29 mai 2023

L'amour et les forêts

Que le film de Valérie Donzelli soit bien fait et qu'il soit  utile, je ne le conteste pas. Les acteurs, Virginie Efira et Melvil Poupaud sont parfaits, chacun dans son rôle,  et la démonstration est implacable : il s'agit bien d'une relation toxique qui aboutit inévitablement à la violence physique et le film montre clairement comment opère l'emprise psychique, cette façon doucereuse d'emprisonner une femme en lui faisant croire que l'amour justifie tout. 

Bien fait, utile donc. Mais voilà, je n'aime pas plus les films à thèse que les romans à thèse.

28 mai 2023

l'Odeur du vent

 

Pas sûr que le film de Hadi Mohagheg obtienne le nombre de spectateurs qu'il mérite parce que son tempo n'est pas celui de l'Occident :  c'est un film lent, très lent, mais une fois qu'on a pris le rythme, qu'on s'est inscrit dans cette durée, le film prend toute sa force. Et l'on est rapidement sous le charme. 

Sous le charme des paysages iraniens admirablement cadrés, paysages arides, rocailleux le plus souvent , vides surtout de toute habitation. On pense inévitablement à Kiarostami et on se dit que ces paysages parfois austères, parfois très doux,  ressemblent aux premiers matins du monde, ou plutôt de l'humanité. Mais c'est d'électricité qu'il s'agit et d'un ingénieur qui vient tenter de réparer la panne. qui met en difficulté un infirme et son fils.  Le film devient alors odyssée car la recherche de la pièce manquante est loin d'être facile et il faut toute la ténacité de l'agent de la compagnie électrique pour affronter et surmonter sans faillir tous les obstacles qui font de sa journées et de la suivante un véritable chemin de croix. Le temps desormais ne compte plus parce que l'accumulation des péripéties crée un véritable suspens, sans que l'on puisse jamais anticiper sur la prochaine. L'attention se porte alors sur le véritable sujet du film, la raison pour laquelle l'homme poursuit sa mission  et qui tient en peu de mots : générosité, altruisme, humanité. Une humanité partagée avec tous ceux qui l'aident sur son chemin, ou à qui lui même vient en aide.  

L'odeur du vent est un film presque sans parole en dehors des salutations ou des questions purement fonctionnelles pour localiser la douille susceptible de remplacer la pièce défaillante. Parce que la bonté - oui le terme paraît presque désuet - se passe de discours et n'attend pas de remerciements. Le film de Hadi Mohagheg est certainement le film le plus profond et le plus émouvant que j'ai vu récemment. C'est un film lumineux, c'est un film d'espoir.


27 mai 2023

Donatella Di Pietrantonio, Borgo Sud

Un roman plutôt bien fait, mais qui ne m'a pas emportée, sans doute parce qu'en dehors de la relation souvent tumultueuse entre deux soeurs qui tient un peu du cliché - vierge folle et vierge sage - il ne se passe pas grand'chose dans le roman. Même le divorce pour cause d'homosexualité paraît une trouvaille un peu facile, genre thème à la mode dont il convient de parler, comme d'ailleurs de la violence contre les femmes. 

Sait-on jamais pourquoi un roman séduit ? Pourquoi l'on s'attache - ou pas - à des personnages? Faut-il qu'ils nous ressemblent ou au contraire qu'ils soient très différents de ce que nous sommes. Faut-il nécessairement une intrigue, des péripéties ? Ce n'est apparemment pas ce roman qui permettra de répondre à ces questions, un roman qui tient peut-être plus de la chronique que du roman proprement dit. Et c'est sans doute là que le bât blesse.

" Si vous aimez Elena Ferrante, vous aimerez Donnatella di Pietrantonio." écrit Alix Girod de l'Ain  dans Elle. Et voilà comment on tombe dans le piège des algorithmes. "La vie de deux amies issues d'un quartier pauvre de Naples au début des années 1950. " voilà pour  L'Amie prodigieuse.  Remplacer "amies" par "soeurs", "Naples" par "Pescara", changez la date .... Et vous voilà confiné  à votre petit cercle de confort, avec la fâcheuse impression de lire toujours le même livre. 

