Impossible de résister à la couverture et au titre de ce livre, bien que j'aie craint un moment de tomber sur un roman un peu mièvre, un peu mielleux. D'autant que le personnage principal est... un apiculteur !
Il est effectivement question dans ce roman, d'abeilles et de petites fleurs, mais il y est surtout question d'amour et de chagrin; il y est question de tendresse, de malentendus, de rencontres qui ne durent pas. Il y est encore question d'errance pour essayer d'oublier ce qui fait trop mal, avant de revenir au lieu originel pour enfin accepter et continuer malgré tout de s'étonner chaque jour de la beauté du monde.
On pense vaguement à certain roman de Giono, Un de Baumugnes, pour la violence des sentiments, et l'attention portée à la nature. Mais en réalité, La Beauté du monde est un roman impressionniste, un roman délicat, subtil, comme sa couverture.
C'est un roman d'Héctor Tizon, un écrivain argentin que je ne connaissais pas, mais je n'en resterai certainement pas là !
31 janvier 2011
30 janvier 2011
Spoon
Par un dimanche gris et terne, rien de mieux qu'un "western" pour se changer les idées. Un western à lire au coin du feu. Oui, lire, car bien que majoritairement cinématographique, le genre est aussi littéraire.
Je suis tombé par hasard sur Spoon de Robert Greer. Et m'en suis bien trouvée.
C'est un roman dépaysant, puisque situé au Montana, dans les grandes plaines du Nord. Les Daley élèvent du bétail dans leur ranch; leur fils, TJ, participe aux travaux en attendant d'entrer à l'université. Surgit, venant de nulle part ou presque, un homme au passé trouble, au futur incertain, un métis à la recherche de ses racines, engagé comme journalier et vite intégré à la vie du ranch.
Le roman met en scène une Amérique rurale, celle des cowboys, des grands paysages et des valeurs inaltérables, l'Amérique puritaine dans ce qu'elle a de meilleur. Mais une Amérique menacée par le progrès, la prospection pétrolière, et l'appât du gain, puisqu'une compagnie a décidé d'exploiter les richesses souterraines de la région, gaz et pétrole, quitte à éliminer les actuels propriétaires.
Ce qui se joue dans ce roman, c'est l'éternelle rivalité entre Abel et Caïn, entre le monde rural et le monde industriel, entre les gens de la tradition et ceux du progrès. Jusqu'où iront les prospecteurs ? De quoi sont-ils capables pour obtenir gain de cause ? Dans un pays où chacun possède plusieurs armes à feu, qu'est ce qui peut empêcher les éleveurs de dégainer pour défendre leurs biens ?
Le roman est habilement mené, accroche le lecteur avec des personnages bien trempés, une intrigue ancrée dans la réalité avec juste ce qu'il faut de mystère et de suspens pour donner au lecteur l'envie de tourner les pages.
Un bon roman de week-end qui fait vaguement penser au film de Paul Thomas Anderson, There will be blood, mais vu du côté des éleveurs plutôt que du côté des prospecteurs.
Je suis tombé par hasard sur Spoon de Robert Greer. Et m'en suis bien trouvée.
C'est un roman dépaysant, puisque situé au Montana, dans les grandes plaines du Nord. Les Daley élèvent du bétail dans leur ranch; leur fils, TJ, participe aux travaux en attendant d'entrer à l'université. Surgit, venant de nulle part ou presque, un homme au passé trouble, au futur incertain, un métis à la recherche de ses racines, engagé comme journalier et vite intégré à la vie du ranch.
Le roman met en scène une Amérique rurale, celle des cowboys, des grands paysages et des valeurs inaltérables, l'Amérique puritaine dans ce qu'elle a de meilleur. Mais une Amérique menacée par le progrès, la prospection pétrolière, et l'appât du gain, puisqu'une compagnie a décidé d'exploiter les richesses souterraines de la région, gaz et pétrole, quitte à éliminer les actuels propriétaires.
