Les autres américains est un roman aux multiples personnages, tous (ou presques) américains, et Laila Lalami a su donner à chacun sa voix propre, sa tonalité particulière, car s'ils partagent la même nationalité, ils sont néanmoins tous différents : par la couleur de leur peau, par le pays où ils ont grandi mais qu'ils ont dû quitter, par leur religion éventuellement, mais surtout par leur personnalité.
Ainsi dans la famille Guerraoui, il y a le père, Driss, un militant marocain contraint de fuir son pays par peur des représailles qui, à force de travail a réussi à acheter un petit restaurant. Lui s'est adapté, s'est "américanisé", mais sa femme s'attache à sa culture, aux traditions de son pays d'origine. Leurs deux filles, bien que nées en Californie n'ont pas grand chose en commun. L'une est dentiste, mariée avec un dentiste; l'autre est une musicienne qui peine à faire sa place. A côté des Guerraoui, il y a aussi Jeremy, l'adjoint du Shérif, et son ami Ferrio, vétéran comme lui de la guerre d'Irak, Efraïm, le clandestin mexicain, Coleman l'enquêtrice, Anderson, AJ ....autant de personnages auxquels Laila Lalami parvient à donner une voix puisqu'à chaque chapitre correspond un personnage qui parle à la première personne. Les points de vue se succèdent, se croisent et finissent par construire une grande fresque, un peu à la manière de Diego Rivera.
Chronique familiale, histoire d'amour ou intrigue policière (Driss est renversé par une voiture au début du roman, accident ou meurtre ?), le roman de Laila Lalami est tout cela à la fois; c'est surtout une plongée dans la réalité américaine de l'après 11 Septembre et un regard très juste sur une Amérique sans glamour, laborieuse dont les rêves ne cessent de se heurter à la réalité. Les problèmes endémiques, violence, racisme - économie - incontournables de tous les romans - ne sont pas esquivés, mais ils sont traités au niveau des personnages, à travers leur expérience personnelle, intime parfois, que le lecteur peut ainsi comprendre à défaut de partager. C'est un livre où chaque personnage fait de son mieux sans pourtant parvenir tout à fait à ses fins, ce qui crée une tension permanente suffisante pour que le lecteur ne lâche jamais prise.