23 juin 2024

Bikeriders

L'histoire d'un club de motards dans l'Amérique des années 60, un sujet a priori bien loin de mes centres d'intérêt. Quoi que ... la fin des années 60, dans une petite ville du Middle-West... va pour Bikeriders de Jeff Nichols dont j'avais déjà eu l'occasion d'apprécier certains films (Mud, Loving ...). Et je n'ai pas été déçue, loin de là. 

D'abord l'histoire s'appuie sur un livre, celui de Danny Lyon qui en 1968 publie un livre de photos sur un club de motards de Chicago. Intégrer dans le film le personnage du photographe permet au réalisateur de scruter de plus près les personnages qui se livrent facilement à celui qui écoute autant qu'il observe. C'est d'ailleurs le plus souvent à travers  le regard de Kathy, le personnage féminin, parfaite "housewife" et grande amoureuse que progresse le film.  Un personnage féminin, bien ancrée dans la réalité, qui permet de contrebalancer l'univers excessivement viril des motards et de leurs machines : vitesse, alcool, violence mais aussi solidarité, amitié.  Car Jeff Nichols prend soin de montrer ce qui unit ces hommes. Plus que le goût de la mécanique il y a le besoin de fuir une réalité terne et morne et de se donner l'illusion de la liberté, à travers une structure finalement très codifiée. Et c'est sans doute un des aspects les plus intéressants du film : Johnny, chef "naturel" du groupe a senti la nécessité de créer un club, de lui donner des règles à la fois pour souder le groupe et éviter un développement anarchique. Mais les "chapitres" se multiplient à travers le pays et peu à peu la maîtrise du club lui échappe. Dès lors on ne parle plus de "club", mais de "gangs". Fin d'une époque. Fin d'un mythe.


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22 juin 2024

C'est pas moi

 Un grand pêle-mêle. Un fourre-tout indigeste. Un patchwork génial. Tout cela s'applique au dernier film de Leo Carax, fait d'une succession d'images manipulées et enchaînées de façon plus ou moins cohérente, de rappels, d'évocations, de fulgurances. Bref une oeuvre inclassable à l'image de son réalisateur. Perso, j'ai bien aimé. Et si, c'est lui.

Hubert Haddad, Premières neiges sur Pondichery


" [...] A Jérusalem, pendant des années, chaque dimanche, il avait traversé un marché arabe sous un soleil nimbé d'étincelles. Les crieurs d'agrumes le saluaient. La foule s'ouvrait avec des froissements d'étoffe. Les éclats de voix se répondaient, proches et lointains. On s'apostrophait du fond du temps. On plaisantait et riait d'un étage à l'autre de la tour de Babel. C'était avant la multiplication des attentats, avant le mur. Yitzhak Rabin n'avait pas encore été assassiné par un juif orthodoxe. On pouvait espérer un règlement pacifique du conflit.  Certains jours de fête, les voix dans les rues se mêlaient avec une espèce d'harmonie. L'hébreu et l'arabe, le yiddish, le copte ou l'arménien, les langues tissaient ensemble de vieilles connivences. Dans l'accalmie, tout laisser augurer un apaisement, une ouverture, quelque chose de miraculeux. Rien n'est advenu que violence, rancune et spoliation. "

La meilleure façon d'entrer dans le roman d' Hubert Haddad est de lire cette première page à haute voix. Pour en sentir les sonorités, le rythme, la musicalité. Le roman raconte comment un violoniste israélien invité à un festival de musique en Inde du Sud, quitte à jamais son pays pour retrouver le goût de vivre. Voyage de deuil, voyage de renoncement. Mais à Pondichery, comme dans le Kerala tout est bruits, tout est sons, discordants ou harmonieux comme tout est odeurs, senteurs, parfums. Comme si la sensualité était le dernier lien qui rattache à la vie quand tout le reste est perdu.

18 juin 2024

Gaëlle Bélem, Le Fruit le plus rare

Le Fruit le plus rare n'est pas la première biographie publiée sur Edmond Albius, cet esclave réunionnais qui à l'âge de 12 ans, a découvert à force d'obstination, comment faire fructifier la vanille. Il ne faut que quelques lignes pour raconter la découverte, mais Gaëlle Bélem est avant tout une romancière.  Et avec l'histoire d'Edmon Albius c'est toute l'histoire de la vanille qu'elle raconte, et dans la foulée, l'histoire de la Réunion, de ces familles créoles, les "vanillards", dont la prospérité repose en grande partie sur l'esclavage. Elle raconte aussi la fin de l'esclavage qui a fondamentalement changé la vie du jeune Edmond, sans pour autant l'améliorer. Et avec elle on s'irrite de savoir que le mérite d'Edmond n'ai pas été reconnu, simplement parce qu'il était noir.

