que l'on voudrait trouver plus souvent dans la littérature française contemporaine, qui à côté, paraît bien anémique.

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