23 mai 2023

Imagination


 "Je fuis comme la peste l'autofiction/ A trop parler de soi, on oublie d'imaginer. Et que devient la littérature si le souffle de l'imagination ne bouscule pas le lecteur. "

Mathieu Belezi in Attaquer la terre et le soleil


18 mai 2023

Philippe Castelneau, Motel Valparaiso

  

 

Un livre qui comprend Motel dans son titre et propose sur sa couverture, une route qui va droit vers l'infini (très plat l'infini!)  donne immédiatement envie de boucler sa valise. Motel Chronicles, Motel life, Motel Blues ... Hit the road Jack !

Mais si le roman de Philippe Castelneau commence bien par un road trip et une virée dans le désert californien, il devient vraiment intéressant lorsque le narrateur s'arrête dans la petite ville de Cevola et prend une chambre au motel Valparaiso tenu par un vieil homme solitaire et légèrement excentrique. Dans la tête du lecteur, comme dans celle du narrateur, naît peu à peu l'idée que le vrai voyage n'est pas dans le déplacement, mais dans l'immobilité. Le moment où on prend le temps de s'arrêter pour regarder les paysages autour de soi mais aussi les gens, pour écouter les histoires qui se racontent, pour prendre le temps de sentir le temps passer et se figer.... 

Pas beaucoup plus d'une centaine de pages pour ce roman, juste ce qu'il faut pour rêvasser et se poser quelques questions  ...

17 mai 2023

Chien de la casse


 Ils sont amis depuis la 6e et traînent leur ennui dans un petit village de la France rurale où il n'y a pas de travail et il ne se passe jamais rien ou presque. Le casting est parfait avec un Raphael Quenard (Mirales) en mec sûr de lui, tchatcheur de première, dominateur. Et Anthony Bajon (Dog) en ami introverti toujours prêt à s'écraser devant les vannes de l'autre. Le réalisateur, Jean-Baptiste Durand commence par installer dans son film,  cette relation passablement toxique entre les deux jeunes avant de montrer comment elle évolue lorsque survient un élément perturbateur, en l'occurrence une fille. Les trajectoires amicales sont parfois aussi compliquées que les trajectoires amoureuses ! 

L'étude psychologique est certes au coeur du film, mais en faisant évoluer au second plan d'autres jeunes, qui comme Mirales et Dog se retrouvent tous les soirs sur la place du village pour boire une bière, le réalisateur élargit son propos qui mine de rien prend une dimension sociologique. Quel est l'avenir de ces jeunes, sans grande qualification et parfois sans aucun projet de vie ? Lesquels s'en sortiront , lesquels s'enfonceront ? 

Chien de la casse est le premier film de Jean-Baptiste Durand. Pour un coup d'essai c'est plutôt réussi. Une voix nouvelle dans la cinéma français et surtout une voix qui a quelque chose à dire.


16 mai 2023

Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, Bruxelles

Celui-ci je ne l'ai pas vu au cinéma - bien que sa version restaurée soit actuellement proposée en salle - et je m'en félicite car le format du film ne s'accommode pas si mal de l'écran télé, et j'ai pu prendre le temps nécessaire, sans (trop) me lasser pour le regarder. Car 3h17 ce n'est pas rien; en revanche, jusqu'aux dernières minutes du film il ne se passe rien ou pas grand chose. 

Comment parler de ce film qui constitue, en réalité une vraie expérience cinématographique avec un dispositif scénique très particulier puisque toutes les scènes d'intérieur  - et elles sont majoritaires  - sont filmées en plan fixe avec des cadrages identiques selon les pièces, cuisine, salle à manger, couloir, salle de bain. La caméra ne suit pas les personnages, ce sont les personnages qui entrent dans le champ ou en sortent. Effet huis-clos garanti avec en prime une forte impression d'enfermement. Physique et psychologique. Au commencement le procédé est assez lassant, l'ennui pointe; il devient peu à peu fascinant parce que, ce que Chantal Ackerman filme, c'est le quotidien d'une femme de 40 ans, vouée à la répétition des tâches ménagères accomplies comme autant de rituels. Chaque jour, dans le même ordre, la fenêtre à ouvrir, le lit à faire, la gazinière à allumer, les pommes de terre à éplucher et à faire cuire, le couvert à mettre, les leçons à faire réciter parce que la vie de l'adolescent qui habite l'appartement est aussi ritualisée que celle de sa mère. 

