Le problème avec les livres dits "culte" est que l'on en attend toujours trop et que l'on se demande, tout au long de la lecture, ce qui a bien pu justifier cette étiquette.
Le Gang de la clef à molette, publié en 1975, est le premier roman d'Edward Abbey, mais j'avoue n'avoir qu'à été qu'à demi convaincue.
Quatre personnages du genre branquignol - un vétéran du Vietnam (passablement déjanté), un guide mormon (polygame), un chirurgien fortuné (c'est lui qui finance le groupe) et sa petite amie (ultra sexy) - tous ulcérés par les méfaits de la société moderne sur l'environnement, se lancent dans une campagne de sabotage, avec l'intention de faire sauter le barrage de Glen Canyon.
Le sujet rappelle étrangement un roman de Jim Harrison, paru deux ans plus tôt : Un bon jour pour mourir. Dans ce roman, trois personnages (dont un vétéran du Vietnam) traversaient tous les Etats-Unis depuis le Sud de la Floride, avec un seul but en tête : faire sauter le barrage de ... Glen Canyon. Un voyage largement arrosé de bières et de substances diverses. Comme celui d'Edward Abbey. Etrange coïncidence ....
Il est vrai que ce barrage sur le Colorado, inauguré en 1966 mais dont la construction avait commencé 10 ans plus tôt, a suscité bien des polémiques en raison de son impact sur l'environnement. Le roman d'Edward Abbey, dont on connaît la passion pour cette région des Etats-Unis et pour le désert en particulier, est ainsi devenu une référence pour les écologistes les plus radicaux : pour les militants de Earth First les personnages du gang de la clef à molette sont des modèles à suivre, des éco-activistes. No Compromise in Defense of Mother Nature !
Le roman d'Edward Abbey a ainsi joué un rôle important dans l'histoire de la contre-culture américaine. Eveil d'une conscience écologiste, rejet d'une société abusivement matérialiste, appel à la désobéissance... Oui, il y a tout cela dans ce roman un peu trash. Mais les personnages sont sans doute trop déjantés pour être tout à fait crédibles. Et surtout trop pleins de contradictions : Brûler les panneaux publicitaires qui dénaturent le paysage, soit ! Mais balancer ses canettes vides le long des autoroutes pour ajouter à la pollution ambiante ? Refuser l'industrialisation, mais rouler en 4 x 4 ? Faire sauter les ponts, dérailler les trains ? Edward Abbey force le trait, son registre est celui des "comics" plutôt que celui du roman, comme le suggèrent fort bien les illustrations de Robert Crumb des éditions Dream Garden.
Pour ma part, je préfère la couverture de l'édition originale, plus subtile.
Je préfère surtout un autre roman d'Edward Abbey, l'histoire d'un vieil homme qui se bat pour garder ses terres, convoitées par l'armée qui veut étendre une base de lancement de missiles du côté des White Sands. Le Feu sur la montagne a été écrit en 1963. Avant que l'auteur ne se radicalise.
Dans l'édition Gallmeister du Gang de la clef à molette, qui date de 2005, une préface signée Robert Redford évoque son amitié avec l'écrivain dont l'engagement pour la défense de la nature est sans faille. Mais cet engagement même fait de lui un "loup solitaire". La terre avant les hommes, voire sans les hommes.
26 avril 2011
22 avril 2011
Craig Johnson
Les meilleurs polars, à mon goût, sont ceux qui sont solidement ancrés dans une région. Et dans un milieu social. Le Camp des mort de Craig Johnson correspond exactement à cette double attente .
D'abord un lieu : Absaroka County, quelque part dans le Wyoming, en plein hiver et en pleine tempête de neige ! Le lieu en question a beau être fictif, il est pleinement inspiré par la réalité puisque l'auteur vit lui-même à côté d' une petite localité du Wyoming qui compte 25 habitants. Les paysages qu'il décrit, les personnages qu'il met en scène sont inspirés par ce qu'il voit quotidiennement.
Is Absaroka County a real place? The series is about Walt Longmire, who is the sheriff in a rural county in northern Wyoming and has been for twenty-three years. Absaroka County is located alongside the Northern Cheyenne Reservation, which is strangely reminiscent of where I live in Johnson and Sheridan Counties, but it is fictitious. My ranch is about eighteen miles from Buffalo, Wyoming, the town from which I modeled Durant, and every time I drive in I get this Capra-esque feeling that I’m in Walt’s world, seeing the place as he would see it.
Après le lieu, le milieu et en l'occurrence, le petit monde blanc d'une petite ville ordinaire en région rurale, mais comme la ville est proche d'une réserve indienne, l'intrigue inclut Cheyennes et Crows. Comble d'exotisme, certains personnages sont d'origine basque et malgré l'éloignement, parlent toujours la langue ! La mixité ethnique est bien celle de l'Ouest américain, de l'Amérique des pionniers, à la deuxième ou troisième génération. Ainsi le roman tient à la fois du western et du polar et c'est ce qui en fait le charme : en reprenant les clichés de l'un et l'autre genre, l'auteur établit une connivence immédiate avec les amateurs de ces deux genres.
Quant à l'intrigue, elle est forcément compliquée puisqu'elle implique des meurtres récents, mais aussi des événements qui remontent à plus de 50 ans. Histoires d'amour, de haine, de vengeance, histoires d'héritage, d'exploitation de méthane sur des terres agricole... Il y a suffisamment de pistes ouvertes et de rebondissements inattendus pour exciter la curiosité de n'importe quel lecteur.
