03 août 2018

Arles 2018 : pêle-mêle photographique


 Année après année, je me pose la même question. Qu'est ce qui fait la dimension artistique d'une photo ? La photo est-elle un objet esthétique ou n'a-t-elle de valeur que documentaire ? En clair qu'est ce qui distingue la sélection d'Arles de celle de Perpignan ? Questions sans réponse que vient renouveler chaque exposition.

Ainsi la série intitulée The Last Testament de Jonas Bendiksen, qui s'intéresse aux pseudo messies, relève-t-elle du simple reportage  ou ... ? Le sujet est pour le moins original et l'on est fasciné par ces illuminés autant que par leurs sectateurs. La puissance des photos, subtilement mises en scène, tient à leur cadrage, mais aussi à la saturation des couleurs, qui tend à accentuer le côté un peu kitsch de ces images.


Le sujet choisi par Gregor Sailer, Villages Potemkine, est tout aussi surprenant, en effet, ce photographe autrichien est allé photographier un peu partout dans le monde des villes artificielles qui la plupart du temps servent de base d'entraînement aux militaires soucieux de se former au combat de rue. La surexposition permet d'accentuer le caractère irréel des lieux et leur confère une aura poétique qui contraste avec leur fonction réelle.

http://www.gregorsailer.com/The-Potemkin-Village

Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de belles photos ... dont l'intérêt premier reste documentaire ! 

Les photos proposées par Christophe Loiseau sont d'une tout autre nature. Elles résultent d'un travail effectué à la maison centrale d'Arles : avec les détenus, et en tenant compte de toutes les conditions imposées par l'administration pénitentiaire,  il a composé des portraits étonnants, sortes d'autoportraits entre réel et imaginaire, entre fantasmes et souvenirs pour les détenus qui ont participé au projet.
Avec ces photos on quitte le registre strictement documentaire, puisqu'à la représentation de la réalité le photographe ajoute une dimension onirique. Emotionnelle également. 


Quant à Nadav Kander, qui a remonté le Yangtze pour documenter l'évolution du paysage, ses photos sont à la fois très réalistes et d'une beauté stupéfiante. Elles disent la démesure, le passé et le présent, elles disent la destruction, la pollution qui n'empêche aucunement les riverains de continuer à vivre comme ils l'ont toujours toujours fait et de venir, en barque traditionnelle, pique-niquer au bord du fleuve. Le photographe documente bien la transformation du fleuve chinois sous la poussée de la modernité, mais en même temps, ses photos ont une qualité picturale évidente : cadrage, couleurs.



J'ai trouvé la même recherche esthétique dans les photos de Pasha Rafiy, dont le propos est cependant moins clair, car il est difficile de voir le lien entre le titre de l'expo, Bad News et l'impression de sérénité qui émane de la plupart des photos présentées.
Le titre de la série s'explique apparemment par le refus de D.T. d'être photographié par  Pasha Rafiy, la lettre de refus était présentée à la place du portrait envisagé ! Mais l'anecdote n'explique en rien les photos, et cette photo, par exemple,  en dit suffisamment par elle-même : l'angle, la transparence, les couleurs neutres, cette femme  - une japonaise si je me fie à son parapluie autant qu'à sa tenue - qui, du haut d'un immeuble contemple la ville  à travers la vitre ... contemplation? attente ? refuge ?  solitude ? temps suspendu ?  à chacun de se laisser porter par les multiples possibles de la photo.


Ce qui m'intéresse au fond, c'est ce que cette photo me permet d'imaginer, en dehors de tout discours, de tout concept imposé par le titre de la série. Car ce que j'aime dans une photos, c'est qu'elle soit, pour moi, comme le début d'une histoire. Celle que je ne raconterai pas, mais que je pourrais raconter.
Comme l'incipit d'un roman... 
Comme la première phrase de Salambo : "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar" Je n'ai jamais lu le roman de Flaubert : pas besoin, la première phrase me suffit....
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Points de suspension pour une réflexion laborieuse et de toute évidence inachevée


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