15 octobre 2010

Pueblo revival

Santa Fe est non seulement la ville de l'adobe, mais c'est la ville du "Pueblo revival".
On parle ici de Pueblo revival comme on parle dans le Sud de Greek revival, qui est encore plus aberrant mais constitue bien une caractéristique de l'architecture de la Louisiane ou de l'Alabama comme le Pueblo revival constitue la caractéristique architecturale de Santa Fe et du Nouveau-Mexique en général. Pour ma part j'aime bien, mais je conçois qu'on s'en irrite.

Tout a commencé, semble-t-il au début du XXe siècle avec la création du musée d'art de Santa Fe.
Le fondateur du musée est un certain Edgar Lee Hewett, originaire de l'Illinois qui ne serait sans doute jamais venu à Santa Fe si sa femme n'avait été atteinte de tuberculose : climat chaud et sec, voilà le seul remède que l'on connaissait alors, capable tout au plus de retarder l'échéance, pas d'éliminer la maladie. Toujours est-il qu'une fois installé dans la région Edgar Lee Hewett découvre les ruines préhistoriques du canyon de Frijoles, se passionne pour l'archéologie au point de préparer et d'obtenir un doctorat d'anthropologie de l'Université de Genève, au point surtout de se lancer dans une campagne auprès des hommes politiques de Washington pour qu'ils signent l'Antiquities Act, un décret qui simplifie les procédures visant à protéger les sites archéologiques jusque-là pillés sans scrupules.
Edgar L. Hewett avait aussi à coeur de retrouver les savoir-faire oubliés, en particulier dans le domaine de la poterie et c'est à lui que l'on doit la renaissance de l'artisanat indien.

Le musée est ouvert en 1909, dans les salles du Palais du Gouverneur, qui se révèlent vite trop petites. En 1915 Hewett fait appel aux architectes Rapp et Rapp - qui venaient de construire le bâtiment du Nouveau-Mexique pour l'exposition Panama-California de San Diego - pour construire le musée de Santa Fe. Isaac Rapp et son frère William étaient originaires de l'Illinois, comme Hewett. Pure coïncidence ? En tout cas, il est impossible de savoir qui, des architectes ou du directeur de musée a orienté les choix architecturaux : réutilisation des matériaux et des formes utilisés dans la construction des anciens pueblos (Taos, Acoma, Zuni etc...).
Achevé en 1917, le musée est le premier bâtiment représentatif du Pueblo Revival.

L'arrière du musée, photo prise le seul jour où il a plu ! Plu des trombes !

Pas besoin d'être architecte pour repérer les caractéristisques du Pueblo revival : murs en adobe, angles arrondis, toits plats, poutres de soutien apparentes qu'on appelle "vigas", ouvertures étroites...




















Ajoutez un porche couvert, et, visibles seulement à l'intérieur, des "latillas", sorte de lambris placés (souvent mais pas toujours) en diagonales ente deux poutres ainsi qu'une "kiva", une cheminée en forme de ruche placée dans un angle et vous avez votre "pueblo revival house"



















Mais l'histoire ne s'arrête pas au musée. En effet c'est à un autre architecte que l'on doit le succès de ce Pueblo Revival. John Gaw Meem, s'apprêtait à mener une banale vie de banquier, mais la tuberculose a changé la donne. Envoyé lui aussi à Santa Fe pour se soigner, il arrive en 1920, tombe amoureux de la ville et plus encore de ses bâtiments; il n'a dès lors de cesse de préserver ceux qui peuvent l'être et d'en construire d'autres dans le même style. Après avoir brièvement étudié l'architecture à Denver, il s'installe définitivement à Santa Fe et ouvre un cabinet d'architecture; à son actif on porte la rénovation de La Fonda, le plus vieil hôtel de la ville, la bibliothèque Zimmerman sur le campus de l'Université dont il restera l'architecte officiel jusqu'à sa retraite. Champion du régionalisme, très attaché au Pueblo revival, Meem a usé de toute son influence pour faire voter la loi de 57 : the city historical zoning ordinance. En fait il ne s'agissait pas seulement d'une loi destinée à protéger les bâtiments historiques, mais d'une ordonnance qui régissait - en détail - toute construction nouvelle.

"This influential law ensured that all future buildings in central Santa Fe would adhere to the vernacular idioms and materials of the old quarter. Allowable design specifications were spelled out in considerable detail, guiding the development of the downtown for decades. With this, the city led the way toward sensitive preservation of historic districts throughout the United States."

Voilà pourquoi, Santa Fe est la ville de l'adobe. Pas un bâtiment qui n'ait la couleur de l'adobe, à défaut d'en avoir la consistance. Pas un bâtiment qui ne ressemble étrangement au bâtiment d'à côté ou à celui d'en face. Principe de cohésion. Principe d'uniformité. Principe de répétition. Infimes variations. Same, same but different ? A peine.


Le résultat ? C'est joli, très joli. Photogénique aussi. Et séduisant. Reposant. Les maisons sont basses, un deux étages au maximum. Rien ne vient heurter le regard. C'est un milieu préservé, où ni le verre ni l'acier, ni le béton ni la pierre n'ont droit de cité. Mais pour les architectes que de contraintes ! Sans la compensation de la créativité !
Pour les amoureux de New York, Chicago, Tokyo ou Berlin, Santa Fe est une aberration, au mieux un joli décor de cinéma. D'autant que d'adobe véritable il n'est plus question depuis longtemps. Ce qui importe, c'est la couleur du revêtement, son aspect : ça doit ressembler à de l'adobe, même si ça n'en est pas ! Mais pour ceux qui hurlent devant la transformation de Pekin, Santa Fe est un modèle à suivre. Pueblo revival et Hutong, même combat ?

Un article du Santa Fe-New Mexican qui date de 2007 évoque les polémiques que cette ordonnance a pu faire naître. Je l'ai trouvé très éclairant.
Pour ma part, incapable de trancher, je demande un joker ! Touriste lambda, j'ai aimé me promener dans les rues de Santa Fe, j'ai aimé l'impression d' harmonie qui s'installe peu à peu. Je n'ai pas eu le temps de me lasser. Mais j'ai toujours préféré le chaos de Rome à la belle ordonnance de Florence. Alors....

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