Ce qui se joue dans ce roman, c'est l'éternelle rivalité entre Abel et Caïn, entre le monde rural et le monde industriel, entre les gens de la tradition et ceux du progrès. Jusqu'où iront les prospecteurs ? De quoi sont-ils capables pour obtenir gain de cause ? Dans un pays où chacun possède plusieurs armes à feu, qu'est ce qui peut empêcher les éleveurs de dégainer pour défendre leurs biens ?
Le roman est habilement mené, accroche le lecteur avec des personnages bien trempés, une intrigue ancrée dans la réalité avec juste ce qu'il faut de mystère et de suspens pour donner au lecteur l'envie de tourner les pages.
Un bon roman de week-end qui fait vaguement penser au film de Paul Thomas Anderson, There will be blood, mais vu du côté des éleveurs plutôt que du côté des prospecteurs.
22 janvier 2011
Cormac Mc Carthy
Cela m'a pris du temps, mais je viens de finir la Trilogie de la frontière de Mc Carthy.
Cela m'a pris du temps parce que Mc Carthy n'est pas un auteur facile, mais aussi parce que ses romans vous marquent profondément.
J'ai découvert cet écrivain tardivement, en lisant La Route longtemps après tout le monde : un roman aussi consensuel, qui faisait l'unanimité parmi les critiques et que tous les médias encensaient me paraissait suspect. Je refusais donc de le lire.
J'avais tort !
Car, à pleine plongée dedans, j'ai compris que j'avais failli passer à côté d'un grand livre. Noir, désespéré, c'est certain, mais totalement passionnant. Un roman qui s'inscrit parfaitement dans la tradition du "road novel" américain, et porte d'emblée le genre à son sommet.
Du coup, j'ai eu envie de lire d'autres livres du même auteur. Le Gardien du verger ne m'a pas tout à fait convaincue, trop elliptique peut-être ou trop exigeant vis à vis du lecteur à qui l'auteur laisse le soin de reconstituer l'intrigue et de comprendre les motivations des personnages sans lui donner plus que des indications partielles. Mais dans ce premier roman, apparaissent déjà les thèmes inlassablement repris dans les oeuvres suivantes : la solitude, la confrontation avec la nature, l'interrogation sur la frontière entre le bien et le mal.
De si jolis chevaux, Le Grand passage, Des Villes dans la plaine. Qu'est-ce qui fait de ces trois romans, parus entre 1992 et 1998, une trilogie ?
D'abord une unité de lieu : les grandes plaines désertiques que l'on retrouve de part et d'autres de la frontière Texas, Nouveau-Mexique et Mexique. Autant dire une nature sauvage, violente parfois, immense surtout, où l'on peut chevaucher pendant des jours sans croiser personne, sans même apercevoir un village, une ferme. Le territoire de la trilogie, c'est celui des grands westerns de John Ford, Howard Hawks ou Raoul Walsh. Et les romans de Mc Carthy sont bien au premier abord des westerns, mais des westerns crépusculaires. Cowboy d'un côté de la frontière, vaquero de l'autre côté, ce sont des métiers en voie de disparition. Des métiers ? Plutôt des modes de vie dont l'auteur visiblement, et plus encore ses personnages, gardent la nostalgie. On se déplace à cheval, on dort à la belle étoile, ou dans une grange. On lutte contre les éléments , le vent, la sècheresse, la pluie. Un combat perdu d'avance puisque la nature toujours l'emporte; l'homme ne survit qu'à condition de se soumettre.
Mais les personnages de Mc Carthy sont tout sauf dociles. Ce sont des êtres jeunes, ardents, qui prennent la route sur un coup de tête et jamais ne renoncent. Lancés sur une piste, qu'il s'agisse de retrouver un cheval volé, un frère disparu, de porter secours à un ami, ils la suivront jusqu'au bout quoi qu'il dût leur en coûter. Car s'ils sont effroyablement obstinés, ils sont aussi étrangement fidèles. A leurs engagements, à leurs idéaux. Voici les grands mots jetés. Dans les romans de Mc Carthy il est question d'aventures et le lecteur aura son lot d'actions, de péripéties et de rebondissements mais il est question aussi de morale parce que ses personnages sont en permanence confrontés à des situations où il est difficile de discerner le bien du mal.