La lenteur de la première heure - qui correspond à peu près à la première journée - et la banalité des gestes accomplis font craindre le pire; lorsque commence la deuxième journée, le risque est de se dire, non, ce n'est pas possible, on ne résistera pas à l'ennui. Mais c'est à ce moment en fait que tout bascule. Parce qu'en fait, on cherche à comprendre, on s'interroge sur les motivations de la réalisatrice, on fait des hypothèses. S'agit-il d'une étude clinique sur un cas de ... psycho-rigide elle l'est certainement, mais pourquoi ? des TOC ? certainement aussi et l'on peut s'amuser du nombre de fois où elle appuie sur l'interrupteur, allume, éteint, revient en arrière parce qu'elle a oublié d'éteindre ... économies d'électricité sans doute mais encore ? Et puis, de façon presque inaperçue, certains gestes diffèrent, à peine, très légèrement et l'on comprend que l'équilibre psychologique de cette femme ne tient peut-être qu'à l'exacte répétition des heures et des jours. Les clients - car oui, Jeanne Dielman se prostitue et reçoit un client chaque après-midi, celui du mercredi, celui du jeudi.... et l'argent ainsi gagné finit toujours de la même manière, dans la soupière où elle vient puiser pour acheter les provisions ou donner de l'argent de poche à son fils. Une organisation infaillible, un ordre immuable, jamais une émotion ne traverse le visage de Delphine Seyrig, totalement engagée dans ce rôle à contre-emploi.  Rien ne semble pouvoir la perturber, pas même les pleurs du bébé que la voisine lui confie. A ce moment du film, toute lassitude, tout ennui à disparu parce que l'on pressent que l'équilibre de cette femme ne tient qu'à un fil, et qu'un décalage dans la cuisson des pommes de terre risque de la mettre en péril. 

La banale chronique des travaux et des jours d'une ménagère lambda des années 70, évolue imperceptiblement mais inéluctablement vers une tragédie qu'il reste à expliquer ou plutôt qu'il reste à comprendre parce que la réalisatrice n'explique rien, elle montre. A chaque spectateur de trouver l'explication qui lui convient. 

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce pour employer son titre complet est un film hors du commun. Il est sorti en 1975 et je n'ai retrouvé que peu de critiques sur la façon dont il a été reçu à cette époque: « Premier chef-d'œuvre au féminin de l'Histoire du cinéma » selon Le Monde.  (Une remarque au passage : l'article de Wikipedia en anglais est plus complet à ce sujet que l'article en français !). Il a été récemment été nommé par une revue anglaise "meilleur film de tous les temps". Je n'irai peut-être pas jusque là, mais je l'ai trouvé extrêmement intéressant à la fois par ses choix stylistique et par son sujet. J'imagine qu'il n'est pas perçu de la même façon par les hommes et par les femmes, et que les féministes d'aujourd'hui ne le voient peut-être pas comme les féministes des années 70. Quoi qu'il en soit, je vois dans l'attention qu'on lui porte en ce moment, le signe prometteur d'une réflexion sur la condition féminine qui va bien au-delà d'une simple passade esthétique.


 


14 mai 2023

Disco boy

Disco boy est le premier film de Giacomo Abbruzzese. D'un premier film il a les qualités, la fougue, l'inventivité, l'originalité. Il en a peut-être aussi les défauts, en particulier celui d'en faire un peu trop : la traversée des frontières par deux migrants biélorusses dont l'un n'atteindra jamais l'autre côté, l'entrée du survivant dans la légion étrangère, l'entraînement, une première mission en Afrique et l'affrontement avec les guerriers-écologistes du Mouvement d'émancipation du delta du Niger.  Film social, film écolo, film de guerre, à vrai dire le spectateur ne sait plus trop quel fil saisir d'autant que le film bascule du réalisme au fantastique, tendance surnaturel, avec une séquence, assez époustouflante il est vrai, qui transforme un combat dans la jungle avec caméras à infra-rouge, en jeu vidéo. 

Je suis sortie du film avec l'impression d'être passée à travers une centrifugeuse, mais déjà curieuse de savoir ce que Giacommo Abbruzzese fera de son deuxième film et de voir Franz Rogowsk, qui tient ici le rôle principal, dans une autre film.