Cerise sur le gâteau : je suis tombé par hasard sur ce roman, le deuxième d'une série de 7 autour du même personnage, le Shérif Longmire : bonnes lectures en perspective ! Deux romans seulement ont été traduits en français, mais comme il est question d'en faire une série TV, il suffit sans doute d'attendre un peu ... ou, en cas d'impatience irrépressible, de les lire en anglais.
Les photos proviennent directement du site de Craig Johnson et non, ce n'est pas le Shérif Longmire à le fenêtre de son pick-up mais Craig en personne !
D'abord un lieu : Absaroka County, quelque part dans le Wyoming, en plein hiver et en pleine tempête de neige ! Le lieu en question a beau être fictif, il est pleinement inspiré par la réalité puisque l'auteur vit lui-même à côté d' une petite localité du Wyoming qui compte 25 habitants. Les paysages qu'il décrit, les personnages qu'il met en scène sont inspirés par ce qu'il voit quotidiennement.
Is Absaroka County a real place? The series is about Walt Longmire, who is the sheriff in a rural county in northern Wyoming and has been for twenty-three years. Absaroka County is located alongside the Northern Cheyenne Reservation, which is strangely reminiscent of where I live in Johnson and Sheridan Counties, but it is fictitious. My ranch is about eighteen miles from Buffalo, Wyoming, the town from which I modeled Durant, and every time I drive in I get this Capra-esque feeling that I’m in Walt’s world, seeing the place as he would see it.
http://juliabuckley.blogspot.com/2007/06/craig-johnson-on-creating-walt-longmire.html
Après le lieu, le milieu et en l'occurrence, le petit monde blanc d'une petite ville ordinaire en région rurale, mais comme la ville est proche d'une réserve indienne, l'intrigue inclut Cheyennes et Crows. Comble d'exotisme, certains personnages sont d'origine basque et malgré l'éloignement, parlent toujours la langue ! La mixité ethnique est bien celle de l'Ouest américain, de l'Amérique des pionniers, à la deuxième ou troisième génération. Ainsi le roman tient à la fois du western et du polar et c'est ce qui en fait le charme : en reprenant les clichés de l'un et l'autre genre, l'auteur établit une connivence immédiate avec les amateurs de ces deux genres.
Quant à l'intrigue, elle est forcément compliquée puisqu'elle implique des meurtres récents, mais aussi des événements qui remontent à plus de 50 ans. Histoires d'amour, de haine, de vengeance, histoires d'héritage, d'exploitation de méthane sur des terres agricole... Il y a suffisamment de pistes ouvertes et de rebondissements inattendus pour exciter la curiosité de n'importe quel lecteur.
Cerise sur le gâteau : je suis tombé par hasard sur ce roman, le deuxième d'une série de 7 autour du même personnage, le Shérif Longmire : bonnes lectures en perspective ! Deux romans seulement ont été traduits en français, mais comme il est question d'en faire une série TV, il suffit sans doute d'attendre un peu ... ou, en cas d'impatience irrépressible, de les lire en anglais.
Les photos proviennent directement du site de Craig Johnson et non, ce n'est pas le Shérif Longmire à le fenêtre de son pick-up mais Craig en personne !
21 avril 2011
Robert Mitchum est mort
En dehors de la citation placée en exergue, j'ai cherché en vain une éventuelle référence à Mitchum. Le chapeau peut-être ... ou une certaine façon de tenir sa cigarette.
C'est l'inconvénient du titre qui laisse entendre que le film est bourré de références au cinéma américain des années 50 ou 60 alors qu'il est en réalité beaucoup plus proche des films de Kaurismaki, c'est à dire passablement foutraque, barge, déjanté - choisissez votre terme préféré - dans une lumière grisâtre, glauque au sens exact du mot.
Robert Mitchum est mort est l'histoire d' un acteur au visage cabossé, dépressif, qui est de surcroît le premier à ne croire ni à son talent ni à sa chance. Un "loser" !
Son agent, qui s'obstine, lui, à croire que tout est possible décide d'aller à la rencontre de je ne sais quel cinéaste mythique qui serait en tournage quelque part au Nord du cercle polaire.
Le film se transforme alors en "road movie", qui mène les personnages, auxquels s'est adjoint un musicien noir très "rockabilly", jusqu'en Norvège, au delà du cercle polaire, en passant par la Pologne ce qui n'est certainement pas le chemin le plus direct quand on part de ... mais au fond, d'où partent ils ? De toute façon cela n'a pas d'importance car il ne s'agit pas, pour les deux réalisateurs, Olivier Babinet et Fred Kihnni de faire réaliste ou même vraisemblable mais simplement humain : quoi qu'il arrive, les personnages iront jusqu'au bout de la route, fût-elle celle de l'échec. Et comme souvent dans ce genre de film, ce sont les rencontres au fil de la route qui font tout le charme du voyage.
C'est l'inconvénient du titre qui laisse entendre que le film est bourré de références au cinéma américain des années 50 ou 60 alors qu'il est en réalité beaucoup plus proche des films de Kaurismaki, c'est à dire passablement foutraque, barge, déjanté - choisissez votre terme préféré - dans une lumière grisâtre, glauque au sens exact du mot.
Robert Mitchum est mort est l'histoire d' un acteur au visage cabossé, dépressif, qui est de surcroît le premier à ne croire ni à son talent ni à sa chance. Un "loser" !
Son agent, qui s'obstine, lui, à croire que tout est possible décide d'aller à la rencontre de je ne sais quel cinéaste mythique qui serait en tournage quelque part au Nord du cercle polaire.
