27 mars 2012
19 mars 2012
Le coup de l'éventail ou l'effet papillon ?
A petite cause grands effets. Soit, mais qui eût cru qu'un petit coup d'éventail sur l'épaule d'un consul puisse avoir pour conséquence la colonisation de l'Algérie.
C'est pourtant ce qu'Anne Châtel-Demenge, lointaine descendante du fameux consul Pierre Deval entreprend de raconter dans un livre qui vient de paraître aux éditions de L'Aube et intitulé : Comment j'ai tué le consul.
L'entreprise n'était pas mince puisque l'auteur, sans barguigner, s'est aventurée du côté de la petite histoire, celle de sa famille, autant que de la grande histoire, celle de l'Algérie, l'une et l'autre étant liées depuis presque deux siècles !
Il y a d'abord eu Pierre Deval, le dit consul et, que le coup d'éventail asséné par le Dey d'Alger Hussein Pacha ait été le geste déclencheur de la conquête ou n'en ait été que le prétexte importe peu, son nom de toute façon est resté dans l'histoire.
Il y a eu ensuite Paul Jobert, l'arrière petit-neveu du consul (si j'ai bien suivi l'affaire), peintre de la marine, né à Tlemcen et qui après avoir non pas fait mais perdu fortune en Europe bien qu'ayant épousé une richissime héritière américaine, retournera finir ses jours à Constantine.
Entre Pierre, Paul et Anne, il y a bien sûr toute une cohorte de noms, de personnages et de destinées presque aussi intéressants : Constantin, Casimir, Alexandre, Agnes, Philomena...
Comment j'ai tué le consul est un livre qui vous donne envie d'aller voir sur l'autre rive, ce qu'il reste de cette histoire. Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire ce qu'il est advenu du consul.
Mes photos ont été empruntées aux sites suivants, sur lesquelles vous trouverez d'ailleurs d'autres informations intéressantes sur la colonisation, Pierre Deval et Paul Jobert.
http://afn-1830-1962.jlbweb.fr/inserts/GAZETTE_de_LA-BAS.php
http://skikda.boussaboua.free.fr/algerie_histoire_05_colonisation_pretexte.htm
http://www.constantine-hier-aujourdhui.fr/LaCulture/dessins_peintures.htm
15 mars 2012
Martha, Marcy May, Marlène
On se trompe du tout au tout.
L'affiche du film, avec son double profil, son flou délicat, ses couleurs suaves fournit un indice de plus mais ne fait vraiment sens que lorsqu'on a vu le film.
Une jeune fille qui s'enfuit dans la nuit, à travers bois. Des gens à sa recherche. Dès les premières images, le réalisateur place le spectateur du côté de la jeune fille apeurée, alors même qu'il ne sait pas encore de quoi il s'agit.
La même jeune fille en pleurs au téléphone, perdue, désemparée. On vient la chercher. Elle est désormais à l'abri chez sa soeur et son beau-frère, un jeune couple de yuppies, aisés et parfaitement conventionnels.
Le film, dès lors, se déroule entre flash blacks de plus en plus dramatiques et retours à la réalité plate et vide. Dans l'esprit troublé de Martha, et à jamais marqué par les deux ans qu'elle vient de passer dans une secte, les deux mondes s'entremêlent, se confondent.
Ce récit d'une expérience sectaire, est en fin de compte une véritable plongée en enfer, d'où il paraît extrêmement difficile de revenir. Le film permet aux spectateurs de s'identifier au personnage principal (la jeune fille aux quatre prénoms), de partager les affres de cette longue remontée vers la normalité, un peu trop caricaturée et désincarnée pour permettre à Martha Marcy May Marlène de retrouver sa véritable identité.
14 mars 2012
Elena
Cela commence par un interminable plan sur un corbeau qui semble guetter sa proie dans un arbre. Et l'on sait que les corbeaux ne sont pas oiseaux de bon augure.
Cela commence par le réveil d'une femme d'un certain âge lourde, massive, aux traits fatigués, dont on se dit qu'elle aurait pu servir de modèle à la Géante de Baudelaire.
Si vous êtes capable de passer au-delà de cette mise en place, le film a des chances de vous plaire.
Parce que cette femme, qui semble tenir le rôle de servante auprès d'un vieux monsieur très riche et dont on apprendra plus loin dans le film qu'elle est réalité sa femme, épousée en seconde noce, est le personnage clef de ce film. D'origine modeste, elle n'a pas renié ses origines et est prête à tout pour subvenir aux besoins de son fils et de sa famille. Tout, c'est à dire tuer.
Ce que Andrei Zviaguintsev, le réalisateur de ce film met en scène, ce n'est pas un simple thriller, mais un film emblématique de la lutte des classes version XXIe siècle.
D'un côté les riches, confits dans leurs certitudes égoïstes et leur cynisme; de l'autre, le "lumpen prolétariat" qu'un film soviétique ancienne manière aurait présenté comme des travailleurs acharnés à la moralité sans tâche alors qu'ici ils ne sont que paresseux, lâches, veules, tendance vauriens autant que bons- à-rien. D'un côté un appartement luxueux, mais froid, ordonné, et quasi vide ; de l'autre un espace exigu, bruyant, encombré. Entre les deux, Elena, déchirée entre deux servilités : épouse irréprochable ici, grand-mère dévouée là-bas. Elle est la seule à faire preuve d'empathie, de sentiments humains. Elle a, de toute évidence, ce qui fait défaut aux autres : une conscience morale. C'est pourtant elle, la meurtrière.
