30 juin 2014
Istanbul, première impression
Istanbul, c'est d'abord et avant tout une géographie marine, des bouts de terre au milieu d'une confluence marine.
Des bouts de terre entre deux continents séparés par le Bosphore mais reliés par un pont, aperçu au loin. L'Asie à droite, l'Europe à gauche : depuis les terrasses de Topkapi, c'est évident, mais bien malin qui, sur place, distinguera l'une de l'autre. Les Stambouliotes sont européens ET asiatiques.
Constantinople c'est encore deux rives séparées par un estuaire, un port naturel qui a servi d'abri aux bateaux depuis l'Antiquité.
Autrefois, une chaîne tendue entre les deux rives interdisait aux indésirables la remontée de la Corne d'or.
Aujourd'hui, le pont de Galata permet de passer de Sultanhammet, le quartier historique, à Beyoglu, le quartier moderne. D'un côté la mosquée de Süleymaniye, de l'autre la tour de Galata .
Pour prendre la mesure de la dimension marine de cette ville, le meilleur endroit est sans doute la terrasse du restaurant de Modern Istanbul, le musée d'art moderne installé dans d'anciens entrepôts, au bord de la mer de Marmara. Les bateaux vont et viennent, dans un trafic incessant : vedettes, cargos, ferries, bateaux de croisière, porte-conteneurs et même, bateaux à voiles ! L'oeil se perd à essayer de suivre leurs trajectoires, qui se doublent ou se croisent sans que l'on perçoive bien les règles de priorité... le plus gros passe le premier ? Collision en vue ? Même pas.
A force de rêver devant cet estuaire, j'ai même cru voir arriver les caravelles chargées de convoyer les épices et autres denrées précieuses en provenance de la route de la soie. Et imaginé Marco Polo au retour de son grand périple. Au risque de démentir Segalen, l'entropie de l'exotisme n'est pas pour demain !
29 juin 2014
Retour d'Istanbul
Non je n'irai pas vous faire croire qu'Istanbul était sous la neige.
Oui je triche.
D'ailleurs la photo n'est pas de moi, elle est de Nevzat Yildirim, un jeune photographe turc; sa photos était exposée à l'Istanbul Tasarim Merkezi, le centre de design d'Istanbul où je suis entrée par hasard.
Et depuis je rêve d'Istanbul en hiver, sous la neige et .. sans les touristes ! Car il faut bien avouer qu'en cette fin de mois de Juin, Istanbul est terriblement encombrée, et que la chaleur y est accablante ! Mais qu'importent les conditions, j'ai beaucoup regardé, beaucoup observé, beaucoup appris et décidé que la prochaine fois ... j'irai à Istanbul en hiver !
19 juin 2014
Les Soeurs Quispe
Janséniste. Ce film est janséniste. Austère et sans concession. Mais l'histoire - vraie - de ces trois femmes, qui gardent leur troupeau de moutons dans le désert chilien et vivent quasi comme leurs bêtes, isolées de tout et coupées du monde est suffisamment effarante pour nous passionner pendant toute la durée du film. Le gouvernement Pinochet peu soucieux des droits des Mapuche, entendait récupérer les terres où depuis toujours ceux-ci faisaient paître leurs troupeaux, pour en confier l'exploitation à des forestiers ou des latifundiaires. Le film ne le dit pas explicitement car pour les soeurs Quispe, illettrées et coupées de toutes sources d'information si ce n'était le colporteur qui passe épîsodiquement, il ne s'agit que d'une inquiétude latente, une angoisse qui peu à peu s'impose et finit par les mener à la tragédie.
Présenté comme cela le film a l'air dur, mais c'est un récit sans image alors que le film de Sebastian Sepulveda est visuellement superbe, dans des harmonies de couleurs étonnantes. Le paysage minéral dans lequel se meuvent les trois femmes est certes désertique mais très beau. Et les visages de ces femmes, ridés et brûles par le soleil et le vent sont eux aussi d'une beauté étonnante.
18 juin 2014
Black Coal
Sur les rails ou sur les wagons qui transportent du charbon dans le Nord de la Chine, on découvre des paquets bien ficelés qui contiennent des restes humains. Tel est le point de départ de ce polar chinois commencé dans la noirceur du charbon, qui se poursuit sur la glace et s'achève sur un feu d'artifice incongru.