13 mai 2023

Gwenaelle Abolivier, Tu m'avais dit Ouessant

 


Voilà un petit texte agréable à lire, mais qui sent un peu trop l'exercice d'écriture, ou plutôt la résidence d'écriture qui a permis à l'autrice de passer 3 mois d'hiver à Ouessant. C'est donc de l'île, du sémaphore, du phare de Créac'h, des tempêtes et bien sûr des insulaires qu'il est question dans ce livre qui hésite entre documentaire et poésie, journal de bord et chronique de solitude. Suffisamment plaisant en tout cas pour donner au lecteur une furieuse envie d'enfiler des bottes et un ciré pour aller arpenter les sentiers de l'île.

11 mai 2023

About Kim Sohe

About Kim Sohe est un film en deux temps qui commence par un portrait de la jeune Kim Sohe, une lycéenne de 17 ans. Portrait indispensable pour comprendre la suite parce que Kim Sohe peu après intègre un centre d'appel où elle est chargée de répondre aux clients qui veulent résilier leur abonnement et de les détourner vers de nouveaux engagements, de nouveaux abonnements. Harcèlement à tous les étages : les clients, les employés, les chefs de centres eux-mêmes mis en compétition avec les autres centres.  Pour survivre dans ces conditions, il n'y a que deux solutions, résister ou se soumettre. Or Kim n'est pas du genre à se soumettre facilement, c'est une dure à cuire, que l'on a vu, dans la première partie, répéter 100 fois le même pas de danse, affronter des jeunes gens prétentieux et les renvoyer à leur médiocrité. Et pourtant... la suite de l'histoire, c'est une jeune enquêtrice de police qui s'en charge ; elle est aussi tenace, aussi entêtée que Kim Sohé et doit, elle aussi, affronter une direction toute prête à mettre le couvercle sur ce qui dérange. Car au final, ce ne sont pas seulement les conditions de travail dans une entreprise lambda qui sont en cause, mais c'est bien la responsabilité de tout un système, éducatif, économique, politique qui est mis en accusation. 

About Kim Sohe est le deuxième long métrage de July Jung, après A Girl at my door, avec la même actrice, Doona Bae, déjà dans un rôle de policière. July Jung est certainement une réalisatrice à suivre ! Redoutablement efficace et engagée !



10 mai 2023

The quiet girl

Une gamine en trop dans une famille trop nombreuse d'autant que la mère est à nouveau enceinte et le père bien peu responsable : Cáit est accueillie, le temps d'un été chez sa tante et son mari. La campagne irlandaise, la vie à la ferme, pour l'enfant, tout est découverte, mais le grand changement, le grand bouleversement c'est l'attention et l'affection qu'on lui porte. Dans sa famille d'origine, on a juste pas le temps, et trop de difficultés auxquelles il faut faire face. A la ferme, elle est l'enfant unique. Et les fins de mois sont moins difficiles. Et puis surtout il y a un manque affectif, une absence à combler...

Le film de Colm Bairéad est un film lent et pudique qui cerne au mieux les émotions et les non-dits. Au spectateur de comprendre à demi-mots, de se laisser porter par les allusions. Un vrai film de cinéma qui compte avant tout sur les images pour dire, avec beaucoup de finesse, ce qu'il a à dire. La jeune actrice est assez bluffante. Peu d'éclats, juste une attitude, et surtout un regard, pas particulièrement tendre, porté sur le monde adulte. Un beau film vraiment.


 




09 mai 2023

Delphine Minoui, L'Alphabet du silence

 

 

 Encore un livre qui appelle à la réflexion, sur la Turquie bien sûr et les abus de son pouvoir politique, mais aussi sur la fonction de la littérature. 

Le roman de Delphine Minoui met en scène un couple d'intellectuels turcs, Göktay et Ayla, tous deux enseignants à Istanbul dans des universités différentes. Göktay, très engagé contre les abus du pouvoir a signé une pétition et se retrouve rapidement en prison où il engage une grève de la faim. Ayla moins politisée que son époux et plus préoccupée par son rôle de mère prend peu à peu conscience de la situation et s'active pour faire libérer son mari. C'est cette prise de conscience tardive et l'engagement progressif du personnage qui constituent me semble-t-il, l'essentiel du roman. Götkay est d'emblée présenté comme un héros; Ayla incarne juste une femme ordinaire, centrée sur sa famille plus que sur la politique mais que la politique rattrape et contraint à prendre position et à agir. 

