28 novembre 2013

Vers sa destinée

Vers sa destinée est un film de John Ford sorti en 1939. Sans Indiens ni cow-boys. Mais avec un personnage effectivement en marche vers sa destinée, Young Mr Lincoln (le titre original).
Avec Henry Fonda pour incarner la silhouette dégingandée de Lincoln (1m93 quand même !), le film saisit le personnage  au moment où il n'est encore qu'un fermier mal dégrossi, qui vient de découvrir le droit par hasard. C'est sur le dos d'une mûle qu'il arrive à Springfield (Illinois) pour s'y installer comme avocat et résout avec brio sa première affaire (petite distorsion chronologique que s'accorde le réalisateur.)
A vrai dire, dans ce film la vérité historique (bien qu'elle soit respectée dans ses grandes lignes) importe moins que le mythe en train de se construire. Et il faut bien avouer que John Ford utilise habilement les moindres détails -  la Sangamon, la rivière qui traverse Springfield, objet de toute l'attention du "vrai" Lincoln, la petite cabane en bois de la famille Clay, en tous points semblables à la maison où est né Abraham, et même le retournement inattendu qui a permis au jeune avocat de gagner son premier procès - pour montrer les origines extrêmement modeste de celui qui deviendra le seizième président des Etats-Unis.


 
 Vers sa destinée est un film remarquable qui montre, non sans drôlerie, comment se construit un mythe. Il n'était projeté qu'à une seule séance dans mon cinéma préféré, mais il en existe, heureusement, plusieurs versions en DVD. 

26 novembre 2013

The Immigrant

Le titre du film n'est pas vraiment trompeur, mais la référence à Ellis Island et aux difficultés des immigrants à leur arrivée en Amérique m'a paru finalement secondaire par rapport au vrai sujet du film que est la relation qui s'établit entre une femme - jeune brebis naïve en apparence, mais en apparence seulement - et un homme, prédateur endurci et sans scrupule. Ainsi le film de James Gray se lit d'une part comme le récit d'une initiation, celle d'une jeune femme prête à tout pour survivre dans un monde étranger et par définition hostile, qui, en dépit des compromissions et des vilénies auxquelles elle est astreinte, n'oublie ni son objectif ni son âme.  Mais le film se lit aussi comme l'histoire d'une rédemption, celui du proxénète qui découvre qu'il peut exister entre les êtres d'autres liens que vénaux.
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Bref, on va voir un film historique sur l'immigration et on découvre un film aux références quasi bibliques : dans les abysses du mal surgit soudain une lumière. Le jour se lève sur Manhattan quand la barque d'Ewa, qui est parvenue à récupérer sa soeur Magda s'éloigne d'Ellis Island. Bruno, le proxénète disparaît lui dans l'ombre du bâtiment. James Gray et son obsession de la dualité ? Sans doute. C'est ce qui fait en fin de compte la richesse du film.

25 novembre 2013

Tracy Chevalier


Tracy Chevalier s’est fait une réputation avec son deuxième roman, La Jeune fille à la perle (1999) et le film que Peter Webber en a tiré. Le fait que Scarlett Johansson ait tenu le rôle principal n’est sans doute pas anodin.  Mais j’avoue avoir négligé le livre puisque j’avais vu le film, comme j’ai négligé les 4 suivants qui tous se passent en Angleterre où l’écrivain s’est installée depuis 1984. Son dernier roman néanmoins semble indiquer un retour vers ses racines américaines ; elle est en effet diplômée de l’Université d’Oberlin, une petite ville du Nord de l’Ohio, dont elle a fait le cadre de son roman.

La dernière fugitive, 2013
The Last Runaway, 2013
Le roman débute en Angleterre. Honor Bright, une jeune quaker anglaise, vient de décider sur un coup de tête (et une peine de cœur) de suivre sa sœur qui doit s’embarquer pour l’Amérique où l’attend son futur époux. Le voyage commence mal car Honor souffre du mal de mer pendant toute la traversée et sa sœur meurt peu après leur arrivée sur le nouveau continent. Elle poursuit donc seule son voyage, est momentanément hébergée par une modiste excentrique avant de rejoindre le foyer de son ex-futur-beau-frère, un foyer où elle n’est pas vraiment bienvenue. Auparavant elle aura croisé le chemin d’un chasseur d’esclave, Donavan, le méchant du roman.
La dernière fugitive est sans doute un roman historique, mais c’est avant tout un roman « romanesque » comme le laissent supposer la série de péripéties qui ponctuent les premiers chapitres. Quant au dernier chapitre, il laisse très habilement la place à une éventuelle suite. Une suite qui ne fait peut-être pas partie des projets de l’auteur mais que le lecteur peut s’amuser à imaginer.