Le film se transforme alors en "road movie", qui mène les personnages, auxquels s'est adjoint un musicien noir très "rockabilly", jusqu'en Norvège, au delà du cercle polaire, en passant par la Pologne ce qui n'est certainement pas le chemin le plus direct quand on part de ... mais au fond, d'où partent ils ? De toute façon cela n'a pas d'importance car il ne s'agit pas, pour les deux réalisateurs, Olivier Babinet et Fred Kihnni de faire réaliste ou même vraisemblable mais simplement humain : quoi qu'il arrive, les personnages iront jusqu'au bout de la route, fût-elle celle de l'échec. Et comme souvent dans ce genre de film, ce sont les rencontres au fil de la route qui font tout le charme du voyage.
20 avril 2011
The Swimmer
Date de sortie du Swimmer : le 18 septembre 1968 !
La date était peut-être mal choisi, toujours est-il que le film n'était jamais sorti en France ... jusqu'à cet automne ! Et comme il n'en circule apparemment qu'une seule copie, il faut parfois attendre longtemps avant qu'il ne parvienne jusqu'à votre cinéma préféré. L'attente ne fait que renforcer le désir ... et accroître le risque de la déception...
Mais pas du tout ! The Swimmer est effectivement un film rare, un film exceptionnel.
La ligne narrative est simple : un homme, la cinquantaine alerte, plonge dans une piscine, en ressort ruisselant, accueillis par des amis de toute évidence très contents de le retrouver. Le ciel est bleu, la piscine magnifique, les amis sympathiques. On échange de menus propos et Ned, puisque tel est son nom, imagine soudain de rentrer chez lui en passant de piscine en piscine, puisque les propriétés qu'il va traverser sont toutes contigües.
Pour un peu, on se croirait dans un tableau de David Hockney, bien qu'il ne s'agisse pas de la Californie mais du Connecticut. Ce qui importe peu : les riches sont les même partout.
Le crawl de Ned est parfait, le monde dans lequel il se glisse est aussi enjoué que superficiel. Ned est le héros admiré de tous, l'aventurier dont on loue l'originalité.
Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas tout à fait. Car le ciel se couvre peu à peu et bientôt l'orage menace, l'eau des piscines est moins transparente, les amis se font moins accueillants, jusqu'à virer franchement hostiles. L'Odyssée triomphante de Ned devient chemin de croix, le voici blessé, il a froid, il est seul....
Le titre français, Le Plongeon, traduit bien la métaphore. Ned a effectivement "plongé" financièrement parlant, depuis quelques temps déjà, et pour tout bien ne possède désormais que son seul maillot de bain. Faillite d'une vie, faillite du "rêve américain", fragilité de la réussite, toujours éphémère, le film dit tout cela et plus encore. Splendeur et décadence ? On pense à Orson Welles ? Un vague écho de l'Ecclésiaste ? Vanité des vanités ....
Le film est en fin de compte beaucoup plus profond que la frivolité initiale ne le laissait présager.
Ne le laissez pas passer !
Le film a été réalisé par Frank Perry d'apès une nouvelle de John Cheever avec un But Lancaster au mieux de sa forme (de ses formes ? ) et malgré ce que pourrait laisser entendre l'affiche, le film est en technicolor !
"The Swimmer est une allégorie désenchantée sur les mirages de l’american way of life, une critique du culte de la réussite sociale, la description impitoyable d’un monde bourgeois superficiel, aseptisé et autarcique. The Swimmer, dans les marges du Nouvel Hollywood, est un bel objet postmoderne toujours à deux brasses du kitsch absolu mais dont le culot, énorme, s’accompagne d’une extraordinaire intelligence. " Un extrait de la critique des Inrocks datée du 23/11/2010
La date était peut-être mal choisi, toujours est-il que le film n'était jamais sorti en France ... jusqu'à cet automne ! Et comme il n'en circule apparemment qu'une seule copie, il faut parfois attendre longtemps avant qu'il ne parvienne jusqu'à votre cinéma préféré. L'attente ne fait que renforcer le désir ... et accroître le risque de la déception...
Mais pas du tout ! The Swimmer est effectivement un film rare, un film exceptionnel.
La ligne narrative est simple : un homme, la cinquantaine alerte, plonge dans une piscine, en ressort ruisselant, accueillis par des amis de toute évidence très contents de le retrouver. Le ciel est bleu, la piscine magnifique, les amis sympathiques. On échange de menus propos et Ned, puisque tel est son nom, imagine soudain de rentrer chez lui en passant de piscine en piscine, puisque les propriétés qu'il va traverser sont toutes contigües.
Pour un peu, on se croirait dans un tableau de David Hockney, bien qu'il ne s'agisse pas de la Californie mais du Connecticut. Ce qui importe peu : les riches sont les même partout.
Le crawl de Ned est parfait, le monde dans lequel il se glisse est aussi enjoué que superficiel. Ned est le héros admiré de tous, l'aventurier dont on loue l'originalité.
Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas tout à fait. Car le ciel se couvre peu à peu et bientôt l'orage menace, l'eau des piscines est moins transparente, les amis se font moins accueillants, jusqu'à virer franchement hostiles. L'Odyssée triomphante de Ned devient chemin de croix, le voici blessé, il a froid, il est seul....
Le titre français, Le Plongeon, traduit bien la métaphore. Ned a effectivement "plongé" financièrement parlant, depuis quelques temps déjà, et pour tout bien ne possède désormais que son seul maillot de bain. Faillite d'une vie, faillite du "rêve américain", fragilité de la réussite, toujours éphémère, le film dit tout cela et plus encore. Splendeur et décadence ? On pense à Orson Welles ? Un vague écho de l'Ecclésiaste ? Vanité des vanités ....
Le film est en fin de compte beaucoup plus profond que la frivolité initiale ne le laissait présager.
Ne le laissez pas passer !
Le film a été réalisé par Frank Perry d'apès une nouvelle de John Cheever avec un But Lancaster au mieux de sa forme (de ses formes ? ) et malgré ce que pourrait laisser entendre l'affiche, le film est en technicolor !