Solitaires les plus souvent, ils n'ont personne pour leur dicter leur conduite et doivent trouver en eux mêmes les réponses aux questions qu'ils se posent. Au fil de leurs voyages ils découvrent ce que valent les hommes, voleurs, assassins, cruels et barbares mais parfois généreux et bienveillants.
Les romans de Mc Carthy ne sont pas faciles à lire - j'ai même renoncé à les lire en anglais ! - parce que les descriptions, surtout lorsqu'il s'agit de chevaux, sont d'une précision redoutable. Et parfois très techniques ! Ses personnages surgissent sans avoir été présentés; il faut, comme dans la vraie vie, apprendre à les connaître, à les reconnaître, à distinguer leur voix dans l'alternance des répliques, à déduire de leur comportement, de leurs gestes ce qu'ils pensent, ce qu'ils éprouvent. L'auteur les fait agir; au lecteur de donner un sens à leur action, d'interpréter. Descriptions minutieuses, psychologie comportementale, rien n'est fait pour le repos du lecteur.
Mais sans cet ancrage dans la réalité, les personnages n'auraient pas de poids, pas de valeur. Ce ne serait que des fantoches de papier.
Il faut lire Mc Carthy. Il faut prendre le temps de lire ces romans. Parce que ce sont des livres exigeants : âpres, violents souvent, sombres toujours, pessimistes sans doute, mais s'il ne croyait pas, si peu que ce soit, à l'humanité, il y a longtemps que Mc Carthy aurait cessé d'écrire. Or il ne peut s'empêcher d'y croire, parce qu'il y a toujours dans ses romans quelqu'un pour vous tendre la main quand vous êtes perdu ou une gamelle quand vous êtes affamés. Il y a toujours au bout de la route, un espoir auquel vous rapprocher.
Mc Carthy, un idéaliste déçu ? un humaniste pessimiste ? Tout simplement un grand écrivain.
Cela m'a pris du temps parce que Mc Carthy n'est pas un auteur facile, mais aussi parce que ses romans vous marquent profondément.
J'ai découvert cet écrivain tardivement, en lisant La Route longtemps après tout le monde : un roman aussi consensuel, qui faisait l'unanimité parmi les critiques et que tous les médias encensaient me paraissait suspect. Je refusais donc de le lire.
J'avais tort !
Car, à pleine plongée dedans, j'ai compris que j'avais failli passer à côté d'un grand livre. Noir, désespéré, c'est certain, mais totalement passionnant. Un roman qui s'inscrit parfaitement dans la tradition du "road novel" américain, et porte d'emblée le genre à son sommet.
Du coup, j'ai eu envie de lire d'autres livres du même auteur. Le Gardien du verger ne m'a pas tout à fait convaincue, trop elliptique peut-être ou trop exigeant vis à vis du lecteur à qui l'auteur laisse le soin de reconstituer l'intrigue et de comprendre les motivations des personnages sans lui donner plus que des indications partielles. Mais dans ce premier roman, apparaissent déjà les thèmes inlassablement repris dans les oeuvres suivantes : la solitude, la confrontation avec la nature, l'interrogation sur la frontière entre le bien et le mal.
De si jolis chevaux, Le Grand passage, Des Villes dans la plaine. Qu'est-ce qui fait de ces trois romans, parus entre 1992 et 1998, une trilogie ?