La dernière fugitive est un roman qu’on lit avec plaisir et intérêt parce qu’il est, mine de rien, très documenté, et que l’auteur parvient à construire son roman en assemblant des éléments hétéroclites qui, comme les petits bouts de tissus d’un patchwork lorsqu’ils sont bien assemblés, finissent par former un ensemble harmonieux. Ainsi, en suivant Honor Bright, on apprend beaucoup de choses sur l’immigration américaine et sur le mode de vie des fermiers de l’Ohio, sur les mœurs et les croyances des Quakers, pour qui la vie matérielle compte bien peu au regard de la vie spirituelle, et sur … la fabrication des quilts, ces couvertures matelassées qu’en France on appellait « centons ».  Or, en matière de quilt, il existe de grandes différences entre l’Angleterre et l’Amérique.  Ici on assemble les pièces, là on les applique. ; ici on utilise toute la palette des couleurs, là on se limite au rouge et au vert.  On voit bien à quels dilemmes Honor, la jeune fille du roman, est confrontée : elle est anglaise, les façons de faire américaines lui sont étrangères, lui faudra-t-il s’y soumettre pour être acceptée ? Quelle est la part de son passé, la part d’elle-même qu’elle pourra préserver ? S’intégrer, se faire accepter, est-ce nécessairement renoncer ? Sans en avoir l’air, le roman de Tracy Chevalier ouvre la porte à des réflexions plus grave qu’on ne s’y attendrait. Honor en effet ne tarde pas à comprendre que Belle, la modiste qui l’a hébergée à ses débuts, héberge occasionnellement des esclaves fugitifs : elle appartient en fait à un réseau d’activistes du « chemin de fer clandestin». L’Ohio a une frontière commune avec le Canada, pays non esclavagiste et les Noirs sont nombreux à tenter leur chance! Le s Quakers croient à l’égalité de tous les êtres humains, mais favoriser la fuite d’un esclave est, dans ces années là,  contraire à la loi.  Suivre sa conscience ou obéir à la loi ? Aider les fugitifs et mettre en péril sa famille ou fermer les yeux sur les injustices et le malheur des autres pour protéger son mode de vie ? Confrontée à tant de choix antagonistes, Honor n’a que son silence pour s’opposer à ceux qui la somment de choisir son clan. Un silence très provisoire...
Suffisamment intéressée par le roman pour aller chercher un complément d’information, j’ai découvert le site de Tracy Chevalier,  qui très généreusement dévoile ses sources d’inspiration, photos à l’appui,  ainsi que ses références bibliographiques. Ce qui laisse à chacun la possibilité de poursuivre son chemin sur la voie qu’elle a tracée.

22 novembre 2013

Les Garçons et Guillaume, à table !

L'humour décidément s'explique mal. Autant je me suis ennuyée à Quai d'Orsay, lassée des gags convenus, attendus et de cette mise en pièce grotesque de la politique, autant je me suis amusée au film de Guillaume Galliene, qui se moque peut-être de sa famille, mais encore plus de lui-même et qui sans en avoir l'air met sens dessus dessous les notions de genre. On ne naît pas... on le devient ?  Encore faudrait-il savoir ce qu'on est. A cette perturbante question Guillaume s'efforce de répondre autrement que par des évidences.
Répliques ciselées, rythme enlevé, l'impression dominante reste celui d'un jeu permanent entre les différents personnages, qu'ils soient joués par un même acteur, ou par ses comparses. Ce n'est pas tout à fait du théâtre, pas complétement du cinéma non plus, c'est un "one man show" à plusieurs personnages. Drôle oui, définitivement !


16 novembre 2013

Le Médecin de famille

Ecrire des romans ou réaliser des films semble pour Lucia Puenzo appartenir à la même catégorie. Elle s'est fait connaître par un premier roman qu'elle a ensuite adapté au cinéma 'El Nino Pez / l'Enfant poisson et récidive cette année en adaptant au cinéma son roman Wakolda qui devient, hasard des traductions Le Médecin de famille.