"The Swimmer est une allégorie désenchantée sur les mirages de l’american way of life, une critique du culte de la réussite sociale, la description impitoyable d’un monde bourgeois superficiel, aseptisé et autarcique. The Swimmer, dans les marges du Nouvel Hollywood, est un bel objet postmoderne toujours à deux brasses du kitsch absolu mais dont le culot, énorme, s’accompagne d’une extraordinaire intelligence. " Un extrait de la critique des Inrocks datée du 23/11/2010
19 avril 2011
Soul music ?
"Une polyphonie envoûtante" dit la quatrième de couverture à propos du roman de Jayne Anne Phillips, Lark et Termite. Et c'est à peu près cela puisqu'alternent tout au long du récit, les voix de plusieurs narrateurs. Quatre en tout.
Le premier narrateur est un soldat américain, chargé, en Juillet 1950, de protéger la fuite des civils coréen devant l'attaque du Nord. Pris sous les bombardements, ils se réfugient dans un tunnel d'où ils ont peu de chances de sortir vivants.
A cette première voix en répondent trois autres, situées elles en Virginie Occidentale : celle de Lark, une jeune fille de 17 ans qui a pris la pleine responsabilité de son jeune frère handicapé, celle de Termite, le jeune frère en question. Termite n'est que son surnom bien sûr mais tout le monde a oublié son vrai nom. La dernière voix est celle de Nonie, la tante qui les a pris en charge depuis la mort de Lola, la mère des deux enfants.
Ce sont donc quatre récits entrecroisés, entremêlés car on apprend assez vite que le soldat américain est en fait le père d'un des enfants. Récits de famille, récits de vie, d'amour, de mort. Une inondation ici, une guerre là-bas : la vie ne ménage personne. Le décalage spatial et temporel entre les quatre voix donne à ce roman, une ampleur inattendue, d'autant que des personnages secondaires mais joliment campés complètent ce roman où s'expriment avec finesse, tant de sensibilités différentes.
Lark et Termite est bien un roman polyphonique, mais la polyphonie n'est ici qu'un moyen de faire entendre la musique de l'âme.
Et Jayne Anne Phillips est, si ce n'est déjà fait, un écrivain à découvrir, sans qu'il soit nécessaire de se référer à Faulkner sous prétexte qu'elle aussi est originaire du Sud !
Trois couvertures pour un seul livre ; trois façon de lire l'histoire ou trois façon de vendre le roman ? Mais pour en juger, il faut l'avoir lu ....
Le premier narrateur est un soldat américain, chargé, en Juillet 1950, de protéger la fuite des civils coréen devant l'attaque du Nord. Pris sous les bombardements, ils se réfugient dans un tunnel d'où ils ont peu de chances de sortir vivants.
A cette première voix en répondent trois autres, situées elles en Virginie Occidentale : celle de Lark, une jeune fille de 17 ans qui a pris la pleine responsabilité de son jeune frère handicapé, celle de Termite, le jeune frère en question. Termite n'est que son surnom bien sûr mais tout le monde a oublié son vrai nom. La dernière voix est celle de Nonie, la tante qui les a pris en charge depuis la mort de Lola, la mère des deux enfants.
Ce sont donc quatre récits entrecroisés, entremêlés car on apprend assez vite que le soldat américain est en fait le père d'un des enfants. Récits de famille, récits de vie, d'amour, de mort. Une inondation ici, une guerre là-bas : la vie ne ménage personne. Le décalage spatial et temporel entre les quatre voix donne à ce roman, une ampleur inattendue, d'autant que des personnages secondaires mais joliment campés complètent ce roman où s'expriment avec finesse, tant de sensibilités différentes.
Lark et Termite est bien un roman polyphonique, mais la polyphonie n'est ici qu'un moyen de faire entendre la musique de l'âme.
Et Jayne Anne Phillips est, si ce n'est déjà fait, un écrivain à découvrir, sans qu'il soit nécessaire de se référer à Faulkner sous prétexte qu'elle aussi est originaire du Sud !
Trois couvertures pour un seul livre ; trois façon de lire l'histoire ou trois façon de vendre le roman ? Mais pour en juger, il faut l'avoir lu ....
14 avril 2011
Akira Yoshimura
Le titre du roman n'est pas vraiment engageant. Mais ce serait dommage de se priver de la lecture de ce roman. Il n'est pas très récent puisqu'il a été publié au Japon en 1988 et traduit en français en 2001. Mais les bons romans n'ont pas d'âge, n'est-ce-pas ?
Un homme condamné à perpétuité pour le meurtre de sa femme obtient au bout de 15 ans sa liberté conditionnelle. Mais, après 15 ans d'incarcération, comment peut-on reprendre le cours de sa vie ?
On ne la reprend pas. La vie de Kikutani sera de toute façon une autre vie. Guidé par son tuteur, un homme aussi patient que bienveillant, il réapprend pas à pas la liberté et l'on comprend que la liberté peut-être terriblement angoissante, surtout après 15 ans d'interruption, 15 ans pendant lesquels, à chaque instant vous étiez surveillé, contrôlé,15 ans pendant lesquels vous n'aviez pas la moindre initiative à prendre, pas le moindre choix à faire, 15 ans pendant lesquels le monde a tellement changé que vous ne le reconnaissez pas.
Mais une société aussi policée que la société japonaise, une société dont il faut, pour être reconnu comme un membre à part entière, respecter en permanence les codes et les conventions ne reproduit-elle pas d'une certaine façon l'univers carcéral ?Un homme peut-il en permanence se plier, se soumettre, dominer ses envies, maîtriser ses pulsions ?Toute liberté n'est-elle pas "conditionnelle" par définition, puisque l'homme est destiné à vivre en société ?
