28 septembre 2023

Angelo Tijssen, Au bord

 

 Au bord est un court roman, assez gonflé pour un jeune auteur comme Angelo  Tijssens, plus connu jusqu'à présent comme scénariste que comme romancier. Il arrive pourtant à maintenir adroitement son récit dans un juste équilibre entre crudité et pudeur. Car les mots, les gestes peuvent être crus en effet quand il s'agit de parler de sexualité. Pourquoi masquer la réalité ? En revanche quand il s'agit d'exprimer des émotions, des sentiments, les mots sont plus difficiles à trouver. Comment dire ce que l'on est pas sûr de ressentir, comment laisser entendre, suggérer ou au contraire masquer ce qui pourrait passer pour un aveu, une attente exagérée; comment distinguer entre sincérité et cynisme, comment s'avancer dans une relation sans pour autant se lier, s'attacher. Comment aimer quand on n'a pas été aimé ? 

Je ne crois pas avoir lu beaucoup de romans d'amour homosexuel, le sujet est peut-être plus facilement abordé au cinéma. Mais celui-ci m'a paru assez réussi. Parce que à la fois vrai et touchant. Cynique et tendre. Mais le cynisme n'est-il pas le plus souvent une façon de dissimuler un besoin désespéré d'affection. Le roman d'Angelo Tijssens m'a paru proche du court métrage de Pedro Almadovar sorti il y a peu : dans Strange way of life comme dans Au bord, il s'agit de deux hommes qui, adolescents ont vécu une passion irrésistible l'un pour l'autre et qui se retrouvent, des années après. Le lien est toujours là, mais la raison désormais dispute sa place à la passion.

Cluny Brown

 Un bon vieux Lubitsch. Féministe de surcroît. Enfin  ... un peu, un tout petit peu, parce que l'objectif final c'est quand même l'amour et le mariage ! Mais l'histoire de cette jeune fille qui ne résiste pas à l'appel du siphon (!) est quand même assez drôle. Orpheline, Cluny a pris goût à la plomberie en regardant travailler l'oncle qui l'a recueillie. D'origine modeste elle est supposée rester "à sa place". Mais comme elle n'a aucune idée de ce que doit être "sa place" dans la société, elle n'en fait qu'à sa tête et se conduit en jeune fille libre sans se soucier des normes sociales. Lubitsch en profite pour faire une caricature de la gentry anglaise très collet monté, assise sur ses préjugés, le plus drôle(?) étant de voir ces préjugés endossés par ceux-là mêmes qui sont à leur service.

Que l'on se rassure : Lubitsch se moque, mais la révolution n'est pas pour demain et tout rentre dans l'ordre lorsque "la folle ingénue " - le titre français - se retrouve dans les bras, non pas du fils de famille, pas même du pharmacien guindé, mais d'un homme lui-même déclassé, un escroc à la petite semaine, tchèque de surcroît. A chacun sa place. A chacun sa case dans la société anglaise de l'après-guerre.

Bien qu'elle sache manier la pince et le marteau, Cluny Brown n'a donc rien d'une suffragette, mais son personnage rappelle plus que jamais Rosie the riveter, icône de la culture populaire américaine depuis 1942, quand les femmes ont pris la place des hommes dans les usines pour participer aux efforts de guerre et ce faisant ont découvert que oui, elles étaient capables de bien des choses : serrer des boulons, déboucher un évier, changer un pneu, faire des études .... et qu'elles n'étaient pas obligées de rester derrière leurs fourneaux pour exister. Merci Rosie, merci Cluny, le message est passé.




26 septembre 2023

Virginie Ollagnier, Ils ont tué Oppenheimer

 J'espérais sans doute trop du livre de Virginie Ollagnier, et j'ai rapidement été déçue, jusqu'à y renoncer ou plutôt à ne le lire qu'en diagonales de plus en plus espacées. Il faut dire que pour un personnage aussi complexe et une histoire aussi particulière que celle d'Oppenheimer et de l'Amérique, l'hésitation entre biographie et roman finit par ne satisfaire personne. Ni les lecteurs avides de faits qui iront chercher ailleurs de quoi satisfaire leur soif de vérité historique, ni les amateurs de fiction qui trouveront le récit très alourdi par la reconstitution historique et au final, bien peu romanesque.

