Alfredo Jarr n'est pas un photographe, mais dans ses installations, il utilise des photo. Et des lumières. Volontairement éblouissantes pour que l'obscurité ensuite paraisse plus obscure encore. Ainsi, dans l'Eglise des Prêcheurs on passe constamment de la lumière à l'ombre et de l'ombre à la lumière avec une brutalité déstabilisante. Peur de trébucher, de se cogner. La traversée de l'exposition est physique avant que d'être intellectuelle; Alfredo Jarr interpelle constamment le visiteur, sollicite sa mémoire, dérange son confort, bouscule sa conscience.
Les photos qu'il propose ont déjà été vues, on les connaît, mais peut-être pas sous cet angle là, pas présentées comme cela.
Des photos parues dans la presse au moment de la prise de pouvoir de Pinochet. Presque banales. Alfredo Jarr découpe et agrandit un visage, parmi la foule des manifestants, des témoins. Un visage qui soudain prend toute sa force tragique.
Derrière un mur noir, une table violemment éclairée jonchées par des centaines, des milliers de diapositives. Sur chaque photo le même regard, celui d'un enfant rwandais.
Le propos d'Alfredo Jarr est définitivement politique. Et moral. Car c'est bien nos consciences qu'il interroge. Et la façon dont nous percevons les images et leur donnons un sens .
Au centre de l'immense nef aux murs noircis par le temps, une grande boîte aux parois métalliques sur lesquelles se reflètent des néons rouges. A l'intérieur, dans l'obscurité totale défile un texte qui raconte l'histoire d'une photo, celle de la petite fille et du vautour, prise en 1993 par le photographe sud-africain Kevin Carter. Une photo qui a marqué les mémoires et qui a valu à son auteur le Pullitzer et une polémique particulièrement violente sur le rôle des photographes, qui "vautours eux-mêmes se repaissent de la misère du monde au lieu d'agir".. D'ailleurs, un an plus tard, accablé de honte, l'auteur de la photo s'est suicidé. C'est en tout cas ce que le montage d'Alfredo Jarr laisse entendre.
Oui, mais ... la vérité est peut-être différente.
L'enfant, un garçon en fait, porte à son poignet droit un bracelet de plastique ce qui laisse supposer qu'il a été pris en charge par une association humanitaire, dont les bâtiments se trouvent en-deça de la photo. L'enfant d'ailleurs a survécu.
D'autres témoins assurent qu'une distribution de denrées alimentaires était en cours et que l'enfant avait momentanément été déposé là par sa mère, que le vautour ne guettait pas l'enfant mais la décharge un peu plus loin, que l'angle de vue ... la profondeur de champs ...
Il est dit encore que le suicide du photographe avait bien d'autres motifs que la culpabilité : des problèmes financiers, la mort d'un ami ...
Au final, on est en droit de se demander qui, ici est manipulé. Ce qui n'affaiblit en rien le propos d'Alfredo Jarr. Une photo, comme un texte, plus encore qu'un texte peut avoir plusieurs sens; elle demande à être replacée dans son contexte et soigneusement analysée. L'installation d'Alfredo Jarr incite le visiteur à ne pas se perdre dans l'obscurité, à ne pas se laisser aveugler non plus par la lumière des néons, tout simplement à ne pas être dupe. Pas même de ses propres manipulations.
Quelques pistes pour en savoir plus :
http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=10436
http://www.elmundo.es/elmundo/2011/02/18/comunicacion/1298054483.html
http://www.kevincarterfilm.com/
http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/07/26/une-si-pesante-image_3454254_3246.html
18 août 2013
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