Qu'est-ce, enfin, qu'un bon roman si ce n'est un roman qui permet de se poser de questions ?
Un homme condamné à perpétuité pour le meurtre de sa femme obtient au bout de 15 ans sa liberté conditionnelle. Mais, après 15 ans d'incarcération, comment peut-on reprendre le cours de sa vie ?
On ne la reprend pas. La vie de Kikutani sera de toute façon une autre vie. Guidé par son tuteur, un homme aussi patient que bienveillant, il réapprend pas à pas la liberté et l'on comprend que la liberté peut-être terriblement angoissante, surtout après 15 ans d'interruption, 15 ans pendant lesquels, à chaque instant vous étiez surveillé, contrôlé,15 ans pendant lesquels vous n'aviez pas la moindre initiative à prendre, pas le moindre choix à faire, 15 ans pendant lesquels le monde a tellement changé que vous ne le reconnaissez pas.
Mais une société aussi policée que la société japonaise, une société dont il faut, pour être reconnu comme un membre à part entière, respecter en permanence les codes et les conventions ne reproduit-elle pas d'une certaine façon l'univers carcéral ?Un homme peut-il en permanence se plier, se soumettre, dominer ses envies, maîtriser ses pulsions ?Toute liberté n'est-elle pas "conditionnelle" par définition, puisque l'homme est destiné à vivre en société ?
Qu'est-ce, enfin, qu'un bon roman si ce n'est un roman qui permet de se poser de questions ?
13 avril 2011
Tijuana Straits
Si vous cherchez Tijuana sur Google map, vous apercevrez effectivement le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis et se prolonge dans la mer. Un mur supposé interdire tout passage entre les deux pays.
"La gigantesque barrière se dressait au-dessus d'elle, dépôt de tant de croix, des noms des morts - la barrière de la honte. A Las Playas, on mourait sans cesse entre les minces piliers métalliques, épinglés là comme autant d'insectes exotiques par les courants terribles qui dominaient la côte [...]"
C'est à cet endroit même que commence le roman de Kem Nunn, un roman qui plonge son lecteur dans la réalité la plus sordide, celle des groupes industriels qui polluent sans remords et n'hésitent pas à engager des tueurs lorsque les associations de défense se font trop véhémentes. La trame est celle d'un roman policier, mais ce sont les conditions économiques et sociales de part et d'autre de la frontière qui constituent le véritable enjeu du roman.
La jeune femme qui pour échapper à ses poursuivants a failli mourir noyée est recueillie par un ancien surfer qui a eu son heure de gloire, mais vit désormais comme un loup solitaire, dans un cabanon au bord de la plage, loin des pièges de la surconsommation, au plus près des dunes et de l'océan. On pense en lisant le roman de Kem Nunn aux écrivains rangés sous l'étiquette de "nature writer", les Jim Harrisson, Edward Abbey, Rick Bass sauf que son domaine à lui, ce n'est pas la forêt ou la pêche à la mouche, mais l'océan, les vagues et le surf, un univers dont on sent bien qu'il est familier à l'auteur.
Tout l'art du romancier consiste à faire se heurter des univers a priori incompatibles, celui d'une activiste, militante de la cause des femmes , de l'écologie et de la justice économique, celui des entreprises industrielles et de leurs exécuteurs de basses-oeuvres, celui des vieux surfers, nostalgiques d'une Amérique libre et sauvage. Le choc est violent, l'issue du combat prévisible, ce qui n'empêche pas le lecteur de tourner les pages dans l'espoir que son pressentiment sera démenti !
"La gigantesque barrière se dressait au-dessus d'elle, dépôt de tant de croix, des noms des morts - la barrière de la honte. A Las Playas, on mourait sans cesse entre les minces piliers métalliques, épinglés là comme autant d'insectes exotiques par les courants terribles qui dominaient la côte [...]"
C'est à cet endroit même que commence le roman de Kem Nunn, un roman qui plonge son lecteur dans la réalité la plus sordide, celle des groupes industriels qui polluent sans remords et n'hésitent pas à engager des tueurs lorsque les associations de défense se font trop véhémentes. La trame est celle d'un roman policier, mais ce sont les conditions économiques et sociales de part et d'autre de la frontière qui constituent le véritable enjeu du roman.
La jeune femme qui pour échapper à ses poursuivants a failli mourir noyée est recueillie par un ancien surfer qui a eu son heure de gloire, mais vit désormais comme un loup solitaire, dans un cabanon au bord de la plage, loin des pièges de la surconsommation, au plus près des dunes et de l'océan. On pense en lisant le roman de Kem Nunn aux écrivains rangés sous l'étiquette de "nature writer", les Jim Harrisson, Edward Abbey, Rick Bass sauf que son domaine à lui, ce n'est pas la forêt ou la pêche à la mouche, mais l'océan, les vagues et le surf, un univers dont on sent bien qu'il est familier à l'auteur.
Tout l'art du romancier consiste à faire se heurter des univers a priori incompatibles, celui d'une activiste, militante de la cause des femmes , de l'écologie et de la justice économique, celui des entreprises industrielles et de leurs exécuteurs de basses-oeuvres, celui des vieux surfers, nostalgiques d'une Amérique libre et sauvage. Le choc est violent, l'issue du combat prévisible, ce qui n'empêche pas le lecteur de tourner les pages dans l'espoir que son pressentiment sera démenti !
12 avril 2011
Le Retour de Jim Lamar
Etrange roman que celui de Lionel Salaün. Il a, en apparence, toutes les caractéristiques d'un (bon) roman américain, mais c'est le premier roman d'un écrivain français qui n'a jamais mis les pieds en Amérique. Surprenant !
