09 avril 2011

Chagall



Il dort
Il est éveillé
Tout à coup, il peint
Il prend une église et peint avec une église
Il prend une vache et peint avec une vache
Avec une sardine Avec des têtes, des mains, des couteaux
Il peint avec un nerf de boeuf
Il peint avec toutes les sales passions d'une petite ville juive
Avec toutes la sexualité exacerbée de la province russe

Pour la France

Sans sensualité

Il peint avec ses cuisses
Il a les yeux au cul

Et c'est tout à coup votre portrait

C'est toi le lecteur

C'est moi

C'est lui

C'est sa fiancée

C'est l'épicier du coin

La vachère
La sage-femme
Il y a des baquets de sang

On y lave les nouveaux-nés

Des ciels de folie

Bouches de modernité

La Tour en tire-bouchon

Des mains

Le Christ

Le Christ c'est lui
Il a passé son enfance sur la Croix

Il se suicide tous les jours

Tout à coup, il ne peint plus

Il était éveillé

Il dort maintenant

Il s'étrangle avec sa cravate
Chagall est étonné de vivre encore
Octobre 1913

C'est le premier des deux poèmes que Blaise Cendrars a écrit en hommage à son ami Chagall.
C'est le poème que j'avais en tête en parcourant l'exposition que le musée de Grenoble consacre au peintre et à l'avant-garde russe.
Une exposition en tous points remarquable


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