Au début du film, une route interminable, dans un paysage beige puis gris sous l'orage : la Patagonie telle qu'on l'imagine ! Un peu plus loin, une montagne enneigée qui se reflète dans l'eau d'un lac,  le paysage est devenu suisse, autrichien... De nombreux nazis se sont réfugiés en Argentine après la guerre. Parmi eux celui qu'on surnommait "L'Ange de la mort" et qui, bien qu'exilé et poursuivi par les chasseurs de nazis,  n'a pas renoncé à poursuivre ses "expériences" médicales. Le film montre comment une famille ordinaire se laisse circonvenir par le comportement affable et policé de celui qui n'est même pas leur "médecin de famille."


Le sujet est suffisamment intéressant pour que l'on passe sur les faux-raccords et autres négligences de mise en scène. Car ce que l'on retient avant tout ce sont les façons doucereuses de cet homme, ce masque de bienveillance qui constitue une arme beaucoup plus efficace au fond que la brutalité puisqu'elle fait de ses victimes, des victimes consentantes. Le film fait en outre allusion aux réseaux d'émigrés allemands, constitués bien avant la guerre, qui se sont fait un devoir (et un plaisir ?) d'accueillir les fugitifs nazis. Une page d'histoire peut-être pas si connu que cela.

14 novembre 2013

Inside Llewin Davis

J'aime bien les frères Cohen et je crois avoir vu à peu près tous leurs films. Mais celui-ci n'est pas mon préféré. Trop neurasthénique peut-être. avec ce que cela suppose de lenteur, de silences (un comble pour un chanteur).
L'objet est pourtant beau en soi, avec beaucoup de scènes nocturnes qui supposent un travail sur les couleurs, glauques souvent, et l'éclairage, parcimonieux. Certaines images par leur cadrage ou leurs couleurs peuvent faire penser à des tableaux de Hopper. Le plus réussi dans le film c'est sans doute cette volonté de rendre par l'image l'état d'esprit de ce chanteur folk en mal de succès. Llewin Davis qui ne possède rien d'autre que sa guitare évolue dans un univers étriqué, confiné, se heurte constamment à des portes closes, circule dans des couloirs si étroits que deux personnes ne peuvent s'y croiser et lorsqu'il quitte, brièvement,  NY pour rejoindre Chicago, c'est coincé dans une voiture dont le siège arrière est occupé par un musicien obèse et quasi moribond. L'image de son avenir ?

La réussite formelle du film est indéniable. N'empêche que l'on s'ennuie un peu et qu'il n'y a pour nous tirer de cet ennui que les mésaventures d'un chat.



Le film toutefois présente un autre intérêt, c'est de faire à travers le portrait de ce "loser", le portrait d'une Amérique qui n'est pas celle de la gloire, de l'argent et de la réussite. Car dans les années 60, pour un Bob Dylan, combien de Llewin Davis. Et prendre le contre-pied du rêve américain, c'est après tout ce que les frères Cohen réussissent très bien. Le film est en couleur, c'est l'Amérique qui est  ici bien grise.




13 novembre 2013

Voyage en Italie

Réviser ses classiques de temps en temps, c'est plutôt intéressant. Surtout si, après la séance,  commentaires et discussions permettent de préciser sa pensée.

Ainsi du Voyage en Italie, le film de Rossellini tourné en 1954, j'ai surtout retenu le thème de l'incommunicabilité. Il est vrai qu'à ce thème on associe plutôt le nom d'Antonioni, mais Rossellini me paraît ici aller plus loin encore.

L'attention du spectateur se concentre dès le début sur le couple, enfermé dans sa voiture, dont les échanges semblent exclusivement fonctionnels. La suite du film ne fait que confirmer cette hypothèse, leurs intérêts sont trop différents pour que le couple perdure au-delà de ce voyage qui semble raviver les rancoeurs. Chacun semble vivre dans sa propre sphère, son propre univers, une situation non pas choisie mais subie.
Va pour la psychologie à la petite semaine. Mais il n'est pas certain que Rossellini, en dépit de ses aventures conjugales et extra-conjugales se soit à ce point passionné pour les histoires de couple. Sauf à imaginer que pour lui, il existe une incommunicabilité fondamentale entre les hommes et les femmes, quelles que soient les histoires individuelles.