La petite ville pas si tranquille, au bord du Mississipi ? On s'y croirait !
Les gens du coin, bruts de décoffrage, le fusil toujours à portée de la main et la morale passablement élastique ? Ils sont plus vrais que nature.
Jim Lamar, revenu chez lui après 13 ans d'absence, toujours hanté par les souvenirs du Vietnam ? Un personnage familier, déjà rencontré au hasard d'un film ou d'un livre.
Bill, le gamin curieux, qui fourre son nez partout et passe le temps d'un été, de l'enfance à l'âge adulte ? Il a l'air tout droit sorti d'un roman de Mark Twain.
Tout dans ce roman, l'atmosphère, les personnages, les références à la musique, à l'histoire, tout "fait" effectivement américain. C'est à un je ne sais quoi dans l'écriture que l'on perçoit la différence. Une écriture plus travaillée, peut-être, plus sophistiquée et qui du coup détonne très légèrement.
Le Retour de Jim Lamar est au roman américain ce que le Canada Dry est à l'alcool. "Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool."
Intéressant quand même ! Et puis moi, j'aime bien le Canada Dry
La petite ville pas si tranquille, au bord du Mississipi ? On s'y croirait !
Les gens du coin, bruts de décoffrage, le fusil toujours à portée de la main et la morale passablement élastique ? Ils sont plus vrais que nature.
Jim Lamar, revenu chez lui après 13 ans d'absence, toujours hanté par les souvenirs du Vietnam ? Un personnage familier, déjà rencontré au hasard d'un film ou d'un livre.
Bill, le gamin curieux, qui fourre son nez partout et passe le temps d'un été, de l'enfance à l'âge adulte ? Il a l'air tout droit sorti d'un roman de Mark Twain.
Tout dans ce roman, l'atmosphère, les personnages, les références à la musique, à l'histoire, tout "fait" effectivement américain. C'est à un je ne sais quoi dans l'écriture que l'on perçoit la différence. Une écriture plus travaillée, peut-être, plus sophistiquée et qui du coup détonne très légèrement.
Le Retour de Jim Lamar est au roman américain ce que le Canada Dry est à l'alcool. "Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool."
Intéressant quand même ! Et puis moi, j'aime bien le Canada Dry
09 avril 2011
Chagall
Il dort
Il est éveillé
Tout à coup, il peint
Il prend une église et peint avec une église
Il prend une vache et peint avec une vache
Avec une sardine Avec des têtes, des mains, des couteaux
Il peint avec un nerf de boeuf
Il peint avec toutes les sales passions d'une petite ville juive
Avec toutes la sexualité exacerbée de la province russe
Pour la France
Sans sensualité
Il peint avec ses cuisses
Il a les yeux au cul
Et c'est tout à coup votre portrait
C'est toi le lecteur
C'est moi
C'est lui
C'est sa fiancée
C'est l'épicier du coin
La vachère La sage-femme
Il y a des baquets de sang
On y lave les nouveaux-nés
Des ciels de folie
Bouches de modernité
La Tour en tire-bouchon
Des mains
Le Christ
Le Christ c'est lui
Il a passé son enfance sur la Croix
Il se suicide tous les jours
Tout à coup, il ne peint plus
Il était éveillé
Il dort maintenant
Il s'étrangle avec sa cravate
Chagall est étonné de vivre encore
Octobre 1913
C'est le premier des deux poèmes que Blaise Cendrars a écrit en hommage à son ami Chagall.
C'est le poème que j'avais en tête en parcourant l'exposition que le musée de Grenoble consacre au peintre et à l'avant-garde russe.
Une exposition en tous points remarquable
C'est le poème que j'avais en tête en parcourant l'exposition que le musée de Grenoble consacre au peintre et à l'avant-garde russe.
Une exposition en tous points remarquable
04 avril 2011
Si tu meurs, je te tue
Drôle de titre, mais drôle de film aussi qui oscille en permanence entre tragédie et comédie. Un film à se faire retourner dans sa tombe le cher Boileau, partisan convaincu de l'unité de ton !
Et bien non, Monsieur Boileau ! Vous avez tort ! On peut faire un bon film en ne respectant pas l'unité de ton comme le prouve ce film. Un jeune homme qui meurt ne fait pas un sujet de comédie. J'en conviens. Et pourtant on rit ! On rit non pas de la mort, mais des conséquences que la mort de ce jeune homme entraîne.
La liste des personnages ressemble un peu à l'inventaire de Prévert, soit, dans l'ordre d'apparition à l'écran, un Français un peu paumé qui sort de prison, une propriétaire qui préfère toucher son loyer "en nature" plutôt qu'en espèces sonnantes et trébuchantes, un jeune homme sans ressources apparentes et sans domicile, 7 frères kurdes installés à Paris depuis ... un certain temps, une ravissante et délurée fiancée, un père éploré ... ajoutez encore 2 pistolets et un gros paquet de fric. Mélangez et vous avez ce film aussi étonnant que détonnant.
Plus sérieusement je pourrais dire que c'est l'histoire d'une jeune femme qui se débarrasse de ce qui l'entrave, famille, religion, traditions et poursuit seule son chemin vers la liberté. Le film est donc particulièrement réjouissant pour toute féministe qui se respecte. Il nous rappelle que la liberté n'est jamais acquise, elle se conquiert. Sans violence mais avec détermination.
Deux mots encore !
- Le casting est parfait, les acteurs sont tous excellents, et l'on se réjouit de retrouver, dans le rôle de la jeune fiancée, la très belle et très douée Golshifteh Farahani, une actrice iranienne désormais exilée en France, repérée dans A propos d'Elly d'Asghar Farhadi.