L'inspecteur Zhang, chargé de l'enquête est un personnage assez énigmatique, capable de tous les excès - alcoolisme, violence - mais parfois d'une naïveté confondante et surtout obstiné. Blessé au cours de l'enquête, et bien qu'il ait été contraint de reprendre un poste de vigile, il n'a de cesse d'élucider l'affaire dont il a été autrefois chargé.
Certaines scènes, comme la tuerie dans le salon de coiffure, semblent sortir tout droit d'un film de Tarantino ...
mais le film reste très chinois avec beaucoup de scènes de nuit, dans des décors urbains mal définis. On est dans le Nord de la Chine et le froid semble parfois figer l'action et suspendre l'énigme; de longues filatures alternent avec des scènes aussi brutales que soudaines. Le film se construit autour de silences, de regards, de signaux énigmatiques que l'on n'est pas toujours certain de déchiffrer.
L'inspecteur Zhang, chargé de l'enquête est un personnage assez énigmatique, capable de tous les excès - alcoolisme, violence - mais parfois d'une naïveté confondante et surtout obstiné. Blessé au cours de l'enquête, et bien qu'il ait été contraint de reprendre un poste de vigile, il n'a de cesse d'élucider l'affaire dont il a été autrefois chargé.
Certaines scènes, comme la tuerie dans le salon de coiffure, semblent sortir tout droit d'un film de Tarantino ...
mais le film reste très chinois avec beaucoup de scènes de nuit, dans des décors urbains mal définis. On est dans le Nord de la Chine et le froid semble parfois figer l'action et suspendre l'énigme; de longues filatures alternent avec des scènes aussi brutales que soudaines. Le film se construit autour de silences, de regards, de signaux énigmatiques que l'on n'est pas toujours certain de déchiffrer.
Black Coal est au fond un polar très réaliste, peut-être trop réaliste (?) autour d'un thème qui pourrait paraître totalement éculé, celui de la femme fatale, celle qui sous des airs nonchalants, "porte la poisse" aux hommes qui s'approchent d'elle, mais que le réalisateur, Yinan Diao, renouvelle ne serait-ce qu'en renonçant au glamour qui est le plus souvent de mise.
Black Coal est un film ténébreux; il est toutefois moins perturbant que A Touch of Sin parce que, d'une certaine façon, la fiction protège le spectateur qui peut ne s'intéresser qu'à l'énigme policière sans voir ce que ce film nous dit sur la Chine d'aujourd'hui et le peu de cas qui y est fait de la vie humaine.
17 juin 2014
Om Shanti Om
Il n'est pas vraiment nécessaire de croire à la réincarnation pour apprécier ce nouvel avatar bollywoodien. Du moment qu'on y retrouve tous les ingrédients qui font le charme insensé de ces films, les décors somptueux, les actrices ravissantes, les acteurs outrageusement musclés, la foule inépuisable des figurants, les couleurs, la musique, les danses, les moment comiques et les scène émouvantes, les cascades, les pitreries, et bien sûr les histoires d'amour ....
Pour apprécier Om Shanti Om et d'une façon générale ces films qui bousculent nos habitudes, il faut renoncer à tout jugement de valeur et se laisser porter par l'ambiance survoltée de la salle. Les soirées bollywood du Méliès sont annoncées suffisamment à l'avance pour que vous ayez le temps de battre le rappel auprès de vos amis. Par ce qu'en groupe, c'est encore mieux !
Pour apprécier Om Shanti Om et d'une façon générale ces films qui bousculent nos habitudes, il faut renoncer à tout jugement de valeur et se laisser porter par l'ambiance survoltée de la salle. Les soirées bollywood du Méliès sont annoncées suffisamment à l'avance pour que vous ayez le temps de battre le rappel auprès de vos amis. Par ce qu'en groupe, c'est encore mieux !
15 juin 2014
D'une vie l'autre
La guerre froide est une source inépuisable d'histoires, de romans et de films. Mais avec D'une vie à l'autre, le réalisateur Georg Mass réussit à doubler la mise en évoquant d'abord le sort que les nazis ont réservé aux enfants nés de couples "mixtes", en l'occurrence une Norvégienne et un soldat allemand(le fantasme aryen ! ) Et en évoquant ensuite l'usurpation d'identité qui a permis au personnage principal de se faire passer pour celle qu'elle n'était pas et poursuivre, en Norvège, sa collaboration avec la Stasi.
Le film est construit comme un roman d'espionnage - et les amateurs de John Le Carré en apprécieront certainement l'atmosphère - mais aussi comme un roman familial puisque la résurgence du passé est susceptible de détruire la cellule familiale fondée initialement sur un mensonge.