D'abord une unité de lieu : les grandes plaines désertiques que l'on retrouve de part et d'autres de la frontière Texas, Nouveau-Mexique et Mexique. Autant dire une nature sauvage, violente parfois, immense surtout, où l'on peut chevaucher pendant des jours sans croiser personne, sans même apercevoir un village, une ferme. Le territoire de la trilogie, c'est celui des grands westerns de John Ford, Howard Hawks ou Raoul Walsh. Et les romans de Mc Carthy sont bien au premier abord des westerns, mais des westerns crépusculaires. Cowboy d'un côté de la frontière, vaquero de l'autre côté, ce sont des métiers en voie de disparition. Des métiers ? Plutôt des modes de vie dont l'auteur visiblement, et plus encore ses personnages, gardent la nostalgie. On se déplace à cheval, on dort à la belle étoile, ou dans une grange. On lutte contre les éléments , le vent, la sècheresse, la pluie. Un combat perdu d'avance puisque la nature toujours l'emporte; l'homme ne survit qu'à condition de se soumettre.
Mais les personnages de Mc Carthy sont tout sauf dociles. Ce sont des êtres jeunes, ardents, qui prennent la route sur un coup de tête et jamais ne renoncent. Lancés sur une piste, qu'il s'agisse de retrouver un cheval volé, un frère disparu, de porter secours à un ami, ils la suivront jusqu'au bout quoi qu'il dût leur en coûter. Car s'ils sont effroyablement obstinés, ils sont aussi étrangement fidèles. A leurs engagements, à leurs idéaux. Voici les grands mots jetés. Dans les romans de Mc Carthy il est question d'aventures et le lecteur aura son lot d'actions, de péripéties et de rebondissements mais il est question aussi de morale parce que ses personnages sont en permanence confrontés à des situations où il est difficile de discerner le bien du mal.
Solitaires les plus souvent, ils n'ont personne pour leur dicter leur conduite et doivent trouver en eux mêmes les réponses aux questions qu'ils se posent. Au fil de leurs voyages ils découvrent ce que valent les hommes, voleurs, assassins, cruels et barbares mais parfois généreux et bienveillants.
Les romans de Mc Carthy ne sont pas faciles à lire - j'ai même renoncé à les lire en anglais ! - parce que les descriptions, surtout lorsqu'il s'agit de chevaux, sont d'une précision redoutable. Et parfois très techniques ! Ses personnages surgissent sans avoir été présentés; il faut, comme dans la vraie vie, apprendre à les connaître, à les reconnaître, à distinguer leur voix dans l'alternance des répliques, à déduire de leur comportement, de leurs gestes ce qu'ils pensent, ce qu'ils éprouvent. L'auteur les fait agir; au lecteur de donner un sens à leur action, d'interpréter. Descriptions minutieuses, psychologie comportementale, rien n'est fait pour le repos du lecteur.
Mais sans cet ancrage dans la réalité, les personnages n'auraient pas de poids, pas de valeur. Ce ne serait que des fantoches de papier.
Il faut lire Mc Carthy. Il faut prendre le temps de lire ces romans. Parce que ce sont des livres exigeants : âpres, violents souvent, sombres toujours, pessimistes sans doute, mais s'il ne croyait pas, si peu que ce soit, à l'humanité, il y a longtemps que Mc Carthy aurait cessé d'écrire. Or il ne peut s'empêcher d'y croire, parce qu'il y a toujours dans ses romans quelqu'un pour vous tendre la main quand vous êtes perdu ou une gamelle quand vous êtes affamés. Il y a toujours au bout de la route, un espoir auquel vous rapprocher.
Mc Carthy, un idéaliste déçu ? un humaniste pessimiste ? Tout simplement un grand écrivain.
19 janvier 2011
También la lluvia, Incendies et autres films intelligents...
Même la pluie n'est peut-être pas un chef d'oeuvre cinématographique, bien qu'il soit dans la liste des films étrangers susceptibles d'obtenir un Oscar ! Mais c'est un film ambitieux, construit sur le grand principe brechtien du théâtre dans le théâtre, en l'occurrence, du film dans le film.
Une équipe de cinéastes est venu en Bolivie pour y tourner un film sur les conquistadores et entend bien dans ce film, dénoncer la façon dont les Espagnols ont exploité les Indigènes.
Mais rapidement les similitudes entre les conditions de tournage et son sujet font apparaître le vrai sujet du film : il n'est pas de fin à l'exploitation des hommes !