C'est dommage car, aussi bien le projet Manhattan mené en grand secret sur le plateau désertique de Los Alamos pour fabriquer la première bombe atomique, que les sombres manipulations de Mc Carthy, de Hoover et de quelques autres qui ont conduit à la peur hystérique du communisme dans les années 50, sont des sujets essentiels pour comprendre l'histoire de la deuxième moitié du XXe siècle, et sans doute aussi notre époque. Mais j'en conviens, le roman historique est un genre littéraire difficile; pour y exceller il faut peut-être une plume plus alerte que celle de Virginie Ollagnier. 




20 septembre 2023

Les Feuilles mortes

Un film d'Aki Kaurismäki est toujours un plaisir... 

Plaisir tout d'abord de se retrouver dans un univers familier, avec des lieux, des personnages hors du temps, hors des modes, hors des normes et donc parfaitement intemporels et parfaitement humains. 

Plaisir d'être constamment surpris, étonné devant l'inventivité du réalisateur qui brode indéfiniment le même thème sans pourtant jamais se répéter. 

Plaisir des yeux surtout stimulés par le choix des couleurs, acidulées, stridentes, désaccordées plus qu'harmonieuses; par le choix des cadrages, de la multiplicité des plans fixes qui permettent de scruter l'image et d'y découvrir mille et un détails; par le rythme lent mais sans longueur, juste ce qu'il faut pour tenter de deviner la profondeur des sentiments; par l'emploi parcimonieux des dialogues dont chaque mot a minutieusement été pesé. Dans les films de Kaurismäki, on ne parle pas pour ne rien dire et si l'on n'a rien à dire, on se tait. La bande son fait d'ailleurs une part de choix aux silences comme aux intermèdes musicaux qui ponctuent le film et créent cette atmosphère un peu décalée qui fait la singularité du réalisateur. 

Les Feuilles mortes, c'est une histoire d'amour entre deux êtres peu doués pour le bonheur. Mais c'est aussi une histoire sociale entre un ouvrier dans une fonderie et une employée dans un supermarché qui se font virer parce que la rentabilité économique est devenue le seul critère des entreprises. C'est encore un film sur fond de guerre - celle d'aujourd'hui, entre Russses et Ukrainiens - omniprésente à la radio. 

Mais plus que tout peut-être, le film de Kaurismäki est un hommage au cinéma, dont les affiches sont exposées dans les vitrines du cinéma devant lequel les personnages se retrouvent. Et pas besoin de lire le finlandais, les images suffisent à identifier les films. Parce que Kaurismäki est un cinéaste qui donne, comme il se doit, la priorité à l'image. Et au jeu des acteurs. 

Bref, Les Feuilles mortes est, a mon goût, un film jubilatoire qui a permis de faire passer la pilule des deux films très médiocres vus récemment.




13 septembre 2023

Toni en famille

Décidément, je choisis mal mes films en ce moment. Parce que celui-ci aussi je regrette de m'être déplacée pour aller le voir. Seconde jeunesse avait un côté un peu fantasque quand même, et puis on était en Italie,  mais Toni en famille est un ramassis de clichés sur la double charge mentale  - ici quintuple puisque la mère de famille est entourée de 5 adolescents -, sur les aspirations manquées de la femme de 40 ans, sur le comportement des adolescents d'aujourd'hui, sur les avantages et les inconvénients des grandes fratries. L'impression de lire les pages "société" d'un mauvais magazine féminin ! 

J'ai vraiment intérêt à mieux choisir mon prochain film, parce que deux plantages successifs, ça craint !

 




 
 

 


06 septembre 2023

La Beauté du geste

Qu'est-ce qui peut pousser une jeune japonaise, sourde de surcroît, à faire de la boxe et à prendre des coups?  Pourquoi, oui pourquoi, alors même que sa surdité la met en danger puisque, pendant les matchs, elle n'entend pas les consignes de ses entraîneurs ?  

