23 mai 2024

Bibiana Candia, Azucre

 

Auteurs et éditeurs semblent s'orienter de plus en plus vers des problèmes de société, ce que je ne saurais leur reprocher. Mais s'agit-il toujours de littérature ? Beaucoup de ces "romans", intéressants parce que bien faits, bien informés, sont le fait de journalistes, ou d'auteurs très motivés par leur sujet. Ils partent toujours d'une bonne intention, sensibiliser le lecteur au sort des femmes iraniennes, turques .... au sort des enfants battus, des migrants .... Les sujets ne manquent pas, ni les témoignages, ni la documentation. Mais s'agit-il vraiment de littérature ? C'est la question que je me pose depuis un certain temps et - pour moi -  la réponse est non. Ce qui m'oblige à chercher où se situe la différence. 

Le livre de Bibiana Candia me donne le début d'une réponse. Cette jeune autrice espagnole a découvert ce qui est arrivé à quelques jeunes Galiciens, embarqués pour travailler dans les champs de canne à sucre de Cuba en 1853. L'esclavage, le travail forcé est donc au coeur de ce premier roman . Azucre pourtant se détache de beaucoup d'autres romans par sa façon d'aborder le sujet, sans lourdeur, mais avec une vivacité qui permet à l'auteur de passer d'un personnage à l'autre, d'alterner les passages descriptifs avec les réflexions intérieures de ceux qui prennent peu à peu conscience du piège dans lequel ils sont tombés. La plume de Bibiana Candia glisse et virevolte, se fait allusive, suggestive, se charge d'émotion.  Malgré la lourdeur du sujet, il y a dans ce roman une légèreté qui fait sa force. Oui je sais tout cela a l'air un peu contradictoire, la lourdeur, la force et la légèreté, mais c'est l'impression que j'ai gardé de ce livre et qui me fait dire que oui, c'est de la littérature. Et pas seulement un roman à thèse. Reste à savoir si la jeune écrivaine ira au delà de ce premier livre... 



20 mai 2024

Everett Ruess, Vagabond de la beauté

Fous de nature, fous du désert, ils sont nombreux à renoncer à la société et dénoncer la vie dans les villes pour vagabonder au gré de leurs envies, seuls mais libres. Parmi les plus connus, parce qu'ils ont laissé des traces écrites derrière eux, John Muir, Edward Abbey et sans doute le plus mystérieux, Everett Ruess, un gamin qui, depuis ses 17 ans, n'a cessé d'arpenter les déserts de l'Ouest américain, seul avec ses ânes et parfois un chien, avant de disparaître 3 ans plus tard, en 1934. Etrange destinée que celle d' Evereett Rues. W.L. Rusho s'est efforcé d'en retracer l'essentiel dans un livre paru aux E-U en 1985 et récemment publié en français sous le titre de Vagabond de la beauté. 

J'aurais bien aimé avoir entre les mains l'édition américaine qui outre les lettres écrites par Everett à sa famille ou ses amis et des extraits de son journal, comprenait des photos, des reproduction de ses gravures et les cartes des terres arpentées par le marcheur solitaire. Cartes dont l'éditeur français ne s'est pas soucié, ce qui contraint le lecteur à faire lui-même la recherche sur Internet pour retracer le parcours du jeune vagabond et mesurer l'ampleur du désert où il disparu. 

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En dehors de l'énigme que pose sa disparition, le récit intéresse par la beauté des paysages décrits, mais tout autant par la personnalité de ce jeune homme à la fois si sûr de lui, de ses choix, de ses détestations, mais néanmoins plein de doute comme on peut l'être à son âge. Une personnalité hors du commun, dont le portrait mis en couverture de l'édition française, bien que réalisé par Dorothea Lange, souligne la douceur et même la mollesse plus que l'énergie et l'endurance que reflète sa correspondance. Car Everett n'avait peur de rien, ni de la solitude, ni de la pauvreté, pas même de la faim ou du froid pourvu qu'il puisse errer librement dans les paysages qu'il aimait follement. Un garçon étonnant, vraiment.  Il serait dommage de ne voir dans  Vagabond de la beauté qu'une ode de plus aux grands espaces américains et aux déserts rouges de l'Utah et de l'Arizona. Le livre reflète aussi, et ce n'est pas le moins intéressant, tous les tumultes et les inquiétudes de la jeunesse.








