Iran, Afghanistan, Turquie, Russie ... au coeur de mes lectures récentes. Et une question qui me taraude : Où se situe la frontière entre la littérature et le témoignage, entre le roman et l'essai, comme d'ailleurs entre le cinéma et le documentaire ? Pourquoi l'un plutôt que l'autre ? Où commence la littérature, où s'arrête-t-elle ?
La réponse est peut-être simple : ne s'agit-il pas tout simplement du retour du "roman à thèse", cette version vilipendée du "roman à idées" ou "roman engagé. Je sais bien que le hasard tient une grande place dans le choix de mes lectures, mais force est de constater que beaucoup de livres récents sont écrits par des journalistes (Mikhaïl Chevelev, journaliste russe, Delphine Minoui, journaliste française, AliyehAtaie, activiste féministe iranienne). Leur formation leur permet d'être bien informés, de parler de façon crédible de leur sujet, et de manier la plume avec une certaine aisance. Les causes que ces auteurs défendent sont irréprochables et on ne peut critiquer ni leur engagement, ni leur volonté de mettre leur talent au service de cet engagement. D'autant qu'ils n'ont souvent pas d'autres choix. Un article dans un journal, un essai les mettrait certainement en difficulté, voire en danger. La fiction leur permet d'en dire plus et leur sert de bouclier - fragile il est vrai - contre la censure et la répression : les personnages dont ils parlent sont inventés, inventés aussi leurs agissements. Dans la fiction, cet art de feindre, rien n'est vrai. On ne peut donc accuser l'auteur. Mais le lecteur n'est pas dupe et sait parfaitement décoder.
Recourir au roman, plutôt qu'à l'essai, a un autre avantage : il permet de toucher un public plus large De trouver d'autres lecteurs que les intellectuels dévoreurs de presse. Un essai intimide plus qu'un roman. Et lorsqu'on a une cause à défendre, autant qu'elle soit connue d'un maximum de personnes. Elle doit être divulguée, au sens propre du terme. Transmise au peuple et accessible à tous. Bien des écrivains et des plus illustres ont eu recours au roman pour propager leur vérité : Hugo, Zola, Camus ... pour n'en citer que quelques uns.
Oui mais voilà. N'est pas Hugo, Zola ou Camus qui veut. Et la littérature n'est pas seulement un outil au service d'une cause, si noble soit-elle. Elle est plus que cela. A vrai dire je ne sais pas exactement ce qu'elle est et je serai bien en mal de la définir. Mais je sais ce qu'elle n'est pas : elle n'est pas le papier autour du bouquet, elle n'est pas le cadre autour du tableau, ni le maquillage sur le visage. Elle n'assène pas sa leçon, elle la laisse entendre. Elle n'explique pas, elle amène à réfléchir. Elle ne propage pas une vérité, mais elle fait confiance à l'intelligence du lecteur.
L'Alphabet du silence, La Frontière des oubliés, Le Numéro Un, sont à mes yeux, de bonnes lectures. Pas tout à fait de la littérature.
"Dans le « roman à thèse » au sens étroit, la structure romanesque n'est
pas commandée par la dynamique interne du roman, mais par une démarche
intellectuelle qui lui est extérieure et dont le roman apparaît comme
l'illustration ou la démonstration." Encyclopédie Larousse de la littérature.
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