11 novembre 2025

L'Inconnu de La Grande Arche

Si l'histoire de ce projet pharaonique et celle de son architecte danois, Otto von Spreckelsen, est en elle-même intéressante, cela ne suffit pas tout à fait à faire de l'Inconnu de La Grande Arche un bon film. Un documentaire aurait peut-être mieux convenu parce l'incarnation de personnages connus par des acteurs m'a paru passablement maladroite, et souvent surjouée. 

Le film de Stéphane Demoustier est peut-être simplement trop ambitieux : il raconte effectivement l'histoire d'une construction pharaonique, détails techniques à l'appui, fait le portrait d'un architecte "atypique" et particulièrement exigeant, et décortique les méandres d'un projet politique qui ressemble surtout à un caprice de monarque avec ce que cela suppose de profiteurs et de courtisans. Ce troisième volet est sans doute le plus intéressant, mais aussi le plus exaspérant parce que ce sont bien les deniers publics qui sont utilisés pour satisfaire la vanité d'un seul homme.  Au final un joli gâchis. 

C'est ainsi que dans le film, la grande aventure architecturale passe quasiment au second plan, derrière un pamphlet politique. L'histoire de la Grande Arche n'est hélas qu'un épiphénomène dans l'histoire de l'humanité. Construire, construire grand, construire pour l'éternité.... Temples ou tombeaux, palais ou  châteaux,  bibliothèques ou musées, ici un Cube, là bas une salle de bal .... Vanité des vanités ... il est temps de relire l'Ecclésiaste ! 


François-Henri Désérable, L' usure d'un monde

 

 

En 2022, François-Henri Dsérable part en Iran, alors que la répression contre le mouvement Femme, Vie, Liberté, à l'oeuvre depuis des semaines,  inquiète suffisamment le quai d'Orsay pour déconseiller fermement le voyage : mais trop tard, l'écrivain est déjà dans l'avion et le voilà à Téhéran  avec en main L'Usage du monde, puisqu'il a l'intention de suivre, à presque 70 ans d'écart, les traces de Nicolas Bouvier.  L'Iran d'aujourd'hui n'est certes plus celui de Bouvier, l'écrivain s'efforce néanmoins de passer par les mêmes lieu, mais surtout de voyager "à la manière de ..." c'est à dire en prenant le temps de laisser faire le hasard, de profiter des imprévus, et surtout de donner leur chance aux rencontres. François-Henri Désérable n'est pas journaliste, il est écrivain et son voyage est celui d'un dilettante. Mais un dilettante qui sait regarder et surtout écouter. C'est ainsi, et ainsi seulement que l'on peut prendre la mesure des choses, à auteur des individus plutôt que de leurs dirigeants.

Il y a dans ce livre de François-Henri Désérable, une légèreté et même une certaine désinvolture qui en font tout le charme, mais la fluidité de l'écriture et l'ironie ne sont en rien incompatibles avec la pertinence de l'observation et la gravité des propos. Comme le suggère élégamment le titre : il n'est plus question de l'usage du monde, mais bien de l'usure d'un monde. 

07 novembre 2025

Le Doulos

 Il est toujours agréable de revoir un film vu il y a longtemps, mais dont l'empreinte était restée bien présente dans la mémoire. Les détails de l'intrigue ont été un peu oubliés, mais pas l'atmosphère et surtout pas le style qui fait du Doulos, un film immédiatement identifiée comme un Melville. A quoi cela tient-il ? A la direction d'acteur ? La sobriété de Reggiani, la nonchalance de Belmondo ? A la photographie ? A la prédominance des scènes nocturnes avec ses clairs-obscurs et ses jeux de lumières ? Ou plus vraisemblablement aux qualités humaines mises en exergue, fidélité, honnêteté, oui, même parmi les truands dont les "codes d'honneur" sont ici en jeu ?  Mais peu importent au fond les raisons, les films de Melville se revoient toujours avec plaisir. 