Implications psychologiques sur fond historique, le mélange est assez réussi.
Le film est construit comme un roman d'espionnage - et les amateurs de John Le Carré en apprécieront certainement l'atmosphère - mais aussi comme un roman familial puisque la résurgence du passé est susceptible de détruire la cellule familiale fondée initialement sur un mensonge.
Implications psychologiques sur fond historique, le mélange est assez réussi.
14 juin 2014
Deux jours, une nuit
Il faut se mettre à sa place, s'imaginer aller plaider sa cause auprès de chacun de ses collègues (il y en a douze) et obtenir d'eux qu'ils renoncent à leur prime (1000 euros quand même) pour qu'elle puisse garder son travail, alors qu'elle vient tout juste de reprendre après un long congé maladie.
Bien sûr on dira que les patrons capables d'un tel chantage sont dégueulasses, et cela est dit. Mais le film s'intéresse surtout au personnage de Sandra, sa fatigue, sa vulnérabilité, ses scrupules, tout ce qui contribue à transformer sa tentative en un véritable calvaire. Comme le Christ sur le chemin du Golgota, Sandra porte sa croix.
Je ne connais pas les opinions religieuses des frères Dardenne, mais je connais leurs positions morales. Ils se débrouillent, dans tous leurs films pour contraindre le spectateur à s'interroger sur les notions de Bien et de Mal. Qu'aurions-nous fait à la place de Sandra ? Aurions-nous eu le courage d'affronter l'un après l'autre nos compagnons de travail, nos amis peut-être ? Et surtout, à la place de ces employés d'une petite entreprise, eux -même aux prises avec les difficultés de la vie qu'aurions-nous répondu à Sandra ?
Les films des frères Dardenne n'appellent pas vraiment de jugement critique et ne s'apprécient pas à l'aune de je ne sais quelle sens esthétique. Ce sont des films qui s'adressent à la conscience du spectateur et s'évaluent donc en terme d'efficacité. Sur ce plan, Deux jours, une nuit est une réussite totale.
Bien sûr on dira que les patrons capables d'un tel chantage sont dégueulasses, et cela est dit. Mais le film s'intéresse surtout au personnage de Sandra, sa fatigue, sa vulnérabilité, ses scrupules, tout ce qui contribue à transformer sa tentative en un véritable calvaire. Comme le Christ sur le chemin du Golgota, Sandra porte sa croix.
Je ne connais pas les opinions religieuses des frères Dardenne, mais je connais leurs positions morales. Ils se débrouillent, dans tous leurs films pour contraindre le spectateur à s'interroger sur les notions de Bien et de Mal. Qu'aurions-nous fait à la place de Sandra ? Aurions-nous eu le courage d'affronter l'un après l'autre nos compagnons de travail, nos amis peut-être ? Et surtout, à la place de ces employés d'une petite entreprise, eux -même aux prises avec les difficultés de la vie qu'aurions-nous répondu à Sandra ?
Les films des frères Dardenne n'appellent pas vraiment de jugement critique et ne s'apprécient pas à l'aune de je ne sais quelle sens esthétique. Ce sont des films qui s'adressent à la conscience du spectateur et s'évaluent donc en terme d'efficacité. Sur ce plan, Deux jours, une nuit est une réussite totale.
13 juin 2014
Drôles de poissons-chats
En fait, l'histoire n'est pas drôle du tout, puisqu'il s'agit de maladie, mais le film lui est souvent drôle, un peu désarçonnant au début, mais au final très émouvant.
Cela commence par une jeune femme, à peine sortie de l'adolescence qui vit seule, terriblement seule et qu'une crise d'appendicite envoie à l'hôpital. Où elle fait connaissance de la femme qui se trouve dans le lit d'à côté; de la femme ET de sa famille : quatre enfants - chacun avec une personnalité bien affirmée ! - de trois pères différents. La mère est malade certes, mais c'est une femme tonique, fantasque même qui embrasse la vie à pleines mains et qui n'en est pas à une assiette près quand il s'agit de mettre un couvert de plus : peu à peu la jeune fille solitaire trouve sa place dans cette famille à peine déjantée, et prend, comme les autres, sa part de joies et de peines.
C'est sur ce fil ténu, entre mélo et comédie que la cinéaste, Claudia Sainte-Luce a construit son scénario, avec juste ce qu'il faut de clichés et de détails bien observés pour que le sourire efface les larmes, même dans les moments les plus dramatiques.
