- En voilà un nom qui claque !
- N'est-ce pas ? Mais tu verras, le type qui le portait était quelqu'un de tout à fait étonnant.
Un Italien, à l'époque où l'Italie n'existait pas encore, où l'on était plutôt de Toscane, d'Ombrie ou, comme lui, d'Emilie-Romagne. Un joli garçon apparemment, enfin selon les critères de l'époque parce que sur cette image, je lui trouve l'air plutôt molasson.
Je préfère de loin le portrait ci-dessous où il est représenté à la fois dans son temps et dans ses activités préférées, la lecture et la réflexion. Je lui trouve même le regard ... ardent !
- Ardent ? Si tu veux, mais c'est surtout le biais que tu as trouvé pour me parler de son ardeur au travail, non ?
- En effet : Pic de la Mirandole, comme la plupart des intellectuels de son époque, brûlait d'apprendre, de comprendre; il voulait tout savoir, tout connaître ...
- Son époque ? C'est la deuxième fois que tu dis "son" époque. Tu peux préciser ?
- Fin du Moyen-Âge ou si tu préfères, début de la Renaissance. Pic de la Mirandole est né en 1463, soit 10 ans après la chute de Constantinople, une des dates les plus importantes de l'histoire de la civilisation occidentale. Lorsque Constantinople, dernier bastion de l'Empire chrétien d'Orient, tombe aux mains des Turcs, les savants, les artistes fuient dans la seule direction possible, l'Ouest et se réfugient, avec armes et bagages, en Italie. Or tu sais bien que les seules armes des intellectuels, ce sont les livres. Les Italiens d'abord, puis les Français, les Espagnols et pour finir toute l'Europe s'empare de cette manne précieuse, redécouvre des textes anciens, des auteurs passablement oubliés et c'est ainsi que renaît la culture antique, ferment indispensable du renouveau intellectuel qui marque les XVe et XVIe siècles. Mais pour le moment, revenons à Giovanni, un des plus beaux fleurons de cette Renaissance.
- Dis-donc, tu sembles bien l'aimer ton Giovanni.
- J'avoue que ce type m'épate. Essaye d'imaginer : un jeune homme de 22 ans, qui connaît le latin, le grec, l'arabe, l'hébreux et sans doute l'araméen, qui a commencé à étudier le droit canonique à Bologne puis y a renoncé au profit de la philosophie tendance Aristote, qu'il étudie à Padoue avant de se rendre à Paris. De retour en Italie, il s'installe à Florence où le très magnifique Laurent de Médicis s'est fait le protecteur des arts et des lettres. Une vingtaine d'années pas plus et déjà l'envie d'en découdre avec le monde entier.
- Une grosse tête quoi !
- Oui, mais pas seulement. Un jeune homme plein de fougue et d'audace qui a entrepris de rédiger quelques 900 propositions pour les soumettre à discussion. Pour accompagner ces propositions il rédige un texte qu'il intitule De la dignité de l'homme et c'est de ce petit texte dont je veux te parler. Voici déjà l'incipit :
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| Très vénérables Pères, j'ai lu dans les écrits des Arabes que le Sarrasin Abdallah, comme on lui demandait quel spectacle lui paraissait le plus digne d'admiration sur cette sorte de scène qu'est le monde, répondit qu'il n'y avait à ses yeux rien de plus admirable que l'homme. Pareille opinion est en plein accord avec l'exclamation de Mercure: «O Asclepius, c'est une grande merveille que l'être humain». |
et tu trouveras la suite sur
Il y a dans ce court et nénamoins très précieux texte l'essence même de l'humanisme, ce mouvement de pensée qui fait de l'homme une valeur suprême et non une petite chose insignifiante, un moins que rien, une vermine - un ciron dira Pascal -. Pic de la Mirandole, du haut de ses 22 ans, affirme haut et fort que l'homme n'a de valeur que dans la mesure où il se construit lui-même. Cela n'a l'air de rien, mais c'est refuser, dans une seule proposition, toute sorte de déterminisme, divin en particulier, mais aussi bien physique ou social pour peu qu'on élargisse le propos de ce Giovanni. "Sculpteur de toi-même". C'est la phrase clef, quasi une injonction. J'aime bien aussi l'image de l'échelle. Pas superconfortable comme position, je reconnais et c'est sans doute plus facile de descendre que de monter. Mettons que l'essentiel est de ne pas lâcher prise. ... Mais ça fait un bout de temps que tu ne dis plus rien....
- Ben non ! Je suis subjugué ! Et tout ça, c'est dans les livres des arabes qu'il l'a lu ?
- Faut croire !
- Ah! non, pas "croire" : "savoir"
- Et bien, tout ce que je sais, moi qui ne parle ni l'arabe, ni l'hébreu ni l'araméen (ni même le grec !) c'est que le projet de Pic de la Mirandole de réunir autour de lui tous les érudits d'Europe pour discuter de ses propositions n'a pas plu du tout au pape. Accusé d'hérésie, et par conséquent menacé de finir sur un bûcher comme quelques autres avant et après lui, Pic s'enfuit vers la France où ... il est arrêté et emprisonné.
- Collusion du pouvoir et de l'Eglise, bien entendu. Et alors ?
- Alors ? Laurent de Médicis intervient et le jeune audacieux est autorisé à revenir à Florence, sous la protection - ou la surveillance ? du prince - mécène. On est en 1488; il lui reste 6 ans à vivre avant de mourir dans des conditions bizarres, mais je n'en sais pas plus.
- Il est mort à ... 31 ans ?
- Oui.
- Une étoile filante ton Giovanni.
- Mais quel éclat !
DE LA DIGINITÉ DE L'HOMME est publié aux éditions de l'Eclat, en VO c'est à dire en latin, traduction et présentation par Yves Hersant.
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