14 mai 2024

Border line

 Border line est un film qui peut se voir sous au moins deux angles différents. Celui de la psychologie d'un couple dont les failles se découvrent peu à peu, au cours d'un banal interrogatoire : ils sont arrivés ensemble, pour changer de vie et s'installer dans un nouveau pays, mais la décision s'est-elle établie sur des bases claires ? Avaient-ils les mêmes motivations ? Elle croyait le connaître, mais elle s'est peut-être trompée ? Voilà pour le thriller psychologique. 


J'avoue que, pour avoir un peu fréquenté les services d'immigration américains et vécu une situation vaguement similaire, j'ai savouré le côté "documentaire " du film de Juan Sebastian Vasquez et Alejandro Rojas. Vues de l'extérieur, toutes les administrations paraissent absconses, mais quand vous êtes pris dans le tourbillon d'un interrogatoire et qu'il vous faut sur le champ justifier votre présence sur le sol étranger et faire preuve de votre bonne foi sans bien comprendre le pour qui et le pour quoi de la situation, que les questions se succèdent et se répètent sans fin, il est difficile de ne pas se sentir pris au piège, vaguement coupable bien que totalement innocent. Et de maudire le zèle des agents d'immigration, qui semblent toujours avoir été choisis pour leur manque total d'humour et d'empathie. Alors je parie qu'à votre prochain passage de frontière, si vous avez vu Border line, vous serez  vous aussi un peu ... tendu !

07 mai 2024

Une affaire de principe

 Oui, non, pas tout à fait... Une affaire de principe est un film intéressant sur une affaire de corruption qui touche les plus hautes instances au sein du conseil de l'Europe et qui montre et dénonce le poids des lobbies en politique. 

C'est intéressant,  mais pas totalement passionnant.  Peut-être parce que le réalisateur, trop content d'avoir pu tourner dans les couloirs et les salles du parlement européen semble s'être montré plus soucieux de montrer les décors que d'éclairer la lanterne du spectateur parfois perdu dans la complexité du sujet. L'intention didactique est pourtant évidente : il s'agit de rien de moins que de sauver les principes de la démocratie. José Bové (alias Bouli Lanners) est à la tâche. On aimerait se dire qu'à défaut d'être absolument palpitant, ce thriller politique pourrait permettre à quelques citoyens de plus d'aller mettre un  bulletin dans l'urne le 9 Juin... mais je crains que ceux qui ont été ou iront voir le film d'Antoine Raimbault ne soient déjà des européens convaincus. Ce sont les autres qu'il faudrait pouvoir convaincre.

Une photo qui a du sens : ils sont trois à mener le combat, mais entre le député, l'assistant parlementaire et la stagiaire, devinez qui est le/la plus acharné/e ? Le député, quasi un notable du parlement, s'en tient aux grands principes de la démocratie; l'assistant, sans être totalement blasé se contente de suivre. Celle qui ne se résigne pas, celle qui s'acharne, oui c'est la jeune stagiaire pour qui la justice est la valeur suprême. Illusions de la jeunesse ? Peut-être. Mais sans elles, le monde irait plus mal.

05 mai 2024

Jusqu'au bout du monde

Jusqu'au bout du monde est un western. Quelque part dans l'Ouest, quelques années avant la guerre de Sécession. Et cela commence par une rencontre, une rencontre comme un coup de foudre. 

Jusqu'au bout du monde est un  film féministe, dans le meilleur sens du terme. Parce que Vivienne Le Coudy est une femme forte. Qui suit l'homme qu'elle a choisi et s'accommode de l'inconfort de sa cabane comme elle s'accommode de la solitude lorsqu'il choisi de s'engager au côté des Nordistes. C'est une femme audacieuse qui affronte avec courage et obstination les pires difficultés. C'est une femme debout, capable d'élever avec amour l'enfant issu du viol que lui a fait subir Weston, le méchant du film. 

Jusqu'au bout du monde est aussi l'histoire d'un  couple qui apprend  à accepter les choix de l'autre, quel qu'en soit le prix à payer. 

Bref Jusqu'au bout du monde est un grand film romanesque, un film d'aujourd'hui dans un décor de western.
 