 

05 novembre 2025

Yannick Lahens, Passagères de nuit

Une histoire de famille. Une de plus ? Oui, elles inondent les maisons d'édition. Cette année, mais pas seulement cette année. Difficile de se démarquer dans cette abondance. 

C'est pourtant le cas de Passagères de nuit - intitulé roman pour laisser plus de place à l'invention - qui se singularise en centrant le récit sur des femmes, fortes évidemment, et sur des lieux (La Nouvelle Orléans et Haïti). Mais c'est surtout par les choix d'écriture que le roman de Yanick Lahens se détache des autres récits familiaux. Une écriture colorée, vibrante apte à saisir les pensées intimes des personnages, d'autant que l'écrivaine n'hésite pas à recourir au créole pour être au plus près d'eux. Ce qui n'exclut nullement des considérations plus générales sur l'histoire des Noirs, une histoire marquée évidemment par l'esclavage et l'exclusion.  


La Petite dernière

Je n'ai pas accroché du tout au film de Hafzia Herzi que par ailleurs j'apprécie beaucoup en tant qu'actrice. Certes Nadia Melliti est parfaite dans le rôle de la jeune musulmane qui s'interroge sur la compatibilité de sa foi avec son orientation sexuelle. Et je n'ai rien à reprocher à la mise en scène. Non ce qui m'a gêné, c'est le côté excessivement démonstratif du film. La petite dernière en effet a tout d'un film à thèse, parce que l'urgence du message à transmettre finit par primer sur l'histoire.  

Qu'une oeuvre de fiction, littéraire ou cinématographique pousse le lecteur, le spectateur à la réflexion, tant mieux. Mais je n'aime pas que le message soit à ce point asséné. Il est vrai que dans un monde aussi violemment soumis à la propagande, il est peut-être nécessaire de parler fort pour se faire entendre. Mais je n'en suis pas certaine. 


 


04 novembre 2025

Alerte au Sud

 Le film date de 1953 et son réalisateur, Jean Devaivre, n'est pas le plus connu des cinéastes. Mais j'avais repéré son nom en m'intéressant à la Continentale et je voulais me faire une idée de son travail en tant que réalisateur à part entière. 

Alerte au Sud est un film intéressant, à condition de le remettre dans son contexte et de ne pas attendre de ce film d'action plus qu'il ne peut donner. De l'action. il y en a et des cascades aussi, mais on mesure là la différence de moyens avec les films d'aujourd'hui. C'est au Maroc que se déroule l'action, et le film se complait à montrer après Casablanca et Marrakech, les paysages désertiques du Sud où s'est réfugié un vieil allemand qui à lui tout seul a décidé de poursuivre la guerre en mettant au point une arme nouvelle, un mystérieux rayon de la mort. On frôlerait presque la science fiction si le rôle du vieil Allemand n'était tenu par un Erich von Stroheim, plus "germain" que jamais.  En face de lui, dans le magnifique uniforme (blanc!) de la légion étrangère, Jean-Claude Pascal, glisse avec aisance des bureaux de l'armée aux cabarets et aux salons mondains  avant de se lancer, avec une armée de dromadaires, à la conquête du ksar où s'est réfugié l'ennemi. 

Oui, le scénario tient un peu du récit d'aventure en bande dessinée, et j'ai eu un peu de mal à prendre cette histoire au sérieux. Le film témoigne néanmoins de l'habileté du metteur en scène qui place toujours sa caméra au bon endroit, alterne scènes dialoguées et scènes d'action, multiplie les personnages interlopes, crée une ambiance ... avec des moyens qui ne sont certainement pas ceux d'aujourd'hui ! Qu'il faille parfois un peu d'indulgence (scènes de danse en tutu !) c'est certain, mais j'ai trouvé le film suffisamment divertissant pour avoir envie d'en voir d'autres, du même réalisateur. Ou juste de la même époque.  