Exterminés au nom de la religion, spoliés au nom du capitalisme, les Indiens sont de surcroît exploités par les cinéastes eux-même, trop contents de ne les payer que 2 dollars par journée de travail. L'indignation "historique" donne bonne conscience et permet de fermer les yeux sur l'actualité.
Iciar Bollain, la réalisatrice, montre le lente prise de conscience du personnage principal, le producteur, qui, au début du film, s'irrite des mouvements sociaux qui mettent en péril plan de tournage et budget, et comprend peu à peu qu'il est des combats plus importants et qu'il n'est rien de plus précieux qu'une vie humaine.
Même la pluie n'est pas le premier film de cette réalisatrice espagnole, qui a de surcroît, une jolie carrière d'actrice derrière elle; elle a réalisé en 1999, Flores de otro mundo, un film intéressant bien qu'un peu maladroit, sur des mariages arrangés entre des femmes originaires d'Amérique latine, et des paysans d'un petit village perdu de Galicie.
Que son film obtienne ou n'obtienne pas l'Oscar m'importe peu, j'attendrai avec impatience le prochain film d'Iciar Bollain.
Mais la période cinématographique doit être favorable puisque j'ai vu, la même semaine, un autre film intelligent : Incendies de Denis Villeneuve d'après une pièce de Wajdi Mouawad.
Le sujet est en apparence tout simple : une soeur et son frère jumeau enquêtent sur le passé de leur mère, récemment décédée, pour retrouver un père et un frère dont ils ignoraient jusqu'à l'existence. Leur quête les contraint, et avec eux les spectateurs, à plonger dans l'horreur d'un conflit, dont les raisons importent moins que les implications humaines.
Bien qu'aucun lieu ne soit donné, aucun nom ne soit cité chacun identifie aisément le conflit. Mais la barbarie n'a pas de frontière, ni spatiale ni temporelle; elle est universelle et c'est pour cela que le film nous touche. Ce qui s'est passé ici, hier, se passera demain, ailleurs !
Incendies, Même la pluie sont des films ancrés dans une réalité historique bien précise. Mais c'est la fiction qui en souligne le sens.
J'ai vu également le dernier film de Jia Zhang Ke, dont j'attendais beaucoup, trop peut-être. I wish I knew, histoires de Shanghaï est indiscutablement un autre film intelligent, mais terriblement ennuyeux. Le cinéaste reprend le même procédé que dans 24 City; les portraits hélas, se succèdent comme les pages d'un livre que l'on feuillette par désoeuvrement. Le projet de Jia Zhang ke - reconstituer la vraie histoire de Shanghaï en utilisant la mémoire de ceux qui l'on vécue plutôt que la version officielle - tombe finalement à plat. Mais le film sera peut-être mieux compris et donc mieux apprécié en Chine, si toutefois sa diffusion est autorisée !
Une équipe de cinéastes est venu en Bolivie pour y tourner un film sur les conquistadores et entend bien dans ce film, dénoncer la façon dont les Espagnols ont exploité les Indigènes.
Mais rapidement les similitudes entre les conditions de tournage et son sujet font apparaître le vrai sujet du film : il n'est pas de fin à l'exploitation des hommes !
Exterminés au nom de la religion, spoliés au nom du capitalisme, les Indiens sont de surcroît exploités par les cinéastes eux-même, trop contents de ne les payer que 2 dollars par journée de travail. L'indignation "historique" donne bonne conscience et permet de fermer les yeux sur l'actualité.
Iciar Bollain, la réalisatrice, montre le lente prise de conscience du personnage principal, le producteur, qui, au début du film, s'irrite des mouvements sociaux qui mettent en péril plan de tournage et budget, et comprend peu à peu qu'il est des combats plus importants et qu'il n'est rien de plus précieux qu'une vie humaine.