04 mai 2024

S.A.Cosby, Le Sang des innocents

 Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu de roman noir. Or celui de S.A.Cosby, Le Sang des innocents,  est vraiment très noir. Mais, dans un polar on retrouve vite ses repères puisque le monde est en général divisé entre bons et méchants. Avec juste ce qu'il faut d'excuses aux méchants pour être acceptable et juste ce qu'il faut de faiblesses aux bons pour être crédibles. Ceci dit, Titus Crown, shérif noir récemment élu de la petite ville majoritairement blanche de Charon est presque  parfait; il se doit de l'être pour être respecté dans cette petite communauté sudiste où l'on brandit encore le drapeau confédéré. 

Les thèmes abordés par l'auteur sont ceux que l'on retrouve hélas dans les médias, tuerie dans un lycée, meurtres en série particulièrement atroces, manifestations racistes, drogue... rien qui donne particulièrement envie de s'installer à Charon, dont le nom est assez évocateur pour faire penser que malgré le nombre d'églises, et l'omniprésence de la religion, l'enfer n'est pas très loin. S.A.Cosby ne se prive d'ailleurs pas de pousser assez loin ses doutes sur la "sainteté" de ces églises. Tout l'art de l'écrivain consiste ici à passer du "fait divers", tel qu'on le lit dans les journaux, à la littérature. Ce dont S.A. Cosby s'acquitte parfaitement. Encore un de ces livres lus d'une traite.




03 mai 2024

Les Cendres du temps, redux

Le "redux" n'est là que pour signaler qu'il s'agit de la deuxième version du film, retouchée par Wong Kar- Wai lui même. La première date de 1994, la seconde, date de 2008 et c'est celle qui ressort actuellement en salle. Divisée en quatre saisons, elle est supposée être plus compréhensible, mais de là à dire que l'intrigue est facile à suivre ... il y a un pas. De géant ! Et je me garderai bien d'essayer de la résumer. On devine vaguement qu'il s'agit d'amour (un peu) et de combats (beaucoup). Mais très vite j'ai renoncé à comprendre ou même à essayer de trouver quelles étaient les relations entre les personnages, totalement fascinée par les images, d'une beauté fulgurante. En particulier les scènes de bataille qui n'ont rien de gore parce que totalement esthétisées. Des couleurs, des lignes, une gestuelle qui fait penser à l'expressionnisme abstrait, mais là où les peintres figent le mouvement, le cinéaste dispose d'une gamme infinie de mouvements amorcés, ralentis, accélérés, suspendus sans oublier tout ce qui relève du cadrage et du changement de focale.  Voilà ! On ne comprend pas, mais c'est très beau. Très!


R.K. Narayan, Le Peintre des enseignes

La vie de cet écrivain indien, telle que racontée par Wikipedia,  pourrait faire le sujet d'un roman tant elle est faite d'hésitations, de changements, de ratés et finalement de succès (littéraires). Alors on se dit qu'il a mis beaucoup de lui-même dans ce peintre d'enseignes, tombé fou amoureux d'une femme peu ordinaire, féministe et militante du planning familial.  Le roman date de 1976 , mais n'a pas pris un pli et ce qui en fait la drôlerie, c'est l'incompatibilité de ces deux personnages qu'a priori tout oppose. Raman, célibataire de longue date, vit chez sa tante et cet arrangement lui convient très bien : que cette vieille femme s'occupe de son linge, de ses repas, de son ménage, lui paraît relever de l'ordre naturel des choses.  Daisy, la jeune femme, porte un prénom un peu désuet, mais c'est une jeune femme moderne, indépendante, austère, décidée, prête à tous les sacrifices pour sa cause, le contrôle des naissances et la lutte contre la surpopulation.

Le Peintre d'enseignes pourrait passer pour un roman à thèse, car le "zero population growth"  était effectivement une obsession des années 70, mais l'auteur est bien trop habile pour se laisser prendre à ce piège et manipule ses personnages, avec une ironie fine et beaucoup de tendresse. Le livre refermé, je me dis que je comprends un tout petit peu plus comment vivent et pensent les habitants de ce pays, dont la population a atteint  désormais 1,3 milliard d'habitants ! Que l'on parle en France de "réarmement démographique" paraît franchement incongru. Mais il est vrai que l'on ne parle que de population nationale, pas de population indienne, et encore moins mondiale !