 

31 octobre 2025

Miguel Bonnefoi, Le Rêve du jaguar

 

 Certains écrivains manquent peut-être d'imagination, Miguel Bonnefoy, certainement pas !  Le Rêve du Jaguar est dit-on "inspiré de ses ancêtres", je veux bien le croire, mais jusqu'à un certain point...

 En tout cas on suit avec autant d'intérêt que d'amusement la saga de cette lignée qui commence avec un enfant abandonné sur les marches d'une église et recueilli par une mendiante plus pauvre que pauvre et sourde de surcroît ! Il y a des entrées plus faciles dans la vie ! Antonio, l'enfant si mal parti , fera néanmoins son chemin - rocambolesque  - jusqu'à devenir chirurgien de renom; il se mêlera un peu de politique, épousera au passage la femme de sa vie, première femme médecin du Venezuela ... car c'est dans ce pays politiquement remuant que commence l'histoire de cette prodigieuse lignée, partie de rien et arrivée au sommet de sa gloire sans rien perdre de son humanité.  

Plus encore que romanesque, Le Rêve du jaguar est un roman flamboyant, exubérant et pour tout dire, extrêmement délassant. S'agit-il de la vraie famille Bonnefoy ? Bien peu importe ! Privilège de la littérature : le romancier peut se permettre des extravagances qu'un historien ne saurait s'autoriser. 

28 octobre 2025

Soundtrack to un coup d'état

Le film de Johan Grimonprez est un documentaire extrêmement ambitieux, qui, comme son titre le suggère, entremêle musique et politique. Même époque, le tout début des années 60. Mais une multitude de lieux bien que la République démocratique du Congo (ex Congo belge) soit au centre des événements, et surtout, une multitude de personnages ce qui contraint le spectateur à identifier rapidement chacun des intervenants : Eisenhower, Khrouchtchev, le roi Baudoin pour ne citer que les plus connus, qui tous ont eu un rôle à jouer dans l'assassinat de Lumumba. Même défilé de visages et de noms connus du côté des musiciens de jazz, concernés, parce que noirs, par l'émancipation démocratique du Congo et la fin du colonialisme. Il est difficile au début de se retrouver dans le chaos des images, d'autant que le réalisateur a fait le pari de se passer de commentaire en voix off au profit de citations empruntées aux médias autant qu'à la littérature pour accompagner le montage des images. 

Soundtrack est un film qui demande, c'est certain, un effort de concentration au spectateur, surtout s'il n'est pas familier de cette période de l'histoire africaine, mais au final on accepte sans trop de difficulté le parti-pris  du réalisateur, dont le propos n'est pas tant de révéler quelques éléments encore inconnus de l'assassinat de Patrice Lumumba, mais plutôt de montrer les implications des Etats dominants, soucieux avant tout de sauver leurs propres intérêts politiques et économiques. "Globalisation" n'était pas encore un mot à la mode en 1960, mais elle était déjà en marche et le film montre, ce que nous voyons à l'oeuvre chaque jour : l'arrogance des hommes politiques omnipotents qui veulent décider de tout partout et mobiliser à leurs profits les ressources du monde. 


 

26 octobre 2025

Egoist


 Drôle de film dont on ne sait pas bien à quel public il s'adresse. Il est sans doute un peu trop démonstratif sur les relations entre deux homosexuels japonais. L'un est pauvre, l'autre est riche et la relation s'établit d'abord sur un plan vénal et charnel avant d'évoluer vers une relation plus profonde. Après la mort de son amant, l'inconsolé se substitue à lui auprès de sa mère, maintenant ainsi le lien affectif et protecteur qui était le sien dès le départ. Résumé ainsi le film a sans doute l'air intéressant, mais je ne sais pourquoi je n'ai pas vraiment accroché, peut-être simplement à cause du jeu des acteurs à  moins que ce ne soit l'écart culturel...

25 octobre 2025

Carys Davies, Eclaircie

 


J'avais déjà lu un roman de Carys Davies il y a quelques années, et j'avais été séduite par son originalité. Celui-ci est de la même veine, et il est tout aussi dépaysant. 