Même la pluie n'est pas le premier film de cette réalisatrice espagnole, qui a de surcroît, une jolie carrière d'actrice derrière elle; elle a réalisé en 1999, Flores de otro mundo, un film intéressant bien qu'un peu maladroit, sur des mariages arrangés entre des femmes originaires d'Amérique latine, et des paysans d'un petit village perdu de Galicie.
Que son film obtienne ou n'obtienne pas l'Oscar m'importe peu, j'attendrai avec impatience le prochain film d'Iciar Bollain.
Mais la période cinématographique doit être favorable puisque j'ai vu, la même semaine, un autre film intelligent : Incendies de Denis Villeneuve d'après une pièce de Wajdi Mouawad.
Le sujet est en apparence tout simple : une soeur et son frère jumeau enquêtent sur le passé de leur mère, récemment décédée, pour retrouver un père et un frère dont ils ignoraient jusqu'à l'existence. Leur quête les contraint, et avec eux les spectateurs, à plonger dans l'horreur d'un conflit, dont les raisons importent moins que les implications humaines.
Bien qu'aucun lieu ne soit donné, aucun nom ne soit cité chacun identifie aisément le conflit. Mais la barbarie n'a pas de frontière, ni spatiale ni temporelle; elle est universelle et c'est pour cela que le film nous touche. Ce qui s'est passé ici, hier, se passera demain, ailleurs !
Incendies, Même la pluie sont des films ancrés dans une réalité historique bien précise. Mais c'est la fiction qui en souligne le sens.
J'ai vu également le dernier film de Jia Zhang Ke, dont j'attendais beaucoup, trop peut-être. I wish I knew, histoires de Shanghaï est indiscutablement un autre film intelligent, mais terriblement ennuyeux. Le cinéaste reprend le même procédé que dans 24 City; les portraits hélas, se succèdent comme les pages d'un livre que l'on feuillette par désoeuvrement. Le projet de Jia Zhang ke - reconstituer la vraie histoire de Shanghaï en utilisant la mémoire de ceux qui l'on vécue plutôt que la version officielle - tombe finalement à plat. Mais le film sera peut-être mieux compris et donc mieux apprécié en Chine, si toutefois sa diffusion est autorisée !
17 janvier 2011
Comotive ou zoizillon
"Pourquoi photographier de vieilles voitures rouillées ou des maisons délabrées alors qu'il y a tant de beaux paysages ? "
Posée par un ami, familier de mon blog, la question pouvait passer pour un reproche qu'il ne tenait qu'à moi de négliger ... après tout, chacun ses goûts ! On peut aimer la montagne ou préférer la mer; on peut aimer photographier des paysages ou des natures mortes, faire des gros plans sur des fleurs ou des visages ... Affaire de goût et puis c'est tout!
Et bien non ! La question une fois posée n'a cessé de me tarauder. Pourquoi en effet, mon objectif se dirige-t-il de préférence vers la masure délabrée, la vieille machine délaissée plutôt que vers la crête des montagnes au loin ou les étendues désertiques qui pourtant enchantent mon regard ?
Je peux bien sûr avancer des raisons techniques : les beaux paysages sont très difficiles à photographier, ils semblent toujours déborder le cadre de l'appareil photo et au final ne ressemblent qu'à une insignifiante carte postale. Alors que ce qui m'intéresse avant tout, c'est le sens que je peux donner à une photo. Il y a bien entendu des exceptions à tout et je ne me lasse pas des jeux de lumière sur un paysage, mais ils sont si difficiles à capter ! Et pour une photo réussie, comme celle que voici, que de clichés médiocres !
Mais cette raison n'est pas suffisante.
