09 novembre 2013

Les romans "canada dry"

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 « Ça ressemble à l’alcool, c’est doré comme l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool »


JOËL DICKER, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert


Le succès de ce roman dans la presse a été immédiat ; pas de journal, pas de revue littéraire, pas de magazine qui ne l’ait mentionné, le plus souvent de façon élogieuse : « un coup de maître »,  « un roman vertigineux », « verbe efficace, construction virtuose et sens du suspense épatant ». La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert , le roman de Joël Dicker est présenté, à juste titre, comme un « thriller à l’américaine » parce qu’il accumule les péripéties et les rebondissements de façon à toujours suspendre l’intérêt du lecteur, il multiplie les hypothèses sur la disparition de la jeune Nola et fait de chacun des habitants de cette petite ville du New Hampshire un coupable potentiel, tout en peaufinant  la description des lieux et des personnages pour accentuer l’effet de réel. C’est incontestablement un livre habile qui joue en virtuose des mises en abîme puisque le narrateur principal Marcus Goldman est un écrivain en mal d’inspiration qui, sous prétexte de venir au secours de son maître en littérature, l’écrivain Harry Québert, accusé de meurtre, phagocyte totalement son histoire. Le roman superpose ainsi plusieurs niveaux de réalité - ce qui s’est passé le jour de la disparition de Nola et dans les mois qui ont précédé sa disparition, ce qui se passe 30 ans plus tard lorsque Marcus Goldman entreprend son enquête – auxquels s'ajoutent les récits fictifs qui en ont été faits (le roman écrit par Harry Québert) ou qui sont en cours d’élaboration (le roman  de Marcus Goldman.)
Le résultat est un roman qui fonctionne effectivement comme un thriller, mais qui met constamment l’accent sur sa fabrication. Y compris sur les rapports de force qui s’établissent entre l’écrivain, son agent et l’éditeur.

TANGUY VIEL, La Disparition de Jim Sullivan
Quelques mois plus tard, un petit roman français reçoit à son tour l’éloge de la critique parce qu’il joue, lui aussi,  avec les codes du roman américain. Le projet est a priori séduisant et l’on se dit que l’on aura, pour le même prix, le roman ET le « making of » du roman. Le premier chapitre confirme l’intention ; le narrateur las d’une littérature « trop statique, trop pétrifiée » dans laquelle il s’englue décide que « l’histoire entière de [son] prochain livre se déroulerait là-bas, aux Etats-Unis. Et plus précisément à Detroit dans le Michigan."
La déception est à la hauteur de l’attente, car en fait, tel un gamin qui ne pense qu’au conditionnel : « on ferait ça, on irait là, on dirait ça…. » Tanguy Viel, par l’intermédiaire de son narrateur, ne rédige que le « making off » ou plutôt le mode d’emploi d’un roman jamais écrit. Certains passages sont assez drôles, quand l’auteur se moque gentiment du succès de certains écrivains du Montana comme Jim Harrison ou Rick Bass « Même dans le Montana, même avec des auteurs du Montana qui s’occupent de chasse et de pêche et de provision de bois pour l’hiver, ils arrivent à faire des romans qu’on achète aussi bien à Paris qu’à New York. » On apprécie l’ironie, mais au final, ce qu’on a entre les mains c’est un exercice de style de plus. Un roman bien français donc.

Le rapprochement de ces deux romans n’est peut-être que pure coïncidence, mais il interroge parce que d’une certaine façon, il permet de mettre le doigt sur l’idée que l’on se fait d’un roman américain et d’un roman français.
Un roman américain est un roman où on respire, où il y a de l’action, du mouvement, de l’espace alors que la littérature française est, aux dire même de Viel,  « statique » « pétrifiée »
Il est vrai que la littérature française, depuis les années 60 s’est désintéressée de l’intrigue et parfois même des personnages  au profit du « savoir écrire » d’une part et de l’introspection autobiographique d’autre part. Avec le Nouveau Roman, il était soudain indécent de raconter des histoires et, selon la formule de Ricardou, la mode n’était plus à « l’écriture de l’aventure mais à l’aventure de l’écriture. » 
Joël Dicker et Tanguy Viel  font semblant d’écrire un roman américain, mais ils le font sans conviction et même, me semble-t-il, avec un peu de dérision pour ne pas dire du mépris. Ils ont repéré les clichés, les stéréotypes qui caractérisent les romans américains et les utilisent, avec brio, mais sans jamais se faire oublier. Au lieu de s’effacer derrière leurs personnages, ils déplacent l’attention du lecteur de la fiction à la mise en œuvre de la fiction. Au lieu de regarder le monde autour d’eux et d’en rendre compte, ils se regardent dans un miroir, en train d’écrire.  
Or ce qui m'intéresse dans la littérature, c'est ce qu'elle m'apprend du monde, c'est sa capacité à me faire vivre des vies autres que la mienne. L'angoisse de l'écrivain devant la page blanche ou sa virtuosité à jouer avec les figures de la langue et les ficelles du roman ne m'intéresse que modérément. Voilà pourquoi, aux romans français je préfère souvent les romans américains, ou argentins ou indiens ou japonais ou ...

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