Plusieurs scènes néanmoins amènent le spectateur à s'interroger: pourquoi cette insistance sur la villa luxueuse et vide, alors qu'à la cuisine tout le personnel s'agglutine; pourquoi cette agitation post-prandiale alors que les Italiens sagement font la sieste;  pourquoi cette Rolls-Royce, ce manteau de fourrure, ce luxe et cette oisiveté qui ne font que souligner l'écart entre deux mondes, celui d'une bourgeoisie qui ne sait que faire de son temps libre et celui du peuple qui travaille; pourquoi surtout cette scène insistante entre la cuisinière et le mari, si ce n'est pour signifier qu'il n'y a pas de communication possible entre les uns et les autres, chacun s'obstinant à parler dans sa langue et s'irritant de ce que l'autre ne le comprend pas.

Il me semble qu'il y a plus dans ce film qu'une histoire de couple sur fond de carte postale et qu'en fin de compte la mésentente du couple n'est peut-être qu'une métaphore de la division du monde.

12 novembre 2013

Prince of Texas


De même que la première phrase d'un roman peut être décisive, la première image d'un film l'est tout autant. Et celle qui ouvre Prince of Texas est à la fois stupéfiante de beauté et forcément tragique puisqu'il s'agit d'un incendie de forêt.


Un an plus tard, deux cantonniers avancent mètre par mètre dans la forêt calcinée : ils sont chargés de tracer la ligne médiane à grands coups de peinture jaune. Deux cantonniers ? Deux branquignoles plutôt. Et c'est le début d'un de ces films bizarres, cocasse, vaguement surréaliste, qui se maintient toujours dans un équilibre précaire, entre farce et tragédie. Les deux personnages n'ont bien entendu rien en commun, l'un est sérieux, introverti, il apprécie la nature autant que la solitude : un romantique ! l'autre est désinvolte, négligent et ne pense qu'à profiter de son week-end pour draguer les filles : un glandeur de première !
Mais ceci n'est que le début du film, car le travail fait en commun, la promiscuité (ils partagent la même tente), les confidences échangées, les rencontres (réelles ou imaginaires) l'alcool, modifient  peu à peu la donne. Les masques tombent, il n'y a plus que deux pauvres types, largués dans la forêt comme il le sont dans la vie.
Je m'attendais à une pochade un peu facile, mais ces deux loosers m'ont finalement touchée  sans doute parce que David Gordon Green, le réalisateur, a le trait juste. 

10 novembre 2013

Omar




Un mur, un mur de béton de plusieurs mètres de haut qu'un jeune homme accroché à une corde franchit rapidement. C'est la première image du film que l'on retient. Et cette image revient plusieurs fois. Forcément. Parce que, quand on est palestinien et que l'on vit en Cisjordanie, il y a toujours un mur qui vous sépare des autres, qui vous sépare de la vie que vous auriez aimé vivre.
Le film de Hany Abu-Assad est un film sur la division. Omar, le personnage principal, celui qu'on  a vu passer de l'autre côté du mur au début du film, est partagé entre son amour pour Nadia et son engagement dans la résistance palestinienne, entre sa fidélité à ses amis, à une cause et la tentation de la trahison. Mais l'on s'aperçoit assez vite que tous les personnages du film sont ambigüs, ce sont des Janus à double visage auxquels il est difficile de faire confiance car au moment même où ils vous tendent la main, ils vont peut-être vous trahir.
Avec Omar on passe constamment d'un côté du mur à l'autre, mais qu'il s'agisse d'une cellule au fond d'une prison israélienne ou du labyrinthe de la ville arabe il s'agit toujours d'un lieu d'enfermement où les femmes plus encore que les hommes sont soumises aux codes qui régissent la société musulmane.
Le film est construit comme un thriller, mais le suspens n'interdit ni la réflexion, ni même l'humour.

09 novembre 2013

Les romans "canada dry"

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 « Ça ressemble à l’alcool, c’est doré comme l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool »


JOËL DICKER, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert


Le succès de ce roman dans la presse a été immédiat ; pas de journal, pas de revue littéraire, pas de magazine qui ne l’ait mentionné, le plus souvent de façon élogieuse : « un coup de maître »,  « un roman vertigineux », « verbe efficace, construction virtuose et sens du suspense épatant ». La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert , le roman de Joël Dicker est présenté, à juste titre, comme un « thriller à l’américaine » parce qu’il accumule les péripéties et les rebondissements de façon à toujours suspendre l’intérêt du lecteur, il multiplie les hypothèses sur la disparition de la jeune Nola et fait de chacun des habitants de cette petite ville du New Hampshire un coupable potentiel, tout en peaufinant  la description des lieux et des personnages pour accentuer l’effet de réel. C’est incontestablement un livre habile qui joue en virtuose des mises en abîme puisque le narrateur principal Marcus Goldman est un écrivain en mal d’inspiration qui, sous prétexte de venir au secours de son maître en littérature, l’écrivain Harry Québert, accusé de meurtre, phagocyte totalement son histoire. Le roman superpose ainsi plusieurs niveaux de réalité - ce qui s’est passé le jour de la disparition de Nola et dans les mois qui ont précédé sa disparition, ce qui se passe 30 ans plus tard lorsque Marcus Goldman entreprend son enquête – auxquels s'ajoutent les récits fictifs qui en ont été faits (le roman écrit par Harry Québert) ou qui sont en cours d’élaboration (le roman  de Marcus Goldman.)
Le résultat est un roman qui fonctionne effectivement comme un thriller, mais qui met constamment l’accent sur sa fabrication. Y compris sur les rapports de force qui s’établissent entre l’écrivain, son agent et l’éditeur.

TANGUY VIEL, La Disparition de Jim Sullivan
Quelques mois plus tard, un petit roman français reçoit à son tour l’éloge de la critique parce qu’il joue, lui aussi,  avec les codes du roman américain. Le projet est a priori séduisant et l’on se dit que l’on aura, pour le même prix, le roman ET le « making of » du roman. Le premier chapitre confirme l’intention ; le narrateur las d’une littérature « trop statique, trop pétrifiée » dans laquelle il s’englue décide que « l’histoire entière de [son] prochain livre se déroulerait là-bas, aux Etats-Unis. Et plus précisément à Detroit dans le Michigan."
La déception est à la hauteur de l’attente, car en fait, tel un gamin qui ne pense qu’au conditionnel : « on ferait ça, on irait là, on dirait ça…. » Tanguy Viel, par l’intermédiaire de son narrateur, ne rédige que le « making off » ou plutôt le mode d’emploi d’un roman jamais écrit. Certains passages sont assez drôles, quand l’auteur se moque gentiment du succès de certains écrivains du Montana comme Jim Harrison ou Rick Bass « Même dans le Montana, même avec des auteurs du Montana qui s’occupent de chasse et de pêche et de provision de bois pour l’hiver, ils arrivent à faire des romans qu’on achète aussi bien à Paris qu’à New York. » On apprécie l’ironie, mais au final, ce qu’on a entre les mains c’est un exercice de style de plus. Un roman bien français donc.

Le rapprochement de ces deux romans n’est peut-être que pure coïncidence, mais il interroge parce que d’une certaine façon, il permet de mettre le doigt sur l’idée que l’on se fait d’un roman américain et d’un roman français.
Un roman américain est un roman où on respire, où il y a de l’action, du mouvement, de l’espace alors que la littérature française est, aux dire même de Viel,  « statique » « pétrifiée »
Il est vrai que la littérature française, depuis les années 60 s’est désintéressée de l’intrigue et parfois même des personnages  au profit du « savoir écrire » d’une part et de l’introspection autobiographique d’autre part. Avec le Nouveau Roman, il était soudain indécent de raconter des histoires et, selon la formule de Ricardou, la mode n’était plus à « l’écriture de l’aventure mais à l’aventure de l’écriture. » 
Joël Dicker et Tanguy Viel  font semblant d’écrire un roman américain, mais ils le font sans conviction et même, me semble-t-il, avec un peu de dérision pour ne pas dire du mépris. Ils ont repéré les clichés, les stéréotypes qui caractérisent les romans américains et les utilisent, avec brio, mais sans jamais se faire oublier. Au lieu de s’effacer derrière leurs personnages, ils déplacent l’attention du lecteur de la fiction à la mise en œuvre de la fiction. Au lieu de regarder le monde autour d’eux et d’en rendre compte, ils se regardent dans un miroir, en train d’écrire.  
Or ce qui m'intéresse dans la littérature, c'est ce qu'elle m'apprend du monde, c'est sa capacité à me faire vivre des vies autres que la mienne. L'angoisse de l'écrivain devant la page blanche ou sa virtuosité à jouer avec les figures de la langue et les ficelles du roman ne m'intéresse que modérément. Voilà pourquoi, aux romans français je préfère souvent les romans américains, ou argentins ou indiens ou japonais ou ...