- Le film est réalisé par un cinéaste originaire du Kurdistan irakien, Hiner Saleem dont j'avais déjà eu l'occasion d'apprécier l'imagination loufoque dans Vodka Lemon.
Et bien non, Monsieur Boileau ! Vous avez tort ! On peut faire un bon film en ne respectant pas l'unité de ton comme le prouve ce film. Un jeune homme qui meurt ne fait pas un sujet de comédie. J'en conviens. Et pourtant on rit ! On rit non pas de la mort, mais des conséquences que la mort de ce jeune homme entraîne.
La liste des personnages ressemble un peu à l'inventaire de Prévert, soit, dans l'ordre d'apparition à l'écran, un Français un peu paumé qui sort de prison, une propriétaire qui préfère toucher son loyer "en nature" plutôt qu'en espèces sonnantes et trébuchantes, un jeune homme sans ressources apparentes et sans domicile, 7 frères kurdes installés à Paris depuis ... un certain temps, une ravissante et délurée fiancée, un père éploré ... ajoutez encore 2 pistolets et un gros paquet de fric. Mélangez et vous avez ce film aussi étonnant que détonnant.
Plus sérieusement je pourrais dire que c'est l'histoire d'une jeune femme qui se débarrasse de ce qui l'entrave, famille, religion, traditions et poursuit seule son chemin vers la liberté. Le film est donc particulièrement réjouissant pour toute féministe qui se respecte. Il nous rappelle que la liberté n'est jamais acquise, elle se conquiert. Sans violence mais avec détermination.
Deux mots encore !
- Le casting est parfait, les acteurs sont tous excellents, et l'on se réjouit de retrouver, dans le rôle de la jeune fiancée, la très belle et très douée Golshifteh Farahani, une actrice iranienne désormais exilée en France, repérée dans A propos d'Elly d'Asghar Farhadi.
- Le film est réalisé par un cinéaste originaire du Kurdistan irakien, Hiner Saleem dont j'avais déjà eu l'occasion d'apprécier l'imagination loufoque dans Vodka Lemon.
03 avril 2011
Kamtchatka
Le Kamtchatka est une péninsule, un petit bout de terre à l'extrémité orientale de la Russie.
Mais le film qui porte ce joli nom est un film de Marcelo Pineyro, un cinéaste argentin; et l'histoire qu'il raconte se passe en Argentine, loin très loin du Kamtchatka.
Au printemps 1976, une junte militaire a pris le pouvoir à Buenos Aires. Quelques mois plus tard, "Harry" est à l'école lorsque sa mère vient le chercher en plein cours. Sans même passer prendre quelques affaires à la maison, ses parents l'emmènent, lui et son jeune frère, se réfugier dans une maison vide quelque part à la campagne. Les garçons reçoivent des consignes strictes : il faut changer de nom, ne pas répondre au téléphone et se cacher sous les buissons au signal donné.
L'habileté du cinéaste consiste à ne jamais rien dire de façon explicite, à ne jamais rien montrer de la violence et du danger, mais à faire sentir ce que c'est que de vivre sous une dictature. Ni bruit de botte, ni même un uniforme, juste la peur, insidieuse; l'angoisse, permanente ! Les enfants, déboussolés par la perte de leurs repères familiers - le meilleur copain, la peluche préférée- sont trop jeunes pour comprendre, mais ils ressentent l'inquiétude de leurs parents qui pourtant font tout pour préserver un semblant de vie normale, des instants de bonheur. Les derniers avant la tragédie.
Kamtchatka est un film poignant sans être jamais larmoyant parce qu'en choisissant de traiter avec sobriété un sujet pourtant éminemment tragique, le réalisateur lui a donné plus de poids.
Tourné en 2001, le film a peut-être été projeté en France, mais je n'en suis pas certaine. En revanche je suis certaine qu'on peut le trouver en DVD. Et si vous voulez savoir ce que vient faire la Kamtchatka dans cette histoire argentine, il vous faudra visionner le film car je ne vous le dirai pas !
Mais le film qui porte ce joli nom est un film de Marcelo Pineyro, un cinéaste argentin; et l'histoire qu'il raconte se passe en Argentine, loin très loin du Kamtchatka.
Au printemps 1976, une junte militaire a pris le pouvoir à Buenos Aires. Quelques mois plus tard, "Harry" est à l'école lorsque sa mère vient le chercher en plein cours. Sans même passer prendre quelques affaires à la maison, ses parents l'emmènent, lui et son jeune frère, se réfugier dans une maison vide quelque part à la campagne. Les garçons reçoivent des consignes strictes : il faut changer de nom, ne pas répondre au téléphone et se cacher sous les buissons au signal donné.
L'habileté du cinéaste consiste à ne jamais rien dire de façon explicite, à ne jamais rien montrer de la violence et du danger, mais à faire sentir ce que c'est que de vivre sous une dictature. Ni bruit de botte, ni même un uniforme, juste la peur, insidieuse; l'angoisse, permanente ! Les enfants, déboussolés par la perte de leurs repères familiers - le meilleur copain, la peluche préférée- sont trop jeunes pour comprendre, mais ils ressentent l'inquiétude de leurs parents qui pourtant font tout pour préserver un semblant de vie normale, des instants de bonheur. Les derniers avant la tragédie.
Kamtchatka est un film poignant sans être jamais larmoyant parce qu'en choisissant de traiter avec sobriété un sujet pourtant éminemment tragique, le réalisateur lui a donné plus de poids.