De cette trame historique, Gaëlle Bélem, fait un roman pétillant, un roman chatoyant,  plein de couleurs et de parfums qui n'oublie pas d'être savant quand il faut nommer les plantes,  précis quand il faut décrire les gestes, drôle à l'occasion, dramatique parfois et surtout très suggestif. Le livre refermé reste comme une envie de partir ... en attendant le prochain livre de Gaëlle Bélem.  A qui Gallimard aurait quand même pu offrir une plus jolie couverture !


17 juin 2024

Punch-Drunk love

 La réputation de ce film est bien établie depuis 20 ans, mais je ne l'avais jamais vu. La promesse d'une comédie facile me paraissait suffisante pour espérer échapper aux inquiétudes politiques.  Mais en dehors de quelques trouvailles visuelles, j'ai finalement trouvé la comédie un peu lourde et somme toute passablement datée. L'histoire de ce grand benêt qui monte une entreprise, se lance dans une histoire d'amour et se retrouve piégé par une call-girl est un peu trop télécommandée pour séduire et ce ne sont pas les explosions sonores placées ici et là pour surprendre le spectateur qui vont l'empêcher de s'ennuyer. Certains films apparemment, vieillissent plus mal que d'autres...

16 juin 2024

Dissidente


 Un film à la Ken Loach annonçait la critique. Oui, mais en beaucoup plus âpre. Une histoire à trois étages qui se passe au Québec, mais qui, on le comprend vite, se passe également ailleurs. Ici. N'importe où.

Commençons par le "haut", avec un directeur ? président ?  Qu'importe son titre, puisqu' il est de toute façon invisible  et que sa seule préoccupation est la rentabilité pour répondre aux attentes des investisseurs. Il met la pression sur son directeur d'usine dont le poste est en jeu puisque le premier menace de fermer l'usine. Stéphane (le directeur) n'a d'autre solution que de mettre à son tour la pression sur les travailleurs guatémaltèques, une main d'oeuvre "importée" parce que bon-marché et corvéable à merci. La démonstration des méfaits du capitalisme, peut paraître un peu facile, mais le réalisateur Pier-Philippe Chevigny est assez habile pour introduire un personnage "dissident", en l'occurrence Ariane, chargée de traduire et donc de servir d'intermédiaire entre le directeur et les ouvriers. Elle est elle-même aux abois, parce que couverte de dettes et la nécessité de garder son emploi interfère avec l'empathie qu'elle éprouve pour les ouvriers. 

La trame de ce film est simple, mais les personnages eux sont complexes et ce n'est qu'au fil du scenario que l'on découvre tous les tenants et aboutissants de la situation. Un bon film "de gauche"  ? Peut-être pas, mais un film humaniste certainement.

15 juin 2024

Les Trois Fantastiques

 Je crains que le film ne pâtisse de son titre et de son affiche, et que le jeune âge des acteurs ne le fasse basculer du côté des films "pour enfants", ce qui serait dommage. 

Oui, bien sûr, il y a quelque chose des 3 mousquetaires dans ce trio d'adolescents, qui n'aiment rien tant que foncer sur leurs vélos pour se retrouver dans une vieille cabane, au fond des bois. C'est là, dans ce refuge secret qu'ils imaginent leur vie rêvé. Un rêve bien modeste, celui de s'inscrire  à la colo. Mais voilà, à part l'un d'entre eux, dont les parents ont les moyens de payer, pour les deux autres c'est plus difficile, parce que Max, Vivian et Tom vivent dans une petite ville des Ardennes dont la dernière usine est sur le point de fermer.  Les voilà donc prêts à toutes les combines pour trouver "l'argent de la colo." Y compris celles qui impliquent Seb, le grand frère tout juste sorti de prison. Mais là, ils sont plutôt mal barrés....

Commencé comme un film plutôt gentil sur l'adolescence, le film prend rapidement des allures de thriller sur fond de réalité social.  Michaël Dichter, le réalisateur joue sur tous les tableaux et gagne l'attention du spectateur qui ne faiblit pas un seul instant : le scénario est parfaitement ficelé, les acteurs totalement crédibles  - faire jouer juste des gamins m'a toujours paru un défi pour tout réalisateur - et l'on se réjouit de voir que le principe de solidarité des mousquetaires -  un pour tous et tous pour pour un - reste toujours d'actualité.



13 juin 2024

Lorina Balteanu, Cette corde qui m'attache a la terre

Un roman traduit du roumain annonce la couverture. Mais est-ce vraiment un roman ? Sans doute,  puisque l'éditeur le dit, mais ce pourrait aussi bien être un journal, un récit autobiographique, bien que la voix qui dit "je" au début du roman soit celle d'un nouveau-né que l'on voit peu à peu s'ouvrir au monde, grandir, apprendre, faire la connaissance de sa famille, de son village... un univers qu'elle trouve bien vite très limité. Dans la Moldavie soviétique, les traditions, les superstitions du monde d'hier pèsent aussi lourd que les injonctions d'un régime qui ne connaît pas le mot liberté. Alors forcément, la petite fille  bientôt adolescente n'a qu'une envie : partir. "Je voudrais tellement partir que je serais d'accord pour naître encore une fois."