Et c'est pourquoi ce film est désespérant. Il ne faudrait surtout pas en faire une histoire russe, se contenter de l'expliquer par la déliquescence de la société soviétique. Non, non, c 'est aussi de nous que l'on parle, c'est notre société que décrit Andrei Zviaguintsev. Pas tout à fait encore, je veux bien vous l'accorder, mais celle vers laquelle nous nous acheminons à grand pas. A moins que ....
Bullhead
Encore un film dur, très dur. Mais très fort aussi. D'autant qu'il contient trois films en un.
Bullhead c'est l'histoire d'une tragédie, une "dispute entre gamins" qui a mal tourné, vraiment mal. Et qui, dès le départ n'a pas été traité comme il fallait, ni par la justice, ni par la médecine. C'est l'histoire d'une vie bêtement saccagée.
Bullhead c'est un documentaire sur les conditions d'élevage des troupeaux en Flandres, à grands renforts d'hormones pour accroître la masse musculaire des bêtes et leur valeur marchande. Et l'on découvre avec effroi que l'homme peut être soumis au même traitement.
Bullhead c'est encore l'observation d'un microcosme social, celui des paysans, bien peu représentés sur les écrans européen. En situant son histoire en plein territoire d'affrontement Wallons et Flamands, le réalisateur renforce l'impression de violence latente, perceptible dès le début du film et qui ne fait que croître jusqu'au paroxysme final.
C'est donc un film que l'on regarde sous tension, du début à la fin. Un vrai thriller. Et l'on ne risque pas d'oublier le nom de son réalisateur, Michaël R. Roskam qui pour un premier film, réussit un coup de maître.
08 mars 2012
Anne Wiazemsky
Ô ma mémoire
Avons nous assez navigué
Dans une onde mauvaise boire
Avons nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
Apollinaire, La Chanson du Mal Aimé.
Depuis j'ai continué de suivre Anne Wiazemsky, de roman en roman jusqu'à son dernier : Une Année studieuse. L'année studieuse, c'est celle de ses 17 ans, du bac passé en fin d'année, des premiers cours à Nanterre, l'année d'une étudiante ordinaire. Mais c'est aussi celle de son émancipation, de sa rencontre avec Godard, du tournage de La Chinoise. Lorsque s'achève le récit, l'adolescente à la fois naïve et téméraire du début est définitivement passée à l'âge adulte. Ce qui signifie entre autres tourner le dos aux bienséances bourgeoises et familiales qui étaient au coeur de l'oeuvre de François Mauriac, son grand-père, pour suivre une voie plus bohème, plus aléatoire peut-être mais nettement moins compassée.
1967-1968, tout une jeunesse étouffait et n'aller pas tarder, comme Anne Wiazemsky, à jeter son bonnet par dessus les moulins.
01 mars 2012
Prime cut
Encore faut-il que quelqu'un vous ait guidé vers ce film, vous ai donné envie de le voir.
Difficile de résister à l'article qui suit dont l'enthousiasme est non seulement communicatif mais parfaitement justifié.
Ceci dit, il vaut mieux avoir l'estomac bien accroché pour voir le film. Et accepter de passer sur la caricature du Kansas "rural, primitif, et inhospitalier" ! Les deux derniers qualificatifs sont parfaitement exacts.... tant qu'il s'agit du film. Mais je sais d'expérience que les habitants du Kansas ne sont ni primitifs ni hospitaliers.
Comme on fait son Lee...
Petit chef d’oeuvre de cinéma déviant, violent et, osons le mot, romantique des années 70, Prime Cut cache pourtant bien son jeu au premier abord : un réalisateur peu connu (Michael Ritchie), un pitch minimaliste (un gangster de Chicago envoyé par ses employeurs au Kansas pour recouvrer une dette)… Pas de quoi s’affoler a priori. Mais rapidement, tout se trouble. Un cadavre dénudé dans une usine de saucisses, des adolescentes nues et droguées dans les boxes en paille d’une foire au bétail, une kermesse rurale qui vire au jeu de massacre, une traque au fugitif en moissonneuse-batteuse… On sent très vite que tout, absolument tout, peut arriver, et pourtant, on ne décroche pas du scénario une seconde, on s’attache à chacun des personnages comme s’il était doté d’une existence propre, on se laisse prendre aux tripes par l’atmosphère déliquescente de ce Kansas rural et primitif inhospitalier. Et c’est cette dualité permanente qui fait toute la force de ce film noir empathique : le ton est désabusé mais pas désespéré, les protagonistes archétypaux mais non dénués de nuance, la mise en scène d’une belle fluidité mais jamais ostentatoire, le rythme enlevé mais aucune scène expédiée… Porté qui plus est par un casting quatre étoiles (Lee Marvin en dur à cuire, Gene Hackman en redneck dégénéré, Angel Tompkins en femme fatale et la toute jeune Sissy Spacek en ingénue troublante), Prime Cut est l’exemple même du film qui ne relâche jamais la pression. Et quand Lee Marvin recharge sa mitraillette sous un ciel zébré d’éclair dans l’attente de l’affrontement final, on réalise que le bonheur pur au cinéma tient parfois à pas grand-chose.
Article publié le Lundi 20 février 2012 Petit Bulletin n°832 sous la plume de Damien Grimbert