Le roman est bien construit, agréable à lire, émouvant et de toute évidence  bien informé puisque son auteur est journaliste, spécialiste du Moyen-Orient, installée depuis 2015 à Istanbul (après Téhéran, Beyrouth et Le Caire !). Un livre à lire avant le 14 Mai ? Sans doute, pour mieux comprendre ce qui se passe là-bas, à l'autre bout de la Méditerranée.

08 mai 2023

Pivoines

 

 

 

Ô vraiment marâtre nature


  Puisqu'une telle fleur ne dure


Que du matin jusque au soir.

Bon, Ronsard parlait d'une rose. Là ce sont des pivoines et elles ont tenu presque une semaine. Pas si mal !

03 mai 2023

Hokusai

 Sans doute un peu trop d'attente pour ce film qui devait retracer la vie de Hokusaï. Les décors, les costumes de toute beauté bien sûr, mais la vague impression que le budget du film est passé dans la reconstitution historique plus que dans le scénario. A moins que la longue vie du peintre n'ait paru un peu trop longue ou trop complexe ou trop connu au réalisateur, qui a préféré centrer son film sur ... le problème est peut-être là : sur quoi ?  sur la jeunesse et la vieillesse d'un artiste passionné et un brin caractériel ? sur la condition des peintres dans le Japon d'autrefois ? sur la reconstitution de la vie à l'époque d'Edo ? sur la censure et les abus du pouvoir politique ? Bref on se perd un peu dans ce récit alambiqué.


Le film d'Hajime Hashimoto aurait été écourté de 30mn pour la version présentée en salle, ce qui explique peut-être les ellipses, la "construction filandreuse" et le peu de cohérence du film. Au final, de belles images et pas mal d'ennui ! Avec la frustration d'un rendez-vous manqué avec un artiste pourtant admiré.



02 mai 2023

Aliyeh Ataei, La Frontière des oubliés

Le hasard - mais est-ce bien le hasard ? - m'a fait lire successivement deux livres écrits par des Iraniennes : L'Automne est la dernière saison de Nasim Marashi et La Frontière des oubliés de Aliyeh Ataei. Le bandeau vert affiché sur le deuxième roman "Une voix venue d'Iran" induit une attente chez le lecteur, celle d'une lecture forcément tragique, puisqu'il s'agit d'un pays ou les voix des femmes sont muselées. Et les neuf récits ici rassemblés confirment cette piste de lecture : il s'agit en effet de montrer comment vit une population, ballotée entre deux frontières, celles de l'Iran et de l'Afghanistan.  Deux frontières , mais surtout deux cultures, deux mentalité, malgré leur proximité.  Les récits sont d'autant plus poignants que les personnages d'Aliyeh Ataei sont en fait de vraies personnes, puisqu'il s'agit de témoignages, qui relèvent plus du journalisme que de la littérature. Et l'on comprend que tous les efforts pour se bâtir une vie ailleurs n'empêchent pas de se sentir nulle part à sa place.

Le livre d'Aliyeh Ataei est donc particulièrement intéressant et confirme tout ce que les médias ont déjà pu nous apprendre sur  l'Iran et l'Afghanistan. Oui, mais .... n'est-ce pas là ce que l'on attend de toute "littérature" issue de cette région, surtout quand l'ouvrage est préfacé par Atiq Rahimi ? Nasim Marashi,  dans L'automne est la dernière saison a fait le choix de montrer un autre aspect de la vie iranienne, moins doloriste, moins victimaire, bien que les jeunes femmes dont elle raconte les hésitations, les atermoiements et les choix vivent elles-aussi sous la contrainte d'une société religieuse, patriarcale, bloquée par ses traditions. Son roman me paraît avant tout destiné à un public iranien,  auprès duquel il a d'ailleurs obtenu un beau succès; celui d'Aliyeh Ataei semble plus tourné vers un public occidental qu'il convient d'alerter, il cherche avant tout à convaincre. La thèse qui le sous-tend est convaincante. Le livre de Nasim Marashi, construit comme une chronique m'a paru tout aussi convaincant, et sans doute plus subtile, pour faire comprendre les interdits auxquels se heurtent les trois jeunes intellectuelles téhéranaises.

Quoi qu'il en soit, la confrontation de ces deux ouvrages m'a paru particulièrement stimulante, car elle pose clairement la question de l'usage de l'écriture, et pousse à s'interroger sur le pourquoi et le comment de la littérature.