Les "acteurs" sont d'un naturel confondant, les dialogues parfaitement ajustés, disputes et bisbilles sont là pour renforcer l'illusion de réalité. Après tant de films mexicains violents et sanglants, Los Insolitos peces gato, mexicain lui aussi, m'a paru infiniment tendre ! Et très réconfortant !
Cela commence par une jeune femme, à peine sortie de l'adolescence qui vit seule, terriblement seule et qu'une crise d'appendicite envoie à l'hôpital. Où elle fait connaissance de la femme qui se trouve dans le lit d'à côté; de la femme ET de sa famille : quatre enfants - chacun avec une personnalité bien affirmée ! - de trois pères différents. La mère est malade certes, mais c'est une femme tonique, fantasque même qui embrasse la vie à pleines mains et qui n'en est pas à une assiette près quand il s'agit de mettre un couvert de plus : peu à peu la jeune fille solitaire trouve sa place dans cette famille à peine déjantée, et prend, comme les autres, sa part de joies et de peines.
C'est sur ce fil ténu, entre mélo et comédie que la cinéaste, Claudia Sainte-Luce a construit son scénario, avec juste ce qu'il faut de clichés et de détails bien observés pour que le sourire efface les larmes, même dans les moments les plus dramatiques.
Les "acteurs" sont d'un naturel confondant, les dialogues parfaitement ajustés, disputes et bisbilles sont là pour renforcer l'illusion de réalité. Après tant de films mexicains violents et sanglants, Los Insolitos peces gato, mexicain lui aussi, m'a paru infiniment tendre ! Et très réconfortant !
12 juin 2014
Bientôt l'été
Ben oui, j'adore mes stipas !
Surtout quand le vent les caresse, les plie et les déplie, les fait ployer, les redresse, les emmêle.
Ce que j'aime moins, c'est de n'avoir plus que mon téléphone pour les photographier !
06 juin 2014
L'éternité n'est pas de trop
Une brève escapade loin de la littérature américaine qui est depuis quelque temps devenue mon quotidien, au profit d'un petit roman dont le titre d'abord m'a enchantée avant que le récit lui-même ne me séduise.
L'éternité n'est pas de trop est un roman de François Cheng qui a quitté la Chine a l'âge de 20 ans et n'a depuis cessé de jouer les intermédiaires entre la culture de son pays d'origine et celle de son pays d'adoption.
L'histoire de Dao-sheng et de Dame Ying reprend l'éternel motif des amours impossibles, comme Lancelot et Guenièvre, comme Tristan et Yseutl, comme Aucassin et Nicolette.... avec quelque chose en plus, quelque chose d'exotique bien sûr mais aussi de mystique ou plutôt de spirituel. Dao-sheng, ex-musicien, ex-brigand et pas tout à fait moine, médecin et devin, tombé amoureux à jamais pour un seul regard échangé, est un personnage attachant, sans doute parce qu'il ne cesse de s'interroger sur le sens de la vie. Ce qui fait que le roman de François Cheng pourrait passer pour un essai philosophique s'il n'était aussi poétique.
05 juin 2014
Le Goût de la cerise
Mon cinéma préféré projetait la semaine dernière le film d'Abbas Kiarostami pour une unique séance avec commentaires et discussions en bonus. Un temps de réflexion qui permet de confronter ses réactions à celle des autres spectateurs.
Le goût de la cerise est un film suffisamment énigmatique pour permettre toutes sortes d'interprétations. Un homme en voiture tourne dans la ville à la recherche de quelqu'un pour remplir une mission d'un type particulier : il a l'intention de se suicider, a déjà creusé sa tombe et demande que l'on vienne vérifier s'il est mort... ou pas. Dans ce cas il faudra lui tendre la main pour le sortir du trou. Le premier individu auquel il s'adresse, un jeune militaire de retour dans sa caserne, refuse. Le deuxième, un apprenti religieux, refuse également. Le troisième, un taxidermiste qui travaille au musée d'histoire naturelle - un spécialiste de la mort en quelque sorte mais avant tout, un civil - finit par accepter après avoir longuement tenté de le convaincre de renoncer à son projet.
A mes yeux, le point important n'est pas que cet homme, Baadi, veuille se suicider, mais qu'il demande que l'on vienne vérifier s'il est toujours vivant. Et plus l'on s'approche de la fin du film, plus cet aspect prend de l'importance. L'homme retourne auprès du taxidermiste pour s'assurer qu'il ne se contentera pas de l'appeler mais qu'il le touchera, qu'il le secouera pour bien vérifier, comme si lui-même désormais espérait échapper à la mort.