Le livre de Lorina Balteanu est un livre d'une grande sensibilité, d'une grande tendresse, d'une grande drôlerie aussi. On s'attache à cette petite fille délurée, qui sait si bien observer la nature, les animaux, mais aussi les humains et leurs façons de faire, leurs ridicules ou, plus rarement, leur grandeur. Et c'est à travers son regard naïf et sincère que l'on devine, à peine esquissé, l'arrière-plan historique. Rude et contraint. 

Cette corde qui l'attache à la terre finalement ressemble bien peu à un roman avec un début et une fin, mais il est plein de péripéties, d'anecdotes ou de grands événements. Appelez-le comme vous voulez, récit, chronique... en tout cas, il parle joliment de cette terre de Moldavie et de ses habitants. Et d'une petite fille qui n'a qu'une envie, partir dans le vaste monde !

 


 


 

 


09 juin 2024

Marcello mio

De quel côté je penche ? Plutôt du côté de ma mère ou plutôt du côté de mon père ? La question est banale et la plupart des enfants, quelque soit leur âge, se la posent un jour. Mais quand on est la fille de Catherine Deneuve et Marcello Mastroniani ... on en fait un film. Et c'est forcément plus amusant, plus glamour, plus fantasque ! Va donc pour une comédie, légère  bien que sur fond de malaise identitaire.  Mais cela ne va pas beaucoup plus loin. Parce que le film de Christophe Honoré, dans lequel la plupart des acteurs jouent leur propre rôle - à l'exception de Fabrice Luchini - semble toujours hésiter entre une version "magazine people" et une version cinéphile averti. Si bien que je n'y ai pas vraiment trouvé mon compte.




08 juin 2024

Bushman


 Un document plutôt qu'un documentaire. Traité un peu comme un film de fiction, mais ce que dit le film n'est en rien inventé. Tout au plus mis en scène. Bushman est un film difficile à  appréhender parce qu'en faisant le portrait de Gabriel  - qui a fuit le Nigeria, vit désormais à San Francisco et se retrouve piégé par les services d'immigration - il fait aussi la chronique d'une époque, celle de la fin des années 60. Bushman est donc un film social, un film politique, soudain exhumé  - il date de 1971 et n'avait jamais été projeté en France - parce qu'il pose des questions auxquelles le demi-siècle écoulé n'a pas trouvé de réponses.

04 juin 2024

Pierre-Luc Poujol au musée Paul Valéry

 Il y a des musées où l'on revient plus volontiers que d'autre. Comme le Musée Paul Valéry à Sète. Parce que du haut de la colline il domine la mer (et le cimetière marin tout à côté), parce que c'est une halte dans la verdure ... mais surtout parce qu'en dehors de sa collection permanente, il propose souvent des expositions temporaires particulièrement séduisante. 

C'est le cas ce printemps avec les oeuvres de Pierre-Eric Poujol sur le thème de l'arbre.  Des les premières salles on s'imprègne de sensations : couleurs, matières, verticalité




La peinture de Pierre-Luc Poujol n'est ni figurative, ni totalement abstraite, plutôt sugggestive. Ecorce, troncs, branches, futaies... L'empreinte des arbres plus que leur représentation. 

Le peintre d'ailleurs a renoncé aux pinceaux pour peindre avec des branches détachées des arbres. 


L'exposition est désormais terminée. Mais il y en aura sans doute d'autres, ailleurs, je ne sais pas quand. 

Et en attendant :https://pierrelucpoujol.com/

03 juin 2024

Marion Lejeune, L'Escale

 

 L'escale est un livre pratiquement sans intrigue, en tout cas un livre où l'intrigue importe moins que l'atmosphère. Un livre où on se laisse porter, où on prend le temps de s'intéresser aux personnages autant qu'aux paysages parce que les uns et les autres n'ont rien de très ordinaires. 

Tout commence par des marins sur un voilier, contraints à faire escale - on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas pour combien de temps - sur l'Archipel, un territoire dans le Nord, du côté de la Norvège, de la Finlande.  Grigori, un des marins du Gren (le nom du bateau) suit Loukine, embarqué lui aussi sur le bateau bien qu'il ne soit pas marin; ils vont tous les deux loger chez Jon et Halle, un couple d'instituteurs. Et l'attente commence, qui durera des jours, des semaines, suffisamment de temps pour se familiariser avec les landes et les falaises comme avec les locaux,  pêcheurs de baleines occasionnels ou Alda qui récupère des oeufs d'oiseaux sauvages pour les vendre ... 

Tout dans ce roman est étrange, sauvage, mystérieux et pourtant familier. Dépaysant au début, mais très vite on se retrouve comme en voyage, parti à l'autre bout du monde. Impatient d'abord de quitter l'archipel, puis on s'y fait et l'on se dit qu'on pourrait y rester encore un certain temps....
C'est un roman d'atmosphère, comme on en lit peu, séduisant, envoûtant.