Le roman vient d'être traduit en français sous le titre Eclaircie, mais comme il était depuis un sacré bout de temps sur ma PAL, je l'ai lu dans sa version originale et je me suis régalée parce que le charme du roman va bien au delà de son résumé : un homme, dont la femme est restée sur le continent, est envoyé sur une île perdue, au Nord de l'écosse pour y déloger l'unique et dernier habitant. La situation est insolite, bien qu'imaginée à partir de faits historiques réels, et l'on avance dans le roman sans savoir où l'écrivaine nous emmène. On apprend peu à peu à connaître les personnages, comme apprennent à se connaître les deux hommes qui ne parlent pas le même langage. On se perd dans des paysages comme seule l'Ecosse peut en présenter : rochers et falaises battus les vents et les vagues; la pluie, le brouillard, le froid; une masure en pierre, un feu de tourbe pour se réchauffer, une soupe au lait pour couper la faim. Une vie à l'écart du monde, mais au plus près de la nature et des personnages "grattés à l'os", c'est à dire débarrassés des préjugés qui nous encombrent. 

Le titre anglais renvoie à l'idée de "clearance" au sens de "liquidation" plutôt que d'embellie météorologique ou de répit, mais peu importe puisque la mission jamais "clarifiée " de John Ferguson auprès d'Ivar et les quelques semaines passées dans la solitude vont permettre aux personnages de refonder leur vie. L'écriture toute en finesses et subtilités de Carys Davies, lui permet de rendre avec précision les changements d'atmosphères, qu'il s'agisse de variations météorologiques et des humeurs des personnages. Et si comme moi vous n'en pouvez plus de ces récits de vie égocentriques dont la littérature française se gargarise, le roman de Carys Davies a de fortes chances de vous plaire.  Le "moi" y tient moins de place que le "tu", et si les listes de mots que John Ferguson s'acharne à transcrire vous paraissent parfois un peu longues, souvenez vous qu'apprendre la langue de l'autre, c'est tout simplement apprendre à le connaître. S'intéresser à l'autre plutôt qu'à soi même ! Enfin !   

24 octobre 2025

Matteo Melchiorre, Le Duc

Le Duc est un gros roman italien qui fait irrésistiblement penser à Umberto Ecco, d'autant que l'auteur est lui aussi un universitaire, historien de surcroit. S'agit-il pour autant d'un roman historique ? Pas vraiment, le présent dans lequel il est situé étant particulièrement flou. En revanche il s'appuie effectivement sur l'histoire d'une famille dont la noblesse remonte jusqu'à la fin du XVe siècle. 

Après l'avoir longtemps négligé, celui que l'on appelle Le Duc revient s'installer sur le domaine de ces ancêtres. Et sans grande surprise se heurte aux villageois qui eux n'ont jamais quitté ce territoire, L'antagonisme entre Le Duc et Fastreda, le meneur, est en réalité un affrontement entre ceux qui possèdent et ceux qui travaillent, ceux qui ont hérité et ceux qui ont gagné le peu qu'ils possèdent "à la sueur de leur front". L'argent sans doute, mais aussi les façons de penser. 

Matteo Melchiore a fait du Duc un personnage étrange et au fond peu sympathique. Tergiversations, revirements : visiblement il ne sait comment se comporter bien qu'il soit le roi de l'introspection. Il est imbu de lui même et plus encore de sa lignée, du hasard qui l'a fait naître dans cette famille sans que ses mérites aient contribué en rien ni à sa fortune, ni à sa réputation. 

Pour donner à son récit un tour plus romanesque et corser un peu l'intrigue, l'écrivain ajoute une femme, une sorte de Pandore qui permettre d'exhumer tous les secrets. 