Du fond du désespoir, quel qu'en soit le motif et il ne s'agit pas en l'occurrence de faire de la psychologie de bazar puisque Kiarostami ne donne aucun indication, le désir de mort est rarement absolu et dans le film, la tentative de suicide est, clairement, un appel au secours : cet homme cherche moins à mourir qu'à vérifier s'il peut encore vivre, il attend, au sens propre, la main qui le sortira de la tombe.
Ce que j'ai vu dans ce film en fin de compte c'est une métaphore politique, comme si Kiarostami s'interrogeait sur les chances de survie non pas de son personnage mais de son pays, sachant que le secours ne viendra ni des militaires, ni des religieux mais du peuple exclusivement. Le taxidermiste si plein d'humanité qui s'efforce de redonner à son compagnon le goût de la cerise n'est ni un intellectuel, ni un politicien, juste un homme ordinaire qui croit à la vie. Un homme de bonne volonté. Comme ces ouvriers dans les collines qui spontanément descendent aider le conducteur dont la voiture a une roue dans le vide; en unissant leurs efforts, ils parviennent à remettre le véhicule sur la route et reprennent leur travail sans même attendre un remerciement.
Palme d'or du festival de Cannes en 1996, Le Goût de la cerise est un film d'autant plus passionnant qu'il se prête à des lectures multiples qu'une seule vision ne suffit sans doute pas à épuiser.
J'ajoute aussi que j'ai pris le plus grand plaisir à revoir ces paysages semi-désertiques de l'Iran, cette lumière particulière qui colore les paysages et que la photographie de Kiarostami rend si bien.
Le goût de la cerise est un film suffisamment énigmatique pour permettre toutes sortes d'interprétations. Un homme en voiture tourne dans la ville à la recherche de quelqu'un pour remplir une mission d'un type particulier : il a l'intention de se suicider, a déjà creusé sa tombe et demande que l'on vienne vérifier s'il est mort... ou pas. Dans ce cas il faudra lui tendre la main pour le sortir du trou. Le premier individu auquel il s'adresse, un jeune militaire de retour dans sa caserne, refuse. Le deuxième, un apprenti religieux, refuse également. Le troisième, un taxidermiste qui travaille au musée d'histoire naturelle - un spécialiste de la mort en quelque sorte mais avant tout, un civil - finit par accepter après avoir longuement tenté de le convaincre de renoncer à son projet.
A mes yeux, le point important n'est pas que cet homme, Baadi, veuille se suicider, mais qu'il demande que l'on vienne vérifier s'il est toujours vivant. Et plus l'on s'approche de la fin du film, plus cet aspect prend de l'importance. L'homme retourne auprès du taxidermiste pour s'assurer qu'il ne se contentera pas de l'appeler mais qu'il le touchera, qu'il le secouera pour bien vérifier, comme si lui-même désormais espérait échapper à la mort.
Du fond du désespoir, quel qu'en soit le motif et il ne s'agit pas en l'occurrence de faire de la psychologie de bazar puisque Kiarostami ne donne aucun indication, le désir de mort est rarement absolu et dans le film, la tentative de suicide est, clairement, un appel au secours : cet homme cherche moins à mourir qu'à vérifier s'il peut encore vivre, il attend, au sens propre, la main qui le sortira de la tombe.
Ce que j'ai vu dans ce film en fin de compte c'est une métaphore politique, comme si Kiarostami s'interrogeait sur les chances de survie non pas de son personnage mais de son pays, sachant que le secours ne viendra ni des militaires, ni des religieux mais du peuple exclusivement. Le taxidermiste si plein d'humanité qui s'efforce de redonner à son compagnon le goût de la cerise n'est ni un intellectuel, ni un politicien, juste un homme ordinaire qui croit à la vie. Un homme de bonne volonté. Comme ces ouvriers dans les collines qui spontanément descendent aider le conducteur dont la voiture a une roue dans le vide; en unissant leurs efforts, ils parviennent à remettre le véhicule sur la route et reprennent leur travail sans même attendre un remerciement.
Palme d'or du festival de Cannes en 1996, Le Goût de la cerise est un film d'autant plus passionnant qu'il se prête à des lectures multiples qu'une seule vision ne suffit sans doute pas à épuiser.
J'ajoute aussi que j'ai pris le plus grand plaisir à revoir ces paysages semi-désertiques de l'Iran, cette lumière particulière qui colore les paysages et que la photographie de Kiarostami rend si bien.
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