Tracy Chevalier s’est fait
une réputation avec son deuxième roman, La
Jeune fille à la perle (1999) et le film que Peter Webber en a tiré. Le
fait que Scarlett Johansson ait tenu le rôle principal n’est sans doute pas
anodin. Mais j’avoue avoir négligé le
livre puisque j’avais vu le film, comme j’ai négligé les 4 suivants qui tous se
passent en Angleterre où l’écrivain s’est installée depuis 1984. Son dernier
roman néanmoins semble indiquer un retour vers ses racines américaines ; elle
est en effet diplômée de l’Université d’Oberlin, une petite ville du Nord de
l’Ohio, dont elle a fait le cadre de son roman.
La dernière fugitive, 2013
The Last Runaway, 2013
Le roman débute en Angleterre. Honor Bright, une jeune
quaker anglaise, vient de décider sur un coup de tête (et une peine de cœur) de
suivre sa sœur qui doit s’embarquer pour l’Amérique où l’attend son futur
époux. Le voyage commence mal car Honor souffre du mal de mer pendant toute la
traversée et sa sœur meurt peu après leur arrivée sur le nouveau continent.
Elle poursuit donc seule son voyage, est momentanément hébergée par une modiste
excentrique avant de rejoindre le foyer de son ex-futur-beau-frère, un foyer où
elle n’est pas vraiment bienvenue. Auparavant elle aura croisé le chemin d’un
chasseur d’esclave, Donavan, le méchant du roman.
La dernière fugitive est sans doute un roman historique, mais c’est avant
tout un roman « romanesque » comme le laissent supposer la série de
péripéties qui ponctuent les premiers chapitres. Quant au dernier chapitre, il
laisse très habilement la place à une éventuelle suite. Une suite qui ne fait
peut-être pas partie des projets de l’auteur mais que le lecteur peut s’amuser
à imaginer.
La dernière
fugitive est un roman qu’on lit avec
plaisir et intérêt parce qu’il est, mine de rien, très documenté, et que
l’auteur parvient à construire son roman en assemblant des éléments
hétéroclites qui, comme les petits bouts de tissus d’un patchwork lorsqu’ils
sont bien assemblés, finissent par former un ensemble harmonieux. Ainsi, en
suivant Honor Bright, on apprend beaucoup de choses sur l’immigration
américaine et sur le mode de vie des fermiers de l’Ohio, sur les mœurs et les
croyances des Quakers, pour qui la vie matérielle compte bien peu au regard de
la vie spirituelle, et sur … la fabrication des quilts, ces couvertures
matelassées qu’en France on appellait « centons ». Or, en matière de quilt, il existe de grandes
différences entre l’Angleterre et l’Amérique.
Ici on assemble les pièces, là on les applique. ; ici on utilise
toute la palette des couleurs, là on se limite au rouge et au vert. On voit bien à quels dilemmes Honor, la jeune
fille du roman, est confrontée : elle est anglaise, les façons de faire
américaines lui sont étrangères, lui faudra-t-il s’y soumettre pour être
acceptée ? Quelle est la part de son passé, la part d’elle-même qu’elle
pourra préserver ? S’intégrer, se faire accepter, est-ce nécessairement
renoncer ? Sans en avoir l’air, le roman de Tracy Chevalier ouvre la porte
à des réflexions plus grave qu’on ne s’y attendrait. Honor en effet ne tarde
pas à comprendre que Belle, la modiste qui l’a hébergée à ses débuts, héberge
occasionnellement des esclaves fugitifs : elle appartient en fait à un
réseau d’activistes du « chemin de fer clandestin». L’Ohio a une frontière
commune avec le Canada, pays non esclavagiste et les Noirs sont nombreux à
tenter leur chance! Le s Quakers croient à l’égalité de tous les êtres humains,
mais favoriser la fuite d’un esclave est, dans ces années là, contraire à la loi. Suivre sa conscience ou obéir à la loi ?
Aider les fugitifs et mettre en péril sa famille ou fermer les yeux sur les
injustices et le malheur des autres pour protéger son mode de vie ?
Confrontée à tant de choix antagonistes, Honor n’a que son silence pour
s’opposer à ceux qui la somment de choisir son clan. Un silence très
provisoire...
Suffisamment intéressée par
le roman pour aller chercher un complément d’information, j’ai découvert le
site de Tracy Chevalier, qui très
généreusement dévoile ses sources d’inspiration, photos à l’appui, ainsi que ses références bibliographiques. Ce
qui laisse à chacun la possibilité de poursuivre son chemin sur la voie qu’elle
a tracée.
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