Tourné en 2001, le film a peut-être été projeté en France, mais je n'en suis pas certaine. En revanche je suis certaine qu'on peut le trouver en DVD. Et si vous voulez savoir ce que vient faire la Kamtchatka dans cette histoire argentine, il vous faudra visionner le film car je ne vous le dirai pas !
01 avril 2011
Wasteland
En règle générale, je préfère les films de fiction aux documentaires. Mais celui-ci fait exception.
Parce qu'il séduit, intrigue, horrifie, décontenance, bref : donne à penser et propose trois niveaux de lecture au moins.
Il y a d'abord le discours écologique convenu sur le gaspillage de nos sociétés de consommation et la difficile question du recyclage des déchets, plus problématique encore dans les pays en voie de développement comme le Brésil.
Il y a ensuite le discours social sur les populations, totalement démunies, dont la décharge assure d'une certaine façon, la survie. Ce sont les "catadores", hommes, femmes, enfants ramasseurs non pas d'ordures mais de "déchets recyclabes" dont le film fait le portrait en même temps qu'il dénonce leurs conditions de vie.
Il y a enfin le reportage sur le travail de Vik Muniz, l'artiste brésilien "le mieux vendu" et qui a depuis une dizaine d'année une place reconnue dans les plus grands musées du monde.
Cet artiste, qui travaille habituellement avec des matériaux pour le moins inhabituels (sucre, ketchup, poussière, fil de fer) s'est lancé dans un nouveau projet. Il a, dans un premier temps, sélectionné et photographié un certain nombre de "catadores". Les portraits une fois agrandis sont bordés, soulignés, recouverts par des séries d'objets recueillis sur la décharge, autant d'autoportraits réalisés par les "catadores" eux-même sous la conduite de Vik Muniz. Les tableaux seront par la suite vendus et le montant de la vente redistribué à l'association de défense des "catadores."
Certaines problématiques soulevées par la démarche de l'artiste sont évoquées sans détour par le film comme la définition de l'oeuvre d'art et le statut de l'artiste, la démarche de Vik Muniz se situant quelque part entre Warhol et Basquiat. Artiste authentique ? Frimeur mercantile ? Escroc intelligent ? Depuis Duchamp, le spectateur est rodé à la question, bien qu'il n'en connaisse toujours pas la réponse !
Plus perturbante est la question de l'intervention de l'artiste dans la vie des "catadores". Que deviendront ceux-ci lorsque leur 1/4 d'heure de gloire sera écoulé ? Sauront-ils profiter de la perche qui leur est tendue ? Comment réagiront-ils à la confrontation avec le monde des galeristes, des collectionneurs ? Est-il légitime, est-il moral de faire de l'être humain un objet, un media fût-il artistique ?
Le film, c'est entendu, est riche d'interrogations. Mais ce que j'en ai surtout retenu, c'est l'extraordinaire énergie, l'extraordinaire vitalité des personnages que je garderai longtemps gravés dans ma mémoire.
Je garderai aussi en mémoire le nom de la réalisatrice : Lucy Walker et ferai mon possible pour voir son précédent film sur la prolifération des armes nucléaires : Countdown to Zero.
Parce qu'il séduit, intrigue, horrifie, décontenance, bref : donne à penser et propose trois niveaux de lecture au moins.
Il y a d'abord le discours écologique convenu sur le gaspillage de nos sociétés de consommation et la difficile question du recyclage des déchets, plus problématique encore dans les pays en voie de développement comme le Brésil.
Il y a ensuite le discours social sur les populations, totalement démunies, dont la décharge assure d'une certaine façon, la survie. Ce sont les "catadores", hommes, femmes, enfants ramasseurs non pas d'ordures mais de "déchets recyclabes" dont le film fait le portrait en même temps qu'il dénonce leurs conditions de vie.
Il y a enfin le reportage sur le travail de Vik Muniz, l'artiste brésilien "le mieux vendu" et qui a depuis une dizaine d'année une place reconnue dans les plus grands musées du monde.
Cet artiste, qui travaille habituellement avec des matériaux pour le moins inhabituels (sucre, ketchup, poussière, fil de fer) s'est lancé dans un nouveau projet. Il a, dans un premier temps, sélectionné et photographié un certain nombre de "catadores". Les portraits une fois agrandis sont bordés, soulignés, recouverts par des séries d'objets recueillis sur la décharge, autant d'autoportraits réalisés par les "catadores" eux-même sous la conduite de Vik Muniz. Les tableaux seront par la suite vendus et le montant de la vente redistribué à l'association de défense des "catadores."
Certaines problématiques soulevées par la démarche de l'artiste sont évoquées sans détour par le film comme la définition de l'oeuvre d'art et le statut de l'artiste, la démarche de Vik Muniz se situant quelque part entre Warhol et Basquiat. Artiste authentique ? Frimeur mercantile ? Escroc intelligent ? Depuis Duchamp, le spectateur est rodé à la question, bien qu'il n'en connaisse toujours pas la réponse !
Plus perturbante est la question de l'intervention de l'artiste dans la vie des "catadores". Que deviendront ceux-ci lorsque leur 1/4 d'heure de gloire sera écoulé ? Sauront-ils profiter de la perche qui leur est tendue ? Comment réagiront-ils à la confrontation avec le monde des galeristes, des collectionneurs ? Est-il légitime, est-il moral de faire de l'être humain un objet, un media fût-il artistique ?
Le film, c'est entendu, est riche d'interrogations. Mais ce que j'en ai surtout retenu, c'est l'extraordinaire énergie, l'extraordinaire vitalité des personnages que je garderai longtemps gravés dans ma mémoire.
Je garderai aussi en mémoire le nom de la réalisatrice : Lucy Walker et ferai mon possible pour voir son précédent film sur la prolifération des armes nucléaires : Countdown to Zero.
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