Matteo Melchiore n'a visiblement pas peur du romanesque et sait comment garder l'attention de ses lecteur quels que soient les détours de l'intrigue. Mais tout au long de ma lecture, je me suis interrogée sur ses intentions : faut-il voir dans cet affrontement entre deux classes sociales, comme une métaphore de notre société actuelle, désormais trop "binaire" pour pouvoir trouver, à défaut d'un terrain d'entente, quelques compromis ? Les références à la noblesse m'ont cependant paru passablement désuètes. A moins de faire référence aux quatre capitaux de Bourdieu ? Au Duc le capital écnomique et symbolique, à Fastreda le savoir-faire et l'insertion dans un milieu social ? Quoi qu'il en soit, Le Duc est un roman qui tranche sur la médiocrité de la production actuelle. Intéressant. 

 

23 octobre 2025

Christine Leteux, Continental films


 Malgré la couverture, très suggestive, Continental films n'est pas un roman, mais un livre extrêmement bien documenté sur une société de production cinématographique financée par l'Allemagne pour tourner des films français pendant l'Occupation. Le livre s'adresse a priori aux cinéphiles convaincus, mais pas seulement, parce que le travail de Christine Leteux porte essentiellement sur les conditions dans lesquelles les acteurs, mais aussi les réalisateurs, scénaristes, techniciens du cinéma ont été engagés et ont travaillé. Chantages, menaces, suspicions, délations : on y découvre toute la palette des compromis (compromissions ?) auxquels ont été soumis les gens du cinéma pendant l'occupation, le milieu faisant office de microcosme pour l'ensemble de la population. Car, si ce qui se passait dans ce milieu est bien documenté (contrats signés, mais aussi procès d'épuration), et bien visible (reportages et photos dans la presse) la même chose se passait certainement dans d'autres milieux peut-être moins documentés et certainement moins visibles. Comment louvoyer entre antisémitisme, lois de Vichy, propagande nazi, lorsque de votre travail à la Continental dépend votre salaire alors que vous êtes sans revenus depuis des semaines ou des mois. Sans assurance chômage et sans sécurité sociale évidemment. Collaborateurs ou résistants se croisent au fil des tournages, le pire côtoie le meilleur. Dans les studios de cinéma, sur les écrans et dans la vraie vie. 

Lire le livre de Christine Leteux sous titré Cinéma français sous contrôle allemand, c'est comme regarder la période de l'occupation avec une loupe, que l'on peut à n'en pas douter poser sur bien d'autres pans de la société. 

 

22 octobre 2025

Deux pianos

Pas simple le film de Desplechin ! D'abord parce que tout est en double :  deux pianos bien sûr et par conséquent deux pianistes et deux choix de carrière, mais aussi deux amants, deux pères potentiels ...  Un parcours pro remis en jeu par un parcours sentimental, et au final un choix à faire, un seul. 

 

La mise en scène, sans cesse coupaillée, avec des séquences brèves et beaucoup de gros plans, reflète sans aucun doute la complexité du scénario, mais elle est malgré tout un peu fatigante visuellement. Qu'il s'agisse pour le réalisateur de suggérer par l'image plutôt que par la parole, les doutes, les scrupules, les tergiversations et pour tout dire les désarrois de la passion,  sans avoir recours à de longs dialogues façon Rohmer, cela se se comprend. Mais ce faisant, il accumule trop de scènes peu crédibles, qui finissent par discréditer l'ensemble. 

Du coup, je me suis tournée vers les deux personnages qui offrent une sorte de contrepoint à l'histoire sentimentale, parce que, contrairement à Mathias et Claude, Elena et Max savent ce qu'ils veulent. Max est l'agent de Mathias, celui qui construit sa carrière; Elena, pianiste de renom, exigeante et passionnée, a tout donné à la musique et a choisi Mathias pour prendre la relève. Les deux acteurs, Hippolyte Girardot et Charlotte Rampling excellent dans leur rôle. Le jeu de Charlotte Rampling, tout en finesse et subtilité, est totalement fascinant.  