C'est la question que l'on est amené à se poser tout au long du film, sans être certain d'avoir vraiment la réponse. Une chose est sûre ce n'est pas l'appât du gain, parce que dans cette histoire, il n'est guère question d'argent. Besoin de compenser son handicap, de se mettre à l'épreuve pour vérifier ce dont elle est capable ? Toutes les réponses sont certainement plausibles toujours est-il que Sho Miyake, le réalisateur, parvient, grâce à la bande son particulièrement travaillée, à faire comprendre au spectateur ce que c'est que de ne pas entendre, la porte qui claque, une voiture qui passe dans la rue... Si bien qu'assez rapidement on s'intéresse moins à l'activité pratiquée qu'à la jeune fille elle-même. Et lorsque le film s'achève, on croit comprendre un peu mieux cette jeune fille. Un peu seulement. Comme dans la vraie vie, où il reste toujours une part de flou, une part d'inconnu, même autour de la personne la plus proche. Et c'est très bien comme cela.




Parfois le silence est une prière

Quand, sur trois générations les tragédies se succèdent, il est difficile de ne pas se sentir accablé. Heureusement la littérature permet d'une certaine façon de de passer au-delà : la magie de l'écriture est parfois capable de transformer le pire en or. 

C'est le cas de Billy O'Callaghan dont le récit -  je n'ose dire roman puisque cette famille qui connaît deuil sur deuil est la sienne - commence avec une aiëule, qui se retrouve enceinte et célibataire, situation inadmissible dans l'Irlande du début du siècle. Misère, famine, solitude, mais la vie chevillée au corps. Le récit se poursuit, et les générations suivantes connaissent coup dur sur coup dur. 

Le Silence est une prière est certainement un bon roman, un très bon roman, et Billy O'Callaghan un bon écrivain, mais j'avoue qu'au bout d'un moment, c'est le regard critique et non l'empathie qui m'a permis d'aller jusqu'au bout. En effet, savoir qu'il s'agit de tragédies réellement vécues ne permet pas de se réfugier derrière le voile de la fiction. Seule l'attention portée au savoir faire de l'écrivain permet de rester un peu à distance. Un peu seulement.

05 septembre 2023

Sabotage

 

Le film est monté comme un "thriller" : tension maximum pendant 1h44 !  Seuls les flasbacks, qui permettent de retracer le parcours antérieur de chaque "saboteur" et d'expliquer les raisons de son engagement apportent un peu de répit. Car ces jeunes gens, venus d'horizons très différents, ont toutes les (bonnes) raisons de se battre contre la place prise par la pétro-chimie dans leur vie. Mais le font-ils avec les bons moyens ?

Sabotage est un film militant qui utilise - avec brio - les codes du film d'action pour engager la réflexion du spectateur. Un peu comme les écologistes du film qui ont fait le tour des possibilités (associations, pétitions, manifs etc.) et considèrent qu'il faut une action spectaculaire pour avoir  - peut-être - un vrai impact sur la conscience de ceux qui détiennent le pouvoir. Spectaculaire oui. Terroriste ? C'est à voir car les jeunes activistes prennent tous les risques, mais après avoir suffisamment bien planifié leur action pour qu'elle ne présente pas de risques pour autrui et ne cause que des dégâts matériels. 

 Daniel Goldhaber, le réalisateur s'est largement inspiré du livre d'Andreas Malm, universitaire suédois qui a publié en 2020 un manifeste dont le titre est trop souvent raccourci à sa première partie : "How to blow up a pipe-line", plus vendeuse que la 2e partie " learning to fight in a world on fire" qui annonce un projet moins ... brutal. 

Film de genre, film d'action avec en prime un sacré sujet de réflexion,  Sabotage mérite largement son succès.

03 septembre 2023

Seconde jeunesse


Une comédie italienne, une comédie légère ? Voilà ce que j'attendais de ma séance de cinéma. A part le plaisir de la langue italienne, toujours savoureuse, je n'ai rien trouvé de drôle à ce film de Gianni Di qui m'a paru aussi lent, que lourd. Et horriblement convenu.

A moins d'y voir voir une fable qui oppose les citoyens ordinaires (généreux, solidaires mais passablement niais) aux institutions et aux forces qui régissent la société (la religion, la politique et la police) ... 

Soit ! Mais je me suis quand même beaucoup ennuyée !