Je pourrais, pour expliquer ma préférence, faire appel à quelques grands noms comme Diderot et Chateaubriand, grands défenseurs des ruines. Diderot surtout, pionnier de la critique d'art qui n'admirait rien tant que les paysages imaginaires des peintres ruinistes comme Hubert Robert et dont les pages inspirées se retrouvent dans tous les bons manuels sous le titre Poétique des ruines :
"Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s'anéantit, tout périt, tout passe. Il n'y a que le monde qui reste. Il n'y a que le temps qui dure. Qu'il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. De quelque part que je jette les yeux, les objets qui m'entourent m'annoncent une fin et me résignent à celle qui m'attend. "
On arguera que les ruines devant lesquelles s'extasiait Diderot ou Chateaubriand étaient celles de l'Antiquité, du Parthénon ou de quelque autre monument prestigieux. Il est vrai. Pourtant, devant les ruines de Carthage ou devant les friches industrielles qui ponctuent désormais nos paysages, le sentiment du temps qui passe est le même : toute chose est éphémère et nous le sommes aussi. Au XVIIe siècle, les peintres des Vanités prenaient soin de montrer le ver qui ronge le fruit, la chandelle qui s'éteint, le miroir qui se ternit et nos vies qui s'enfuient. Dans la ville minière d'Humberstone, les machines se sont arrêtées définitivement; désormais envahies par le sable et la rouille, elles témoignent d'un temps qui n'existe plus. Il y a moins de 50 ans, ces lieux débordaient d'activité; ils sont désormais vides, abandonnés.
Mais cette raison non plus n'est pas suffisante.
Passant d'un auteur à l'autre j'ai cru trouver dans les poèmes de Vigny, la réponse à ma question.
En effet, dans un long poème intitulé La Maison du berger, l'auteur, loin de s'abandonner au charme de la Nature, avoue sa méfiance et sa haine face à son impassibilité.
Dans une superbe prosopopée, il lui fait dire :
"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mère, et je suis une tombe,
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adoration.
Avant vous j'étais belle et, toujours parfumée,
J'abandonnais au vent mes cheveux tout entiers :
[ ...]
Après vous , traversant l'espace où tout s'élance
Je fendrai l'air du front et de mes seins altiers."
Le poète avoue alors que dans son coeur il la hait et préfère aimer "ce que jamais on ne verra deux fois" c'est à dire "l'homme, humble passager qui dut vous être un roi."
Préférer l'homme et ce que l'homme a construit, voir derrière l'engrenage rouillé ou le mur effondré toute l'ingéniosité, l'inventivité du petit atome pensant, oui, c'est bien à cela que je pense et je me souviens de Boris Vian qui dans un très joli poème intitulé Elle serait là, si lourde imagine qu'il ne reste dans le désert d'après la guerre, qu'un oiseau et une locomotive et qu'il lui faut choisir.... locomotive ou zoizillon ? Lui choisit l'oiseau et laisse la machine. Je crois que je choisirais la machine ....
"Tant et tant de coups de lime
Tant de peine et de douleurs
Tant de colère et d'ardeur
Et il y a tant d'années
Tant de visions entassées
De volonté ramassée
De blessures et d'orgueils
[...]
Il y a la sueur des âges
Enfermés dans cette cage
Dix et cent mille ans d'attente
Et de gaucherie vaincue"
Nature contre civilisation, le dilemme est éternel. Aujourd'hui j'opte pour la civilisation car l'homme n'est pour rien dans la beauté du paysage, mais c'est lui qui a construit la maison et la voiture dont le temps, inévitablement, finira par avoir raison.
Mais cette raison non plus n'est pas tout à fait suffisante. Car l'oiseau quand même....
"Ses plumes sont si fines Et son coeur [bat] si vite [...] "
Alors une dernière explication pour aimer malgré tout la voiture rouillée, la tôle cabossée, la vitre défoncée ...
La beauté de l'oiseau comme celle du paysage est évidente. Celle du camion il faut la chercher, il faut l'imaginer. Elle n'est pas donnée : il faut apprendre à regarder autrement pour essayer de voir la beauté cachée derrière la laideur des choses. Comme dans les tableaux de Tapiès.
Pour une fois, les photos ne sont pas de moi. Je les ai empruntées à B.L., un ami tout juste rentré du Chili. Paysages ou machines, je les aime toutes autant et reconnaissez qu'elles servent parfaitement mon propos.
13 janvier 2011
Brouillasse
01 janvier 2011
Rouge
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