21 octobre 2025

Ian Manbook, Gangnam

 

Les romans policiers, ce n'est, pour moi jamais, systématique, plutôt épisodique, parce que je sature vite à trop baigner dans le sang et les armes. Peut-être aussi parce que dans ce genre, plus que dans tous les autres, les clichés abondent. Mais le dernier roman de Ian Manook échappe à l'impression de "déjà lu,  tout simplement parce qu'il se passer en Corée du Sud et plus précisément à Séoul, que l'auteur s'attache à nous faire découvrir, quartier par quartier. Un récit de voyage en quelque sorte, inclus dans l'intrigue policière, avec de nombreux arrêts pour faire le tour de la gastronomie coréenne et des habitudes sociales des habitants de Séoul. Avec, en prime, tout ce que vous voulez savoir ou choix sur les idoles de la K Pop ou les codes de fonctionnement des mafieux. 

Au coeur de l'intrigue, un ex-policier français devenu écrivain de polars, en voyage en Corée avec son épouse qui se fait enlever dès leur premier jour à Séoul ; un ancien flic coréen, infiltré un temps dans un des innombrables gangs mafieux, et une jeune et brillante policière qui, à l'uniforme, préfère des tenues aussi kitsch que kawai. 

L'affaire est sérieuse, la situation dangereuse pour tous;  les combats (armes blanche, armes à feu ou juste à poings nus) sont terrifiants, les fausses pistes, les traquenards, innombrables. Et Gangnam est un bon polar pour se vider la tête. Partir en Corée ? Pourquoi pas : tous les voyages ne sont pas aussi mouvementés que celui de M. et Mme Verneuil ! 



20 octobre 2025

Wanda

Unique film de Barbara LodenWanda est un bijou de cinémathèque. Un film pourtant déroutant. Parce que, même replacé dans le contexte de l'époque, le personnage principal est lui-même ... déroutant, voire perturbant. 

Wanda est une femme à la dérive : mariée, deux enfants, elle arrive en retard au tribunal qui doit acter son divorce, ne réclame pas la garde de ses enfants "ils seront mieux avec lui".  On la retrouve errant dans la ville, sans but, et bientôt sans argent lorsque son sac lui est volée; elle  traîne, regarde les vitrines, suit, jusque dans son lit, le premier homme qui lui propose un repas, un café... Elle n'a ni projet, ni regret, indifférente à tout et pas même en colère ou désespérée. Sa dérive ne s'arrête que lorsqu'à la suite d'un hold up manqué dans laquelle elle a été entraînée, elle se retrouve condamnée à 20 ans de prison. Soulagée. 

Même replacée dans son contexte historique, ce personnage est difficile à comprendre. Elle est tout sauf une rebelle, tout sauf une battante. La littérature américaine est pleine d'anti-héros, le cinéma un peu moins. Il n'est pas certain  d'ailleurs que Wanda s'inscrive dans cette tradition. On pense à Cléo dans le film de Varda (1962), dont l'errance avait cependant une raison précise, ou à la solitude de Mabel dans Une femme sous influence de Cassavetes (1974).

Quand le film de Barbara Loden sort en 1970, on est en pleine "deuxième vague féministe" et Wanda joue, me semble-t-il, le rôle de contre-modèle, celle à qui on ne veut pas ressembler. Epouse d'Elia Kazan, plutôt bien intégrée dans le milieu hollywoodien, la réalisatrice joue elle-même le rôle de Wanda, mais situe son personnage dans un milieu social et un décor - celui du délabrement industriel de la Pennsylvanie - qui pourrait expliquer à lui seul le malaise du personnage. En incluant le film dans un cycle sur la folie, la cinémathèque de Grenoble penche plutôt vers une interprétation clinique : neurasthénie, mélancolie, cette maladie si souvent attribuée aux femmes. Par facilité. Pour ne pas avoir à penser à la place de la femme dans la société. Et surtout pour ne pas avoir à remettre cette place en question. Féministe ou pas, Wanda est un film qui interroge.